COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Établissement de Mission c. Khela , 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502
Date : 20140327
Dossier : 34609
Entre :
Diane Knopf, directrice de l'Établissement de Mission, et
Howard Massey, directeur de l'Établissement Kent
Appelants
et
Gurkirpal Singh Khela
Intimé
- et -
Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, Société John Howard du Canada, Association canadienne des libertés civiles et
Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique
Intervenantes
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement :
(par. 1 à 99)
Le juge LeBel (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)
Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502
Diane Knopf, directrice de l'Établissement de Mission, et
Harold Massey, directeur de l'Établissement Kent Appelants
c.
Gurkirpal Singh Khela Intimé
et
Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry,
Société John Howard du Canada,
Association canadienne des libertés civiles et
Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique Intervenantes
Répertorié : Établissement de Mission c. Khela
2014 CSC 24
N o du greffe : 34609.
2013 : 16 octobre; 2014 : 27 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique
Tribunaux — Compétence — Habeas corpus — Transfèrement d'urgence non sollicité d'un détenu sous responsabilité fédérale d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale — Portée du pouvoir de révision d'une cour supérieure provinciale dans le cadre d'une demande d'habeas corpus avec certiorari auxiliaire relativement à la détention dans un pénitencier fédéral — Dans le cadre d'une demande d'habeas corpus, une cour supérieure provinciale peut‑elle se prononcer sur le caractère raisonnable d'une décision administrative de transférer un détenu à un établissement à sécurité plus élevée, ou cette tâche revient‑elle à la Cour fédérale dans le cadre d'un contrôle judiciaire?
Droit administratif — Droit carcéral — Équité procédurale — Obligation de communication — Portée de l'obligation de communication — Transfèrement d'urgence non sollicité d'un détenu sous responsabilité fédérale d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale — La décision relative au transfèrement satisfait‑elle aux exigences législatives en matière d'équité procédurale? — Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 , art. 27 à 29 — Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, art. 5, 13.
K est détenu dans un pénitencier fédéral et purge une peine d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré à l'Établissement Kent, en Colombie‑Britannique. Après trois ans dans cet établissement à sécurité maximale, il a été transféré à l'Établissement de Mission, un établissement à sécurité moyenne. En 2009, un détenu a été poignardé à l'Établissement de Mission. Environ une semaine plus tard, le Bureau du renseignement de sécurité de l'Établissement de Mission a reçu des renseignements impliquant K dans l'incident. Un rapport sur les renseignements de sécurité — contenant des renseignements selon lesquels K avait demandé à deux autres détenus de poignarder la victime en échange de trois grammes d'héroïne — a été rédigé. K a donc été transféré d'urgence et contre son gré à l'établissement à sécurité maximale après que la directrice eut réévalué sa cote de sécurité. Ce transfèrement a fait l'objet de la demande initiale d' habeas corpus présentée par K. Ce dernier a allégué que ce transfèrement à un établissement à sécurité plus élevée était déraisonnable, inéquitable sur le plan procédural et, par conséquent, illégal. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique et la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique ont toutes deux convenu que la demande d' habeas corpus de K devait être accueillie.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
La question soumise à la Cour est de savoir si, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus , une cour supérieure provinciale peut se prononcer sur le caractère raisonnable d'une décision administrative de transférer un détenu à un établissement à sécurité plus élevée, ou si cette tâche revient à la Cour fédérale dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. Un détenu peut opter pour la contestation du caractère raisonnable de la décision par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Il peut aussi, par une demande d' habeas corpus , obtenir l'examen du caractère raisonnable de la décision. Le « caractère raisonnable » constitue donc un doute valablement soulevé quant à la légalité de la privation de liberté dans le cadre d'une demande d' habeas corpus .
En raison de la souplesse et de l'importance du bref d' habeas corpus , ainsi que des motifs justifiant la confirmation de la compétence concurrente de la cour supérieure provinciale et de la Cour fédérale, il est clair que la révision de la légalité exigera parfois l'examen du caractère raisonnable de la décision. La jurisprudence de notre Cour confirme que la révision peut comporter l'examen du caractère raisonnable de la décision. Plus particulièrement, la reconnaissance du pouvoir des cours supérieures provinciales d'examiner le caractère raisonnable de la décision découle logiquement de la façon dont notre Cour a défini le recours et des limites imposées par les tribunaux quant aux moyens d'obtenir ce recours. Notre jurisprudence a reconnu que l' habeas corpus doit évoluer pour garantir que les objectifs sous‑jacents du recours continuent d'être respectés : nul ne devrait être privé de sa liberté sans que la loi l'autorise.
Plusieurs des principes qui favorisent la reconnaissance de la compétence concurrente de la cour supérieure provinciale et de la Cour fédérale entrent en jeu lorsqu'il faut déterminer la portée du pouvoir de révision d'une cour supérieure provinciale. Premièrement, chaque demandeur devrait pouvoir choisir son recours. Si l'audition d'une demande d' habeas corpus ne permet pas l'examen du caractère raisonnable de la décision sous‑jacente, le prisonnier privé de sa liberté en raison d'une décision déraisonnable ne peut plus choisir le recours qui lui permettra d'obtenir une réparation; il doit s'adresser à la Cour fédérale. Deuxièmement, rien ne permet de supposer que l'expertise de la Cour fédérale est plus grande que celle d'une cour supérieure lorsqu'il s'agit d'examiner la légalité d'une privation de liberté. Troisièmement, si le détenu ne peut obtenir, au moyen d'une demande d' habeas corpus , la révision de la décision possiblement déraisonnable le privant de sa liberté, il devra épuiser l'ensemble de la longue procédure de règlement de griefs prévue dans la loi pour faire entendre ses réclamations. Quatrièmement, le fait que les détenus aient accès dans leur région au recours en habeas corpus milite aussi en faveur de l'inclusion d'un examen du caractère raisonnable de la décision. Cinquièmement, la nature non discrétionnaire de l' habeas corpus et la répartition des fardeaux de preuve lors de l'exercice de ce recours devraient favoriser le détenu qui prétend avoir été illégalement privé de sa liberté. Si le détenu devait s'adresser à la Cour fédérale pour déterminer si la privation de sa liberté était déraisonnable, le recours resterait discrétionnaire. De plus, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, il incomberait au demandeur de démontrer que la décision de le transférer était déraisonnable. Enfin, obliger les détenus à contester devant la Cour fédérale le caractère raisonnable d'une décision relative à un transfèrement pourrait conduire à un gaspillage des ressources judiciaires.
