COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22
Appel entendu : 18 octobre 2023
Jugement rendu : 21 juin 2024
Dossier : 40360
Entre :
Conseil scolaire de district de la région de York
Appelant
et
Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario
Intimée
- et -
Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec, British Columbia Civil Liberties Association, British Columbia Teachers’ Federation, Centre for Free Expression, Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, Power Workers’ Union, Société de professionnels unifiés, Fédération de la police nationale, Ontario Principals’ Council, Association canadienne des avocats d’employeurs, Egale Canada, David Asper Centre for Constitutional Rights, Association canadienne des libertés civiles, Centrale des syndicats du Québec et Queen’s Prison Law Clinic
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
Motifs de jugement :
(par. 1 à 107)
Le juge Rowe (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Côté, Kasirer et Jamal)
Motifs conjoints concordants :
(par. 108 à 143)
Les juges Karakatsanis et Martin
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Conseil scolaire de district de la région de York Appelant
c.
Fédération des enseignantes et des enseignants
de l’élémentaire de l’Ontario Intimée
et
Procureur général du Canada,
procureur général de l’Ontario,
procureur général du Québec,
British Columbia Civil Liberties Association,
British Columbia Teachers’ Federation,
Centre for Free Expression,
Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario,
Power Workers’ Union, Société de professionnels unifiés,
Fédération de la police nationale, Ontario Principals’ Council,
Association canadienne des avocats d’employeurs, Egale Canada,
David Asper Centre for Constitutional Rights,
Association canadienne des libertés civiles,
Centrale des syndicats du Québec et
Queen’s Prison Law Clinic Intervenants
Répertorié : Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario
2024 CSC 22
No du greffe : 40360.
2023 : 18 octobre; 2024 : 21 juin.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
Droit constitutionnel — Charte des droits — Application — Fouilles, perquisitions et saisies — Droit des enseignants au respect de leur vie privée au travail — Photos de communications privées d’enseignantes sur un ordinateur portable d’une école d’un conseil scolaire public ontarien prises par le directeur de l’école — Communications servant de fondement à des réprimandes écrites — Grief intenté par le syndicat des enseignantes pour violation de leur droit au respect de la vie privée — Rejet du grief par l’arbitre — La Charte s’applique‑t‑elle aux conseils scolaires publics de l’Ontario? — Si oui, la décision de l’arbitre devrait‑elle être annulée? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 32.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Questions constitutionnelles — Grief d’enseignantes contre des réprimandes découlant de photos prises par le directeur de leurs communications privées sur un ordinateur portable de l’école — Rejet du grief par l’arbitre — Norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre relative à l’existence ou non d’une atteinte au droit au respect de la vie privée des enseignantes.
Deux enseignantes employées par un conseil scolaire public de l’Ontario ont consigné leurs communications privées relatives à des préoccupations quant à leur milieu de travail sur un journal électronique personnel partagé, protégé par un mot de passe, et sauvegardé sur une plateforme infonuagique. Le directeur de l’école, qui avait été mis au courant de l’existence du journal personnel, est entré dans la salle de classe d’une des enseignantes et, en son absence, a touché au tapis de souris de l’ordinateur portable du conseil qu’elle utilisait, a vu que le journal personnel est apparu à l’écran, a lu ce qui était visible, puis a fait défiler le reste du document et a pris des photos avec son téléphone cellulaire. Le conseil scolaire s’est ensuite basé sur ces communications pour formuler des réprimandes écrites. Le syndicat des enseignantes a déposé un grief pour contester cette mesure disciplinaire, alléguant que la fouille avait violé leur droit au respect de la vie privée au travail. Aucune atteinte à un droit protégé par la Charte n’a été alléguée. Une arbitre du travail, désignée en application de la convention collective, a rejeté le grief. Appliquant le cadre d’analyse en matière arbitrale fondé sur la mise en balance des intérêts, elle a conclu qu’il n’y avait pas eu atteinte à l’attente raisonnable des enseignantes en matière de respect de la vie privée, après avoir mis en balance cette attente et le droit du conseil scolaire de gérer le lieu de travail.
Saisie d’une requête en révision judiciaire, la Cour divisionnaire a estimé à la majorité que la décision de l’arbitre était raisonnable. Les juges majoritaires ont statué que la fouille n’avait soulevé aucune question relative à la Charte parce que l’art. 8 de cette dernière ne confère aucun droit aux employés contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives en contexte de travail, contrairement à ce qui se produit dans le contexte pénal. La juge dissidente a conclu que la Charte s’appliquait et que la décision de l’arbitre était déraisonnable, parce que celle‑ci s’était méprise sur la nature du droit conféré par l’art. 8. La Cour d’appel a accueilli l’appel du syndicat à l’unanimité et a annulé la décision de l’arbitre. Selon elle, les juges majoritaires de la Cour divisionnaire avaient commis une erreur en concluant que l’art. 8 ne s’appliquait pas. La Cour d’appel a procédé à la révision judiciaire de la décision de l’arbitre selon la norme de la décision correcte et a conclu que la fouille avait été abusive au sens voulu pour l’application de l’art. 8 de la Charte.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Kasirer et Jamal : Les enseignants des conseils scolaires publics de l’Ontario sont protégés par l’art. 8 de la Charte en contexte de travail, car ces conseils font partie du gouvernement de par leur nature même, au sens voulu pour l’application de l’art. 32 de la Charte. En conséquence, le grief en question mettait en cause une atteinte alléguée à un droit garanti par la Charte, et l’art. 8 de la Charte constituait une contrainte juridique qui aurait dû être prise en compte dans l’analyse de l’arbitre. Il ressort de la révision de la sentence de l’arbitre selon la norme de la décision correcte que l’arbitre a commis une erreur en limitant son analyse au cadre arbitral, sans tenir compte du cadre juridique applicable à un examen fondé sur l’art. 8 qu’elle était, en droit, tenue de respecter. Cette erreur est fatale et la décision de l’arbitre doit être annulée.
L’article 32 de la Loi constitutionnelle de 1982 précise le champ d’application de la Charte. La Cour, dans l’arrêt Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, a énoncé un cadre d’analyse à deux volets pour déterminer quand la Charte s’applique à une entité. Selon le premier volet du cadre d’analyse de l’arrêt Eldridge, il peut être décidé qu’une entité elle‑même fait partie du « gouvernement » au sens de l’art. 32 lorsque (1) soit de par sa nature même (2) soit à cause du degré de contrôle exercé par le gouvernement sur elle, l’entité fait partie du gouvernement. Selon ce volet, lorsque l’entité est considérée comme « gouvernementale », la Charte s’applique à toutes ses activités.
Un examen de la Loi sur l’éducation de l’Ontario confirme que les conseils scolaires publics de l’Ontario font partie du gouvernement de par leur nature même et qu’ils sont donc assujettis à la Charte selon le premier volet du test de l’arrêt Eldridge. Dans les faits, ils sont des branches du gouvernement, du fait qu’ils exercent des pouvoirs et des fonctions confiés par la législature provinciale dont cette dernière devrait autrement se charger. L’enseignement public est une mission gouvernementale de par sa nature même. Il présente un caractère constitutionnel unique, comme en témoignent l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’art. 23 de la Charte. Toutes les activités menées par les conseils scolaires publics de l’Ontario sont susceptibles de faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte, y compris celles du directeur en l’espèce, dans la mesure où il agissait en sa qualité officielle de représentant du conseil, de délégué désigné par la loi, et non en sa qualité personnelle.
Les tribunaux administratifs sont compétents pour statuer sur une question soulevée se rapportant à la Charte, et ils sont chargés de le faire. Le tribunal administratif possédant le pouvoir de trancher des questions de droit, et dont la compétence constitutionnelle n’a pas été clairement écartée, peut résoudre une question constitutionnelle se rapportant à une affaire dont il est régulièrement saisi et doit agir conformément à la Charte et aux valeurs qui la sous‑tendent en s’acquittant de ses fonctions légales. Les principes qui régissent le pouvoir de réparation découlant de la Charte s’appliquent tant aux cours de justice qu’aux tribunaux administratifs. Ces derniers devraient jouer un rôle de premier plan dans le règlement des questions liées à la Charte et relevant de leur compétence particulière. Il s’agit, notamment, d’une question d’accès à la justice : la solution qui consiste à permettre aux Canadiens de faire valoir les droits que leur garantit la Charte devant le tribunal qui est le plus à leur portée comporte des avantages pratiques et un fondement constitutionnel. Il est possible de faire valoir les droits protégés par la Charte en faisant usage des pouvoirs et des processus prévus par la loi, ce qui signifie que le demandeur n’a pas à présenter une demande distincte devant les tribunaux judiciaires pour que ses droits protégés par la Charte soient respectés. Lorsqu’un droit protégé par la Charte s’applique, le décideur administratif doit donc effectuer une analyse conforme à la disposition pertinente de la Charte.
L’arbitre en l’espèce est investie, par la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario, de façon générale du pouvoir de répondre aux questions relatives à tous les différends entre les parties que soulèvent l’interprétation, l’application, l’administration ou une prétendue violation de la convention collective, y compris la question de savoir s’il y a matière à arbitrage. Ainsi, l’arbitre possède le pouvoir de trancher des questions de droit, et devait donc trancher le grief en respectant les exigences de l’art. 8 de la Charte. Pour ce faire, elle aurait dû s’appuyer à la fois sur l’ensemble des décisions arbitrales pertinentes et sur la jurisprudence relative à l’art. 8. Cependant, l’arbitre a abordé sa tâche différemment, en effectuant son analyse en opposant les droits de la direction, d’une part, aux droits des employés en matière de respect de la vie privée, d’autre part. Lorsqu’un droit protégé par la Charte s’applique, il ne suffit pas que l’arbitre ait fait référence à la jurisprudence relative à la Charte. Le droit protégé par la Charte doit être clairement reconnu et analysé. Bien que la justice administrative ne prenne pas toujours la forme de la justice judiciaire, nulle part dans sa décision, que celle‑ci soit lue de manière fonctionnelle ou holistique, l’arbitre n’indique‑t‑elle qu’elle prenait en compte le droit des plaignantes protégé par l’art. 8 de la Charte.
Bien que la Cour d’appel ait appliqué à bon droit la norme de la décision correcte pour examiner la question de savoir si les enseignantes avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, elle s’est méprise en choisissant la norme de révision en fonction de l’arrêt R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, qui traitait de la norme de contrôle applicable en appel. Lorsqu’une cour contrôle la décision d’un tribunal administratif, la norme d’intervention doit être déterminée en fonction des principes du droit administratif. En conséquence, le présent appel est régi par l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653. La norme de la décision correcte s’applique parce que la question de la constitutionnalité dans le cadre d’un contrôle judiciaire — soit celle de savoir si un droit protégé par la Charte est en cause, de la portée de sa protection, et du cadre d’analyse approprié — est une question constitutionnelle qui requiert une réponse décisive et définitive des cours de justice et qu’elle est donc visée par l’exception relative à la primauté du droit. L’arrêt Vavilov ne limite pas la portée des « questions constitutionnelles » aux seules questions relatives au fédéralisme et à la délégation constitutionnelle du pouvoir de l’État aux décideurs administratifs; il a utilisé une formulation non exhaustive pour décrire la catégorie des questions constitutionnelles, en y incluant les « autres questions de droit constitutionnel ». Il ne faudrait pas réduire indûment cette catégorie.
Les juges Karakatsanis et Martin : Il y a accord avec les juges majoritaires quant au fait que la Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario. Il y a toutefois désaccord quant à la façon dont ils procèdent à la révision de la décision de l’arbitre. La révision de cette décision selon la norme de la décision correcte outrepasse les exceptions justifiant le recours à cette norme définie par l’arrêt Vavilov. La question qui était soumise à l’arbitre était celle de savoir si le droit des enseignantes au respect de leur vie privée avait été violé, une question et un examen qui étaient fortement tributaires du contexte factuel et législatif en cause. Par conséquent, la présomption de révision selon la norme de la décision raisonnable s’applique. Lorsque les motifs de l’arbitre sont examinés selon cette norme, il appert que le raisonnement qu’elle a suivi ne respecte pas le principe de la neutralité du contenu, qui se situe au cœur de l’approche normative de l’art. 8 en matière de protection de la vie privée, et que sa décision est de ce fait déraisonnable.
L’arrêt Vavilov visait à proposer un cadre d’analyse stable permettant de déterminer et d’appliquer la norme de contrôle et à inciter les parties à plutôt centrer leur attention sur le fond de l’affaire. La Cour a confirmé l’existence d’une présomption générale de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le recours exceptionnel à la norme de la décision correcte pour des questions constitutionnelles se justifie par le souci de préserver l’uniformité et le caractère définitif des décisions et par la nécessité d’obtenir des réponses décisives; mais, fait important, l’arrêt Vavilov a indiqué clairement que les questions constitutionnelles qui n’obligent pas les tribunaux à fournir des réponses décisives et définitives ne relevaient pas de l’exception à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, les décisions individualisées qui impliquent l’application de la Charte et qui sont intrinsèquement liées à un contexte factuel et législatif donné ne soulèvent généralement pas les mêmes craintes d’incohérence liées à la primauté du droit que celle qui a motivé, dans l’arrêt Vavilov, l’exception justifiant le recours à la norme de la décision correcte dans le cas des questions constitutionnelles. Les cours de justice ne possèdent pas de monopole lorsqu’il s’agit de trancher des questions liées à la Charte dans le contexte administratif.
Même si, en l’espèce, la décision de l’arbitre est déraisonnable, il y a désaccord avec les juges majoritaires quant au fait qu’elle doive être infirmée au motif que l’arbitre n’a pas expressément déclaré que l’art. 8 de la Charte s’appliquait ou qu’elle a mené son analyse sans tenir compte du cadre juridique applicable à une demande fondée sur l’art. 8. Cette conclusion s’attache à la forme, contrairement aux enseignements de l’arrêt Vavilov. Les décisions administratives doivent être examinées d’un point de vue fonctionnel, en s’attachant au fond et non à la forme. La jurisprudence de la Cour sur l’art. 8 de la Charte a été spécifiquement plaidée par les parties et il ressort clairement de ses motifs que l’arbitre était consciente du fait que le cadre d’analyse du droit au respect de la vie privée prévu à l’art. 8 constituait une contrainte qui avait une incidence sur sa décision. Les motifs de l’arbitre démontrent qu’elle a examiné les actes reprochés en se servant du cadre d’analyse applicable à l’art. 8 de la Charte comme pierre d’assise. L’arbitre savait que les décideurs administratifs doivent agir conformément à la Charte et à ses valeurs lorsqu’ils s’acquittent des fonctions que leur confère la loi. Si l’on interprète la décision de l’arbitre dans son ensemble, comme l’arrêt Vavilov le prescrit, en tenant également compte du contexte institutionnel et procédural dans lequel elle a été rendue, l’arbitre était pleinement consciente que la Charte et la jurisprudence relative à l’art. 8 avaient une incidence sur le grief.
