Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 31 octobre 2014 par lequel le préfet du Loiret a accordé à l'EARL (entreprise agricole à responsabilité limitée) Ferme des Carneaux l'autorisation d'exploiter 118,57 hectares de surfaces agricoles situées pour l'essentiel sur le territoire de la commune de Mainvilliers.
Par un jugement n°s1403298, 1404880 du 28 avril 2016 le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête enregistrée le 17 juin 2016 l'EARL Ferme des Carneaux, représentée par Me I..., a demandé à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 28 avril 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant ce tribunal ;
3°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutenait que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il ne comporte pas l'analyse des moyens invoqués par elle dans ses mémoires en défense ;
- ce jugement comporte également une motivation insuffisante car il ne répond pas à certains de ces moyens ;
- le préfet du Loiret, saisi à nouveau d'une demande d'autorisation d'exploiter présentée en août 2007, devait statuer en prenant en considération les éléments de fait et de droit existant à cette période et non en 2014 ; sur le fondement des dispositions du code rural et de la pêche maritime applicables en 2007, l'opération soumise à son examen constituait une installation à titre principal et non un agrandissement, et la mesure de publicité prévue par les dispositions de l'article R. 331-4 du code rural et de la pêche maritime n'était pas prescrite ;
- de même, la demande d'autorisation présentée par elle en 2007 était au même rang de priorité que celle de M. E... ; les rangs de priorité doivent, en cas d'annulation contentieuse, être cristallisés à la date de la première demande ; sa première demande portait globalement sur une installation et non un agrandissement.
Par un mémoire enregistré le 6 décembre 2017 et régularisé le 22 décembre 2017 M. E..., représenté par Me D..., faisant valoir que les moyens présentés par l'appelante n'étaient pas fondés, a conclu au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'EARL Ferme des Carneaux la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire enregistré le 8 décembre 2017, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a déclaré s'en remettre à la sagesse de la cour dans cette affaire.
Par un arrêt n° 16NT01951 du 8 juin 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement du tribunal administratif d'Orléans et rejeté la demande de M. E....
Par une décision n° 422400 du 28 septembre 2020, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé devant la cour l'affaire, qui porte désormais le n° 20NT03082.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire enregistré le 3 février 2021 l'EARL Ferme des Carneaux, représentée par Me H..., maintient ses conclusions sous la réserve que la somme dont elle demande qu'elle soit mise à la charge de M. E... au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative soit portée à 3 000 euros.
Elle soutient que :
- ainsi que l'a jugé le Conseil d'État, l'administration, de nouveau saisie de sa demande par l'effet de l'annulation du précédent arrêté, ne pouvait tenir compte de la circonstance qu'elle avait d'ores et déjà exploité les terres litigieuses, quand bien même l'autorisation n'a été que partiellement annulée ;
- c'est par suite à tort que le tribunal administratif a jugé que devait être prise en compte l'exploitation par elle de la surface de 118,20 ha et en a déduit, d'une part, que la demande présentée par cette dernière relevait du rang de priorité relatif aux " autres confortations " et n'était donc pas prioritaire par rapport à la demande présentée par M. E..., qui relève du rang de priorité " installation progressive " et, d'autre part, que s'agissant d'une demande tendant à un agrandissement, elle aurait dû donner lieu à publication en application de l'article R. 331-4 du code rural et de la pêche maritime ;
- il appartenait au préfet, comme il l'a fait, de ne pas tenir compte de la superficie exploitée par elle, de se placer pour le reste, s'agissant tant de la situation de fait que de la situation de droit, à la date de sa décision, soit au 31 octobre 2014, et d'analyser la demande de l'EARL non pas comme une demande d'agrandissement mais comme une demande d'installation ; dès lors que la demande présentée par elle ne tendait ni à un agrandissement ni à la réunion d'exploitations, elle n'avait pas à faire l'objet d'une quelconque publicité sur le site de la préfecture ;
- ainsi que le préfet du Loiret l'a justement apprécié, la demande de l'EARL Ferme des Carneaux relevait du premier rang de priorité prévu par le schéma directeur départemental des structures agricoles ;
- à la date de la décision contestée, M. E... était au demeurant devenu associé d'une société à objet agricole, la SCEA de Beauregard, de sorte que sa demande d'autorisation d'exploiter devait s'analyser non plus en une installation mais en un agrandissement et relevait donc d'un rang de priorité inférieur à celui dont relevait la demande de l'EARL Ferme des Carneaux.
Par un mémoire enregistré le 9 février 2021 M. E..., représenté par Me D..., maintient ses conclusions précédentes sous la réserve que la somme dont il demande qu'elle soit mise à la charge de l'EARL Ferme des Carneaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit portée à 5 000 euros.
