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30/03/2022 | FRANCE | N°21BX00596

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, Chambres réunies, 30 mars 2022, 21BX00596


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ryanair designated activity company et la société Airport marketing services limited ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'ordonner l'exequatur des sentences rendues les 22 juillet 2011 et 18 juin 2012 par la " London court of international arbitration " relatives au litige qui les oppose au syndicat mixte des aéroports de Charente.

Par un jugement n° 1900269 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

:

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 février et 27 avril 2021, la so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ryanair designated activity company et la société Airport marketing services limited ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'ordonner l'exequatur des sentences rendues les 22 juillet 2011 et 18 juin 2012 par la " London court of international arbitration " relatives au litige qui les oppose au syndicat mixte des aéroports de Charente.

Par un jugement n° 1900269 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 février et 27 avril 2021, la société Ryanair designated activity company et la société Airport marketing services limited, représentées par Me Guiheux et Me Vahida, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 décembre 2020 ;

2°) d'ordonner l'exequatur des sentences rendues les 22 juillet 2011 et 18 juin 2012 par la Cour d'arbitrage international de Londres ;

3°) de mettre à la charge du syndicat mixte des aéroports de Charente la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dès lors que sa minute n'a pas été signée par le président de la formation de jugement, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la clause compromissoire est licite et le syndicat mixte des aéroports de Charente pouvait recourir à l'arbitrage international pour un contrat portant sur des opérations internationales ; cette question a déjà été tranchée par la cour dans son arrêt n° 13BX02331 du 12 juillet 2016, qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

- la clause compromissoire n'est pas irrégulière du fait que l'Irlande n'était pas partie à la convention européenne sur l'arbitrage international du 21 avril 1961 ;

- un principe d'ordre public du droit international pose que la prohibition de compromettre d'une personne publique n'est pas applicable à un contrat international passé pour les besoins du commerce international ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les conventions du 8 février 2008 présentaient un objet illicite au motif d'une violation d'un droit de l'Union européenne et la violation du droit de l'Union a été réparée par la récupération de l'aide d'État à laquelle il a été procédée ; de plus, la demande d'exequatur ne tend pas à la poursuite de l'exécution des conventions, les sentences se bornant à faire supporter au SMAC les frais juridiques et coûts de l'arbitrage.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 avril et 21 mai 2021, le syndicat mixte des aéroports de Charente, représenté par la SELARL Cornet Vincent Ségurel, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des sociétés appelantes le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il y a lieu de donner acte du désistement des appelantes en application de l'article R. 612-5 du code de justice administrative ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne sur l'arbitrage commercial international du 21 avril 1961 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue,

- et les observations de Me Bonnin, représentant les sociétés Ryanair designated activity company et Airport marketing services limited, et de Me Gourdain, représentant le syndicat mixte des aéroports de Charente.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le but d'augmenter la fréquentation de l'aéroport d'Angoulême, le syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC), propriétaire de l'aéroport, et la chambre de commerce et d'industrie d'Angoulême ont lancé un appel à projet en vue de " l'ouverture en 2008 d'une liaison aérienne régulière à partir d'une plateforme européenne pertinente ". Le 2 octobre 2007, le SMAC notifiait à la société Ryanair l'acceptation d'une offre de desserte aérienne commerciale depuis l'aéroport d'Angoulême vers l'aéroport de Stanted, dans la région londonienne, trois jours par semaine en période estivale, à compter d'avril 2008. Les parties ont conclu, le 8 février 2008, une convention de services aéroportuaires et, le 14 février 2008, le SMAC a conclu avec la société Airport marketing services limited une convention d'assistance marketing. Ces deux conventions comportaient une stipulation imposant le recours à l'arbitrage auprès de la Cour d'arbitrage international de Londres, pour tout différend entre les parties non résolu à l'amiable.

2. Par lettre du 17 février 2010, la société Ryanair a notifié au SMAC sa décision de supprimer la ligne aérienne entre Londres et Angoulême, mettant également fin, par voie de conséquence, à la seconde convention, dite " de services marketing ". Le SMAC a alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant au prononcé de la résiliation des deux contrats aux torts exclusifs des cocontractants. Le tribunal administratif a rejeté sa demande par un jugement du 20 juin 2013, confirmé par un arrêt devenu définitif de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 13BX02331 du 12 juillet 2016.

3. Les sociétés Ryanair et Airport marketing services ont saisi la Cour d'arbitrage international de Londres. Par une sentence n° 101774/101775 du 22 juillet 2011, la Cour d'arbitrage international de Londres s'est déclarée compétente pour connaître du litige et, par une sentence n° 101774/101775 du 18 juin 2012, la Cour d'arbitrage a décidé que le contrat de services aéroportuaires avait été valablement résilié, a prononcé la résiliation du contrat de services marketing, a accordé aux sociétés le remboursement de frais juridiques à hauteur de 200 000 £ et 100 000 euros et a mis à la charge du SMAC le coût total de l'arbitrage, soit 103 075,37 £.

4. Le SMAC a alors saisi le Conseil d'État de requêtes tendant à l'annulation des sentences arbitrales, et, par une décision n° 352750, 362020 du 19 avril 2013, le Conseil d'État a rejeté ces conclusions comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

5. La société Ryanair designated activity company et la société Airport marketing services limited ont saisi le tribunal administratif de Poitiers de demandes tendant à ce qu'il ordonne l'exéquatur des sentences arbitrales des 22 juillet 2011 et 18 juin 2012. Elles relèvent appel du jugement du 15 décembre 2020 rejetant leurs demandes.

