REJET des pourvois formés par :
- X... Fritz,
- Y... Gabriel,
- Z... Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, en date du 26 octobre 1989 qui, dans les poursuites exercées notamment contre eux pour escroqueries et complicités d'escroqueries, les a respectivement condamnés à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende, 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende, 4 ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans outre 10 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de leur connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation de X... et pris de la violation des articles 59 et 60 du Code pénal, 405 dudit Code, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré X... coupable de complicité d'escroquerie ;
" au motif propre à la Cour que s'il est exact qu'un employé de la partie civile a effectivement participé au concert frauduleux, ce qu'il a d'ailleurs reconnu, le prévenu ne saurait s'en prévaloir pour échapper à la poursuite alors qu'il savait, en acceptant les effets de commerce, qu'il prêtait la main à l'escroquerie ourdie par Z..., se rendant ainsi complice par aide et assistance de celui-ci ;
" et aux motifs adoptés des premiers juges que certains prévenus soulèvent l'irrecevabilité de la demande de la partie civile au prétexte qu'elle aurait participé à l'infraction par l'intervention de ses préposés, que cet argument doit être rejeté, qu'en effet le fondé de pouvoir puis contrôleur général de la banque qui a avalisé les effets litigieux en se rendant complice de l'escroquerie a agi sans autorisation de son commettant à des fins étrangères à ses attributions et s'est donc placé hors des fonctions auxquelles il était employé, que la banque n'a pas participé au concert frauduleux dont elle demeure la seule victime ;
" alors que l'emploi de manoeuvres frauduleuses ne constitue le délit d'escroquerie qu'autant que ces manoeuvres ont été déterminantes de la remise des fonds, que dès lors en l'espèce où la Cour a constaté que le responsable de la banque ayant remis les fonds avait participé au concert frauduleux résultant de l'échange, entre les prévenus, d'effets de complaisance dépourvus de cause et y avait donné son accord, les juges du fond, dont les constatations impliquent que les remises de fonds n'ont pas pu être déterminées par l'existence des effets de complaisance, ont privé leur décision de condamnation de toute base légale au regard des dispositions de l'article 405 du Code pénal " ;
Sur le premier moyen de cassation de Y... et pris de la violation des articles 59, 60 et 405 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Gabriel Y... du chef de complicité d'escroquerie ;
" aux motifs que, le 30 avril 1979, sur demande de Z..., la Qatar National Bank a fait procéder à un virement de 165 000 francs au profit de la SARL ATM dirigée de fait par Y..., laquelle acceptait une lettre de change de 165 000 francs tirée sur elle par Z... à échéance du 15 juillet 1979 et que ce dernier faisait escompter par la QNB ; que le 2 mai 1979, Z... faisait escompter par la QNB une lettre de change, acceptée par la SARL ATM, créée le 30 avril 1979, pour un montant de 400 000 francs, lui remettait en contrepartie cinq chèques de 80 000 francs chacun, datés pour trois d'entre eux du 3 mai et pour les deux derniers respectivement des 4 et 5 mai 1979 ; que Z... n'a pas contesté que ces opérations ne correspondaient à aucune relation commerciale réelle ; que lesdites opérations, faites par ailleurs avec l'accord de A..., salarié de la QNB au moment des faits, doivent être considérées comme des escroqueries commises au moyen de la présentation à l'escompte par la QNB des lettres de change en cause, ce qui caractérise les manoeuvres frauduleuses ; qu'en acceptant ainsi en connaissance de cause les lettres de change qu'il savait destinées à procurer frauduleusement des fonds à Z..., Y... s'est rendu complice du délit d'escroquerie commis par Z... ;
" alors que, d'une part, la simple traite de complaisance présentée à l'escompte, en l'absence de procédés ou mises en scène susceptibles de donner aux sociétés signataires l'apparence d'une situation prospère, ne constitue pas une manoeuvre frauduleuse au sens de l'article 405 du Code pénal ; qu'il ne résulte d'aucune constatation de l'arrêt que Gabriel Y... et Pierre Z... se sont livrés à de quelconques manoeuvres destinées à faire croire à la solvabilité de leur société ; qu'ainsi la cour d'appel de Paris n'a pas caractérisé les manoeuvres frauduleuses constitutives de l'escroquerie ;