Le transfèrement sera illégal s'il ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il en sera de même pour une décision dénuée de justification, de transparence et d'intelligibilité. La décision sera légale si les motifs et le dossier de la décision étayent, effectivement ou en principe, la conclusion. Une décision est considérée comme déraisonnable et, partant, illégale, si les droits à la liberté d'un détenu sont sacrifiés en l'absence de toute preuve, sur la foi d'une preuve non fiable, d'une preuve non pertinente ou d'une preuve qui n'étaye pas la conclusion. La décision sur la fiabilité de la preuve exige de la déférence à l'égard du décideur, mais les autorités doivent tout de même expliquer en quoi la preuve offerte est digne de foi. Un examen visant à déterminer si une décision est raisonnable et, par conséquent, légale, appelle nécessairement la déférence. Une décision ordonnant un transfèrement non sollicité est néanmoins une décision administrative prise par un décideur possédant une expertise relative à un pénitencier en particulier. Examiner cette décision selon une norme autre que la norme de la décision raisonnable pourrait bien entraîner une microgestion des prisons par les tribunaux. L'application de la norme de la décision raisonnable ne devrait toutefois pas avoir pour effet de modifier la structure fondamentale ou les avantages du bref d' habeas corpus . Premièrement, les fardeaux de preuve habituels associés au bref continueront de s'appliquer. Deuxièmement, l' habeas corpus demeure non discrétionnaire en ce qui concerne la décision de réviser le dossier. Troisièmement, la possibilité de contester une décision au motif qu'elle est déraisonnable ne change pas nécessairement la norme de révision applicable aux autres lacunes de la décision ou du processus décisionnel. Par exemple, la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l'équité procédurale sera toujours celle de la « décision correcte ».
Il n'est pas nécessaire de savoir si la décision qu'a prise la directrice dans la présente affaire était illégale parce qu'elle était déraisonnable. La décision était illégale parce qu'elle était inéquitable sur le plan procédural. La loi en cause, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 (« LSCMLC »), indique les renseignements dont la communication est requise pour qu'une cour de révision déclare la décision relative au transfèrement équitable et, par conséquent, légale. L' article 27 de la LSCMLC guide le décideur et précise ces droits procéduraux . Pour garantir l'équité du processus de prise de décision qui mène au transfèrement, le par. 27(1) prévoit que tous les renseignements entrant en ligne de compte dans la prise de décision, ou un sommaire de ceux‑ci, doivent être communiqués au détenu, et ce, dans un délai raisonnable avant la prise de la décision finale. Il incombe au décideur de prouver qu'il a respecté le par. 27(1) .
Le régime législatif permet certaines exemptions à la lourde obligation de communication prévue aux par. 27(1) et (2) . Selon le par. 27(3) , si le commissaire a des motifs raisonnables de croire que la communication des renseignements prévue aux par. 27(1) ou (2) mettrait en danger a) la sécurité d'une personne, b) la sécurité du pénitencier, ou c) compromettrait la tenue d'une enquête licite, il peut refuser la communication de renseignements au détenu dans la mesure jugée strictement nécessaire à la protection des intérêts en danger. La décision de refuser la communication de renseignements conformément au par. 27(3) peut nécessairement être révisée par voie d' habeas corpus. Cette décision n'est pas indépendante de celle qui est prise au sujet du transfèrement en vertu de l' art. 29 de la LSCMLC . Si l'autorité correctionnelle ne se conforme pas à toutes les obligations que lui impose l' art. 27 , la cour de révision peut conclure que la décision relative au transfèrement est inéquitable sur le plan procédural, et la privation de liberté du détenu ne pourra être légale. Si le commissaire, ou son représentant, choisit de refuser la communication de renseignements au détenu en se fondant sur le par. 27(3) , il lui incombe alors d'invoquer cette disposition et de prouver qu'il avait des motifs raisonnables de croire que la communication de ces renseignements compromettrait l'un des intérêts mentionnés.
En l'espèce, il ressort clairement de l'examen du dossier que, lorsqu'elle a décidé le transfèrement, la directrice a pris en compte des renseignements qui n'ont pas été communiqués à K. Elle ne lui a pas non plus communiqué un sommaire satisfaisant des renseignements manquants. Le refus de communiquer ces renseignements n'était pas justifié aux termes du par. 27(3) . Si ce paragraphe n'est jamais invoqué, ou plaidé avec preuve à l'appui, rien ne permet de conclure que la directrice a eu raison de refuser au détenu la communication des renseignements pris en compte dans sa décision de le transférer. Par conséquent, la décision de la directrice ne satisfaisait pas aux exigences législatives en matière d'équité procédurale. La décision de transférer K de l'Établissement de Mission à l'Établissement Kent était en conséquence illégale. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a donc eu raison d'accueillir la demande d' habeas corpus et K a été valablement renvoyé dans un établissement à sécurité moyenne.
Jurisprudence
Arrêts appliqués : May c. Établissement Ferndale , 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809; Cardinal c. Directeur de l'Établissement Kent , [1985] 2 R.C.S. 643; R. c. Miller , [1985] 2 R.C.S. 613; Morin c. Comité national chargé de l'examen des cas d'unités spéciales de détention , [1985] 2 R.C.S. 662; arrêts mentionnés : Borowski c. Canada (Procureur général) , [1989] 1 R.C.S. 342; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Bushell's Case (1670), Vaughan 135, 124 E.R. 1006; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui , [1980] 1 R.C.S. 602; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) , [1996] 1 R.C.S. 75; Mitchell c. La Reine , [1976] 2 R.C.S. 570; R. c. Gamble , [1988] 2 R.C.S. 595; R. c. J.P.G. (2000), 130 O.A.C. 343; Jones c. Cunningham , 371 U.S. 236 (1962); Peiroo c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 69 O.R. (2d) 253; Libo‑on c. Alberta (Fort Saskatchewan Correctional Centre) , 2004 ABQB 416, 32 Alta. L.R. (4th) 128; Goldhar c. The Queen , [1960] R.C.S. 431; Re Sproule (1886), 12 R.C.S. 140; Re Trepanier (1885), 12 R.C.S. 111; R. c. Secretary of State for the Home Department, ex parte Cheblak , [1991] 2 All E.R. 319; R. c. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Muboyayi , [1992] 1 Q.B. 244; R. c. Governor of Brixton Prison, Ex parte Armah , [1968] A.C. 192; R. c. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Khawaja , [1984] 1 A.C. 74; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor) , 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa , 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Lake c. Canada (Ministre de la Justice) , 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761; R. c. Stinchcombe , [1991] 3 R.C.S. 326; Ruby c. Canada (Solliciteur général) , 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; Knight c. Indian Head School Division No. 19 , [1990] 1 R.C.S. 653; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1999] 2 R.C.S. 817; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1992] 1 R.C.S. 711; Therrien (Re) , 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration) , 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 , 9 .
