REJET du pourvoi formé par :
- X... Mario,
- Y... Géry,
- la banque Banco Pinto et Sotto Mayor, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 21 mai 1990 qui, pour entrave au fonctionnement régulier du comité d'entreprise, a condamné respectivement le premier et le second à 20 000 et 10 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles et a déclaré la troisième civilement responsable.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
I-Sur les faits et la procédure :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement auquel il se réfère pour l'exposé des faits et d'un procès-verbal de l'inspecteur du Travail visé par ces décisions, que la banque Banco Pinto et Sotto Mayor, établissement public de droit portugais ayant son siège à Lisbonne, a, en France, une succursale exploitant vingt-trois agences ; qu'afin de l'informer sur un projet de licenciement économique touchant quarante-six personnes et entraînant la suppression des agences de Meaux et d'Annecy ainsi que sur un projet de plan social, elle a convoqué pour le 17 février le comité d'entreprise de la succursale, lequel pour se faire assister dans ses travaux, a désigné un expert-comptable dont le rapport, déposé le 9 mars, mentionnait que l'employeur avait refusé de lui communiquer une étude faite à la demande de l'entreprise par la société Orga conseil ; que la deuxième réunion du comité prévue pour le 9 mars n'a pas eu lieu, ses membres s'estimant insuffisamment informés ; que l'employeur, estimant la procédure d'information achevée, a convoqué pour le 19 mars cet organisme afin qu'il émette un avis sur les projets qui lui avaient été soumis ;
Qu'un mouvement de grève a été déclenché le 11 mars en protestation contre les licenciements envisagés mais a rapidement cessé ; que, lors de la réunion du 19 mars, le comité d'entreprise a refusé de se prononcer sur les motifs économiques, se jugeant insuffisamment informé ;
Que ce comité et le syndicat du personnel des banques et sociétés financières de la région parisienne ont fait citer directement devant le tribunal correctionnel, du chef d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'entreprise, Mario X..., directeur principal de la banque portugaise et président du comité d'entreprise de la succursale française, et Géry Y..., directeur des affaires sociales et juridiques, à qui ils reprochaient notamment d'avoir refusé de consulter le comité sur la fermeture des agences de Meaux et d'Annecy et rencontré directement les salariés de ces agences, d'avoir refusé de communiquer à cet organisme ou à l'expert qu'il avait désigné le recensement des sureffectifs, le procès-verbal d'une réunion tenue le 30 janvier 1987 à Lisbonne entre le conseil de gestion de la banque et des travailleurs portugais, ainsi que le rapport d'Orga conseil, et d'avoir omis de consulter le comité sur une convention de préretraite avec le Fonds national de l'emploi ; que les prévenus ont été déclarés coupables de ces chefs de prévention ;
En cet état :
II-Au fond :
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 321-2, L. 321-4, L. 432-1, L. 434-6 et L. 483-1 du Code du travail, l'article 2. 2° de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 et de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a dit que les faits n'étaient pas amnistiés ;
" aux motifs que si les faits imputés au prévenus sont bien antérieurs au 22 mai 1988, ils ont été commis en dehors d'un conflit du travail au sens du Livre V du Code du travail et ne peuvent constituer un délit commis à l'occasion d'activités syndicales et revendicatives, ces activités ne pouvant être celles d'un chef d'entreprise dans ses rapports avec ses salariés ; qu'en effet, bien qu'il soit vrai qu'un mouvement de grève a été déclenché le 11 mars 1987, contre les licenciements, il n'existe cependant pas une relation étroite et suffisante entre ladite grève d'une part, et les difficultés rencontrées par le comité d'entreprise afin d'obtenir des compléments d'informations économiques, d'autre part, pour faire application de l'article 2. 2° de la loi du 20 juillet 1988 ; qu'au demeurant il y a lieu d'observer que le délit reproché est préexistant à tout conflit du travail, qu'il s'ensuit que les agissements fautifs imputés aux prévenus, à les supposer établis, n'ayant pas été commis à l'occasion d'un conflit du travail ou à l'occasion d'activités syndicales et revendicatives de salariés, le moyen soulevé, tiré de l'extinction de l'action publique par l'effet de l'amnistie, sera rejeté ;