Jurisprudence
Citée par le juge Rowe
Arrêts appliqués : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624; R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765; arrêt examiné : R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; arrêts mentionnés : Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608; R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36; R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Longueépée c. University of Waterloo, 2020 ONCA 830, 153 O.R. (3d) 641; R. c. M. (M.R.), 1998 CanLII 770 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 393; Godbout c. Longueuil (Ville), 1997 CanLII 335 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 844; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 26; Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, [2018] 2 R.C.S. 293; Canadian Broadcasting Corp. c. Ferrier, 2019 ONCA 1025, 148 O.R. (3d) 705; Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13; Canadian Broadcasting Corporation c. Canada (Parole Board), 2023 FCA 166 (CanLII), 2023 CAF 166, 429 C.C.C. (3d) 69; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3; Multani c. Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256; Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86, [2002] 4 R.C.S. 710; British Columbia Public School Employers’ Assn. c. B.C.T.F., 2005 BCCA 393, 257 D.L.R. (4th) 385; Gillies (Litigation Guardian of) c. Toronto District School Board, 2015 ONSC 1038, 125 O.R. (3d) 17; Calgary Roman Catholic Separate School District No. 1 c. O’Malley, 2007 ABQB 574, 81 Alta. L.R. (4th) 261; Hamilton c. Rocky View School Division No. 41, 2009 ABQB 225, 192 C.R.R. (2d) 22; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295; UAlberta Pro-Life c. Governors of the University of Alberta, 2020 ABCA 1, 98 Alta. L.R. (6th) 252; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), 1996 CanLII 152 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 854; R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409; R. c. McKinlay Transport Ltd., 1990 CanLII 137 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 627; Comité paritaire de l’industrie de la chemise c. Potash, 1994 CanLII 92 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 406; R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Gomboc, 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425; Doman Forest Products Ltd. and I.W.A., Loc. 1‑357, Re (1990), 1990 CanLII 12718 (BC LA), 13 L.A.C. (4th) 275; Toronto Transit Commission and A.T.U., Loc. 113 (Belsito) (Re) (1999), 1999 CanLII 35815 (ON LA), 95 L.A.C. (4th) 402.
Citée par les juges Karakatsanis et Martin
Arrêt appliqué : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; distinction d’avec l’arrêt : Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13; arrêts mentionnés : Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624; R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765; R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409; Slaight Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1038; Dagenais c. Société Radio-Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817; R. c. McKinlay Transport Ltd., 1990 CanLII 137 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 627; Comité paritaire de l’industrie de la chemise c. Potash, 1994 CanLII 92 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 406; R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec — Université Laval, 2020 QCCA 857; Canadian Broadcasting Corp. c. Ferrier, 2019 ONCA 1025, 148 O.R. (3d) 705; R. c. M. (M.R.), 1998 CanLII 770 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 393; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36; R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579; R. c. Morelli, 2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 23 32.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 93.
Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, c. 1, ann. A, art. 48(1).
Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, c. E.2, art. 8, 265.
Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, c. J.1.
Doctrine et autres documents cités
Daly, Paul. A Culture of Justification : Vavilov and the Future of Administrative Law, Vancouver, UBC Press, 2023.
Daly, Paul. « Big Bang Theory : Vavilov’s New Framework for Substantive Review », dans Colleen M. Flood et Paul Daly, dir., Administrative Law in Context, 4e éd., Toronto, Edmond Montgomery, 2022, 327.
Daly, Paul. « Unresolved Issues after Vavilov » (2022), 85 Sask. L. Rev. 89.
Hasan, Nader, et autres. Search and Seizure, Toronto, Emond Montgomery, 2021.
Mancini, Mark. « The Conceptual Gap Between Doré and Vavilov » (2020), 43 Dal. L.J. 793.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Doherty, Benotto et Huscroft), 2022 ONCA 476, 474 D.L.R. (4th) 297, 513 C.R.R. (2d) 6, 100 Admin. L.R. (6th) 1, 340 L.A.C. (4th) 365, 81 C.C.E.L. (4th) 17, 2022 CLLC ¶220‑057, [2022] O.J. No. 2824 (Lexis), 2022 CarswellOnt 8666 (WL), qui a infirmé une décision de la Cour divisionnaire (les juges Kiteley, Sachs et O’Bonsawin), 2020 ONSC 3685, 464 C.R.R. (2d) 100, 76 Admin. L.R. (6th) 101, 316 L.A.C. (4th) 1, [2020] O.J. No. 2714 (Lexis), 2020 CarswellOnt 8238 (WL), qui avait rejeté une requête en révision judiciaire d’une décision arbitrale, 294 L.A.C. (4th) 341, [2018] O.L.A.A. No. 273 (Lexis), 2018 CarswellOnt 13256 (WL). Pourvoi rejeté.
Frank Cesario, Sean Sells et Lesley Campbell, pour l’appelant.
Howard Goldblatt et Kiran Kang, pour l’intimée.
BJ Wray et Joseph Cheng, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Daniel Huffaker et Waleed Malik, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Jean‑Vincent Lacroix, Brigitte Bussières et Geneviève Martin‑Lafleur, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Fraser Harland, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.
Robyn Trask, Michael Sobkin et Vivian Wan, pour l’intervenante British Columbia Teachers’ Federation.
David Wright, Mae J. Nam et Rebecca Jones, pour l’intervenant Centre for Free Expression.
Caroline Zayid, David Hakim et Lauren Weaver, pour l’intervenant l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario.
Andrew Lokan, Michael Wright, Douglas Montgomery et Nora Parker, pour les intervenants Power Workers’ Union et la Société de professionnels unifiés.
Malini Vijaykumar et Claire Kane Boychuk, pour l’intervenante la Fédération de la police nationale.
Caroline V. (Nini) Jones et Cassandra E. Jarvis, pour l’intervenant Ontario Principals’ Council.
George Avraam, Ajanthana Anandarajah et Juliette Mestre, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats d’employeurs.
Brendan MacArthur‑Stevens, Bennett Jensen et Gregory Sheppard, pour l’intervenante Egale Canada.
Susan Ursel et Kristen Allen, pour l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights.
Gerald Chan et Olivia Eng, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Amy Nguyen, Marc Daoud et Laurence Dufault‑Arsenault, pour l’intervenante la Centrale des syndicats du Québec.
Jared Will, pour l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic.
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Kasirer et Jamal rendu par
Le juge Rowe —
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Aperçu
1
II. Contexte factuel
6
III. Historique judiciaire
17
A. Décision de l’arbitre (2018), 294 L.A.C. (4th) 341 (G. Misra)
17
(1) Première atteinte alléguée
23
(2) Deuxième atteinte alléguée
25
(3) Troisième atteinte alléguée
30
B. Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire), 2020 ONSC 3685, 316 L.A.C. (4th) 1 (les juges Kiteley et O’Bonsawin, la juge Sachs dissidente)
32
(1) Opinion majoritaire (la juge O’Bonsawin, avec l’appui de la juge Kiteley)
34
(2) Opinion dissidente (la juge Sachs)
40
C. Cour d’appel de l’Ontario, 2022 ONCA 476, 340 L.A.C. (4th) 365 (les juges Doherty, Benotto et Huscroft)
49
IV. Questions en litige
53
V. Prétentions des parties
54
A. Conseil scolaire de district de la région de York
54
B. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario
58
VI. Analyse
62
A. Norme de contrôle
62
B. La Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario suivant le premier volet du test de l’arrêt Eldridge
72
C. L’arbitre a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais cadre d’analyse
85
D. Les enseignants des écoles publiques ont, en application de l’art. 8 de la Charte, droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives en milieu de travail
97
(1) Définir l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée
101
(2) Déterminer le caractère abusif ou non d’une fouille
104
VII. Conclusion
107
I. Aperçu
[1] Le présent pourvoi donne l’occasion à notre Cour de se prononcer sur l’applicabilité de la Charte canadienne des droits et libertés aux conseils scolaires publics de l’Ontario.
[2] En l’espèce, des communications privées consignées par deux enseignantes sur leur journal électronique personnel protégé par un mot de passe ont été lues et saisies au moyen de captures d’écran par le directeur de leur école. Le conseil scolaire s’est ensuite basé sur ces communications pour formuler des réprimandes écrites. Le syndicat de ces dernières a déposé un grief pour contester cette mesure disciplinaire, alléguant que la fouille avait violé le droit des enseignantes au respect de leur vie privée au travail. Aucune atteinte à un droit protégé par la Charte n’a été alléguée. Une arbitre du travail désignée en application de la convention collective a rejeté le grief. Appliquant le cadre d’analyse en matière arbitrale relatif à la « mise en balance des intérêts », elle a conclu que le conseil scolaire n’avait pas porté atteinte à l’attente raisonnable des enseignantes en matière de respect de la vie privée après avoir mis en balance cette attente et le droit du conseil scolaire de gérer le lieu de travail en application de l’art. 265 de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, c. E.2.
[3] Saisie d’une requête en révision judiciaire[1] de cette décision, la Cour divisionnaire a estimé à la majorité que la décision de l’arbitre était raisonnable. Les juges majoritaires ont statué que la fouille n’avait soulevé aucune question relative à la Charte parce que l’art. 8 de cette dernière ne confère aucun droit aux employés en contexte de travail, contrairement à ce qui se produit dans le contexte pénal. La juge dissidente a conclu pour sa part que la Charte s’appliquait et que la décision de l’arbitre était déraisonnable, parce que celle‑ci s’était méprise sur la nature du droit conféré par l’art. 8. La Cour d’appel a accueilli l’appel à l’unanimité et a annulé la décision de l’arbitre. Selon elle, les juges majoritaires de la Cour divisionnaire avaient commis une erreur en concluant que l’art. 8 ne s’appliquait pas. La Cour d’appel a procédé à la révision judiciaire de la décision selon la norme de la décision correcte et a conclu que la fouille avait été abusive au sens voulu pour l’application de l’art. 8 de la Charte.
[4] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, bien que mon raisonnement soit différent de celui qu’a suivi la Cour d’appel. Les enseignants sont protégés par l’art. 8 de la Charte en contexte de travail, car les conseils scolaires publics de l’Ontario font partie du gouvernement de par leur nature même, au sens voulu pour l’application de l’art. 32 de la Charte. En conséquence, le grief en question mettait en cause une atteinte alléguée à un droit garanti par la Charte, et l’art. 8 de la Charte constituait une contrainte juridique devant être prise en compte dans l’analyse de l’arbitre.
[5] L’arbitre a commis une erreur en limitant son analyse au cadre arbitral, sans tenir compte du cadre juridique applicable à un examen fondé sur l’art. 8 qu’elle était, en droit, tenue de respecter. Ma conclusion sur ce point n’a pas pour effet d’invalider la jurisprudence arbitrale existante, mais vise plutôt à la compléter afin d’assurer la protection des droits constitutionnels en milieu de travail. Le cadre d’analyse applicable à un examen fondé sur l’art. 8 étant contextuel, il doit être adapté pour tenir compte des circonstances dans lesquelles le droit garanti par la Charte est invoqué.
II. Contexte factuel
[6] L’arbitre a tiré des conclusions de fait qui sont énoncées dans sa décision. En voici le résumé.
[7] Au cours de l’année scolaire 2014‑2015, deux enseignantes, Mme Shen et Mme Rai (« plaignantes »), ont été embauchées pour enseigner dans une école publique faisant partie du Conseil scolaire de district de la région de York. Les faits à l’origine du litige se sont produits au cours de l’année scolaire en question.
[8] Peu de temps après le début de l’année scolaire, des problèmes sont apparus au sein du groupe d’enseignants de deuxième année. Aux dires des plaignantes, un d’entre eux n’était pas efficace et bénéficiait d’un traitement préférentiel de la part du directeur de l’école. Elles s’inquiétaient des répercussions que ces problèmes interpersonnels pourraient avoir sur l’évaluation de leur rendement. Madame Shen a communiqué avec un représentant de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (« Syndicat »), qui lui a suggéré de prendre des notes pour documenter ses préoccupations.
[9] Sur la recommandation du Syndicat, Mme Shen a commencé à tenir un journal électronique privé en utilisant son compte Gmail personnel. Elle a autorisé Mme Rai à y avoir accès à partir du compte Gmail personnel de cette dernière. Le journal électronique était accessible et pouvait être modifié par les deux plaignantes.
[10] Le journal électronique n’était pas sauvegardé sur un lecteur du lieu de travail ni sur l’ordinateur portable du Conseil. Il était plutôt stocké sur une plateforme infonuagique sous forme de fichier personnel Google Docs, par l’intermédiaire d’un compte Internet privé sans lien avec le Conseil. D’autres personnes à l’école étaient au courant de la tenue de ce journal électronique par les plaignantes.
[11] Des membres du personnel ont mentionné au directeur de l’école que les plaignantes tenaient un journal électronique et lui ont fait part de préoccupations quant au climat de travail — que l’arbitre a qualifié de [traduction] « toxique » (par. 7‑8, 28, 46, 79, 87 et 97). Le directeur de l’école en a discuté avec le surintendant du Conseil, les ressources humaines et les services informatiques. Une recherche informatique a été effectuée, mais aucun journal électronique n’a été trouvé sur les lecteurs de stockage de données du Conseil.
[12] Le 16 décembre 2014, le directeur de l’école est entré dans la salle de classe de Mme Shen, en l’absence de cette dernière, pour y remettre du matériel didactique après la fin des classes. Il a remarqué que l’ordinateur portable du Conseil dont se servait Mme Shen était ouvert, et il a touché au tapis de souris. Un fichier intitulé « Log Google Docs » est apparu à l’écran. Le directeur de l’école a lu ce qui était visible, puis il a fait défiler le reste du document. Il a pris des photos du document à l’aide de son téléphone cellulaire. Après avoir fini de prendre des photos, il a éteint l’ordinateur.
[13] Le directeur de l’école a informé par courriel le surintendant du Conseil qu’il avait pu consulter le journal électronique, [traduction] « bourré de méchancetés » selon lui (par. 26). Le directeur de l’école et le surintendant du Conseil ont convenu qu’ils devaient confisquer l’ordinateur portable, car celui‑ci était fourni par le Conseil; un concierge de l’école s’est chargé de le faire pour eux. Le directeur de l’école a transmis les photos du journal électronique au Conseil pour enquête. L’ordinateur portable du Conseil dont se servait Mme Rai a également été confisqué. Celui‑ci, par contre, était éteint lorsqu’il a été pris.