Il soutient que les moyens soulevés par l'EARL Ferme des Carneaux ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 5 mars 2021 le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a indiqué qu'il n'entendait pas produire de nouvelles observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. L'EARL Ferme des Carneaux a été autorisée, par un arrêté du préfet du Loiret du 12 février 2003, à exploiter les terres, d'une surface totale de 238,78 ha appartenant à M. B... et situées, notamment, sur le territoire de la commune de Mainvilliers (Loiret), précédemment mises en valeur par un exploitant cessant son activité. Par ailleurs, M. E... a été autorisé par un arrêté du 26 mai 2003 à exploiter une partie de ces terres pour une superficie de 119,58 ha. La cour administrative d'appel de Nantes ayant, par un arrêt du 30 décembre 2005, annulé l'autorisation délivrée à l'EARL Ferme des Carneaux, le préfet a de nouveau accordé les mêmes autorisations aux demandeurs par deux arrêtés du 22 mai 2006. Celui de ces arrêtés accordant une autorisation d'exploiter à l'EARL Ferme des Carneaux a été annulé par un jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 juillet 2007 confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 12 juin 2008. Le préfet du Loiret a repris, par un arrêté du 7 novembre 2007, la même décision autorisant l'EARL Ferme des Carneaux à exploiter les 238,78 ha de terres qu'elle mettait, de fait, en valeur depuis le mois de juillet 2003. Ce troisième arrêté a été partiellement annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 5 novembre 2013, confirmé le 8 avril 2015 par le Conseil d'Etat, en tant qu'il autorisait l'EARL Ferme des Carneaux à exploiter 118,57 ha de terres pour lesquelles il avait accordé une autorisation d'exploiter à M. E.... Le préfet du Loiret a, par un nouvel arrêté du 31 octobre 2014, autorisé l'EARL Ferme des Carneaux à exploiter les 118,57 ha en litige. Cet arrêté a été annulé par un jugement du 28 avril 2016 du tribunal administratif d'Orléans, dont l'EARL Ferme des Carneaux a relevé appel.
2. Par un arrêt n° 16NT01951 du 8 juin 2018 la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et rejeté la demande de M. E.... A la suite du pourvoi en cassation formé par M. E..., le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, par une décision du 28 septembre 2020, annulé cet arrêt et renvoyé devant la cour l'affaire, qui porte désormais le n° 20NT03082.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Dans le cadre du contrôle des structures des exploitations agricoles, les opérations d'installation, agrandissement ou réunion d'exploitations agricoles sont, à certaines conditions, soumises à autorisation en vertu des articles L. 331-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime. L'article L. 331-3 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige, précise notamment que : " L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. (...) ". Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article R. 331-4 du même code, dans leur rédaction applicable au litige, le service chargé de l'instruction fait procéder à une publicité par affichage à la mairie des communes où sont situés les biens qui font l'objet de la demande ou, par voie télématique, sur le site de la préfecture chargée de l'instruction, si la demande d'autorisation est relative à l'agrandissement ou à la réunion d'exploitations et porte sur une surface supérieure à la moitié de l'unité de référence. Enfin, en vertu de l'article 3 du schéma directeur départemental des structures agricoles du Loiret du 4 novembre 2013, applicable au litige, un rang de priorité n° 1 est accordé aux demandes relatives à " l'installation à titre principal d'un jeune agriculteur qui répond aux conditions d'accès aux aides à l'installation, qu'elles soient demandées ou non, et soutenant un projet économiquement viable ".
4. Lorsqu'une autorisation d'exploiter des terres a fait l'objet d'une annulation par le juge administratif après que l'exploitant a pu les exploiter en vertu de cette autorisation, il appartient à l'autorité préfectorale, à nouveau saisie de la demande présentée par le candidat et des modifications que ce dernier est susceptible d'y apporter, de statuer en considération des éléments de droit et de fait prévalant à la date à laquelle intervient sa nouvelle décision, sans pouvoir tenir compte, quel que soit le motif de l'annulation contentieuse, de l'exploitation effectuée sur la base de l'autorisation annulée. Il en va notamment ainsi dans le cas particulier où la décision préfectorale n'est annulée que pour une partie des terres dont elle autorisait l'exploitation, l'autorité préfectorale, à nouveau saisie de la demande en tant qu'elle porte sur ces terres, n'ayant pas à tenir compte de ce que, le cas échéant, une exploitation a pu légalement débuter sur le reste des terres dont l'exploitation était autorisée.
5. En l'espèce, il appartenait donc au préfet du Loiret, saisi à nouveau de la demande d'autorisation d'exploiter présentée le 3 août 2007 par l'EARL Ferme des Carneaux en ce qu'elle portait sur les 118,57 ha litigieux pour l'exploitation desquels M. E... s'était vu délivrer une autorisation d'exploiter concurrente, de statuer en considération des circonstances de fait et de droit prévalant à la date de sa nouvelle décision. Mais il ne pouvait à cette occasion, pour apprécier le rang de priorité devant être attribué à l'EARL pétitionnaire, tenir compte ni du fait que les 118,57 ha étaient déjà exploités par elle depuis 2003 sur la base des autorisations successivement accordées puis annulées, ni de ce que la même EARL avait également débuté depuis 2003 l'exploitation des 120,21 ha de terres complémentaires. Par suite, la demande présentée par l'EARL Ferme des Carneaux le 3 août 2007 sur laquelle le préfet du Loiret a de nouveau statué le 31 octobre 2014 devait, comme l'a à bon droit estimé cette autorité, être encore regardée comme visant à l'installation à titre principal de jeunes agriculteurs au sens des dispositions de l'article 3 du schéma directeur départemental des structures agricoles du Loiret alors en vigueur. En conséquence, cette demande n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article R. 331-4 du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction alors applicable, qui ne vise que les agrandissements et réunions d'exploitation, de sorte que son instruction ne requérait pas les mesures de publicité prescrites par cet article. C'est donc à tort que le tribunal administratif d'Orléans a retenu ce motif pour annuler l'arrêté contesté du 31 octobre 2014.