" alors que, d'une part, l'article 2. 2° de la loi du 20 juillet 1988, qui dispose que sont amnistiés les délits commis à l'occasion de conflits du travail, exige simplement qu'il existe un lien entre le conflit et les faits reprochés au prévenu ; qu'ainsi, en l'espèce où le délit retenu a été commis à l'occasion de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique et où, dès le début de cette consultation, un climat conflictuel s'est instauré entre le syndicat et le comité d'entreprise d'un côté, et la direction de l'autre, prenant la forme d'une grève à compter du 11 mars 1987 aux fins notamment d'obtenir de la direction certaines informations, la cour d'appel en refusant d'admettre que les faits étaient amnistiés faute d'une relation étroite et suffisante entre la grève et les difficultés rencontrées par le comité d'entreprise pour s'informer, a ajouté à la loi une condition qu'elle ne pose pas et, refusant de tirer de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient, a violé le texte susvisé ;
" alors que, d'autre part, le délit reproché aux prévenus consistant en une insuffisance d'information du comité d'entreprise ne pouvait être constitué avant la fin de la procédure de consultation dudit comité qui se situe le 17 avril 1987 ; qu'ainsi en décidant que le délit préexistait à la grève qui a commencé le 11 mars et qui avait précisément pour objet d'obtenir des informations, la cour d'appel a violé le texte susvisé " ;
Attendu que, pour rejeter l'argumentation des prévenus soutenant que les délits reprochés étaient amnistiés en application de l'article 2. 2° de la loi du 20 juillet 1988 comme ayant été commis à l'occasion de conflits du travail ou à l'occasion d'activités revendicatives de salariés, la juridiction du second degré énonce, d'une part, qu'il n'existait pas une relation étroite et suffisante entre la grève déclenchée le 11 mars contre les licenciements et les difficultés rencontrées par le comité d'entreprise afin d'obtenir les compléments d'information économique et, d'autre part, que le délit reproché préexistait à tout conflit du travail ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs et malgré une maladresse de rédaction donnant lieu à la critique de la première branche du moyen, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'il résulte de ses constatations que l'insuffisance prétendue des informations fournies à l'appui du projet soumis au comité n'est pas survenue à l'occasion d'une grève à laquelle elle était antérieure et que le refus de les compléter a été caractérisé après la réunion avortée du 9 mars, l'employeur ayant alors considéré la procédure d'information comme terminée et n'ayant convoqué le comité pour le 19 mars que pour recueillir son avis ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 321-2, L. 321-4, L. 432-1, L. 434-6 et L. 481-3 du Code du travail, et de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de délit d'entrave au fonctionnement du comité d'entreprise et les a condamnés à des amendes ainsi qu'au paiement de dommages-intérêts aux parties civiles ;
" aux motifs adoptés des premiers juges que tant l'expert-comptable du comité que le comité lui-même étaient en droit d'exiger, pour une information complète, la communication du rapport Orga conseil ; qu'en effet, les audits, enquêtes ou études prises en compte dans l'élaboration de la restructuration constituent un élément d'appréciation indispensable pour formuler un avis sur le projet de licenciement ; qu'en effet, en contrepartie de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement intervenue en 1986, la loi du 30 décembre 1986 a entendu renforcer les prérogatives du comité d'entreprise, l'information économique qu'il est en droit de recevoir devant être totalement transparente et complète ; qu'en pareille matière, l'intervention de l'expert-comptable justifie un droit de communication plus élargi et qui ne saurait se limiter à l'examen des comptes de l'entreprise ; que si les dirigeants de la Banco Pinto et Sotto Mayor entendent contester l'étendue de la mission de l'expert du comité, il leur appartenait, non pas de refuser la communication du rapport Orga conseil comme ils l'ont fait, mais de saisir le juge des référés seul compétent pour trancher cette question ; que c'est en vain que la défense des prévenus fait valoir que la non-communication du rapport Orga conseil n'a pas empêché l'expert du comité de conclure à la réalité du motif économique, eu égard aux réserves posées par l'expert tenant notamment au refus de communication incriminé ; qu'ainsi le délit d'entrave se trouve caractérisé tant au plan matériel qu'intentionnel ;