[14] Le 23 janvier 2015, par suite de ces événements, le Conseil a inscrit des réprimandes écrites au dossier des plaignantes au motif qu’elles ne s’étaient pas comportées conformément aux Normes d’exercice de la profession enseignante de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario.
[15] Le 6 février 2015, le Syndicat a déposé un grief pour contester les réprimandes écrites. En guise de réparation, le Syndicat demandait que ces réprimandes soient retirées des dossiers des plaignantes et que chacune reçoive 15 000 $ à titre de dommages‑intérêts pour l’atteinte par le Conseil à leur droit au respect de la vie privée. Le Syndicat affirmait que le Conseil avait violé sans motif raisonnable le droit au respect de la vie privée des plaignantes et qu’il s’était servi des renseignements obtenus pour prendre des mesures disciplinaires contre elles.
[16] Le 22 janvier 2018, conformément à une « disposition de temporisation » stipulée dans la convention collective, les réprimandes écrites ont été retirées du dossier des plaignantes.
III. Historique judiciaire
A. Décision de l’arbitre (2018), 294 L.A.C. (4th) 341 (G. Misra)
[17] Entre le 16 septembre 2016 et le 5 juin 2018, l’arbitre du travail Gail Misra a tenu des audiences portant sur le grief.
[18] L’arbitre s’est demandé si les plaignantes avaient, à l’égard de leur journal électronique, une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, de sorte que les fouilles effectuées par le directeur de l’école et le Conseil constituaient des atteintes à leur droit à cet égard. Fait à noter, on ne demandait pas à l’arbitre de décider s’il y avait eu atteinte au droit protégé par l’art. 8 de la Charte; elle a toutefois tenu compte de principes élaborés dans la jurisprudence relative à cette disposition.
[19] Le Syndicat a allégué que trois atteintes avaient été portées au droit au respect de la vie privée des plaignantes : (1) la fouille effectuée par le Conseil dans ses plateformes informatiques; (2) la fouille effectuée par le directeur dans l’ordinateur portable du Conseil utilisé en classe par Mme Shen; et (3) les fouilles effectuées après que le Conseil eut confisqué les deux ordinateurs portables du Conseil utilisés en classe par les plaignantes.
[20] Le 7 août 2018, l’arbitre a rendu sa décision. Elle a conclu qu’il n’y avait pas eu atteinte à l’attente raisonnable [traduction] « réduite » des plaignantes en matière de respect de la vie privée à l’égard de leur journal électronique lorsqu’on la mettait en balance avec « l’intérêt légitime » du Conseil à s’attaquer au problème de l’environnement de travail toxique qui aurait été créé par les enseignantes en cause (par. 262‑263). L’arbitre a donc rejeté le grief.
[21] L’arbitre s’est inspirée de l’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, jugeant qu’il [traduction] « fait autorité en la matière et permet de comprendre en quoi consiste une atteinte au droit au respect à la vie privée, en plus de préciser les limites que comporte une attente [en cette matière] dans les affaires concernant des conseils scolaires » (par. 198). L’arbitre a également examiné la jurisprudence arbitrale relative à la mise en balance du droit des employés au respect de leur vie privée, d’une part, et des intérêts de l’employeur et des droits de la direction, d’autre part. Elle a tiré les conclusions suivantes :
(1) L’objet de la fouille était le journal électronique des plaignantes qui, d’après le directeur de l’école, se trouvait dans un ordinateur portable du Conseil utilisé en classe;
(2) Les plaignantes avaient droit au respect de leur vie privée à l’égard de leur journal électronique; elles seules pouvaient y accéder et y contribuer;
(3) Les plaignantes avaient configuré leur journal électronique de manière à ce qu’il ne serve qu’à des fins privées : il était protégé par un mot de passe et n’était pas stocké sur l’ordinateur portable ou sur un périphérique de stockage de données du Conseil. Elles avaient donc une attente subjective en matière de respect de la vie privée à l’égard de leur journal électronique;
(4) L’attente subjective en matière de respect de la vie privée des plaignantes était objectivement raisonnable, parce qu’elles avaient pris des mesures pour garder leur journal électronique privé et pour s’assurer que l’employeur ne puisse y accéder. Cette attente était toutefois réduite parce qu’elles en avaient fait connaître le contenu avant qu’il ne soit découvert et que Mme Shen l’avait laissé ouvert et ainsi permis à quiconque utiliserait l’ordinateur du Conseil de le consulter à sa guise. L’arbitre a également conclu que le journal électronique avait été laissé [traduction] « bien en vue ».
[22] Ayant conclu que les plaignantes avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée à l’égard du journal électronique, l’arbitre s’est ensuite penchée sur les trois atteintes au droit au respect de la vie privée alléguées par le Syndicat. Elle a effectué son analyse en appliquant le cadre arbitral de [traduction] « la mise en balance du droit des employés au respect de leur vie privée et du droit de l’employeur de gérer son entreprise » et, dans chaque cas, elle a conclu que « la balance penche en faveur du Conseil en l’espèce » (par. 223). Elle a ensuite analysé les trois atteintes en question.
(1) Première atteinte alléguée
[23] La première atteinte alléguée était la fouille effectuée par le Conseil dans ses fichiers de données. L’arbitre a conclu que l’art. 265 de la Loi sur l’éducation autorisait le directeur de l’école à effectuer des fouilles et des saisies raisonnables sans autorisation judiciaire préalable. Après avoir mis en balance les droits personnels des employés en matière de respect de la vie privée, d’une part, et le droit de l’employeur de gérer son entreprise, d’autre part, l’arbitre a conclu que le Conseil avait des motifs valables de procéder à la fouille. Ainsi, celle effectuée dans les plateformes informatiques ne constituait pas une atteinte au droit au respect de la vie privée des plaignantes.
[24] Le directeur de l’école avait des motifs valables de s’inquiéter du climat de travail et d’enseignement, de même que du degré de collaboration et de coordination des efforts au sein de l’équipe d’enseignants de deuxième année. Il était de son devoir de veiller au maintien de l’ordre et de la discipline à l’école. L’arbitre a conclu que le Conseil avait des motifs raisonnables d’effectuer une fouille dans ses dossiers de données en ligne relatifs aux enseignantes en cause.
(2) Deuxième atteinte alléguée
[25] La deuxième atteinte alléguée était la fouille effectuée par le directeur de l’école dans l’ordinateur du Conseil utilisé en classe par Mme Shen. Le Syndicat a reproché quatre gestes distincts posés par le directeur : (1) avoir touché le tapis de souris pour activer l’écran; (2) avoir consulté le journal électronique; (3) avoir fait défiler tout le contenu du journal électronique; et (4) avoir pris des photos de tout ce contenu avec son téléphone cellulaire.
[26] Selon l’arbitre, les gestes posés par le directeur de l’école étaient raisonnables. Elle a écrit :
[traduction] Appliquant une fois de plus le test énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt M. (M.R.)[, 1998 CanLII 770 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 393], j’estime que [le directeur] avait le droit, en vertu de l’art. 265 de la Loi sur l’éducation et dans le contexte du maintien de l’ordre dans son école, de s’assurer que l’ordinateur portable était éteint à la fin des heures de classe. Il avait également l’obligation de prendre des mesures pour veiller à ce qu’il existe un bon climat de travail chez les enseignants de deuxième année et de déceler tout élément toxique ou perturbateur au sein du groupe. J’ai déjà évoqué les raisons pour lesquelles j’estime que [le directeur] avait des motifs raisonnables de se mettre à la recherche du journal électronique. [par. 230]
[27] L’arbitre a souligné que Mme Shen avait laissé le journal électronique « bien en vue », permettant ainsi à quiconque utiliserait l’ordinateur du Conseil d’y accéder librement et sans mot de passe (par. 236). Elle a conclu que, une fois que le directeur avait trouvé le journal électronique, il était raisonnable que le Conseil pense que celui‑ci était stocké sur l’ordinateur portable et fouille ce dernier. Elle n’a [traduction] « rien trouvé de répréhensible » dans la façon dont le directeur avait trouvé et consulté le journal électronique (par. 240).
[28] Mettant en balance l’attente raisonnable réduite en matière de respect de la vie privée des plaignantes et les intérêts du Conseil en tant qu’employeur, l’arbitre a conclu que la découverte [traduction] « fortuite » du journal électronique par le directeur et la confiscation subséquente de l’ordinateur n’avaient pas porté atteinte au droit des enseignantes en cause au respect de la vie privée sur leur lieu de travail (par. 240). Le directeur [traduction] « avait un motif légitime pour se trouver dans la salle de classe de Mme Shen », il « avait le droit d’utiliser l’ordinateur portable du Conseil », et « le journal électronique renfermait des renseignements qui, selon lui, pouvaient contribuer à créer un climat de travail toxique à l’école » (par. 231 et 252).
[29] Par ailleurs, le droit au respect de la vie privée des plaignantes était réduit en l’espèce, car [traduction] « le fait pour Mme Shen de laisser le journal électronique ouvert sur l’ordinateur portable du Conseil qu’elle utilisait dans la salle de classe réduisait ses attentes raisonnables en matière de respect de sa vie privée » (par. 242). En outre, l’arbitre a conclu que les renseignements contenus dans le journal électronique n’étaient ni personnels ni intimes, et qu’ils ne révélaient pas non plus l’opinion qu’avaient les plaignantes de leurs collègues. Elle a donc conclu que le journal électronique [traduction] « n’avait pas trait à [leurs] renseignements biographiques » (par. 246).
(3) Troisième atteinte alléguée
[30] La troisième atteinte alléguée était la fouille « judiciaire » des ordinateurs de Mme Shen et de Mme Rai, y compris la confiscation des deux ordinateurs, et la fouille de ceux‑ci par le Conseil. L’arbitre a également rejeté cette atteinte alléguée.
[31] Une fois que le directeur avait trouvé le journal électronique sur l’ordinateur portable du Conseil que Mme Shen utilisait en salle de classe, il était raisonnable que le Conseil pense avoir peut‑être découvert où se trouvait le journal électronique et, par conséquent, qu’il effectue une fouille de l’ordinateur. L’arbitre a également conclu qu’il [traduction] « n’est pas nécessaire de déterminer s’il existait d’autres solutions que l’employeur aurait dû envisager avant d’effectuer une fouille informatique » (par. 261).
B. Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire), 2020 ONSC 3685, 316 L.A.C. (4th) 1 (les juges Kiteley et O’Bonsawin, la juge Sachs dissidente)
[32] Le Syndicat a saisi la Cour divisionnaire d’une requête en révision judiciaire. Les parties ont tenu pour acquis que la décision arbitrale (appelée la « sentence ») était susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.
[33] L’affaire a été entendue par la Cour divisionnaire en novembre 2019. La seule question en litige dans le cadre de la révision judiciaire concernait la conclusion de l’arbitre selon laquelle les actes posés par l’employeur n’avaient pas porté atteinte à l’attente raisonnable des plaignantes en matière de respect de la vie privée. Selon la cour, le retrait de la réprimande écrite du dossier des enseignantes en cause n’avait pas eu pour effet de rendre la question sans objet. La cour a procédé à la révision judiciaire en vertu de son pouvoir discrétionnaire. À l’issue de l’audience, elle a invité les parties à lui soumettre des observations complémentaires au sujet de la norme de révision à la suite du prononcé, par notre Cour, de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653.
(1) Opinion majoritaire (la juge O’Bonsawin, avec l’appui de la juge Kiteley)
[34] En juin 2020, la Cour divisionnaire a rendu une décision partagée; les juges majoritaires ont rejeté la requête en révision judiciaire. La juge O’Bonsawin (maintenant juge de notre Cour) a, avec l’appui de la juge Kiteley, appliqué la norme de révision de la décision raisonnable. Elles ont conclu que le raisonnement de l’arbitre démontrait que sa décision était justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartenait aux issues possibles acceptables.
[35] Les juges majoritaires ont statué que la conclusion de l’arbitre selon laquelle il était du devoir du directeur de maintenir l’ordre et la discipline dans l’école en application de l’art. 265 de la Loi sur l’éducation était raisonnable, compte tenu du [traduction] « climat de travail apparemment toxique » qui régnait au sein de l’équipe d’enseignants de la deuxième année (par. 76). Les juges majoritaires ont noté que, pour l’arbitre, la fouille ne comportait [traduction] « aucun élément criminel », mais « avait été entreprise dans le cadre des obligations [du directeur] de “favoriser la collaboration et la coordination des efforts entre les membres du personnel de l’école” » en application de l’art. 265 de la Loi sur l’éducation (par. 79). Pour les juges majoritaires, la conclusion de l’arbitre selon laquelle les obligations qui incombaient au directeur sous le régime de la Loi sur l’éducation pouvaient s’appliquer à de telles situations était raisonnable (par. 79).
[36] Les juges majoritaires ont également conclu que l’arbitre avait interprété et appliqué raisonnablement la jurisprudence concernant le droit au respect de la vie privée. Quant à la fouille effectuée par le service informatique dans le système de stockage de données du Conseil, elles ont conclu que [traduction] « l’employeur n’avait aucune raison d’envisager “d’autres solutions” avant de demander à son service informatique d’effectuer une fouille dans ses propres systèmes » (par. 88). On ne pouvait non plus raisonnablement s’attendre à ce que le directeur envisage d’autres solutions avant de fouiller l’ordinateur portable de Mme Shen, car [traduction] « la fouille effectuée par [le directeur] était survenue “fortuitement” parce que Mme Shen avait laissé son ordinateur portable allumé » (par. 89).
[37] Toujours selon les juges majoritaires, l’arbitre a conclu raisonnablement que les renseignements contenus dans le journal électronique n’étaient pas de nature suffisamment biographique quant aux plaignantes parce que [traduction] « les notes qu’il contenait n’étaient pas de la nature de courriels entre conjoints, et ne concernaient pas des questions médicales ou bancaires ou d’autres questions personnelles intimes » (par. 94). Comme l’arbitre avait conclu qu’aucune des fouilles effectuées n’avait eu d’incidence sur les attentes raisonnables des plaignantes en matière de respect de la vie privée, les juges majoritaires ont conclu à l’absence [traduction] « d’aspect cumulatif » des fouilles dont il aurait autrement fallu tenir compte (par. 101).
