Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mai 2020 et le 12 mars 2021, la SAS Auredis, représentée par la SCP Bouyssou et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision prise par la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) à l'issue de sa séance du 5 mars 2020, refusant d'autoriser l'extension de la surface de vente d'un hypermarché à l'enseigne " E. Leclerc " à la Colle-sur-Loup ;
2°) à titre principal, d'enjoindre à la CNAC de rejeter les recours présentés par la SAS Distribution Casino France, d'une part, et par les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean, d'autre part, et de lui délivrer l'autorisation demandée, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la CNAC de réexaminer ces recours, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les recours formés devant la CNAC étaient irrecevables ;
- les membres de la CNAC n'ont pas été régulièrement convoqués ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- le projet est accessible par les modes doux de transport ;
- le motif portant sur la pertinence économique du projet est illégal ;
- le motif relatif à l'exposition des consommateurs au risque inondation est infondé ;
- la CNAC ne pouvait lui opposer l'absence d'amélioration de la qualité environnementale du magasin existant et de son intégration architecturale et paysagère ;
- les intervenants en défense n'ont pas qualité pour demander au juge de procéder à une substitution de motifs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2021, la SAS Distribution Casino France, représentée par la SELARL Concorde avocats, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la SAS Auredis ;
2°) de mettre à la charge de la SAS Auredis la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la SAS Auredis ne sont pas fondés ;
- la décision de refus pouvait encore être fondée sur d'autres motifs prévus à l'article L. 752-6 du code de commerce.
La clôture de l'instruction a été fixée au 26 mai 2021 par une ordonnance du même jour.
Un mémoire a été enregistré pour les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean le 1er juin 2021.
La requête a été communiquée à la CNAC et au ministre de l'économie, des finances et de la relance, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la SAS Auredis, de Me B..., représentant la SNC Juin Saint-Hubert et autres, et de Me C..., représentant la SAS Distribution Casino France.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Auredis exploite depuis 1999 un hypermarché sous l'enseigne " E. Leclerc " situé le long du boulevard Pierre Sauvaigo à la Colle-sur-Loup, d'une superficie de 3 261 mètres carrés. Par un permis de construire valant autorisation d'équipement commercial du 23 mai 2017, elle a été autorisée à créer un nouveau point permanent de retrait (" drive ") par le transfert du point de retrait existant sur des parcelles proches.
2. La SAS Auredis a ensuite demandé une extension de son autorisation d'équipement commercial pour la création d'une surface de vente supplémentaire de 1 672 mètres carrés par la restructuration du bâti existant. Ce projet a été autorisé par une décision du 15 septembre 2017 de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) des Alpes-Maritimes. Par une décision du 19 janvier 2018, la CNAC a fait droit aux recours présentés par la SAS Distribution Casino France, d'une part, et par les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean, d'autre part, et refusé de délivrer à la SAS Auredis l'autorisation demandée. Par un arrêt n° 18MA01159 du 18 novembre 2019, la cour a annulé cette décision et enjoint à la CNAC de réexaminer les recours dans un délai de quatre mois.
3. Par une décision prise à l'issue de sa séance du 5 mars 2020, la CNAC a à nouveau fait droit aux recours en question et refusé de délivrer l'autorisation demandée. La SAS Auredis demande l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé de la décision attaquée :
En ce qui concerne la saturation de la zone de chalandise :
4. Il résulte des dispositions combinées de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat et des articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce qu'une autorisation d'exploitation commerciale ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, la densité d'équipement commercial de la zone de chalandise concernée ne figure plus au nombre de ces critères. Il suit de là que le motif tiré de la seule évolution limitée de la population dans la zone de chalandise est entaché d'erreur de droit.
En ce qui concerne l'objectif d'aménagement du territoire :
5. La CNAC a retenu que la desserte routière du projet est satisfaisante, que 95,8% des clients accèderont au magasin en voiture, mais que le projet " n'est pas accessible par les modes doux de manière sécurisée ". Il ressort des pièces du dossier que le site est correctement desservi par les transports en commun et est accessible par un réseau de pistes cyclables. A supposer qu'en évoquant la sécurisation des accès par ces modes de transport, sans autre précision, la CNAC ait entendu se fonder sur l'absence de cheminement sécurisé pour les piétons, il ressort des pièces du dossier que les principaux axes desservant le magasin sont équipés de trottoirs, en particulier le boulevard Sauvaigo et l'avenue des Alpes, comme le relève le rapport d'instruction de la CNAC, et que ceux-ci se poursuivent jusqu'aux entrées du site du projet. Ce motif est donc entaché d'erreur de fait.