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 .
Habeas Corpus Act, 1679 (Angl.), 31 Cha. 2, ch. 2.
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 , art. 27 , 28 , 29 .
Loi sur les Cours fédérales , L.R.C. 1985, ch. F‑7 , art. 18 , 18.1(2) , (3) b ), (4) .
Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , DORS/92‑620, art. 5(1) b ), 13.
Règles de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en matière pénale , TR/97‑140, règle 4.
Règles des Cours fédérales , DORS/98‑106, règles 301 à 314.
Doctrine et autres documents cités
Blackstone, William. Commentaries on the Laws of England , vol. III. Oxford : Clarendon Press, 1768.
Canada. Service correctionnel. Directive du Commissaire 081 , « Plaintes et griefs des délinquants », 2014.
Canada. Service correctionnel. Directive du Commissaire 710‑2 , « Transfèrement de délinquants », 2010.
Cromwell, Thomas. « Habeas Corpus and Correctional Law — An Introduction » (1977), 3 Queen's L.J. 295.
Duker, William F. A Constitutional History of Habeas Corpus . Westport, Conn. : Greenwood Press, 1980.
Dyzenhaus, David. « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », in Michael Taggart, ed., The Province of Administrative Law . Oxford : Hart, 1997, 279.
Farbey, Judith, Robert J. Sharpe and Simon Atrill. The Law of Habeas Corpus , 3rd ed. New York : Oxford University Press, 2011.
Ford, Cristie. « Dogs and Tails : Remedies in Administrative Law », in Colleen M. Flood and Lorne Sossin, eds., Administrative Law in Context , 2nd ed. Toronto : Emond Montgomery, 2013, 85.
Halliday, Paul D. Habeas Corpus : From England to Empire . Cambridge, Mass. : Belknap Press, 2010.
Harvey, D. A. Cameron. The Law of Habeas Corpus in Canada . Toronto : Butterworths, 1974.
Mullan, David J. Administrative Law . Toronto : Irwin Law, 2001.
Parkes, Debra. « The “Great Writ” Reinvigorated? Habeas Corpus in Contemporary Canada » (2010), 36 Man. L.J. 351.
Sharpe, Robert J. « Habeas Corpus in Canada » (1976), 2 Dal. L.J. 241.
Sharpe, Robert J. The Law of Habeas Corpus , 2nd ed. New York : Oxford University Press, 1989.
Wade, H. W. R. « Habeas Corpus and Judicial Review » (1997), 113 L.Q.R. 55.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (les juges Smith, Chiasson et Groberman), 2011 BCCA 450, 312 B.C.A.C. 217, 531 W.A.C. 217, 246 C.R.R. (2d) 277, 27 Admin. L.R. (5th) 41, 90 C.R. (6th) 149, [2011] B.C.J. No. 2111 (QL), 2011 CarswellBC 3095, qui a infirmé en partie une décision de la juge Bruce, 2010 BCSC 721, 210 C.R.R. (2d) 251, 19 Admin. L.R. (5th) 173, [2010] B.C.J. No. 971 (QL), 2010 CarswellBC 1288. Pourvoi rejeté.
Anne M. Turley et Jan Brongers , pour les appelants.
Bibhas D. Vaze et Michael S. A. Fox , pour l'intimé.
Allan Manson et Elizabeth Thomas , pour les intervenantes l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et la Société John Howard du Canada.
D. Lynne Watt , pour l'intervenante l'Association canadienne des libertés civiles.
Michael Jackson , c.r. , et Joana G. Thackeray , pour l'intervenante l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
[1] Le présent pourvoi découle de la décision des autorités correctionnelles de procéder au transfèrement d'urgence non sollicité d'un détenu sous responsabilité fédérale d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale. En réponse à cette décision, le détenu a présenté une demande de réparation de la nature de l' habeas corpus , invoquant que la décision était déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural.
[2] Le présent pourvoi concerne l'état actuel du droit relatif au bref d' habeas corpus . Plus particulièrement, notre Cour doit préciser la portée du pouvoir de révision d'une cour supérieure provinciale dans le cadre d'une demande d' habeas corpus présentée par un détenu. La première question soumise à la Cour est de savoir si, dans le cadre d'une telle demande, une cour supérieure provinciale peut se prononcer sur le caractère raisonnable d'une décision administrative de transférer un détenu à un établissement à sécurité plus élevée, ou si cette tâche revient à la Cour fédérale dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. La seconde question a trait aux renseignements qui doivent être communiqués pour assurer l'équité procédurale des décisions de transfèrement.
[3] À mon avis, les cours supérieures peuvent, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus avec certiorari auxiliaire, examiner le caractère raisonnable d'une décision de transférer un détenu. Si la décision est déraisonnable, elle sera illégale. La nature du bref, la jurisprudence relative à ce dernier et l'importance d'un accès rapide à la justice pour les personnes illégalement privées de leur liberté appuient cette conclusion.
[4] En outre, il est bien établi que les cours supérieures saisies de demandes d' habeas corpus peuvent aussi examiner l'équité procédurale des décisions de transférer un détenu. La loi en cause, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 (« LSCMLC »), indique les renseignements dont la communication est requise pour qu'une cour de révision déclare une telle décision équitable et, par conséquent, légale.
[5] En l'espèce, les autorités correctionnelles n'ont pas respecté les exigences de la loi en matière de communication de renseignements. L'inobservation des exigences légales a rendu la décision inéquitable sur le plan procédural et, par conséquent, illégale. Vu cette conclusion, je suis d'avis de rejeter le pourvoi. Les jugements de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique et de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique sont bien fondés.
II. Contexte factuel
[6] L'intimé, M. Khela, est détenu dans un pénitencier fédéral. En 2004, il a commencé à purger à l'Établissement Kent, en Colombie‑Britannique, une peine d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré. Après trois ans dans cet établissement à sécurité maximale, il a été transféré à l'Établissement de Mission, un établissement à sécurité moyenne. Cependant, en février 2010, M. Khela a été transféré « d'urgence » et contre son gré à l'établissement à sécurité maximale après que la directrice eut réévalué sa cote de sécurité. Ce transfèrement a fait l'objet de la demande initiale d' habeas corpus présentée par M. Khela. Ce dernier a allégué que ce transfèrement à un établissement à sécurité plus élevée était déraisonnable, inéquitable sur le plan procédural et, par conséquent, illégal.