[38] Enfin, les juges majoritaires ont répondu à l’opinion de la juge dissidente. Elles se sont dites en désaccord avec le cadre d’analyse fondé sur la Charte appliqué par la juge Sachs parce que, selon elles, la conduite du directeur en l’espèce n’avait soulevé aucune question qui faisait intervenir la Charte :
[traduction] [La juge Sachs] considère que son analyse consiste à mettre en balance « les droits [reconnus aux plaignantes] par l’art. 8 de la Charte, d’une part, et les objectifs de la loi que le directeur cherchait à faire respecter, d’autre part ». Je ne suis pas d’accord avec ce cadre d’analyse. Contrairement à ce qui se passe dans un contexte criminel, en contexte de travail, l’art. 8 ne reconnaît pas à l’employé de droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. L’arbitre a conclu à juste titre que les plaignantes avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée qui était réduite. L’arbitre était tenue de mettre en balance cette attente réduite en matière de respect de la vie privée et l’obligation de l’employeur de gérer le milieu de travail. Elle l’a fait, et elle a tiré une conclusion raisonnable. [Je souligne; par. 103.]
[39] Les juges majoritaires, à l’instar de l’arbitre, ont estimé que le cadre d’analyse applicable n’était pas celui fondé sur l’art. 8 de la Charte, mais plutôt celui applicable aux droits reconnus aux employeurs et aux employés aux termes de la convention collective.
(2) Opinion dissidente (la juge Sachs)
[40] La juge Sachs, dissidente, a conclu que la décision de l’arbitre était déraisonnable parce que ses motifs révélaient [traduction] « un manque de logique interne dans le raisonnement suivi » et que « [l]e résultat était indéfendable compte tenu des “contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui avaient une incidence sur elle” » (par. 109).
[41] La juge Sachs a conclu que les employées ont un droit garanti par l’art. 8 de la Charte en contexte de travail, et que les gestes posés par le directeur étaient susceptibles de faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte parce que le Conseil était [traduction] « un acteur étatique » (par. 127).
[42] À ce titre, la question de savoir s’il y avait eu atteinte au droit garanti aux plaignantes par la Charte entrait dans la catégorie des questions constitutionnelles susceptibles d’être examinées selon la norme de la décision raisonnable (par. 114‑115, citant Vavilov, par. 57).
[43] De plus, le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, s’appliquait, puisque [traduction] « ces droits [garantis par la Charte] doivent être mis en balance avec les objectifs de la Loi sur l’éducation ». La juge Sachs a ajouté que, [traduction] « même si elle ne mentionne pas expressément l’arrêt Doré, c’est ce cadre d’analyse que l’arbitre a appliqué » (par. 121).
[44] La juge dissidente a estimé que l’arbitre avait commis trois erreurs importantes dans l’application de la jurisprudence relative à l’art. 8, ce qui rendait la décision déraisonnable. En bref, puisque l’arbitre s’est méprise sur la nature de l’art. 8, [traduction] « elle n’a pas été en mesure de procéder à une mise en balance proportionnelle des valeurs consacrées à l’art. 8 de la Charte et des objectifs de la loi » (par. 143‑145).
[45] Tout d’abord, [traduction] « l’arbitre s’est servie des renseignements obtenus grâce à la fouille pour justifier l’atteinte au droit au respect de la vie privée », ce qui va à l’encontre des arrêts R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608, et R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36, rendus par notre Cour (motifs de la C. div., par. 147). La [traduction] « découverte accessoire » du journal électronique ne donnait pas au directeur le droit de fouiller davantage ce dernier (par. 148).
[46] Ensuite, l’arbitre a commis une erreur en concluant que le contenu du journal électronique n’avait pas trait à des renseignements biographiques relatifs aux plaignantes. [traduction] « Cette conclusion contredit celle qu’elle a tirée précédemment selon laquelle l’attente subjective des plaignantes en matière de respect de leur vie privée à l’égard du contenu du journal électronique était objectivement raisonnable » au sens de l’arrêt Cole (motifs de la C. div., par. 149). La juge dissidente a ajouté que [traduction] « la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’attente subjective des plaignantes en matière de respect de leur vie privée était objectivement raisonnable revenait à accepter que les renseignements contenus dans le journal électronique constituaient pour ainsi dire des “renseignements biographiques d’ordre personnel” au sens où l’entend la jurisprudence » (par. 151).
[47] Enfin, l’arbitre a mal appliqué la doctrine des « objets bien en vue » pour justifier la fouille. Selon la juge dissidente, [traduction] « même si la décision du directeur de toucher au tapis de souris pouvait se justifier par cette théorie, celle‑ci ne lui permettait pas pour autant d’ensuite faire défiler le journal électronique » (par. 154). Or, en l’espèce, [traduction] « l’arbitre a tenté d’invoquer ce principe pour justifier une fouille (et non une saisie) exploratoire effectuée délibérément par le directeur en vue de trouver le journal électronique en question. Il est de jurisprudence constante que cette théorie ne peut pas être invoquée dans ces circonstances » (par. 156 (en italique dans l’original)).
[48] Selon la juge Sachs, l’arbitre avait tiré une conclusion déraisonnable en estimant que [traduction] « les objectifs de la Loi sur l’éducation justifiaient la décision du directeur de faire défiler le journal électronique et de prendre des photos de son contenu » (par. 176).
C. Cour d’appel de l’Ontario, 2022 ONCA 476, 340 L.A.C. (4th) 365 (les juges Doherty, Benotto et Huscroft)
[49] S’exprimant au nom d’une formation unanime, le juge Huscroft a accueilli l’appel et annulé la décision de l’arbitre. Il a estimé que celle‑ci avait commis une erreur dans l’interprétation et l’application de l’art. 8 et qu’elle avait rendu une décision déraisonnable en rejetant le grief. La Cour divisionnaire avait donc commis une erreur en confirmant la décision de l’arbitre. La Cour d’appel a déclaré que [traduction] « [m]ême si l’arbitre ne mentionne pas explicitement l’art. 8 de la Charte, son analyse reposait de toute évidence sur la jurisprudence relative à cette disposition » (par. 36).
[50] Selon la Cour d’appel, la déférence était de mise en ce qui concerne les conclusions de faits de l’arbitre. En revanche, la question de savoir si les plaignantes avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée était une question de droit qui était assujettie à la norme de révision de la décision correcte (par. 37, citant R. c. Shepherd, 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 20). La Cour d’appel a procédé en se « met[tant] à la place » de la Cour divisionnaire, effectuant ainsi une révision judiciaire de novo de la décision de l’arbitre (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45‑46; Longueépée c. University of Waterloo, 2020 ONCA 830, 153 O.R. (3d) 641, par. 47‑48).
[51] En ce qui concerne l’application de la Charte aux conseils scolaires, la Cour d’appel a repris à son compte [traduction] « les hypothèses retenues par la Cour suprême » dans les arrêts M. (M.R.) et Cole (par. 41). Elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire de déterminer selon quel volet du test de l’arrêt Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, la Charte s’appliquait (parce que les conseils scolaires sont gouvernementaux de par leur nature même ou parce qu’ils exercent des fonctions gouvernementales) : [traduction] « Il suffit de dire que l’art. 8 s’applique aux actions du directeur et du Conseil scolaire » (par. 41).
[52] La Cour d’appel a conclu (1) que l’art. 8 de la Charte s’appliquait aux actions du directeur et du Conseil scolaire, (2) que les plaignantes avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, (3) que l’arbitre a erré dans son interprétation et son application des règles de droit relatives aux droits garantis aux plaignantes par l’art. 8 de la Charte, et (4) que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable (par. 41 et 71).
IV. Questions en litige
[53] Le présent pourvoi soulève les trois questions suivantes :
(1) La Charte s’applique‑t‑elle aux conseils scolaires publics de l’Ontario?
(2) Quelle est la norme de révision appropriée?
(3) La sentence de l’arbitre devrait‑elle être annulée parce que celle‑ci n’a pas effectué une analyse fondée sur l’art. 8 de la Charte?
V. Prétentions des parties
A. Conseil scolaire de district de la région de York
[54] L’appelant, le Conseil scolaire de district de la région de York, affirme que la sentence arbitrale est raisonnable et devrait être rétablie, et il ajoute que la Cour d’appel de l’Ontario a commis des erreurs (1) en appliquant la norme de révision de la décision correcte, (2) en concluant que la Charte s’appliquait au Conseil, et (3) en appliquant la jurisprudence relative à l’art. 8 pour conclure que les droits garantis aux plaignantes par cette disposition avaient été enfreints.
[55] L’appelant soutient que, comme l’arbitre n’a jamais été saisie de la question de l’application de la Charte au Conseil, [traduction] « [u]ne juridiction de révision ne devrait pas pouvoir remettre en question une décision raisonnable en la soumettant à des analyses et des faits qui n’ont pas été avancés par les parties » (m.a., par. 66).
[56] De plus, l’appelant soutient que la Cour d’appel a commis une erreur en tenant simplement pour acquis que la Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario, sans effectuer l’analyse prescrite par l’arrêt Eldridge (m.a., par. 76). Il ajoute que ceux‑ci ne font pas partie du « gouvernement » au sens du premier volet du test [traduction] « parce qu’ils n’adoptent pas de textes législatifs et n’exercent pas de pouvoir gouvernemental. [Le second volet] ne s’applique pas non plus en l’espèce parce que le Conseil agissait essentiellement comme employeur. Ces faits démontrent que le Conseil n’exerçait pas de fonctions gouvernementales déléguées et n’accomplissait pas d’actes de nature véritablement gouvernementale » (m.a., par. 103).
[57] L’appelant soutient enfin que la Cour d’appel a commis des erreurs dans son interprétation de l’art. 8. D’abord, elle s’est méprise dans son évaluation des agissements des plaignantes et de la question de savoir si leur attente subjective en matière de respect de leur vie privée était objectivement raisonnable. En n’éteignant pas leur ordinateur et en laissant le journal électronique ouvert dans un lieu de travail, elles ont réduit leur attente raisonnable en matière de respect de la vie privée (m.a., par. 117). Ensuite, l’analyse par l’arbitre du concept de renseignements biographiques était conforme à la jurisprudence pertinente; elle a conclu que le journal électronique était loin de concerner des renseignements de cet ordre à propos des plaignantes et elle a ensuite tenu compte de ce facteur (m.a., par. 120). Enfin, la Cour d’appel a commis une erreur en ne tenant pas compte des problèmes et du contexte de ce milieu de travail pour effectuer son évaluation et elle a plutôt examiné [traduction] « l’ensemble des faits en fonction de sa propre vision étroite et incorrecte des “intérêts légitimes” de l’employeur » (m.a., par. 128).
B. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario
[58] L’intimée, la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, fait valoir que le droit des plaignantes à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives a été enfreint, et que l’arbitre a commis des erreurs à quatre égards : [traduction] « . . . (1) elle n’a pas adopté la méthode de la “neutralité du contenu” pour évaluer le droit au respect de la vie privée eu égard au journal électronique; (2) elle a mal interprété le concept de “renseignements biographiques”; (3) elle a mal appliqué le concept même des “objets bien en vue”; (4) elle n’a pas tenu compte du droit au respect de la vie privée distinct [de la seconde plaignante, Mme Rai,] à l’égard du journal électronique » (m.i., par. 160‑185).
[59] L’intimée soutient que la norme de révision en ce qui concerne l’application de la Charte au Conseil est celle de la décision correcte pour les deux questions constitutionnelles, en l’occurrence celles de savoir si la Charte s’applique à la conduite du directeur et si cette conduite a contrevenu à l’art. 8. En outre, l’intimée fait valoir que la norme de révision qui s’applique à la sentence arbitrale elle‑même est celle de la décision raisonnable (m.i., par. 42).
[60] L’intimée soutient que la Charte s’applique au Conseil, parce que les conseils scolaires publics de l’Ontario sont des entités gouvernementales de par leur nature même. Les critères que le juge La Forest a énoncés dans l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville), 1997 CanLII 335 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 844, au par. 51, et qui l’ont amené à conclure que les municipalités sont des entités gouvernementales de par leur nature même, sont également réunis lorsqu’on examine les conseils scolaires (m.i., par. 73‑74). À titre subsidiaire, si les conseils scolaires ne sont pas des entités gouvernementales de par leur nature même, celui en cause ici accomplissait des actes de nature gouvernementale et il relevait donc du second volet du test de l’arrêt Eldridge (m.i., par. 107).
[61] Enfin, l’intimée affirme qu’il y a eu atteinte au droit protégé par l’art. 8 de la Charte. Le directeur n’avait pas les motifs nécessaires pour procéder à la fouille du journal électronique, et les répercussions de cette fouille l’emportaient sur l’intérêt qu’il avait à y procéder. L’intimée fait remarquer que la jurisprudence de notre Cour, c.‑à‑d. les arrêts M. (M.R.) et Cole, qui porte sur des fouilles et des perquisitions dans des écoles, n’est pas entièrement applicable en dehors du contexte du droit pénal, et que notre Cour doit interpréter l’étendue des pouvoirs de fouille conférés par l’art. 265 de la Loi sur l’éducation en fonction du deuxième volet du cadre d’analyse établi par l’arrêt Collins (m.i., par. 115‑148; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 26).
VI. Analyse
A. Norme de contrôle
[62] C’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique pour déterminer si les conseils scolaires sont assujettis à la Charte en application du par. 32(1) de la Charte. En effet, il s’agit d’une question de droit constitutionnel qui nécessite une réponse décisive et définitive des cours de justice (Vavilov, par. 55), et la réponse à cette question s’applique de façon générale, sans égard aux circonstances particulières de l’affaire.
[63] La norme de contrôle de la décision correcte s’applique aussi à la révision de la décision de l’arbitre. Je suis d’avis d’annuler la sentence parce que l’arbitre a commis une erreur en ne réalisant pas que les faits de l’affaire dont elle était saisie soulevaient un droit protégé par la Charte. La question de la constitutionnalité dans le cadre d’un contrôle judiciaire — soit celle de savoir si un droit protégé par la Charte est soulevé, de la portée de sa protection, et du cadre d’analyse approprié — est une « questio[n] constitutionnell[e] » qui requiert « une réponse décisive et définitive des cours de justice » (Vavilov, par. 53 et 55).
[64] Pour juger de la constitutionnalité, le tribunal doit jouer son rôle unique d’interprète et de gardien de la Constitution. Il doit avoir le dernier mot sur la question parce que les limites de la portée des garanties constitutionnelles dont jouissent les Canadiens ne sauraient varier « selon la façon dont l’État a choisi de déléguer son pouvoir et de l’exercer » (Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, [2018] 2 R.C.S. 293, par. 116, la juge en chef McLachlin). La présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique est donc réfutée et c’est celle de la décision correcte qui s’applique.