" et alors que, d'autre part, le délit d'escroquerie suppose, au moment de la remise des fonds, la connaissance par l'auteur principal du caractère insolvable du tiers sur lequel la traite de complaisance est tirée ; qu'il n'est nulle part contesté que la société ATM a remboursé à échéance les traites litigieuses ; qu'il appartenait dans ces conditions à la cour d'appel de rechercher, comme l'y invitaient les conclusions du demandeur, si l'auteur principal, qui savait que les traites seraient honorées, avait eu l'intention quand même de duper la banque escompteur ; que l'arrêt attaqué est ainsi dépourvu de base légale " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables des délits d'escroqueries et de complicité d'escroqueries visés à la prévention, la cour d'appel relève que pour remédier aux difficultés financières de son entreprise, Z... s'était procuré de la trésorerie grâce à des effets de commerce non causés, complaisamment signés par des tiers dont X... et Y... ; qu'en raison des circuits de trésorerie frauduleux ainsi mis en place, la Qatar National Bank avait été spoliée de près de 15 millions de francs en l'espace de quelques mois ; que la remise des fonds avait été rendue possible par la complaisance de deux employés ayant, à l'insu de la direction de la banque, avalisé les traites malgré le caractère artificiel des crédits apparaissant aux comptes des clients ou même en l'absence de crédit ;
Attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel a, contrairement aux allégations des moyens, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, sans insuffisance ni contradiction, les délits visés à la prévention ; que les moyens ne sauraient dès lors être accueillis ;
Sur le second moyen de cassation proposé par Y..., dans sa seconde branche, et pris de la violation des articles 55, 59, 60 et 405 du Code pénal, 1382 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Gabriel Y..., solidairement avec Z..., X..., B..., C... et D..., à payer 25 millions de francs à la partie civile à titre de dommages-intérêts ;
" alors que la solidarité ne peut être prononcée qu'entre les personnes condamnées pour un même crime ou un même délit ; qu'en l'espèce il ressort des propres constatations des juges du fond que les escroqueries pour lesquelles la complicité de Y... a été retenue sont totalement indépendantes de celles reprochées au même auteur principal, Z..., avec d'autres complices ; que, dès lors, le demandeur ne pouvait être condamné solidairement avec les autres prévenus " ;
Attendu que, pour prononcer la solidarité de tous les prévenus au paiement des dommages-intérêts alloués à la victime, la cour d'appel relève que les faits, dont les prévenus ont été reconnus coupables, ne constituent pas une succession d'escroqueries indépendantes mais procèdent d'une conception unique comme étant déterminée par la même cause et tendant au même but ;
Attendu que, statuant ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 55 du Code pénal ; que le moyen doit dès lors être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation proposé par Z... et pris de la violation des articles 5 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Z... à 4 ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans ;
" sans motifs ;
" alors que, lorsque les peines prononcées successivement sont de même nature et de même degré, la confusion est obligatoire lorsque le total des deux peines excède le maximum de la peine la plus forte ; qu'en l'espèce, Z... avait encouru le 4 février 1985 la peine de 2 ans d'emprisonnement avec sursis pour banqueroute (maximum légal : 5 ans de détention) ; qu'en condamnant Z... à la peine de 4 ans d'emprisonnement avec sursis du chef d'escroquerie (maximum légal : 5 ans de détention), sans prononcer la confusion avec la peine antérieure, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles précités " ;
Attendu qu'il ne saurait être fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir omis de statuer sur la confusion entre la peine qu'il prononçait et une peine antérieurement infligée au prévenu ;
Qu'en effet la confusion des peines prononcées pour des faits, objet de poursuites distinctes, ne concerne que leur exécution et ne saurait être ordonnée qu'à l'égard de condamnations devenues définitives ;