[7] Les événements suivants ont mené au transfèrement en question. Le 23 septembre 2009, un détenu a été poignardé à plusieurs reprises à l'Établissement de Mission. Environ une semaine plus tard, le Bureau du renseignement de sécurité de l'Établissement de Mission a reçu des renseignements impliquant M. Khela dans l'incident. Le 2 février 2010, ce bureau a rédigé un rapport sur les renseignements de sécurité (« rapport de sécurité ») qui contenait des renseignements selon lesquels M. Khela avait demandé à deux autres détenus de poignarder la victime en échange de trois grammes d'héroïne. En réaction à ce rapport de sécurité, M. Khela a immédiatement été transféré au pénitencier à sécurité maximale.
[8] Le 4 février 2010, M. Khela a reçu une « Évaluation en vue d'une décision » (« évaluation ») et un « Avis de recommandation d'un transfèrement d'urgence non sollicité » (« avis »). L'évaluation confirmait que [ traduction ] « [l]a principale raison du transfèrement d'urgence de M. Khela [tenait] au rapport sur les renseignements de sécurité [. . .] et au résultat des renseignements qu'il contenait », notamment que M. Khela y était désigné comme celui qui avait organisé l'agression. L'évaluation indiquait que la directrice avait conclu en ce sens sur le fondement de « renseignements glanés », soit des renseignements anonymes obtenus de « trois sources différentes ». L'évaluation ne contenait aucun détail au sujet des noms des indicateurs, de leurs propos ou des raisons pour lesquelles ces sources pouvaient être considérées comme fiables.
[9] L'avis remis à M. Khela confirmait que, même si on lui avait attribué une cote de sécurité « moyenne » selon l'échelle de réévaluation du niveau de sécurité (« ÉRNS ») du Service correctionnel du Canada (« SCC »), son équipe de gestion des cas avait recommandé que cette cote soit écartée et remplacée par la cote de sécurité « maximale ».
[10] Le 26 février 2010, M. Khela a présenté des observations écrites en réponse au transfèrement. Il a demandé qu'on lui communique la matrice de notation utilisée pour déterminer sa cote de sécurité conformément à l'ÉRNS ainsi que le rapport de sécurité, des renseignements expliquant pourquoi les « sources » devaient être considérées comme fiables et la façon dont la directrice avait déterminé leur fiabilité.
[11] Le 15 mars 2010, M. Khela a reçu, en réponse à ses observations, la feuille « Recommandation/décision » qui confirmait la décision définitive de la directrice de le transférer à l'établissement à sécurité maximale. Dans cette feuille, la directrice expliquait notamment pourquoi l'équipe de gestion du cas de M. Khela avait écarté sa cote de sécurité « moyenne ». Elle a également indiqué, en réponse à la remise en question, par M. Khela, de la crédibilité des sources, que [ traduction ] « les renseignements reçus et évalués par [l'agent du renseignement de sécurité étaient] considérés comme fiables, même si l'évaluation [. . .] mentionn[ait] seulement que les “renseignements prov[enaient] de sources” », du fait de l'expertise et des politiques des agents du renseignement de sécurité.
[12] Le 27 avril 2010, M. Khela a déposé devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique un avis de demande d'un bref d' habeas corpus . Le 11 mai 2010, la juge Bruce a entendu la demande. Dix jours plus tard, elle a accordé le bref et ordonné que M. Khela soit renvoyé dans la population générale de l'Établissement de Mission, l'établissement à sécurité moyenne. La légalité de la décision ordonnant le transfèrement fait l'objet du présent pourvoi.
A. Caractère théorique
[13] Il importe de signaler que ce pourvoi est désormais théorique sur le plan factuel. Le 23 juillet 2010, la directrice de l'Établissement de Mission a réattribué à M. Khela la cote de sécurité maximale. Du fait de cette décision, M. Khela a été renvoyé à l'Établissement Kent, l'établissement à sécurité maximale. Ce deuxième transfèrement a fait l'objet d'une autre demande d' habeas corpus qu'un juge de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejetée (2011 BCSC 577, 237 C.R.R. (2d) 15, par. 1, 58 et 89). Monsieur Khela n'a pas interjeté appel du rejet de cette demande. La Cour n'a donc pas à statuer sur la légalité de l'incarcération actuelle de M. Khela.
[14] Les circonstances de cette affaire méritent qu'une décision soit rendue malgré son caractère théorique. Les demandes d' habeas corpus relatives au transfèrement et à l'isolement des détenus sont telles que les faits afférents à chaque demande peuvent changer rapidement avant qu'une cour d'appel puisse examiner la décision du juge qui a entendu la demande. Ainsi, ces litiges sont souvent devenus théoriques avant d'être portés en appel — une situation « susceptible à la fois de se répéter et de ne jamais être soumise aux tribunaux » ( Borowski c. Canada (Procureur général) , [1989] 1 R.C.S. 342, p. 364). Tout comme dans les arrêts May c. Établissement Ferndale , 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809, par. 14, et Cardinal c. Directeur de l'Établissement Kent , [1985] 2 R.C.S. 643, p. 652, vu l'importance de ces questions et le fait qu'elles se posent rarement devant les cours d'appel, il convient en l'espèce de préciser le droit.
III. Historique judiciaire
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2010 BCSC 721, 210 C.R.R. (2d) 251
[15] La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a accueilli la demande d' habeas corpus de M. Khela (par. 64). La juge Bruce a d'abord statué que, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus , les cours supérieures provinciales sont autorisées à examiner le caractère raisonnable d'une décision de transférer un détenu prise par un directeur. S'appuyant sur les arrêts de notre Cour dans May et la « trilogie Miller » ( R. c. Miller , [1985] 2 R.C.S. 613, Cardinal , et Morin c. Comité chargé de l'examen des cas d'unités spéciales de détention , [1985] 2 R.C.S. 662), la juge Bruce a conclu que, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus , les cours supérieures provinciales et la Cour fédérale ont une compétence concurrente (par. 37) et que, par conséquent, les cours supérieures peuvent apprécier le caractère raisonnable de la décision en question. La juge Bruce a expliqué que le pouvoir discrétionnaire de refuser d'entendre une demande d' habeas corpus peut être exercé uniquement lorsque [ traduction ] « une loi investit une cour d'appel du pouvoir exclusif d'entendre un appel ou lorsqu'existe une procédure interne d'examen complet d'une décision administrative » (par. 38). Elle a conclu qu'une contestation du caractère raisonnable d'une décision n'appartient à aucune de ces catégories et, par conséquent, le caractère raisonnable constitue un motif légitime d'examen de la décision (par. 38‑40). Cependant, la juge Bruce a finalement décidé qu'il n'était pas nécessaire d'examiner les arguments de M. Khela selon lesquels la décision de le transférer était déraisonnable, car elle avait déjà conclu que le transfèrement était illégal en raison de la communication de renseignements insuffisants.