[65] L’arrêt Vavilov ne limite pas la portée des « questions constitutionnelles » aux seules questions relatives au fédéralisme et à la délégation constitutionnelle du pouvoir de l’État aux décideurs administratifs (m.a., par. 57; voir aussi, m. interv., procureur général du Canada, par. 17). Fait à noter, cet arrêt a utilisé une formulation non exhaustive pour décrire la catégorie des questions constitutionnelles, en y incluant les « autres questions de droit constitutionnel » (par. 55 (je souligne)). Il ne faudrait pas réduire indûment cette catégorie.
[66] Depuis l’arrêt Vavilov, il se développe un courant jurisprudentiel au soutien de l’application du contrôle selon la norme de la décision correcte dans ce contexte (Canadian Broadcasting Corporation c. Ferrier, 2019 ONCA 1025, 148 O.R. (3d) 705, par. 35; Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13, par. 92; et Canadian Broadcasting Corporation c. Canada (Parole Board), 2023 FCA 166 (CanLII), 2023 CAF 166, 429 C.C.C. (3d) 69, par. 32‑33). Des universitaires ont aussi estimé que la portée des droits constitutionnels [traduction] « command[e] qu’une réponse uniforme soit donnée » et que son interprétation est donc assujettie à un contrôle suivant la norme de la décision correcte (P. Daly, « Big Bang Theory : Vavilov’s New Framework for Substantive Review », dans C. M. Flood et P. Daly, dir., Administrative Law in Context (4e éd. 2022), 327, p. 347; P. Daly, A Culture of Justification : Vavilov and the Future of Administrative Law (2023), p. 141 et 161‑162; M. Mancini, « The Conceptual Gap Between Doré and Vavilov » (2020), 43 Dal. L.J. 793, p. 824‑826).
[67] J’aimerais aussi préciser que, bien que la Cour d’appel de l’Ontario ait appliqué la norme de la décision correcte pour examiner si les enseignantes avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée (motifs de la C.A., par. 37), j’estime avec égards qu’elle s’est méprise en choisissant la norme de révision en fonction de la décision de la Cour dans Shepherd, au par. 20, qui traitait de la norme de contrôle applicable en appel. Comme la Cour l’a décidé dans l’arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, au par. 38, lorsqu’une cour contrôle la décision d’un tribunal administratif, « la norme d’intervention doit être déterminée en fonction des principes du droit administratif ». C’est Vavilov qui régit le présent appel. La norme de la décision correcte s’applique parce que la question constitutionnelle est visée par l’exception relative à la primauté du droit.
[68] Les enseignants des écoles publiques de l’Ontario sont protégés contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives sur leur lieu de travail en application de l’art. 8 de la Charte. En dépit de leur apparente ressemblance fonctionnelle, le droit à une attente raisonnable en matière de vie privée consacré dans la Constitution est distinct de par sa source et sa nature du droit à la vie privée en matière arbitrale. D’abord, les représentants de l’État ne peuvent pas nier leurs obligations constitutionnelles, quelles que soient les clauses de la convention collective. Au fond, les motifs de l’arbitre révèlent une erreur fondamentale parce qu’elle n’avait pas le bon droit à l’esprit. Elle aurait dû appliquer la Charte, mais elle ne l’a pas fait. Dès lors qu’elle avait omis de tenir compte de la dimension constitutionnelle des fouilles menées par le directeur, elle ne pouvait plus poursuivre l’analyse de manière intelligible en tenant compte de la gravité des violations alléguées au droit en cause protégé par la Charte. Une cour ne peut pas diluer la nature sacrosainte des droits protégés par la Charte en y substituant un autre droit. Une cour ne peut pas non plus faire abstraction des motifs du décideur et les interpréter comme si celui-ci avait appliqué un droit protégé par la Charte alors que, dans les faits, il appliquait un droit différent (Vavilov, par. 96).
[69] L’arbitre n’a pas reconnu que le droit des enseignantes protégé par l’art. 8 de la Charte s’appliquait. Contrairement à mes collègues, je ne crois pas que la norme de la décision raisonnable s’applique à la révision des motifs de l’arbitre (motifs des juges Karakatsanis et Martin, par. 112). Le présent appel peut et doit être rejeté en raison de cette erreur fatale.
[70] Dans l’arrêt Vavilov, notre Cour a déclaré :
À notre avis, le respect de la primauté du droit exige que les cours de justice appliquent la norme de la décision correcte à l’égard de certains types de questions de droit : les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs. L’application de la norme de la décision correcte à l’égard de ces questions s’accorde avec le rôle unique du pouvoir judiciaire dans l’interprétation de la Constitution, et fait en sorte que les cours de justice ont le dernier mot sur des questions à l’égard desquelles la primauté du droit exige une cohérence et une réponse décisive et définitive s’impose : Dunsmuir [c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 190], par. 58. [Je souligne; par. 53.]
[71] Vu ce qui précède, la norme de révision appropriée en l’espèce est celle de la décision correcte.
B. La Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario suivant le premier volet du test de l’arrêt Eldridge
[72] L’article 32 de la Loi constitutionnelle de 1982 précise le champ d’application de la Charte :
32(1) La présente charte s’applique :
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord‑Ouest;
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
[73] À cet égard, la décision de principe est l’arrêt Eldridge, dans lequel notre Cour a énoncé un cadre d’analyse à deux volets :
Premièrement, il peut être décidé que l’entité elle‑même fait partie du « gouvernement » au sens de l’art. 32. Une telle conclusion requiert l’examen de la question de savoir si l’entité dont les actes ont suscité l’allégation d’atteinte à la Charte peut — soit de par sa nature même, soit à cause du degré de contrôle exercé par le gouvernement sur elle — être à juste titre considérée comme faisant partie du « gouvernement » au sens du par. 32(1). En pareil cas, toutes les activités de l’entité sont assujetties à la Charte, indépendamment du fait que l’activité en cause pourrait à juste titre être qualifiée de « privée » si elle était exercée par un acteur non gouvernemental. Deuxièmement, une activité particulière d’une entité peut être sujette à révision en vertu de la Charte si cette activité peut être attribuée au gouvernement. Il convient alors d’examiner non pas la nature de l’entité dont l’activité est contestée, mais plutôt la nature de l’activité elle‑même. Autrement dit, il faut, en pareil cas, s’interroger sur la qualité de l’acte en cause plutôt que sur la qualité de l’acteur. [par. 44]
[74] Jusqu’à maintenant, notre Cour ne s’est pas prononcée de façon définitive sur la question de l’applicabilité de la Charte aux conseils scolaires. Bien qu’elle ait présumé que la Charte s’y appliquait (voir Multani c. Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256), notre Cour l’a fait sans traiter du cadre d’analyse de l’arrêt Eldridge, sauf dans la mesure ci‑après indiquée.
[75] Dans l’arrêt Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86, [2002] 4 R.C.S. 710, le juge Gonthier, dissident (avec l’appui du juge Bastarache), a examiné cette question, que les juges majoritaires n’ont pas estimé utile d’étudier, en détail. Il a déclaré qu’il ne faisait « aucun doute » que le conseil scolaire était assujetti à la Charte suivant le premier volet du test de l’arrêt Eldridge (par. 121). Après avoir rendu l’arrêt Chamberlain, notre Cour a accepté l’admission, faite par la Couronne dans les affaires dont elle était saisie, selon laquelle la Charte s’applique aux mesures prises par des responsables scolaires, et elle a jugé ces affaires en conséquence (voir Cole, par. 38).
[76] Des juridictions inférieures se sont penchées sur la question de savoir si la Charte s’applique aux conseils scolaires et ont tiré des conclusions différentes. Certaines ont repris le raisonnement suivi par le juge Gonthier dans l’arrêt Chamberlain et ont décidé que la Charte s’appliquait aux conseils scolaires (voir British Columbia Public School Employers’ Assn. c. B.C.T.F., 2005 BCCA 393, 257 D.L.R. (4th) 385; et Gillies (Litigation Guardian of) c. Toronto District School Board, 2015 ONSC 1038, 125 O.R. (3d) 17). D’autres ont établi une distinction entre les affaires dont elles étaient saisies et les circonstances soumises au juge Gonthier, et elles ont conclu que la Charte ne s’appliquait pas aux conseils scolaires (voir Calgary Roman Catholic Separate School District No. 1 c. O’Malley, 2007 ABQB 574, 81 Alta. L.R. (4th) 261; et Hamilton c. Rocky View School Division No. 41, 2009 ABQB 225, 192 C.R.R. (2d) 22).
[77] Le temps est venu de déterminer si la Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario et, dans l’affirmative, si ceux‑ci relèvent du premier ou du second volet du test de l’arrêt Eldridge. Il s’agit d’une question de droit constitutionnel qui nécessite une réponse décisive et définitive des cours de justice; au sens de l’arrêt Vavilov (au par. 55), la norme de révision applicable est donc celle de la décision correcte.
[78] Selon le premier volet du cadre d’analyse de l’arrêt Eldridge, « il peut être décidé que l’entité elle‑même fait partie du “gouvernement” au sens de l’art. 32 » (par. 44). Il en est ainsi lorsque (1) « soit de par sa nature même », (2) « soit à cause du degré de contrôle exercé par le gouvernement sur elle » (Eldridge, par. 44), l’entité fait partie du gouvernement. Selon ce volet, lorsque l’entité est considérée comme « gouvernement[ale] », la Charte s’applique à toutes ses activités, y compris à celles qui pourraient, en d’autres circonstances, être considérées comme « privées » si elles étaient exercées par des entités non gouvernementales.
[79] Un examen de la Loi sur l’éducation confirme que les conseils scolaires publics de l’Ontario font partie du gouvernement de par leur nature même. L’article de la Loi énonçant son objet souligne le rôle que jouent les conseils scolaires dans le système d’éducation. L’article 8 de la Loi confère de vastes pouvoirs au ministre de l’Éducation en ce qui a trait aux conseils scolaires. Dans les faits, les conseils scolaires publics de l’Ontario sont des branches du gouvernement, du fait qu’ils « exercent des pouvoirs et des fonctions confiés par les législatures provinciales dont ces dernières devraient autrement se charger » (Chamberlain, par. 121, citant Godbout, par. 51).
[80] Dans l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie‑Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295, aux par. 15‑16, la Cour a aussi clarifié que l’action gouvernementale qui est menée dans le cadre d’une « fonction publique » peut suffire à la faire entrer dans le champ de compétence du gouvernement et à l’assujettir à la Charte (UAlberta Pro‑Life c. Governors of the University of Alberta, 2020 ABCA 1, 98 Alta L.R. (6th) 252, par. 128). La Cour d’appel de l’Alberta, par exemple, a décrit de la façon suivante l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority comme un point de départ pour appliquer l’arrêt Eldridge : [traduction] « . . . le test pour l’application de l’art. 32 consiste en l’analyse de la décision Greater Vancouver Transportation Authority et repose sur la capacité d’identifier une sphère de politiques et d’objectifs gouvernementaux dont on peut dire que [l’entité] la met en œuvre pour l’État plus généralement et non uniquement à des fins internes » (UAlberta Pro‑Life, par. 139).
[81] L’enseignement public est une mission gouvernementale de par sa nature même. Il présente un caractère constitutionnel unique, comme en témoignent l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’art. 23 de la Charte. Les conseils scolaires publics de l’Ontario sont une émanation du gouvernement et, à ce titre, ils sont assujettis à la Charte selon le premier volet du test de l’arrêt Eldridge.
[82] Les conseils scolaires publics de l’Ontario ne tombent pas sous le coup du second volet du test de l’arrêt Eldridge. Ce ne sont pas des entités privées exerçant des activités gouvernementales. Toutes les activités menées par les conseils scolaires publics de l’Ontario sont susceptibles de faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte, y compris celles du directeur, en l’occurrence, dans la mesure où il agissait en sa qualité officielle de représentant du Conseil, de délégué désigné par la loi, [traduction] « et non en sa qualité personnelle » (Gillies, par. 40).
[83] Le cadre d’analyse de l’arrêt Eldridge a pour objet d’interpréter le par. 32(1) de manière à garantir que les gouvernements fédéral et provinciaux ne se dérobent pas aux obligations constitutionnelles que leur impose la Charte en déléguant leurs fonctions gouvernementales à des entités non gouvernementales, par exemple des entreprises privées (par. 40).
[84] L’analyse qui précède porte spécifiquement sur les conseils scolaires publics de l’Ontario. Il faudra attendre une autre occasion pour que nous nous prononcions sur l’applicabilité de la Charte aux écoles publiques d’autres provinces ou à la gestion des écoles privées.
C. L’arbitre a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais cadre d’analyse
[85] Lors de la promulgation de la Charte en 1982, son interaction avec les tribunaux administratifs, selon la formulation de la juge Abella, « restait à déterminer » (R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765, par. 3). Je m’appuie sur l’arrêt Conway pour affirmer que les tribunaux administratifs — et, par conséquent, l’arbitre dans la présente instance — sont non seulement compétents pour statuer sur une question soulevée se rapportant à la Charte, mais ils sont aussi chargés de le faire.
[86] Dans l’arrêt Conway, il a été établi qu’il n’était pas nécessaire de scinder les procédures lorsque se pose une question relative à la Charte (par. 22). Il a aussi été décidé que les principes régissant le pouvoir de réparation s’appliquent dans les deux forums; autrement dit, il n’y a pas une Charte pour les cours de justice et une autre pour les tribunaux administratifs (par. 20, citant Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), 1996 CanLII 152 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 854, par. 70, la juge McLachlin, dissidente).
[87] Pour déterminer si un tribunal est compétent pour trancher les questions relatives à la Charte, notre Cour doit se demander si le tribunal peut ou non trancher des questions de droit (Conway, par. 22). Si oui, il peut se prononcer sur les questions se rapportant à la Charte. L’arbitre en l’espèce satisfait à ce critère, puisqu’elle est investie de façon générale du pouvoir de répondre aux questions relatives à « tous les différends entre les parties que soulèvent l’interprétation, l’application, l’administration ou une prétendue violation de la convention collective, y compris la question de savoir s’il y a matière à arbitrage » (Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, c. 1, ann. A, par. 48(1)).
[88] En outre, le tribunal administratif possédant le pouvoir de trancher des questions de droit et dont la compétence constitutionnelle n’a pas été clairement écartée :
(1) peut résoudre une question constitutionnelle se rapportant à une affaire dont il est régulièrement saisi;
(2) doit agir conformément à la Charte et aux valeurs qui la sous‑tendent en s’acquittant de ses fonctions légales (Conway, par. 78).
