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09/02/2022 | CANADA | N°2022CSC2

Canada | Canada, Cour suprême, 9 février 2022, R. c. Boulanger, 2022 CSC 2


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Boulanger, 2022 CSC 2

 

 
Appel entendu : 9 février 2022
Jugement rendu : 9 février 2022
Dossier : 39710


 
Entre :
 
Sa Majesté la Reine
Appelante
 
et
 
Marc-André Boulanger
Intimé
 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 


Jugement unanime lu par :
(par. 1 à 13)
 

Le juge Kasirer


 







Note : Ce do

cument fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 



Sa Majesté la Reine                                          ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Boulanger, 2022 CSC 2

 

 
Appel entendu : 9 février 2022
Jugement rendu : 9 février 2022
Dossier : 39710

 
Entre :
 
Sa Majesté la Reine
Appelante
 
et
 
Marc-André Boulanger
Intimé
 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Jugement unanime lu par :
(par. 1 à 13)
 

Le juge Kasirer

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

Sa Majesté la Reine                                                                                       Appelante
c.
Marc-André Boulanger                                                                                       Intimé
Répertorié : R. c. Boulanger
2022 CSC 2
No du greffe : 39710.
2022 : 9 février.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel du québec
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Procès dans un délai raisonnable — Application du cadre énoncé dans l’arrêt Jordan pour établir s’il y a eu violation de l’art. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés — Qualification de deux délais particuliers — Arrêt des procédures ordonné par le juge de première instance confirmé.
Jurisprudence
                    Arrêt appliqué : R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; arrêts mentionnés : R. c. G.F., 2021 CSC 20; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, 44 C.R. (7th) 83; R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659; R. c. K.G.K., 2020 CSC 7; R. c. K.J.M., 2019 CSC 55.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 11b).
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Chamberland, Moore et Cournoyer), 2021 QCCA 815, [2021] AZ‑51766617, [2021] J.Q. no 5447 (QL), 2021 CarswellQue 6162 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Garneau, 2019 QCCQ 16135, [2019] AZ‑51770107, [2019] J.Q. no 27825 (QL), 2019 CarswellQue 18799 (WL Can.). Pourvoi rejeté.
                    Jason Vocelle Lévesque et Jade Coderre, pour l’appelante.
                    Nicholas St‑Jacques et Lida Sara Nouraie, pour l’intimé.
                    Le jugement de la Cour a été rendu oralement par
[1]               Le juge Kasirer — Le ministère public se pourvoit à l’encontre d’une décision majoritaire de la Cour d’appel du Québec qui confirme, au profit de l’intimé, un arrêt des procédures ordonné en raison de la violation du droit constitutionnel de ce dernier d’être jugé dans un délai raisonnable. Les juges majoritaires constatent un délai net de 35 mois et 2 jours (1066 jours), qui dépasse le plafond fixé dans R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631.
[2]               L’appel vise à déterminer si deux délais particuliers — une première période de 84 jours et une seconde de 112 jours — doivent être attribués à la défense en raison de sa conduite.
[3]               Concernant la période de 84 jours, nous partageons l’avis du juge Chamberland, dissident en Cour d’appel, que le délai entre le 1er mars et le 24 mai 2018 résulte de la conduite illégitime de la défense et, de ce fait, qu’il doit être attribué à l’intimé.
[4]               Certes, la qualification des délais est une question de droit, et le juge de première instance n’était pas lié par l’admission de l’intimé à cet égard. Toutefois, le juge de première instance ne fournit aucune explication, ne serait‑ce qu’implicite, permettant de comprendre pourquoi il rejette l’admission pour cette période (motifs du juge Chamberland, par. 173). Il était particulièrement important que le juge de première instance, ayant choisi d’aller à l’encontre de la suggestion des parties et en l’absence de soumissions de leur part sur ce point précis, fournisse des motifs permettant de comprendre sa décision et pourquoi il a décidé ainsi (voir R. c. G.F., 2021 CSC 20, par. 71‑74). Avec égards, il ne l’a pas fait.
[5]               Par ailleurs, comme le laisse entendre le juge dissident, il ne suffit pas que la démarche de l’intimé soit légitime pour que le délai ne lui soit pas imputable. En l’espèce, c’est la manière dont la défense s’est conduite au regard de sa requête en décaviardage de la dénonciation qui est illégitime, notamment à cause de la tardiveté de la présentation de sa requête. Ce n’est que 15 mois après s’être fait remettre le document caviardé qu’elle a décidé de présenter sa requête, même si les parties débattaient depuis plusieurs mois déjà relativement au caviardage d’autres documents (motifs du juge Chamberland, par. 179‑184, s’appuyant à bon droit notamment sur R. c. Rice, 2018 QCCA 198, 44 C.R. (7th) 83, par. 60; voir aussi R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659, par. 32).