[16] Selon la juge Bruce, l'obligation légale de communiquer des renseignements prévue au par. 27(1) de la LSCMLC est [ traduction ] « onéreuse, substantielle, imposante » et « renforcée par l'obligation d'équité prévue par la common law » (par. 44). De plus, elle a souligné que la Directive du commissaire 710‑2 , « Transfèrement de délinquants », exige la communication explicite des détails sur les incidents et des renseignements ayant entraîné une recommandation de transfèrement. La juge Bruce a conclu que la directrice avait omis de démontrer qu'elle s'était acquittée de son obligation de communication « autant que possible » (par. 46 et 59). Plus particulièrement, à son avis, la directrice avait, de façon injustifiable, omis de communiquer les déclarations faites par les sources anonymes, les renseignements relatifs à la fiabilité de ces sources anonymes, ainsi que la matrice de notation qui sous‑tend l'ÉRNS (par. 51 et 56).
[17] La juge Bruce a également jugé que le par. 27(3) de la LSCMLC ne confère le pouvoir d'empêcher la communication de renseignements que dans la mesure jugée strictement nécessaire à la protection d'une personne, à la sécurité du pénitencier ou à la tenue d'une enquête licite. Elle a affirmé qu'un directeur qui empêche la communication de renseignements pour l'une de ces raisons doit invoquer ce paragraphe et prouver au tribunal que le refus de communiquer ces renseignements était justifié. La juge Bruce a fait remarquer que la directrice n'avait pas invoqué le par. 27(3) ni présenté aucun élément de preuve justifiant son refus de communiquer les renseignements. En conséquence, « tous les renseignements entrant en ligne de compte » n'avaient pas été communiqués à M. Khela. La juge Bruce a conclu que la décision de la directrice était [ traduction ] « nulle pour défaut de compétence » en raison de cette omission de communiquer tous les renseignements (par. 64). Elle a ordonné que M. Khela soit renvoyé dans la population générale de l'Établissement de Mission.
B. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, 2011 BCCA 450, 312 B.C.A.C. 217
[18] La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a accueilli l'appel, mais seulement pour limiter l'ordonnance de la juge Bruce à une déclaration que l' habeas corpus était accordé et que M. Khela devait être renvoyé à un établissement à sécurité moyenne (par. 95). En effet, le juge Chiasson a conclu qu'il n'était ni nécessaire ni souhaitable d'indiquer que le transfèrement était [ traduction ] « nul pour défaut de compétence ». La Cour d'appel s'est toutefois dite essentiellement d'accord avec la décision de la juge Bruce.
[19] La Cour d'appel a conclu que les détenus transférés d'un établissement à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale peuvent demander l' habeas corpus devant une cour supérieure provinciale au motif que la décision de transférer était déraisonnable. Selon le juge Chiasson, une décision déraisonnable est une décision illégale et, par conséquent, l' habeas corpus constitue une réparation possible (par. 66). Il a également expliqué que la norme du caractère raisonnable est la norme de contrôle applicable dans le cadre d'une demande d' habeas corpus qui vise l'examen au fond de la décision sous‑jacente, et qu'il faut faire preuve d'un degré élevé de déférence envers les personnes chargées de l'administration des établissements pénitentiaires (par. 69-70).
[20] La Cour d'appel a aussi examiné la question de la communication des renseignements. D'après le juge Chiasson, un directeur d'établissement pénitentiaire est légalement tenu de communiquer au demandeur qui se trouve dans la situation de M. Khela tous les renseignements pris en compte dans sa décision, ou un sommaire de ceux‑ci (par. 42). Cependant, il n'admettait pas que le directeur devait, « autant que possible », communiquer la nature et les détails des événements menant à la décision (par. 43). Le juge Chiasson a plutôt estimé qu'un résumé des faits essentiels de l'incident ayant mené au transfèrement suffit pour que le détenu soit informé de la preuve produite contre lui (par. 43). Il a ajouté que le par. 27(3) de la LSCMLC permet de justifier le refus de communiquer des renseignements. Cependant, il a souligné que la loi prescrit aussi au directeur d'invoquer cette disposition et d'établir l'existence de motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire de refuser la communication de certains renseignements dans les circonstances.
[21] Appliquant cette norme légale, le juge Chiasson a estimé que, compte tenu des exigences légales et de la common law, les renseignements communiqués à M. Khela ne suffisaient pas (par. 55). Plus particulièrement, le juge Chiasson a affirmé que la juge Bruce n'avait pas conclu à tort que M. Khela aurait dû recevoir plus d'informations relatives aux sources des renseignements pris en compte par la directrice. Par conséquent, le juge a décidé que la directrice n'avait pas respecté la loi et, partant, que le transfèrement était inéquitable sur le plan procédural et, donc, illégal. Il a donc souscrit à la décision de la juge Bruce d'accueillir la demande d' habeas corpus .
IV. Questions en litige et positions des parties
[22] Le présent pourvoi soulève trois questions fondamentales :
a) Quelle est la portée du contrôle relatif à une demande d' habeas corpus avec certiorari auxiliaire relativement à la détention dans un pénitencier fédéral? Plus particulièrement, le contrôle relatif à telle demande permet‑il l'examen du caractère raisonnable de la décision?
b) Quelle est la portée de l'obligation de communication prévue à l' art. 27 de la LSCMLC ?
c) En l'espèce, existait‑il des motifs de conclure que la décision était illégale et de décerner le bref d' habeas corpus ?
[23] À propos de la première question, les appelants plaident que, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus dans ce contexte, le pouvoir de révision d'une cour supérieure provinciale se limite à déterminer si la décision était « légale ». Selon les appelants, le bien‑fondé de la décision sous‑jacente n'a pas d'incidence sur cet examen. Seule la Cour fédérale peut apprécier le caractère raisonnable des décisions administratives fédérales. Par contre, l'intimé soutient qu'une cour supérieure peut, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus , examiner le caractère raisonnable d'une décision correctionnelle qui entraîne une privation de liberté.
[24] Les intervenantes appuient en grande partie cette prétention de M. Khela. L'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique (« ALCCB ») plaide que les cours supérieures provinciales saisies de demandes d' habeas corpus doivent pouvoir procéder à une révision rigoureuse pour déterminer si une décision était « légale ». L'ALCCB indique néanmoins qu'il ne faut pas permettre aux cours supérieures de se livrer à un [ traduction ] « examen approfondi du “caractère raisonnable” ». Selon l'Association canadienne des libertés civiles (« ACLC »), l' habeas corpus doit être interprété de manière à tenir compte des besoins particuliers d'une personne illégalement privée de sa liberté, lorsqu'il est employé pour accorder une réparation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés . Pour ce faire, les cours supérieures doivent pouvoir examiner le bien‑fondé de la décision sous‑jacente. Enfin, la Société John Howard du Canada et l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry soutiennent que l'interprétation que donnent les appelants à la portée de l' habeas corpus est trop restrictive, mais qu'on ne peut pas, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus , appliquer la norme de la décision raisonnable énoncée dans l'arrêt Dunsmuir ( Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).