[89] Les principes qui régissent le pouvoir de réparation découlant de la Charte s’appliquent tant aux cours de justice qu’aux tribunaux administratifs. Ces derniers devraient jouer un rôle de premier plan dans le règlement des questions liées à la Charte et relevant de leur compétence particulière (c.‑à‑d. lorsque le caractère essentiellement factuel relève de la compétence spécialisée que lui confère la loi). En exerçant son pouvoir discrétionnaire légal, le tribunal administratif doit respecter la Charte (Conway, par. 20‑21 et 78‑81).
[90] Il s’agit, notamment, d’une question d’accès à la justice. La solution qui consiste à permettre aux Canadiens de faire valoir les droits que leur garantit la Charte devant le tribunal qui est le plus à leur portée comporte des avantages pratiques et un fondement constitutionnel (Conway, par. 79). Il est possible de faire valoir les droits protégés par la Charte en faisant usage des pouvoirs et des processus prévus par la loi, ce qui signifie que le demandeur n’a pas à présenter une demande distincte devant les tribunaux pour que ses droits protégés par la Charte soient respectés (Conway, par. 103).
[91] Lorsqu’un droit protégé par la Charte s’applique, le décideur administratif doit effectuer une analyse conforme à la disposition pertinente de la Charte. Les tribunaux administratifs sont habilités — et, pour assurer l’administration efficace de la justice, appelés — à procéder à une analyse conforme à la Charte lorsque les droits constitutionnels du demandeur s’appliquent (Conway, par. 78‑81; R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409, par. 52). Il revenait donc à l’arbitre de traiter proactivement de la question de l’art. 8 soulevée par les faits à l’origine du grief. Il ne suffit pas de s’en remettre à un cadre d’analyse distinct de [traduction] « common law arbitrale bien développée » en matière de droit à la vie privée, ou à un autre cadre, comme l’a fait l’arbitre en l’espèce (m.a., par. 13). Comme je l’ai expliqué, la Charte de même que la jurisprudence pertinente portant sur l’art. 8 étaient des contraintes juridiques qui s’appliquaient à la décision de l’arbitre (Vavilov, par. 101). Autrement dit, l’arbitre devait trancher le grief en respectant les exigences de l’art. 8. Pour ce faire, elle aurait dû s’appuyer à la fois sur l’ensemble des décisions arbitrales pertinentes et sur la jurisprudence relative à l’art. 8.
[92] L’arbitre a abordé sa tâche différemment. Elle a effectué son analyse en opposant les droits de la direction, d’une part, aux droits des employés en matière de respect de la vie privée, d’autre part. Or, les arbitres ne peuvent pas passer outre les exigences de la Charte lorsque celle‑ci s’applique, en traitant la question au regard d’un autre cadre d’analyse, et ce, même si les parties y consentent.
[93] Cela étant dit, l’art. 8 fait intervenir une analyse éminemment contextuelle, en ce sens qu’elle comporte des limites internes. Pour respecter ces dernières, les arbitres peuvent légitimement tenir compte du contexte du travail, y compris de la convention collective. Mais ils doivent tout de même effectuer une analyse conforme à l’art. 8.
[94] L’appelant et mes collègues suggèrent que, bien que l’arbitre n’ait pas dit qu’elle procédait à une analyse fondée sur l’art. 8, en réalité, c’est ce qu’elle a fait. Cela n’est pas convaincant. Premièrement, et avant tout, suivant le cadre d’analyse prescrit par l’arrêt Vavilov, je suis tenu de prendre en considération la justification de la décision qu’a réellement donnée le décideur, et non celle qu’il aurait pu donner, mais qu’il n’a pas fournie. Lorsqu’un droit protégé par la Charte s’applique, il ne suffit pas que l’arbitre ait fait référence à la jurisprudence relative à la Charte. Toute action administrative doit, nécessairement, toujours respecter la Constitution (Vavilov, par. 56). Cependant, lorsqu’un droit protégé par la Charte s’applique, il doit être clairement reconnu et analysé. Bien que je reconnaisse que la justice administrative ne prenne pas toujours la forme de la justice judiciaire, nulle part dans sa décision, que celle‑ci soit lue de manière fonctionnelle ou holistique, l’arbitre n’indique‑t‑elle qu’elle prenait en compte le droit des plaignantes protégé par l’art. 8 de la Charte. Cela découle du fait qu’elle n’a pas su reconnaître que ce droit était directement en cause et a plutôt mené son analyse entièrement dans le cadre arbitral et examiné le droit au respect de la vie privée des plaignantes par la lorgnette de la common law. Cette erreur est fatale. Outre l’application du mauvais cadre d’analyse, l’erreur de l’arbitre a été aggravée par sa mauvaise compréhension de la méthode de la neutralité du contenu, du concept des renseignements biographiques d’ordre personnel et de la théorie des objets bien en vue appliquée dans la jurisprudence relative à l’art. 8, comme l’ont fait remarquer la juge dissidente de la Cour divisionnaire ainsi que la Cour d’appel. En somme, l’arbitre n’a pas fait ce qu’elle était tenue juridiquement de faire, c’est‑à‑dire appliquer le droit prévu à l’art. 8 de la Charte.
[95] Ayant conclu que la décision de l’arbitre était erronée en droit, la réparation appropriée consisterait à annuler cette décision et à renvoyer l’affaire à l’arbitre pour réexamen. Toutefois, comme la question est maintenant devenue sans objet, je suis d’avis de simplement annuler la décision de l’arbitre et d’en rester là.
[96] Cela dit, la Cour a reçu de nombreuses observations concernant l’art. 8 et le droit des employés des écoles au respect de la vie privée plus largement. De plus, la Cour divisionnaire et la Cour d’appel se sont penchées longuement sur la question. Pour cette raison et compte tenu de l’utilité pratique de proposer certaines balises en la matière, je vais maintenant formuler quelques remarques incidentes.
D. Les enseignants des écoles publiques ont, en application de l’art. 8 de la Charte, droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives en milieu de travail
[97] Comme je l’ai indiqué, les conseils scolaires publics de l’Ontario font partie du gouvernement au sens voulu pour l’application de l’art. 32 de la Charte; par conséquent, leurs employés, y compris les enseignants, jouissent, en application de l’art. 8 de la Charte, du droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives en milieu de travail. Notre Cour a reconnu que la protection conférée par l’art. 8 de la Charte s’applique au‑delà du contexte criminel et quasi criminel (voir R. c. McKinlay Transport Ltd., 1990 CanLII 137 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 627 (application de l’art. 8 à la production de documents sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.)); et Comité paritaire de l’industrie de la chemise c. Potash, 1994 CanLII 92 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 406 (application de l’art. 8 aux inspections sur les lieux de travail en application d’une loi provinciale)).
[98] Les décisions pénales rendues par notre Cour, comme R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128, et particulièrement dans le contexte scolaire, comme l’arrêt Cole, peuvent aider à déterminer l’existence et l’étendue d’attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée en contexte de travail. Les tribunaux devraient toutefois faire preuve de prudence lorsqu’ils transposent le cadre d’analyse de l’art. 8 du contexte du droit pénal à celui du monde du travail. Ce premier contexte ne saurait être facilement comparé à celui dans lequel un directeur exerce ses fonctions dans le cadre du rôle que lui confie la loi en matière de maintien de l’ordre dans son école. Les seuils applicables en droit criminel — et les considérations liées à l’urgence et aux objectifs d’application de la loi — ne devraient pas être le point de départ de l’analyse en contexte de travail. En effet, dans ce contexte, ce sont plutôt les réalités opérationnelles et les politiques et pratiques de l’employeur qui peuvent être utiles pour déterminer si l’attente en matière de respect de la vie privée de l’employé était raisonnable (Cole, par. 54).
[99] La jurisprudence en droit criminel ne devrait pas être transposée sans discernement aux affaires non criminelles. L’analyse fondée sur l’art. 8, étant contextuelle, doit être adaptée aux réalités du monde du travail. Par exemple, notre Cour a écarté la nécessité pour les autorités scolaires d’obtenir un mandat avant de procéder à la fouille d’élèves. Dans l’arrêt M. (M.R.), le juge Cory, qui s’exprimait au nom des juges majoritaires, a expliqué que cette exigence du droit criminel était irréalisable dans l’environnement scolaire parce que les administrateurs « doivent pouvoir répondre rapidement et efficacement aux problèmes qui surgissent dans leur école » (par. 45).
[100] En ce qui concerne l’adaptation de l’analyse au contexte du travail, par exemple, je suis d’accord avec le procureur général de l’Ontario selon lequel les milieux de travail varient quant à leur degré d’encadrement, et les conséquences disciplinaires sont moins graves que lorsque la responsabilité pénale est engagée dans le contexte criminel (voir m. interv., par. 19‑23).
(1) Définir l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée
[101] Que ce soit dans un contexte criminel ou dans un autre, l’analyse fondée sur l’art. 8 se décline en deux étapes : le tribunal doit d’abord déterminer s’il y a une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, et, ensuite, si la fouille, la perquisition ou la saisie était raisonnable (R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 18, citant R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281, p. 293).
[102] La réponse à la question de savoir si la mesure prise par l’État a porté atteinte à une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée dépend de « l’ensemble des circonstances ». Cette réponse permet de déterminer à la fois l’existence et l’étendue de l’attente en question. Quatre questions guident l’application du critère :
(1) l’examen de l’objet de la fouille;
(2) la question de savoir si le demandeur possédait un droit direct à l’égard de l’objet;
(3) la question de savoir si le demandeur avait une attente subjective en matière de respect de sa vie privée relativement à l’objet;
(4) la question de savoir si cette attente subjective en matière de respect de la vie privée était objectivement raisonnable
(Tessling, par. 31‑32; R. c. Gomboc, 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211, par. 18 et 78; Cole, par. 40; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, par. 27).
[103] Inévitablement, la nature de l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée dépend du contexte. Ainsi, les réalités opérationnelles de même que les politiques et pratiques de l’employeur peuvent avoir une incidence sur le caractère raisonnable de l’attente de l’employé en matière de respect de sa vie privée (Cole, par. 54). Par exemple, dans l’affaire Cole, notre Cour a reconnu que le stockage de renseignements personnels dans un ordinateur appartenant à l’employeur et l’existence d’une politique stipulant que les données ainsi stockées étaient la propriété de l’employeur auraient tendance à diminuer l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée (par. 52). En revanche, le fait de permettre aux employés d’utiliser à des fins personnelles l’ordinateur portable fourni pour leur travail militerait en faveur de l’existence d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée (par. 54).
(2) Déterminer le caractère abusif ou non d’une fouille
[104] Dans le contexte criminel, une fouille, une perquisition ou une saisie n’est pas abusive si (1) elle est autorisée par la loi, (2) la loi elle‑même n’a rien d’abusif, et (3) la fouille, la perquisition ou la saisie n’a pas été effectuée d’une manière abusive (Collins, p. 278). À l’instar du premier volet de l’analyse fondée sur l’art. 8, le cadre d’analyse prescrit par l’arrêt Collins exige une évaluation contextuelle. « [Une fouille] qui peut être raisonnable en matière réglementaire ou civile peut ne pas l’être dans un contexte criminel ou quasi criminel » (Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425, p. 495‑496, la juge Wilson, dissidente). Dans l’arrêt M. (M.R.), notre Cour a implicitement adapté le test de l’arrêt Collins pour déterminer si « la fouille effectuée par un enseignant ou un directeur dans l’environnement scolaire était raisonnable » (par. 54).
[105] Je m’empresse d’ajouter que ce qui peut être considéré comme proportionné dans un contexte criminel, où la responsabilité pénale est en jeu, peut être perçu différemment dans un contexte de relations de travail où les conséquences, bien que graves, ne menacent pas la liberté. Lorsqu’il s’interroge sur le caractère abusif ou non de la fouille contestée au deuxième volet de l’analyse fondée sur l’art. 8, l’arbitre devrait tenir compte des relations de travail à la lumière des dispositions des conventions collectives. La jurisprudence arbitrale existante sur la « mise en balance des intérêts », y compris la prise en compte des droits de la direction aux termes des dispositions de la convention collective, peut s’avérer pertinente pour cette mise en balance. Il existe une abondante jurisprudence arbitrale sur la protection du droit au respect de la vie privée dans le contexte des conventions collectives dont les arbitres peuvent à juste titre tenir compte pour procéder à une analyse fondée sur l’art. 8 (voir, p. ex., Doman Forest Products Ltd. and I.W.A., Loc. 1‑357, Re (1990), 1990 CanLII 12718 (BC LA), 13 L.A.C. (4th) 275 (C.‑B.); Toronto Transit Commission and A.T.U., Loc. 113 (Belsito) (Re) (1999), 1999 CanLII 35815 (ON LA), 95 L.A.C. (4th) 402 (Ont.)).
[106] La présente décision n’a pas pour effet d’invalider la jurisprudence arbitrale existante, mais plutôt de garantir qu’elle respecte les droits protégés par la Charte. La jurisprudence arbitrale englobe maintenant une quantité considérable de décisions qui témoignent d’une vaste expérience; cette jurisprudence continuera de jouer un rôle important dans le règlement des griefs découlant des conventions collectives. Toutefois, l’arbitre qui rend de telles décisions doit aussi suivre la directive donnée dans l’arrêt Conway pour analyser les droits garantis par la Charte lorsque ceux‑ci s’appliquent. L’arbitre doit en tenir compte dans sa décision sur le grief qui lui est soumis en application de la convention collective.
VII. Conclusion
[107] Le pourvoi est rejeté avec dépens. Il n’est pas nécessaire de renvoyer l’affaire à l’arbitre pour qu’elle l’examine de nouveau, puisque la question de la réprimande est devenue sans objet.
Version française des motifs rendus par
Les juges Karakatsanis et Martin —
I. Introduction
[108] Nous sommes d’accord avec les parties et avec le juge Rowe pour dire que la question de savoir si la Charte canadienne des droits et libertés s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario doit être décidée correctement. Nous convenons également que, selon le premier volet du cadre d’analyse établi par l’arrêt Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, la Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario et à l’ensemble de leurs activités (par. 44). Nous ne sommes toutefois pas d’accord avec la façon dont notre collègue propose de procéder à la révision[2] de la décision de l’arbitre.