" alors que, d'une part, il résulte des articles L. 434-6 et L. 321-4 du Code du travail que l'expert-comptable du comité d'entreprise ne peut avoir communication que des documents nécessaires à l'exécution de sa mission au nombre desquels ne figurent pas les études ou consultations commandées par le chef d'entreprise à une entreprise spécialisée qui constituent pour celui-ci de simples documents de travail et de réflexion ; qu'ainsi la cour d'appel en reprochant aux prévenus de ne pas avoir communiqué à l'expert-comptable le rapport de la société Orga conseil qui n'était qu'une consultation donnée à la direction, a violé les textes susvisés ;
" alors que, d'autre part, dans leurs conclusions d'appel, les prévenus avaient fait valoir que le rapport Orga conseil, qui n'avait été remis à la direction que 2 jours ouvrables avant la communication au comité d'entreprise du mémorandum sur le projet de restructuration, n'avait pas été pris en considération pour l'élaboration de ce projet et n'avait donc pas à être communiqué à l'expert-comptable ; que la cour d'appel en s'abstenant de répondre à ces conclusions, après avoir cependant affirmé que ne doivent être communiquées que les études prises en compte dans l'élaboration de la restructuration, a entaché son arrêt d'un défaut de motifs ;
" alors qu'enfin, le délit d'entrave comporte un élément intentionnel lequel fait défaut lorsque la carence reprochée au chef d'entreprise est justifiée par des circonstances exceptionnelles ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le refus de communiquer le rapport Orga conseil n'était pas justifié par la circonstance que la direction elle-même jugeait contestables les conclusions de ce rapport et que la diffusion du rapport par les craintes qu'il pourrait faire naître dans l'esprit des salariés, était de nature à alourdir le climat social déjà tendu, étant observé en outre qu'à cette époque, la jurisprudence était des plus incertaines sur l'étendue du droit à communication de l'expert-comptable, la cour d'appel n'a pas mis en évidence l'élément intentionnel du délit et a privé son arrêt de base légale au regard des textes visés au moyen " ;
Attendu que, pour admettre que constituait une entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, le refus de communiquer à l'expert-comptable un rapport demandé par l'employeur au cabinet de consultants Orga conseil, la juridiction du second degré se prononce notamment par les motifs rapportés au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et abstraction faite de motifs surabondants relatifs à la communication du document au comité d'entreprise lui-même, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes, a légalement justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet, sauf référé éventuel devant le président du tribunal de grande instance, il appartient à l'expert-comptable désigné par le comité d'entreprise en vertu des dispositions de l'article L. 434-6 du Code du travail, et dont les pouvoirs d'investigation sont assimilés à ceux du commissaire aux comptes, d'apprécier quels sont les documents utiles à l'exercice de sa mission, dès lors que celle-ci n'excède pas l'objet défini par ledit article ; que, d'autre part, l'élément intentionnel de l'infraction se déduit du caractère volontaire des agissements constatés et que le mobile invoqué par les prévenus ne constitue pas une circonstance exceptionnelle faisant obstacle à l'accomplissement de leurs obligations ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Attendu que la déclaration de culpabilité, les peines prononcées et les réparations allouées étant ainsi justifiées, il n'y a lieu d'examiner les autres moyens proposés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.