[25] Au sujet de la deuxième question, les appelants prétendent que la communication des renseignements est suffisante lorsque, selon la logique et le bon sens, le détenu est en mesure de connaître la preuve qui pèse contre lui. Ils soutiennent en outre que, si la communication de renseignements a été refusée en application du par. 27(3) de la LSCMLC , on ne peut contester ce refus au moyen d'une demande d' habeas corpus . Il faut plutôt présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. L'intimé répond qu'il ressort du libellé même du par. 27(1) que le décideur doit communiquer tous les renseignements entrant en ligne de compte dans la prise de décision ou un sommaire de ceux‑ci. Il ajoute que si les renseignements ne sont pas communiqués à un détenu conformément au par. 27(3) , il incombe au directeur de démontrer l'existence de motifs raisonnables de croire que la communication mettrait en danger la sécurité d'une personne ou de l'établissement ou compromettrait la tenue d'une enquête. Les quatre intervenantes (l'ACLC, l'ALCCB, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et la Société John Howard du Canada) sont essentiellement d'accord avec l'intimé.
[26] Enfin, pour ce qui est de la troisième question, les appelants font valoir que les tribunaux d'instance inférieure ont commis une erreur en accueillant la demande d' habeas corpus de M. Khela. Premièrement, ils soutiennent que les tribunaux d'instance inférieure ont commis une erreur en déclarant qu'il est acceptable pour une cour supérieure provinciale d'examiner si le bien‑fondé d'une décision relative au transfèrement était raisonnable. Deuxièmement, selon les appelants, les tribunaux d'instance inférieure ont conclu à tort que la communication de renseignements par la directrice constituait un manquement à l'équité procédurale. À leur avis, les renseignements communiqués étaient suffisants pour permettre à M. Khela de connaître la preuve qui pesait contre lui. Ce dernier rétorque que la directrice n'a pas communiqué tous les renseignements dont elle a tenu compte, et qu'elle n'a présenté aucun élément de preuve justifiant son refus de les communiquer, comme l'exigeait l' art. 27 . Par conséquent, la décision de transférer M. Khela était illégale en raison d'un manquement à l'équité procédurale.
V. Analyse
A. L'habeas corpus : historique et nature du recours
[27] Dans son ouvrage intitulé Commentaries on the Laws of England (1768), vol. III, ch. 8, p. 131 , W. Blackstone a écrit que l' habeas corpus constitue [ traduction ] « le bref important et efficace contre toute forme de détention illégale » (cité par D. Parkes, « The “Great Writ” Reinvigorated? Habeas Corpus in Contemporary Canada » (2012), 36 Man. L.J. 351, p. 352; May , par. 19; W. F. Duker, A Constitutional History of Habeas Corpus (1980), p. 3 ). Auparavant, l' habeas corpus constituait en une procédure destinée à assurer la présence physique devant le tribunal d'un défendeur à une action (Duker, p. 4; J. Farbey, R. J. Sharpe et S. Atrill, The Law of Habeas Corpus (3 e éd. 2011), p. 16; P. D. Halliday, Habeas Corpus : From England to Empire (2010), p. 2). Cependant, le bref est devenu graduellement un moyen d'examiner la justification de l'emprisonnement d'un individu (Duker, p. 4). En effet, à la fin du 17 e siècle, le juge en chef Vaughan de la Cour des plaids communs a affirmé que [ traduction ] « [l]e bref d' habeas corpus est désormais le recours le plus utilisé pour rendre à un individu la liberté dont il a été illégalement privé » (Duker, p. 54, citant Bushell's Case (1670), Vaughan 135, 124 E.R. 1006, p. 1007).
[28] Le premier texte législatif relatif à l' habeas corpus a été adopté en 1641. L' Habeas Corpus Act de 1679 (Angl.), 31 Cha. 2, ch. 2, a codifié cette procédure une deuxième fois (T. Cromwell, « Habeas Corpus and Correctional Law — An Introduction » (1997), 3 Queen's L.J. 295, p. 298). Cette loi visait des objectifs divers. Ainsi, elle visait le problème des délais dans l'obtention du bref. Puis, son adoption cherchait à assurer que les prisonniers obtiennent une copie de leur mandat d'arrestation afin qu'ils connaissent les motifs de leur détention, et à faire en sorte que les prisonniers [ traduction ] « ne soient pas amenés à un endroit où le bref ne peut être exécuté » (Farbey, Sharpe et Atrill, p. 16; Halliday, p. 239‑240).
[29] Dans la Charte et la common law, le Canada a tenté de conserver et de respecter un bon nombre des objectifs de l' Habeas Corpus Act , dont les dispositions retraçaient l'évolution des buts et des principes du bref. L' habeas corpus est donc devenu une voie de recours essentielle en droit canadien. Plus particulièrement, notre Cour a souligné dans l'arrêt May son importance pour la protection de nos droits fondamentaux :
(1) le droit à la liberté et à ce qu'il n'y soit porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale ( art. 7 de la Charte ), et (2) le droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraire ( art. 9 de la Charte ). [par. 22]
Tous au Canada jouissent de ces droits, y compris les personnes qui purgent une peine d'emprisonnement ( May , par. 23‑25). En fait, l' habeas corpus demeure le meilleur moyen à la disposition du prisonnier qui veut faire contrôler la légalité de sa privation de liberté. En précisant la portée du bref dans la trilogie Miller et dans l'arrêt May , notre Cour a garanti que le principe de légalité continue de régner à l'intérieur des murs d'un pénitencier ( Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui , [1980] 1 R.C.S. 602, p. 622), et que toute privation de la liberté d'un prisonnier soit justifiée.
[30] Pour réussir, une demande d' habeas corpus doit satisfaire aux critères suivants. Premièrement, le demandeur doit démontrer qu'il a été privé de sa liberté. Cela fait, le demandeur doit valablement soulever un doute quant à la légalité de sa privation de liberté. Lorsqu'il soulève un tel doute, il incombe aux autorités défenderesses de démontrer la légalité de cette privation de la liberté (Farbey, Sharpe et Atrill, p. 84-85; May , par. 71 et 74).