[109] L’arbitre était appelée à déterminer si le droit au respect de la vie privée de deux enseignantes (les plaignantes) avait été violé et, par conséquent, si la convention collective avait été enfreinte. Les plaignantes réclamaient des mesures de réparation en application de leur convention collective; elles ne demandaient aucune réparation fondée sur la Charte. La jurisprudence de notre Cour sur l’art. 8 de la Charte a été spécifiquement plaidée par les parties et il ressort clairement de ses motifs que l’arbitre était consciente du fait que le cadre d’analyse du droit au respect de la vie privée prévu à l’art. 8 s’appliquait et constituait une contrainte qui avait une incidence sur sa décision. La question qui se pose dans le cadre du présent pourvoi est celle de savoir si l’arbitre s’est servi de ce cadre d’analyse de façon raisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce. Nous concluons, comme la juge Sachs, dissidente en Cour divisionnaire, que le raisonnement qu’a suivi l’arbitre ne respecte pas le principe de la neutralité du contenu, qui se situe au cœur de l’approche normative de l’art. 8 en matière de protection de la vie privée, et que sa décision est de ce fait déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
II. Norme de contrôle et cadre d’analyse applicable
[110] Notre collègue reproche à l’arbitre d’avoir « appliqu[é] le mauvais cadre d’analyse » et de ne pas avoir « réalis[é] [. . .] qu’un droit protégé par la Charte était en cause compte tenu des faits dont elle était saisie » (par. 63, 68-69, 85 et 94-95). Se fondant sur l’exception relative aux « questions constitutionnelles » à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui a été énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, notre collègue explique que la « question de la constitutionnalité dans le cadre d’un contrôle judiciaire — soit celle de savoir si un droit protégé par la Charte est en cause, de la portée de sa protection, et du cadre d’analyse approprié » est une question constitutionnelle qui requiert une réponse décisive et définitive de la Cour (par. 63). Il en conclut que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la révision de la décision de l’arbitre, parce qu’elle n’a pas compris que la Charte s’appliquait à la décision qu’elle était chargée de prendre.
[111] Nous ne sommes pas d’accord avec cet énoncé général de l’exception relative aux questions constitutionnelles ou avec la qualification de l’analyse au cœur du présent pourvoi. De toute évidence, la question de savoir si les enseignantes et enseignants ont droit au respect de la vie privée sur leur lieu de travail est une question qu’il convient de décider correctement pour tous. Nous sommes d’avis qu’ils y ont droit.
[112] Bien que nous soyons également d’accord avec notre collègue pour dire que toute analyse doit être conforme au cadre d’analyse fondé sur la Charte, les motifs de l’arbitre démontrent qu’elle a examiné les actes reprochés en se servant du cadre d’analyse applicable à l’art. 8 de la Charte comme pierre d’assise. Toutefois, le fait de procéder à l’examen en se concentrant sur la question de savoir si l’arbitre a posé la bonne question et d’effectuer la révision de sa décision selon la norme de la décision correcte outrepasse les exceptions justifiant le recours à cette norme définies par l’arrêt Vavilov. La question qui était soumise à l’arbitre était celle de savoir si le droit des plaignantes au respect de leur vie privée avait été violé. Cette question et son examen étaient fortement tributaires du contexte factuel et législatif en cause. Par conséquent, la présomption de révision selon la norme de la décision raisonnable s’applique.
A. L’arbitre a reconnu que l’art. 8 de la Charte était une contrainte juridique qui avait une incidence sur sa décision
[113] L’affaire a été plaidée devant l’arbitre en tant que grief syndical. Les parties ont centré leur attention sur les faits de l’affaire et sur la question de savoir si l’enquête menée par le Conseil appelant, qui s’était soldée par des mesures disciplinaires, avait enfreint la convention collective. L’arbitre était chargée de déterminer si le droit des plaignantes au respect de leur vie privée avait été violé et, dans le cadre de cette analyse, elle a reconnu que la Charte et la jurisprudence relative à l’art. 8 étaient des contraintes auxquelles elle était soumise.
[114] L’arbitre savait que les décideurs administratifs doivent agir conformément à la Charte et à ses valeurs lorsqu’ils s’acquittent des fonctions que leur confère la loi (R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765, par. 78; R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409, par. 52). La jurisprudence de notre Cour reconnaît que « [l]es droits garantis par la Charte peuvent être bien défendus par le recours aux pouvoirs et aux processus prévus par la loi » (Conway, par. 103; voir aussi le par. 5; Slaight Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077‑1078, adopté dans Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, p. 875; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 53‑56).
[115] La conformité à l’art. 8 de la Charte s’entend toutefois différemment selon le contexte (voir, de façon générale, N. Hasan et autres, Search and Seizure (2021), p. 294‑297; R. c. McKinlay Transport Ltd., 1990 CanLII 137 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 627, p. 644‑646; Comité paritaire de l’industrie de la chemise c. Potash, 1994 CanLII 92 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 406, p. 445‑447; R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154, p. 224‑227, le juge Cory; voir aussi 2022 ONCA 476, 340 L.A.C. (4th) 365, par. 3 et 42). Bien que les principes de l’art. 8 régissant les pouvoirs administratifs en matière de fouilles, de perquisitions et de saisies puissent être distincts sur le plan analytique lorsqu’ils s’appliquent à des enquêtes criminelles, la Charte et la jurisprudence relative à l’art. 8 constituaient des contraintes juridiques qui avaient une incidence sur le grief au sens du par. 105 de l’arrêt Vavilov.
[116] L’arrêt Vavilov nous enseigne que les décisions administratives doivent être examinées d’un point de vue fonctionnel, en s’attachant au fond et non à la forme. Les décisions administratives doivent être interprétées dans leur ensemble, et en fonction du contexte institutionnel et de l’historique de l’instance (par. 91, 94 et 99). « On ne peut pas toujours s’attendre à ce que les [administrateurs] déploient toute la gamme de techniques juridiques auxquelles on peut s’attendre de la part d’un avocat ou d’un juge », et cette réalité influe tant sur la forme que sur la teneur des motifs (par. 92). Le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne justifie pas à lui seul d’infirmer la décision (par. 91, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 16). En somme, les juridictions de révision doivent demeurer conscientes que cette « “justice administrative” ne ressemble pas toujours à la “justice judiciaire” » (par. 92).
[117] Si l’on interprète la décision de l’arbitre dans son ensemble, comme l’arrêt Vavilov le prescrit, en tenant également compte du contexte institutionnel et procédural dans lequel elle a été rendue, force est de constater que l’arbitre était pleinement consciente que la Charte et la jurisprudence relative à l’art. 8 avaient une incidence sur le grief dont elle était saisie. Le Conseil et le Syndicat intimé ont tous deux invoqué devant elle la jurisprudence relative à l’art. 8 (voir les motifs de l’arbitre : (2018), 294 L.A.C. (4th) 341, par. 171 et 179). Comme le fait remarquer le Syndicat, l’arbitre a cité la jurisprudence relative à l’art. 8 et a expressément reconnu que cette jurisprudence portait sur l’application de cette disposition de la Charte (voir les motifs de la C.A., par. 36; voir aussi le m.i., par. 31‑33). L’arbitre s’est penchée sur les concepts d’attente raisonnable au respect de la vie privée, d’attente raisonnable réduite en matière de respect de la vie privée, d’objets bien en vue et de renseignements biographiques d’ordre personnel.
[118] Nous ne pouvons donc pas partager l’avis de notre collègue selon lequel la décision doit être infirmée au motif que l’arbitre n’a pas expressément déclaré que l’art. 8 de la Charte s’appliquait ou qu’elle a mené son analyse « sans tenir compte » du cadre juridique applicable à une demande fondée sur l’art. 8 (motifs du juge Rowe, par. 5, 69 et 94). Cette conclusion s’attache à la forme, contrairement aux enseignements de l’arrêt Vavilov. À notre avis, pour rendre sa décision, l’arbitre a tenu compte des contraintes juridiques auxquelles elle était soumise.
B. Absence de fondement justifiant une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable
[119] L’arrêt Vavilov visait à proposer un cadre d’analyse stable permettant de déterminer et d’appliquer la norme de contrôle et à inciter les parties à plutôt centrer leur attention sur le fond de l’affaire (par. 69; voir aussi Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, par. 7). Notre Cour a confirmé l’existence d’une présomption générale de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et a dissuadé les juridictions de contrôle de disséquer les questions en sous‑questions et d’attribuer à ces dernières des normes de contrôle différentes en créant un nombre limité d’exceptions justifiant un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, par. 23, 33‑64 et 69).
[120] Selon l’arrêt Vavilov, le dénominateur commun des exceptions fondées sur la primauté du droit justifiant le recours à la norme de la décision correcte est la nécessité que les cours de justice « [aient] le dernier mot sur des questions à l’égard desquelles la primauté du droit exige une cohérence et une réponse décisive et définitive » (Vavilov, par. 53; voir aussi P. Daly, « Big Bang Theory : Vavilov’s New Framework for Substantive Review », dans C. M. Flood et P. Daly, dir., Administrative Law in Context (4e éd. 2022), 327, p. 346‑347). À l’intérieur de cette catégorie, les exceptions qui commandent le recours à la norme de la décision correcte dans le cas des questions constitutionnelles se justifient également par le souci de préserver l’uniformité et le caractère définitif des décisions et par la nécessité d’obtenir des réponses décisives :
L’examen des questions touchant au partage des compétences entre le Parlement et les provinces, au rapport entre le législateur et les autres organes de l’État, à la portée des droits ancestraux et droits issus de traités reconnus à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et à d’autres questions de droit constitutionnel nécessite une réponse décisive et définitive des cours de justice. Il faut donc continuer d’appliquer la norme de la décision correcte au moment d’examiner les questions de cette nature. [Nous soulignons; références omises.]
(Vavilov, par. 55)
[121] Fait important à signaler, dans l’arrêt Vavilov, notre Cour a également indiqué clairement que les questions constitutionnelles qui n’obligent pas les tribunaux à fournir des réponses décisives et définitives ne relevaient pas de l’exception à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov n’appuyait pas la tenue d’un examen selon la norme de la décision correcte pour toutes les causes où il était question de la Charte, et il en est encore ainsi aujourd’hui. Dans Vavilov, notre Cour a expressément établi une distinction entre « les cas où il est allégué que la décision administrative sous examen a pour effet de restreindre de façon injustifiable les droits consacrés par la [Charte] et les cas où le contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si l’une des dispositions de la loi habilitante de l’organisme décisionnel viole la Charte » (par. 57; voir aussi le par. 55; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec — Université Laval, 2020 QCCA 857, par. 29‑33 (CanLII)). Seuls ces derniers exigent des tribunaux qu’ils donnent une réponse décisive et définitive et, par conséquent, commandent le contrôle selon la norme de la décision correcte.
[122] Par conséquent, les décisions individualisées qui impliquent l’application de la Charte et qui sont intrinsèquement liées à un contexte factuel et législatif donné ne soulèvent généralement pas les mêmes craintes d’incohérence liées à la primauté du droit que celle qui a motivé, dans l’arrêt Vavilov, l’exception justifiant le recours à la norme de la décision correcte dans le cas des « questions constitutionnelles ». Comme l’explique le professeur Daly, [traduction] « les décisions individualisées quant à l’application appropriée de la Charte dans un contexte réglementaire particulier ne compromettent pas l’intégrité du système judiciaire : il peut être parfaitement légitime d’établir des équilibres différents dans des domaines réglementaires différents entre les droits individuels et l’intérêt du public » (p. 347). Cette explication reflète les fondements conceptuels du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, qui repose sur le principe général de la déférence et sur la reconnaissance que les cours de justice ne possèdent pas de monopole lorsqu’il s’agit de trancher des questions liées à la Charte dans le contexte administratif. Les décideurs administratifs ont le pouvoir et le devoir de tenir compte de la Charte lorsqu’ils s’acquittent de leurs fonctions légales (Conway, par. 78).
[123] Pour se prononcer sur l’application et la portée des droits garantis par la Charte, il est parfois nécessaire de procéder à un examen qui est fortement tributaire du contexte, comme l’illustre la présente affaire. Non seulement la fouille effectuée en milieu de travail diffère de celle à laquelle procèdent les policiers au cours d’une enquête criminelle, mais les questions auxquelles l’arbitre devait répondre en l’espèce étaient indissociables et dépendaient du contexte factuel et législatif de l’espèce (voir le m.interv., procureur général du Canada, par. 20). Par exemple, le directeur avait‑il porté atteinte aux attentes raisonnables des plaignantes en matière de respect de leur vie privée de sorte qu’une fouille avait été effectuée au sens de l’art. 8? Pouvait‑on dire que la fouille n’était pas abusive parce qu’elle était autorisée par la loi et qu’elle n’avait pas été effectuée d’une manière abusive? Pour répondre à ces questions, l’arbitre devait tenir compte des réalités du monde du travail dans le milieu de l’enseignement, de l’interprétation de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, c. E.2, du pouvoir par lequel cette loi permet d’effectuer des fouilles en milieu de travail dans les écoles et du caractère raisonnable de l’exercice, par le directeur de l’école, de ses pouvoirs à un endroit et un moment précis. Il convient de faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation que l’arbitre a faite de cette situation critique et spécifique, pour laquelle il n’existe pas de besoin pressant de créer une [traduction] « uniformité imposée par les tribunaux » (voir P. Daly, « Unresolved Issues after Vavilov » (2022), 85 Sask. L. Rev. 89, p. 106‑107).
[124] À notre avis, les affaires citées par notre collègue, au par. 66, sont distinguables du présent pourvoi et n’appuient pas le recours à la norme de contrôle de la décision correcte en ce qui concerne la façon dont les administrateurs doivent évaluer un droit garanti par la Charte dans un contexte factuel particulier.
[125] À notre avis, Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13, n’est pas analogue à la présente cause. Il y était question d’une contestation fondée sur la Charte de la constitutionnalité d’une disposition législative. Nous n’interprétons pas cette cause comme visant à effacer la distinction importante que la Cour a établie dans l’arrêt Vavilov entre la constitutionnalité d’une loi et l’effet d’une décision administrative sur les droits protégés par la Charte.
[126] Notre collègue invoque également l’arrêt Canadian Broadcasting Corp. c. Ferrier, 2019 ONCA 1025, 148 O.R. (3d) 705, et une cause qui le cite. Comme l’arrêt Ferrier n’a jamais fait l’objet d’un pourvoi devant notre Cour, nous nous abstenons de tout commentaire sur ses conclusions. Nous reconnaissons que les décisions administratives qui ont une incidence sur des droits protégés par la Charte peuvent soulever une question qui nécessite une réponse décisive et définitive au sens de l’arrêt Vavilov (par. 55). Nous le répétons, nous convenons qu’il soit nécessaire de répondre correctement à la question de savoir si la Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario. Soit dit avec respect, nous ne croyons toutefois pas que le principe qui exige l’application de la norme de la décision correcte aux affaires constitutionnelles régisse l’examen de savoir s’il a été porté atteinte au droit au respect de la vie privée dans les circonstances en cause.