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit donné acte du désistement d'office des sociétés Ryanair et Airport marketing services :

6. Aux termes de l'article R. 612-5 du code de justice administrative : " Devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, si le demandeur, malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n'a pas produit le mémoire complémentaire dont il avait expressément annoncé l'envoi (...) il est réputé s'être désisté ".

7. Les appelantes ont produit, le 27 avril 2021, sans, au demeurant, que la cour leur ait adressé de mise en demeure, le mémoire complémentaire annoncé dans leur requête introductive d'instance. Par suite, les conclusions du SMAC tendant à ce qu'il soit donné acte de leur désistement d'office doivent être rejetées.

Sur la régularité du jugement :

8. La minute du jugement comporte les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions manque en fait.

Sur l'exequatur des sentences arbitrales des 22 juillet 2011 et 18 juin 2012 :

9. Saisi d'une demande tendant à l'exequatur d'une sentence arbitrale rendue dans un litige né de l'exécution d'un contrat administratif entre une personne morale de droit public français et une personne de droit étranger, mettant en jeu les intérêts du commerce international et soumis à un régime administratif d'ordre public, qu'elle ait été rendue en France ou à l'étranger, il appartient au juge administratif de s'assurer, le cas échéant d'office, de la licéité de la convention d'arbitrage, qu'il s'agisse d'une clause compromissoire ou d'un compromis. Ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés, d'une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d'autre part, de ce qu'elle est contraire à l'ordre public. S'agissant de la régularité de la procédure, en l'absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions irrégulières que si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent, s'il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d'indépendance et d'impartialité, s'il n'a pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s'il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s'il n'a pas motivé sa sentence. S'agissant du contrôle sur le fond, une sentence arbitrale est contraire à l'ordre public lorsqu'elle fait application d'un contrat dont l'objet est illicite ou entaché d'un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu'elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l'interdiction de consentir des libéralités, d'aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l'intérêt général au cours de l'exécution du contrat, ou lorsqu'elle méconnaît les règles d'ordre public du droit de l'Union européenne.

10. À l'issue de ce contrôle, le juge administratif rejette la demande tendant à l'exequatur de la sentence arbitrale s'il constate l'illégalité du recours à l'arbitrage, notamment du fait de la méconnaissance du principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage sauf dérogation prévue par des dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne.

11. Aux termes de l'article 1er de la convention européenne sur l'arbitrage commercial international, relatif au " champ d'application de la convention " : " 1. La présente Convention s'applique : / a) aux conventions d'arbitrage conclues, pour le règlement de litiges nés ou à naître d'opérations de commerce international, entre personnes physiques ou morales ayant, au moment de la conclusion de la convention, leur résidence habituelle ou leur siège dans des États contractants différents (...) ". L'article II de la même convention, intitulé " Capacité des personnes morales de droit public de se soumettre à l'arbitrage " stipule : " 1. Dans les cas visés à l'article 1, paragraphe 1, de 1a présente Convention, les personnes morales qualifiées, par la loi qui leur est applicable, de "personnes morales de droit public" ont la faculté de conclure valablement des conventions d'arbitrage. / 2. Au moment de signer ou de ratifier la présente Convention ou d'y adhérer, tout État pourra déclarer qu'il limite cette faculté dans les conditions précisées dans sa déclaration ".

12. Il résulte de ces stipulations que la convention européenne sur l'arbitrage commercial international n'est applicable qu'aux conventions d'arbitrage conclues entre des parties ayant leur résidence ou leur siège dans des États contractants. Or, les sociétés Ryanair et Airport marketing services ont leur siège en Irlande, État qui n'est pas partie à la convention européenne sur l'arbitrage commercial international. Par suite, la convention d'arbitrage conclu entre le SMAC et les sociétés Ryanair et Airport marketing n'entrait pas dans le champ des stipulations rappelées au point 11, et le SMAC ne tenait pas de ces stipulations le droit de déroger au principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage.

13. Par ailleurs, les sociétés Ryanair et Airport marketing services ne sont pas fondées à se prévaloir de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt rendu par la présente cour le 12 juillet 2016, sous le n° 13BX02331, dès lors que la requête dont était alors saisie la cour, qui tendait à la résiliation de la convention de services aéroportuaires et de la convention de services marketing, n'a pas le même objet que la présente requête.

14. Enfin, la circonstance qu'un contrat a été passé pour les besoins du commerce international ne permet pas de déroger au principe général du droit français d'interdiction pour les personnes publiques de se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d'un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Ryanair et Airport marketing services ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à l'exequatur des sentences rendues les 22 juillet 2011 et 18 juin 2012 par la Cour internationale d'arbitrage de Londres. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées sur le même fondement par le SMAC sont rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des sociétés Ryanair et Airport marketing services est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du SMAC présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ryanair designated activity company, à la société Airport marketing services limited et au syndicat mixte des aéroports de Charente.

Délibéré après l'audience du 2 mars 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Brigitte Phémolant, présidente de la cour,

M. Didier Artus, président de chambre,

M. Éric Rey-Bèthbéder, président de chambre,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.

La rapporteure,

Frédérique Munoz-Pauziès

La présidente de la cour,

Brigitte Phémolant

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX00596


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : Chambres réunies
Numéro d'arrêt : 21BX00596
Date de la décision : 30/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

37-07-03 Juridictions administratives et judiciaires.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Frédérique MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CABINET CORNET VINCENT SEGUREL (CVS)

Origine de la décision
Date de l'import : 12/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-30;21bx00596 ?
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