B. Droit de regard des tribunaux sur les décisions prises dans les établissements carcéraux
[31] La Cour fédérale et les cours supérieures provinciales sont chargées de réviser les décisions prises au sein des pénitenciers fédéraux. Aux termes de l' art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales , L.R.C. 1985, ch. F‑7 (« LCF »), la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour décerner une injonction, un bref de certiorari , de prohibition, de mandamus ou de quo warranto , ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral. Dans l'arrêt Martineau , notre Cour a statué qu'il est possible de demander un bref de certiorari si une décision administrative a été prise injustement, peu importe si la décision était « judiciaire ou quasi judiciaire » (p. 628‑629 et 634). Par ailleurs, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a affirmé, dans les motifs concourants des juges minoritaires, qu'aux termes de l' art. 18 , la Cour fédérale peut décerner un bref de certiorari chaque fois « qu'un organisme public a le pouvoir de trancher une question touchant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d'une personne » ( p. 622‑623).
[32] Cependant, le législateur a « délibérément omis » la mention de l' habeas corpus à l' art. 18 de la LCF . Par conséquent, bien que la Cour fédérale exerce une compétence générale en matière de contrôle, elle ne peut décerner le bref d' habeas corpus ( Miller , p. 624‑626). Les cours supérieures provinciales conservent à l'égard des détenus la compétence en matière d' habeas corpus .
[33] Notre Cour a expliqué le maintien de la compétence des cours supérieures provinciales à l'égard des détenus en établissement fédéral dans la trilogie Miller en 1985 et l'a plus récemment confirmé dans l'arrêt May . Dans la trilogie, le juge Le Dain a statué que les cours supérieures provinciales ont compétence en matière d' habeas corpus pour examiner la validité d'une détention autorisée par un décideur fédéral, malgré la possibilité d'exercer d'autres recours en Cour fédérale ( Miller , p. 626 et 640‑641). Le juge Le Dain a conclu comme suit dans l'arrêt Miller :
. . . il y a lieu à habeas corpus pour déterminer la validité d'une forme particulière de détention dans un pénitencier quoique la même question puisse être tranchée par voie de certiorari en Cour fédérale . La portée du recours à l' habeas corpus doit d'abord être examinée en fonction de son propre fondement, indépendamment des problèmes que peuvent poser le partage ou le chevauchement des compétences. L'importance générale de [l' habeas corpus ] comme moyen traditionnel de contester les privations de liberté est telle que son développement et son adaptation rationnels aux réalités modernes de la détention en milieu carcéral ne doivent pas être compromis par des craintes de conflits de compétence. [Je souligne; p. 640‑641.]
Ainsi, l'accessibilité au recours en habeas corpus importe plus que les questions hypothétiques que pourrait soulever une compétence concurrente.
[34] Dans Miller , le juge Le Dain a aussi décidé que les détenus dont la « liberté résiduelle » a été réduite par une décision des autorités pénitentiaires devaient disposer, en cour supérieure provinciale, d'un recours de la nature de l' habeas corpus , et que ce recours est distinct d'une autre décision qui accorderait possiblement sa pleine liberté ( Miller , p. 641). Les décisions susceptibles de toucher la liberté résiduelle d'un détenu sont, entre autres, celles qui concernent l'isolement préventif, l'incarcération dans une unité spéciale de détention et, comme en l'espèce, le transfèrement à un établissement à sécurité plus élevée.
[35] Enfin, l'arrêt Miller a renforcé l'efficacité de l' habeas corpus en confirmant que les prisonniers peuvent demander un certiorari auxiliaire de l' habeas corpus . En effet, sans le certiorari auxiliaire, le tribunal qui entend une demande d' habeas corpus ne pourrait examiner la légalité de la privation de liberté qu'à la lumière des [ traduction ] « faits énoncés dans le rapport » ou « au vu » de la décision, selon le cas (D. A. C. Harvey, The Law of Habeas Corpus in Canada (1974), p. 103). Le certiorari auxiliaire constitue alors le moyen par lequel le juge siégeant en révision peut obtenir et examiner le dossier afin de statuer sur la légalité de la décision contestée ( Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) , [1996] 1 R.C.S. 75, par. 117). Le certiorari auxiliaire rend donc plus efficace le recours en habeas corpus en exigeant la production du dossier des procédures qui ont donné lieu à la décision attaquée ( Miller , p. 624; le juge en chef Laskin dans Mitchell c. La Reine , [1976] 2 R.C.S. 570, p. 578).
[36] Signalons que la demande d'un certiorari auxiliaire de l' habeas corpus diffère de la demande d'un certiorari seul, qui sert souvent à faire annuler une ordonnance. Lorsqu'une décision administrative fédérale est contestée, seule la Cour fédérale peut accorder ce certiorari . Dans le cadre d'une demande d' habeas corpus , seul est en cause le bref de certiorari qui vise à [ traduction ] « informer le tribunal » et à l'aider à rendre la bonne décision dans un cas donné, et non le bref de certiorari qui vise à saisir le décideur du dossier en vue d'une « annulation de la décision », comme cela se produit généralement dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire par la Cour fédérale ( Cromwell, p. 321).
[37] Cela dit, sous bien des rapports, l' habeas corpus assorti d'un certiorari auxiliaire s'apparente, sur le plan fonctionnel, au contrôle judiciaire en Cour fédérale. Après tout, le « contrôle judiciaire », entendu [ traduction ] « [a]u sens le plus large », renvoie seulement à la fonction de surveillance des cours de justice chargées de veiller à ce que le pouvoir exécutif s'exerce dans le respect de la primauté du droit (Farbey, Sharpe et Atrill, p. 18 et 56). Telle est également la raison d'être de l' habeas corpus ramené à sa plus simple expression (voir de façon générale Farbey, Sharpe et Atrill, p. 18 et 52-56) .
[38] Malgré leurs ressemblances fonctionnelles, d'importantes différences subsistent toutefois sur les plans de la réparation et de la procédure entre le certiorari auxiliaire de l' habeas corpus en cour supérieure provinciale et la demande visant seulement le bref de certiorari sous le régime de la LCF . Au nombre de ces différences, mentionnons a) les réparations susceptibles d'être obtenues de l'une ou l'autre cour, b) le fardeau de preuve et c) la nature non discrétionnaire de l' habeas corpus .
[39] La Cour fédérale peut, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, accorder une vaste gamme de réparations contre une décision du SCC (voir l' al. 18.1(3) b ) de la LCF ). Par contre, la cour supérieure provinciale peut uniquement conclure à l'illégalité d'une détention et statuer ensuite sur une demande de libération.