[127] Nous n’acceptons pas non plus que les causes auxquelles les juges majoritaires ont fait référence constituent un courant jurisprudentiel en devenir qui requiert un examen selon la norme de la décision correcte lorsqu’il s’agit de déterminer si les faits soulèvent une question relative à un droit protégé par la Charte ou pose celle de la portée d’un tel droit. Une telle approche crée de l’incertitude quant à ce que cela signifie pour un droit protégé par la Charte d’être en cause, de « s’appliqu[er] », ou d’être « soulevé » par les faits (motifs du juge Rowe, par. 63 et 69). Cela mine le rajustement effectué minutieusement par l’arrêt Vavilov du cadre applicable quant à la norme de contrôle, selon lequel, clairement, ce ne sont pas toutes les causes portant sur l’interprétation constitutionnelle qui requiert un examen selon la norme de la décision correcte. Selon l’arrêt Vavilov, les questions concernant l’applicabilité et la portée d’un droit garanti par la Charte n’exigent pas toujours une réponse décisive et définitive. Comme nous l’avons expliqué, la décision et l’interprétation de l’arbitre étaient éminemment factuelles, en plus de dépendre d’un contexte législatif particulier et de concerner l’application de principes juridiques au grief dont elle était saisie.
[128] En somme, bien que nous convenions que la question de savoir si la Charte s’applique ou non aux conseils scolaires publics de l’Ontario soit une question constitutionnelle qui commande l’application de la norme de la décision correcte, nous estimons que la portée que notre collègue donne à la catégorie des « questions constitutionnelles » ne cadre pas avec les exceptions limitées à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable énoncées dans l’arrêt Vavilov. La question qui se pose en l’espèce est une question d’application : le droit des plaignantes au respect de leur vie privée a‑t‑il été violé s’agissant des fouilles spécifiques en question? Par conséquent, rien ne permet de réfuter la présomption établie dans l’arrêt Vavilov selon laquelle le présent pourvoi est régi par la norme de contrôle de la décision raisonnable.
III. Révision de la décision de l’arbitre selon la norme de la décision raisonnable
[129] Après avoir examiné les motifs de l’arbitre, nous concluons que la décision qu’elle a rendue n’est pas raisonnable compte tenu des contraintes qui avaient une incidence sur cette décision. L’arbitre s’est appuyée sur le contenu spécifique du journal électronique des plaignantes pour définir le droit au respect de la vie privée qui était en cause et pour décider si la fouille était ou non abusive. Le raisonnement qu’elle a suivi était incompatible avec l’approche large et basée sur la neutralité du contenu qu’exige le caractère normatif du cadre d’analyse de l’art. 8 pour évaluer le droit au respect de la vie privée en question.
A. Les motifs de l’arbitre
[130] Devant l’arbitre, le Syndicat a fait valoir que les plaignantes avaient une attente en matière de respect de leur vie privée à l’égard de leur journal électronique et que trois atteintes distinctes avaient été portées à cette attente. Le Conseil affirmait qu’aucune atteinte n’avait été portée au droit au respect de la vie privée parce qu’il n’y avait aucune attente en cette matière dans les circonstances et que, en tout état de cause, le directeur avait eu un motif raisonnable de faire mener une enquête et la fouille n’avait pas été abusive.
[131] Selon l’arbitre, la question en litige était celle de savoir si la fouille avait eu pour effet de violer le droit des plaignantes au respect de leur vie privée. Elle a en outre souligné que, pour établir une violation de ce droit, il faut d’abord établir qu’il existe une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée dans les circonstances.
[132] L’arbitre a examiné l’ensemble de la preuve, constituée de résumés de témoignages anticipés et d’affidavits, ainsi que de certains éléments de preuve recueillis lors de contre‑interrogatoires, et elle a analysé l’attente en matière de respect de la vie privée revendiquée par le Syndicat. Elle a ensuite exposé les principes juridiques sur lesquels reposaient l’art. 8 et la jurisprudence arbitrale, dans la mesure où ils étaient compatibles (voir, p. ex., le par. 259), avant d’appliquer ces principes aux faits dont elle était saisie. Rejetant le grief, l’arbitre a conclu qu’aucune atteinte n’avait été portée à l’attente raisonnable des plaignantes en matière de respect de la vie privée.
[133] Tout d’abord, l’arbitre a convenu avec le Syndicat que les plaignantes avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée dans les circonstances. Elle a précisé en quoi consistait l’objet de la fouille — le journal électronique — et a conclu que les plaignantes avaient un intérêt direct et une attente subjective en matière de respect de la vie privée à l’égard de l’objet en question. En ce qui concerne la question de savoir si cette attente était objectivement raisonnable, l’arbitre a examiné l’ensemble des circonstances, en l’occurrence le contrôle du journal électronique, le lieu de la fouille, le caractère privé du contenu du journal, la propriété de l’ordinateur portatif et les politiques applicables en vigueur dans le milieu scolaire (par. 199, 202‑203 et 208‑214). Ces facteurs l’ont amenée à conclure que les plaignantes avaient une attente raisonnable en matière de vie privée, mais que cette attente était réduite, car l’une des plaignantes avait laissé le journal électronique ouvert sur l’ordinateur portable dans la salle de classe.
[134] En ce qui concerne les violations alléguées, l’arbitre a examiné la conduite du directeur, en l’occurrence le fait qu’il avait touché le tapis de souris de l’ordinateur portatif et qu’il avait fait défiler le contenu du journal électronique et en avait pris des photos. Elle a examiné la sanction administrative précise infligée par le directeur et le contexte scolaire général dans lequel la sanction contestée avait été prise. Elle a identifié l’intérêt appuyé par la fouille — la collaboration et le maintien de l’ordre à l’école — et a conclu que la fouille était autorisée par la loi en vertu de l’art. 265 de la Loi sur l’éducation (par. 224, 230 et 247).
[135] L’arbitre s’est ensuite demandé si la fouille était abusive ou non en se concentrant sur ce que le directeur savait à ce moment‑là. Une grande partie de son analyse était axée sur l’enquête que le directeur avait fait mener au sujet des allégations d’inconduite au travail en milieu scolaire, à la lumière des objectifs de la Loi sur l’éducation qu’il cherchait à atteindre par la fouille. L’arbitre a examiné attentivement le contenu du journal électronique, observant qu’il ne révélait pas d’informations personnelles ou intimes. Plus précisément, elle a considéré que le journal électronique participait du [traduction] « jugement de valeur », et elle a conclu qu’il ne révélait pas de « renseignements personnels ou intimes sur l’une ou l’autre [des plaignantes] » (par. 246). En conséquence, l’arbitre a conclu que les renseignements en question [traduction] « n’étaient pas suffisamment » de nature biographique en ce qui concernait les plaignantes (par. 246‑247), que la fouille elle‑même n’était pas abusive, et que, par conséquent, aucune atteinte n’avait été portée au droit des plaignantes au respect de leur vie privée.
B. La décision de l’arbitre était déraisonnable
[136] Les parties soulèvent plusieurs questions concernant l’analyse du droit au respect de la vie privée effectuée par l’arbitre. D’un point de vue fonctionnel, une grande partie du raisonnement de l’arbitre est juste. Elle a tenu compte de l’application de l’art. 8 dans le contexte administratif qui lui était soumis et elle a établi des distinctions raisonnables entre la présente cause et les divers arrêts de principe. L’arbitre a identifié l’affaire R. c. M. (M.R.), 1998 CanLII 770 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 393, et elle a affirmé que celle-ci était semblable à la présente espèce en ce sens que la fouille en cause était autorisée par l’art. 265 de la Loi sur l’éducation. Elle a toutefois distingué l’affaire M. (M.R.) au motif qu’elle concernait une fouille effectuée dans le cadre d’une enquête pénale, ce qui faisait intervenir des enjeux différents au regard de l’art. 8. Elle a repéré des similarités et des différences entre la présente cause et l’affaire R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, qui, comme l’affaire M. (M.R.), concernait une fouille effectuée par des autorités scolaires dans le cadre d’une enquête pénale.
[137] Une des questions clés examinées par les juridictions inférieures concernait la façon dont l’arbitre avait interprété le contenu du journal électronique (motifs de la C.A., par. 53‑57 et 69‑70; 2020 ONSC 3685, 316 L.A.C. (4th) 1, par. 90‑99 et 147‑153). Le Syndicat intimé affirme que l’arbitre a examiné le droit des plaignantes au respect de leur vie privée à l’égard du journal électronique en se fondant sur ce que ce dernier révélait, et qu’elle a ensuite conclu qu’il était loin de concerner des renseignements biographiques d’ordre personnel des plaignantes (motifs de l’arbitre, par. 245‑247). Ce raisonnement est incompatible avec les exigences du principe de la neutralité du contenu qui sous‑tend le cadre d’analyse de l’art. 8. Le Conseil appelant affirme pour sa part qu’aucune erreur n’a été commise.
[138] Nous abondons dans le sens du Syndicat. Bien que les enquêtes de nature administrative et celles portant sur des lois ou règlements [traduction] « puissent faire intervenir des intérêts différents de ceux des enquêtes criminelles et qu’elles soient donc susceptibles d’impliquer une grille d’analyse constitutionnelle différente de celle des enquêtes criminelles » (Hasan et autres, p. 294), le principe de la neutralité du contenu représente un élément essentiel du caractère normatif du droit au respect de la vie privée.
[139] Selon l’ensemble des règles de droit qui avaient une incidence sur la décision de l’arbitre, le contenu effectif du journal électronique des plaignantes ne pouvait logiquement être pertinent pour répondre à la question qui était soumise à l’arbitre. La jurisprudence relative à l’art. 8 indique clairement que l’analyse de l’attente raisonnable des plaignantes en matière de respect de la vie privée ne dépendait pas du contenu effectif du journal électronique (voir Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 160; R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36, p. 49‑50; R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608, par. 31‑32; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, par. 32). Comme la Cour d’appel l’a bien précisé, ce qui importait, c’était la possibilité que la fouille révèle des renseignements biographiques d’ordre personnel au sujet des plaignantes.
[140] Pour que l’art. 8 puisse remplir comme il se doit sa fonction préventive, il doit être abordé de façon large et neutre. Ainsi que notre Cour l’a déclaré dans l’arrêt Cole, les renseignements que contiennent les appareils connectés à Internet, d’un point de vue normatif, tendent à révéler « nos intérêts particuliers, préférences et propensions », et se situent donc « au cœur même de l’“ensemble de renseignements biographiques” protégés par l’art. 8 » (par. 47-48, citant R. c. Morelli, 2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253, par. 105; voir aussi R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531, par. 33‑34). La conclusion contraire de l’arbitre, à savoir que le journal électronique n’était pas de nature suffisamment biographique quant aux plaignantes, est intenable à la lumière de cette proposition. Le raisonnement suivi par l’arbitre sur ce point ne cadre pas raisonnablement avec les objectifs normatifs du droit au respect de la vie privée.
[141] Il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par les parties ou mentionnées par la Cour d’appel, qui a appliqué la norme de révision de la décision correcte dans son analyse, pour conclure que la décision était déraisonnable. Nous sommes convaincues que le fait que l’arbitre a tenu compte du contenu du journal électronique est un élément central et important qui rend sa décision, dans son ensemble, déraisonnable (Vavilov, par. 100).
IV. Conclusion
[142] Comme la juge dissidente de la Cour divisionnaire l’a reconnu, il ne convient pas de renvoyer l’affaire à l’arbitre pour un nouvel arbitrage, puisque les faits remontent à une dizaine d’années, que l’affaire a jusqu’ici fait l’objet de multiples procédures, et que son renvoi dans ces circonstances soulèverait des questions en ce qui concerne l’utilisation efficace des ressources publiques (voir Vavilov, par. 142). Le Syndicat réclamait des précisions sur la question de savoir si les enseignantes et les enseignants possèdent, en vertu de l’art. 8, un droit au respect de la vie privée en milieu de travail et il sollicitait le rejet du présent pourvoi. Le Syndicat dispose donc des présents motifs, dans lesquels notre Cour explique pourquoi elle estime que l’art. 8 de la Charte s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario, et de la décision de la Cour d’appel selon laquelle il y a eu violation du droit des plaignantes au respect de leur vie privée.
[143] Pour ces motifs, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelant : Hicks Morley Hamilton Stewart Storie, Toronto.
Procureurs de l’intimée : Goldblatt Partners, Toronto.
Procureurs de l’intervenant le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada — Bureau régional de la Colombie‑Britannique, Vancouver; Ministère de la Justice Canada — Bureau régional de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario — Direction du droit constitutionnel, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Ministère de la Justice du Québec — Direction du droit constitutionnel et autochtone, Québec.
Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Olthuis van Ert, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante British Columbia Teachers’ Federation : British Columbia Teachers’ Federation, Vancouver; Michael Sobkin Barrister & Solicitor, Ottawa.
Procureurs de l’intervenant Centre for Free Expression : Ryder Wright Holmes Bryden Nam, Toronto.
Procureurs de l’intervenant l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario : McCarthy Tétrault, Toronto.
Procureurs des intervenants Power Workers’ Union et la Société de professionnels unifiés : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto; Wright Henry, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Fédération de la police nationale : Nelligan O’Brien Payne, Ottawa.
Procureurs de l’intervenant Ontario Principals’ Council : Jones Pearce, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats d’employeurs : Baker & McKenzie, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Egale Canada : Blake, Cassels & Graydon, Calgary; Blake, Cassels & Graydon, Toronto; Egale Canada, Toronto.
Procureurs de l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights : Ursel Philips Fellows Hopkinson, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Stockwoods, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Centrale des syndicats du Québec : Barabé Morin — Les services juridiques de la CSQ, Montréal.
Procureurs de l’intervenante Queen’s Prison Law Clinic : Jared Will & Associates, Toronto.
[1] L’expression « révision judiciaire » est utilisée dans la Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, c. J.1, de l’Ontario. Le synonyme « contrôle judiciaire » est également utilisé dans les présents motifs.
[2] L’expression « révision judiciaire » est utilisée dans la Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, c. J.1, de l’Ontario. Le synonyme « contrôle judiciaire » est également utilisé dans les présents motifs.
----------------------------------------------------
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------