[6]               Dans les circonstances, l’entièreté du délai de 84 jours entre le 1er mars et le 24 mai 2018 est imputable à la défense. La requête en décaviardage de la dénonciation au soutien du mandat de perquisition et la requête en contestation du mandat lui‑même étaient intrinsèquement liées puisque, selon les dires de la défense, il n’était pas possible de procéder à l’audition en contestation du mandat sans régler le débat relatif au caviardage. En retardant le dépôt de la requête en décaviardage, l’intimé retardait nécessairement l’audience en contestation du mandat. L’intimé doit donc être tenu responsable du délai entre le jour où il a soulevé l’enjeu du décaviardage de la dénonciation (1er mars 2018) et le jour où la requête en contestation du mandat devait finalement être entendue (24 mai 2018).
[7]               En ce qui a trait à la deuxième période litigieuse, soit la période de 112 jours entre le 21 mai et le 10 septembre 2019, le moyen d’appel du ministère public doit être rejeté. Les juges majoritaires avaient raison d’intervenir, car ce délai n’était pas entièrement imputable à l’intimé, malgré l’indisponibilité de son avocate à certaines dates.
[8]               Certes, la Cour enseigne dans Jordan que lorsque le tribunal et le ministère public sont prêts à procéder mais la défense ne l’est pas, le délai qui en découle est imputable à cette dernière (par. 64). Tous les acteurs du système de justice criminelle, y compris la défense, doivent adopter une approche proactive afin de prévenir les délais inutiles en s’attaquant à leurs causes profondes (Cody, par. 36). Cela dit, dans certains cas, les circonstances peuvent justifier un partage de la responsabilité pour le délai entre ces acteurs, plutôt que l’attribution de l’entièreté du délai à la défense.
[9]               En l’espèce, les parties avaient demandé au juge, aussi tôt qu’en novembre 2018, d’ajouter une troisième date de procès en plus des deux dates déjà prévues en janvier 2019. Leur demande a été refusée. Lors de la première journée du procès en janvier 2019, il devient clair que les deux dates prévues seront insuffisantes, notamment en raison des changements de stratégie de la poursuite. Alors qu’ils discutent de dates potentielles pour la continuation du procès et que l’avocate de l’intimé informe le juge et la poursuite de son indisponibilité pour certaines dates en mai 2019, le juge propose une date en septembre 2019, sur laquelle il insiste, sans considérer la possibilité de continuer le procès à une date plus rapprochée où les parties étaient toutes deux disponibles. Le juge savait donc depuis le mois de novembre 2018 qu’une journée additionnelle serait nécessaire et, en janvier 2019, lorsqu’il évaluait les disponibilités potentielles pour la continuation du procès, la proximité de l’atteinte des plafonds fixés par l’arrêt Jordan devait être prise en compte (R. c. K.G.K., 2020 CSC 7, par. 61). Cela dit, ce n’est pas avant le 7 août 2019 que l’intimé fait part à la poursuite de son intention de déposer une requête en vertu de l’art. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, outre la conduite de l’avocate de la défense et les changements de stratégie de la poursuite, ce sont les délais institutionnels et le manque d’initiative du tribunal qui ont fait en sorte qu’aucune autre date n’a été offerte plus tôt (motifs du juge Cournoyer, par. 148).
[10]            Dans les circonstances particulières de cette affaire, nous estimons qu’il est « juste et raisonnable » de partager la responsabilité pour le délai de 112 jours et d’imputer à la défense jusqu’à la moitié du délai entre le 1er juin 2019 (le lendemain de la dernière date d’indisponibilité de l’avocate de l’intimé) et le 10 septembre 2019 (la date réelle de continuation du procès) (R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, par. 96). Même en calculant à partir de cette hypothèse, le délai total entre ces deux dates étant de 101 jours, nous lui attribuons 51 jours (1er juin au 22 juillet 2019). Il y a aussi lieu d’imputer à l’intimé un délai de 10 jours (entre le 21 mai et le 31 mai 2019), suivant la concession qu’il a effectuée en Cour d’appel (motifs du juge Cournoyer, par. 150, note 83).
[11]            Au final, outre la période identifiée par les juges majoritaires en appel, un délai de 84 jours (période du 1er mars au 24 mai 2018) et un délai de 61 jours (du 21 mai au 31 mai 2019 et du 1er juin au 22 juillet 2019) sont aussi imputables à la défense. Ceci porte le total de jours attribuables à la défense à 225 jours, et le délai net à 950 jours, soit plus de 31 mois. Le plafond Jordan de 30 mois est donc excédé et le délai est présumé déraisonnable. Aucune circonstance exceptionnelle n’a été soulevée pour justifier ce dépassement.
[12]            Il convient de souligner que l’intimé a été inculpé en juin 2016, proche de la date à laquelle l’arrêt Jordan a été rendu. On s’attend, aujourd’hui, à ce qu’une telle situation ne se reproduise pas.
[13]            Pour ces motifs, la Cour rejette l’appel et confirme l’arrêt des procédures ordonné par le juge de première instance.
                    Jugement en conséquence.
                    Procureur de l’appelante : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Joliette (Qc).
                    Procureurs de l’intimé : Joncas, Nouraie, Roy, Massicotte, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2022CSC2 ?
Date de la décision : 09/02/2022

Analyses

contestation du mandat ; première instance ; ministère public ; arrêt Jordan ; certaines dates ; plafonds fixés ; délais particuliers ; droit constitutionnel ; défense ; intimé ; parties ; procès ; poursuite ; décaviardage ; conduite ; initiative du tribunal


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Boulanger
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 9 février 2022, R. c. Boulanger, 2022 CSC 2


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-02-09;2022csc2 ?

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