6. Dès lors que la demande actualisée dont était à nouveau saisi le préfet du Loiret en 2014 concernait une installation d'agriculteurs, l'EARL Ferme des Carneaux se trouvait, en vertu des dispositions du schéma directeur départemental des structures agricoles du Loiret établi par l'arrêté préfectoral du 4 novembre 2013, au même rang de priorité n°1 que M. E.... C'est donc également à tort que le tribunal administratif d'Orléans a censuré l'autorisation d'exploiter du 31 octobre 2014 au motif que l'EARL Ferme des Carneaux se serait trouvée à un rang de priorité inférieur à celui de M. E....
7. Par l'effet dévolutif de l'appel, il y a lieu d'examiner les autres moyens invoqués par M. E... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
8. En premier lieu, par un arrêté n° 2014290-0003 du 17 octobre 2014 portant subdélégation de signature aux agents de la direction départementale des territoires du Loiret régulièrement publié au recueil des actes administratifs du Loiret, la directrice départementale des territoires du Loiret a donné à Mme C... G..., chef du service agriculture et développement rural et signataire de l'arrêté contesté, délégation permanente pour signer les actes relevant de ses attributions. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit en conséquence être écarté.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'administration, qui était saisie de plein droit, par l'effet de la dernière annulation contentieuse prononcée par la cour administrative d'appel de Nantes le 5 novembre 2013, de la demande d'autorisation présentée par l'EARL Ferme des Carneaux, a accusé réception le 5 mars 2014 du dossier de cette demande complété et actualisé par l'intéressée. Par un courrier du même jour, elle a informé M. E..., titulaire d'une autorisation d'exploiter les mêmes terres, de ce que la demande serait examinée lors de la séance de la commission départementale d'orientation de l'agriculture du 26 mars 2014 et l'a invité à s'y présenter. En conséquence, les moyens tirés de ce que l'EARL Ferme des Carneaux était tenue de présenter une nouvelle demande, de ce que son dossier n'aurait pas été complet ni actualisé et de ce que M. E... n'aurait pas été informé de cette nouvelle instruction et n'aurait pas été convoqué devant la commission départementale d'orientation de l'agriculture ne peuvent qu'être écartés.
10. Enfin, si la superficie totale visée par la décision juridictionnelle du 5 novembre 2013 ayant partiellement annulé l'arrêté du 7 novembre 2007 est de 119,58 ha, alors que la superficie de terres litigieuses mentionnée dans l'arrêté contesté du 31 octobre 2014 n'est que de 118,57 ha, il ressort des termes de cet arrêté que cette différence s'explique par la circonstance que la demande d'autorisation d'exploiter présentée par M. E... n'était en concurrence avec celle de l'EARL Ferme des Carneaux que pour 118,57 ha. Toutefois, l'autorisation délivrée en dernier lieu à l'EARL Ferme des Carneaux par l'arrêté contesté porte sur une surface totale de 238,58 ha englobant les 118,57 ha demeurés en litige, la superficie différentielle de 1,01 ha ainsi que celle de 120,21 ha pour laquelle l'autorisation d'exploiter qui a été délivrée à l'EARL par arrêté du 7 novembre 2007 n'a pas été censurée par la décision juridictionnelle précitée. Contrairement à ce que soutient M. E..., l'arrêté contesté ne comporte donc pas d'erreur quant aux parcelles qui ont fait l'objet d'une nouvelle autorisation d'exploiter.
11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens tenant à sa régularité, que l'EARL Ferme des Carneaux est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé l'arrêté du préfet du Loiret du 31 octobre 2014.
Sur les frais de l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'EARL Ferme des Carneaux, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que réclame M. E... au titre des frais exposés par lui.
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. E... le versement à l'EARL Ferme des Carneaux de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n°s1403298, 1404880 du tribunal administratif d'Orléans du 28 avril 2016 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif d'Orléans et tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Loiret du 31 octobre 2014 est rejetée.
Article 3 : M. E... versera à l'EARL Ferme des Carneaux la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL Ferme des Carneaux, à M. A... E... et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Copie sera adressée au préfet du Loiret.
Délibéré après l'audience du 22 avril 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2021.
Le rapporteur
M. F...Le président
C. BrissonLe greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT030822
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