Sur le second moyen de cassation proposé par X... et pris de la violation des articles 1382, 1384, alinéa 5, du Code civil, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné X... solidairement avec ses coprévenus à payer à la partie civile une somme de 25 millions de francs à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que la partie civile conclut à la réformation du jugement en ce que les premiers juges ont mis à sa charge une partie des dommages dont elle entendait obtenir réparation en se fondant sur le fait qu'elle avait fait preuve de négligence à l'égard d'un préposé de la banque impliqué dans les opérations frauduleuses ;
" qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues par un escroc à cette victime, l'auteur d'une telle infraction ne pouvant conserver le bénéfice d'une partie de l'escroquerie ;
" alors qu'en vertu des articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil, la victime d'une infraction est responsable du dommage causé par sa faute ou par celle de son préposé lorsque celui-ci se trouve dans les fonctions auxquelles il est employé, en sorte que, lorsqu'un commettant subit un préjudice résultant à la fois du fait de son préposé sur lequel il n'a pas exercé une surveillance suffisante et de celui d'un tiers, il ne peut en réclamer la réparation intégrale à ce tiers ; que, dès lors, en l'espèce où il résulte des constatations des juges du fond, que l'un des préposés de la partie civile a participé aux agissements délictueux dont le prévenu a été déclaré complice, la Cour a méconnu les textes précités en condamnant ce dernier, solidairement avec ses coprévenus, à réparer l'entier préjudice de la partie civile " ;
Sur le second moyen de cassation proposé par Y..., dans sa première branche, et pris de la violation des articles 55, 59, 60 et 405 du Code pénal, 1382 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Gabriel Y..., solidairement avec Z..., X..., B..., C... et D..., à payer 25 millions de francs à la partie civile à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues par un escroc à cette victime, l'auteur d'une telle infraction ne pouvant conserver le bénéfice d'une partie de l'escroquerie ;
" alors que la faute de la partie civile qui a concouru avec celle du prévenu à la réalisation de son propre dommage entraîne un partage de responsabilité ; que la cour d'appel de Paris ne pouvait dès lors refuser de rechercher si la faute commise par la banque n'avait pas concouru à son propre dommage et effectuer en conséquence le partage de responsabilité " ;
Et sur le second moyen de cassation proposé par Z... et pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2 et 591 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Z... solidairement avec d'autres à payer 25 millions de francs à la partie civile à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que la partie civile conclut à la réformation du jugement en ce que les premiers juges ont mis à sa charge une partie des dommages dont elle entendait obtenir réparation en se fondant sur le fait qu'elle aurait fait preuve de négligence à l'égard d'un préposé de la banque, impliqué dans les opérations frauduleuses ; qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues par un escroc à cette victime, l'auteur d'une telle infraction ne pouvant conserver le bénéfice d'une partie de l'escroquerie ;
" alors qu'en cas de faute de la victime qui a concouru à son dommage, les juges du fond doivent réduire les dommages-intérêts par elle sollicités ; qu'en l'espèce, en refusant de réduire les dommages-intérêts dus à la banque au motif qu'aucune disposition de la loi ne permettait de réduire en raison d'une négligence de la victime escroquée le montant des réparations civiles, la cour d'appel a violé les articles précités " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'en prononçant ainsi qu'il est rappelé aux moyens, pour accorder des dommages-intérêts à la partie civile, la cour d'appel a fait une exacte application des textes et principe susvisés ; qu'en effet aucune disposition de la loi ne permet de réduire en raison d'une négligence de la victime le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens, le délinquant ne pouvant être admis à tirer un profit quelconque de l'infraction ; que, dès lors, les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.