En ce qui concerne l'objectif de développement durable :
6. D'une part, le projet porte essentiellement sur le réaménagement des surfaces intérieures d'un magasin existant, sans réalisation de travaux soumis à permis de construire. En se bornant, pour estimer que le projet ne respecte pas le critère relatif à la qualité architecturale et à l'insertion paysagère prévu au b) du 2° de l'article L. 752-6, à retenir que le projet n'améliore pas le bâtiment existant, sans alléguer que la qualité architecturale et l'insertion paysagère de ce dernier seraient insuffisantes, ni apporter aucun élément de nature à l'établir, la CNAC a inexactement qualifié les faits.
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le projet comportait initialement l'isolation des parois extérieures pour rendre le bâtiment conforme à la réglementation thermique 2012, le changement du mobilier frigorifique et une unité de traitement d'air raccordée au système de récupération d'énergie installée sur la production du froid alimentaire. Ces travaux ont été réalisés avant le réexamen de la demande. Le projet prévoit l'installation de sept emplacements de rechargement pour les véhicules électriques. En outre, l'augmentation de la surface de vente au sein d'un bâtiment existant sans agrandissement favorise la consommation économe de l'espace. En retenant que le projet n'améliore pas la qualité environnementale du site existant pour apprécier le respect du critère prévu au a) du 2° de l'article L. 752-6 du code de commerce, la CNAC a donc commis une nouvelle erreur de fait.
En ce qui concerne l'objectif de protection des consommateurs :
8. Ainsi qu'il a été dit, le projet porte sur le réaménagement intérieur du magasin, à l'exception de la création d'emplacements de rechargement pour les véhicules électriques. La circonstance qu'une partie du parking soit située dans la zone rouge du plan de prévention du risque inondation de la commune de la Colle-sur-Loup ne suffit donc pas pour retenir que le projet compromettrait l'objectif de protection des consommateurs. La CNAC a donc également inexactement qualifié les faits portant sur ce point.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'aucun des motifs de la décision de la CNAC prise à l'issue de sa séance du 5 mars 2020 n'est fondé. La SAS Auredis est donc fondée à demander l'annulation de cette décision.
10. Il n'est dès lors pas nécessaire de se prononcer sur les autres moyens qu'elle soulève.
Sur l'injonction :
11. Les livraisons ne sont pas effectuées lors des horaires d'ouverture du magasin, de sorte que l'usage par les véhicules de livraison des mêmes accès au site que les véhicules de la clientèle n'est pas à l'origine d'un risque d'accident contrairement à ce que soutient la SAS Distribution Casino France. En outre, la CNAC n'a pas produit de défense faisant état d'un autre motif de refus. Il ne résulte donc pas de l'instruction qu'une décision défavorable de la CNAC puisse être légalement fondée au regard des critères énoncés à l'article L. 762-6 du code de commerce.
12. L'exécution du présent arrêt implique en conséquence que la CNAC rejette les recours dont la SAS Distribution Casino France et les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean l'ont saisie à l'encontre de la décision du 15 septembre 2017 de la CDAC des Alpes-Maritimes, d'une part, et délivre à la SAS Auredis l'autorisation d'extension demandée, d'autre part. Par suite, il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à la CNAC de délivrer cette autorisation dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la SAS Auredis au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
14. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par les autres parties.
D É C I D E :
Article 1er : La décision de la CNAC prise à l'issue de sa séance du 5 mars 2020 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la CNAC de rejeter les recours présentés par la SAS Distribution Casino France et par les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean et de délivrer l'autorisation demandée par la SAS Auredis dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Auredis la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Auredis, à la Commission nationale d'aménagement commercial, à la SAS Distribution Casino France, aux SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2021.
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No 20MA01864