[40] En outre, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, il incombe au demandeur de prouver que le décideur fédéral a commis une erreur ( May , par. 71, renvoi au par. 18.1(4) de la LCF ), alors que dans le cadre d'une demande d' habeas corpus , ce fardeau incombe aux autorités carcérales dès lors que le prisonnier a établi la privation de liberté et soulevé valablement un doute quant à la légalité de cette privation ( May , par. 71; Farbey, Sharpe et Atrill, p. 84‑86). Ce déplacement particulier du fardeau de la preuve est propre au bref d' habeas corpus . L'attribution de ce fardeau aux autorités carcérales exprime le fondement même du droit en matière d' habeas corpus , selon lequel une privation de liberté n'est autorisée que lorsque la personne qui l'a ordonnée peut démontrer qu'elle est justifiée. Ce déplacement du fardeau se justifie particulièrement dans le contexte d'un transfèrement d'urgence ou non sollicité d'un détenu. En effet, la privation de liberté du prévenu le prive des ressources ou de la capacité de découvrir les motifs de cette privation de liberté ou de constituer la preuve susceptible d'établir l'illégalité de celle‑ci. Dans une demande de contrôle judiciaire, par contre, la personne qui conteste la décision demeure tenue de prouver le caractère déraisonnable de cette décision.
[41] Enfin, le contrôle judiciaire constitue un recours intrinsèquement discrétionnaire (C. Ford, « Dogs and Tails : Remedies in Administrative Law », dans C. M. Flood et L. Sossin, dir., Administrative Law in Context (2 e éd. 2013), 85, p. 107‑109). Dans une telle procédure, le tribunal peut, au début de l'audience, décider si l'affaire doit aller plus loin (D. J. Mullan, Administrative Law (2001), p. 481). Par contre, le bref d' habeas corpus est accordé d'office lorsque le demandeur prouve la privation de liberté et soulève valablement un doute quant à la légalité de cette privation. En d'autres termes, l'affaire doit être entendue dès lors que le détenu avance quelque fondement permettant de conclure à l'illégalité de la détention ( May , par. 33 et 71; Farbey, Sharpe et Atrill, p. 52‑54).
[42] Vingt ans après la trilogie Miller , notre Cour a souligné dans May l'importance qu'elle attache à la possibilité pour les cours supérieures d'entendre les demandes d' habeas corpus . En effet, dans ce dernier arrêt, les juges majoritaires ont confirmé sans ambiguïté la validité du raisonnement qui sous‑tend l'arrêt Miller : « . . . on ne devrait pas décliner compétence relativement à l' habeas corpus simplement en raison de l'existence d'un autre recours » (par. 34). Dans l'arrêt May , la Cour a statué que, pour respecter les objectifs historiques de l' habeas corpus , les cours supérieures provinciales ne devraient décliner compétence en matière d' habeas corpus que dans deux cas bien précis :
. . . (1) lorsqu'une loi comme le Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , investit une cour d'appel de la compétence de corriger les erreurs d'un tribunal inférieur et de libérer le demandeur au besoin, ou (2) lorsque le législateur a mis en place une procédure d'examen complet, exhaustif et spécialisé d'une décision administrative. [par. 50]
Tout comme dans l'arrêt May , la première exception ne s'applique pas en l'espèce. Quant à la deuxième exception, les appelants n'ont présenté aucun argument laissant entendre que le processus de transfèrement et d'examen du SCC soit devenu, depuis l'arrêt May , une « procédure d'examen complet, exhaustif et spécialisé » (par. 50-51).
[43] Dans l'arrêt May , les juges majoritaires ont exposé cinq facteurs qui renforcent la thèse selon laquelle les cours supérieures provinciales devraient instruire les demandes d' habeas corpus que présentent les détenus des établissements fédéraux, peu importe la possibilité de recours devant la Cour fédérale.
[44] Premièrement, en raison de leur vulnérabilité et des réalités de l'emprisonnement, les détenus devraient pouvoir choisir le tribunal auquel ils veulent s'adresser et le recours dont ils veulent se prévaloir parmi ceux qui leur sont offerts, malgré les craintes de conflits de compétence ( May , par. 66‑67). Ainsi que la Cour l'a très succinctement énoncé dans May , « [l]e choix [du recours] appartient au demandeur » (par. 44).
[45] Deuxièmement, rien ne permet de supposer que l'expertise de la Cour fédérale, en matière de droits fondamentaux des détenus, soit plus grande que celle d'une cour supérieure provinciale. Incontestablement, la Cour fédérale connaît très bien les décisions et les procédures administratives. Toutefois, les cours supérieures connaissent fort bien l'application des principes et des valeurs de la Charte qui sont mis en cause lorsqu'un détenu prétend avoir été illégalement privé de sa liberté ( May , par. 68).
[46] Troisièmement, on peut obtenir plus rapidement l'audition d'une demande d' habeas corpus que l'audition d'une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale. À titre d'exemple, selon la règle 4 des Règles de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en matière pénale , TR/97-140, l'audition d'une demande d' habeas corpus nécessite seulement six jours d'avis. Ce délai reste court, si on le compare aux mêmes délais pour l'audition d'une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale. Si les délais maximaux prévus à chaque étape des procédures sont entièrement utilisés, la demande de fixation d'une date d'audition d'une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale ne sera déposée que 160 jours après la date de la décision contestée ( par. 18.1(2) de la LCF et les règles 301 à 314 des Règles des Cours fédérales , DORS/98‑106, cités au par. 69 de l'arrêt May ).
[47] Quatrièmement, la cour supérieure de leur région est plus aisément accessible aux détenus. La Cour a reconnu l'importance de ce facteur dans Miller , p. 624‑626, et dans R. c. Gamble , [1988] 2 R.C.S. 595, p. 634‑635, comme elle l'a fait dans May , par. 70.
[48] Cinquièmement, comme je l'ai déjà mentionné, le caractère non discrétionnaire de l' habeas corpus et le fardeau de preuve afférent à ce recours jouent en faveur du demandeur.
[49] Tous ces facteurs nous portent à rejeter l'idée d'accepter une scission des compétences. L'histoire et la nature du recours, confirmées dans les décisions de notre Cour, permettent de conclure sans équivoque que l'existence d'une compétence concurrente est nécessaire pour garantir aux détenus un accès à la justice. Ainsi que l'ont affirmé les juges majoritaires dans l'arrêt May , « [l]a prompte attention judiciaire, dans laquelle les cours supérieures provinciales doivent tenir un rôle concurrent sinon prédominant, demeure nécessaire pour la protection des droits de la personne et des libertés civiles des prisonniers » (par. 72).
[50] La démarche que doit suivre la Cour à l'égard de la première question s'appuie sur les décisions examinées précédemment.
C. Portée de la révision
[51] Essentiellement, en raison de la trilogie Miller et l'arrêt May , le détenu privé de sa liberté par l'effet d'une décision illégale d'un office fédéral peut exercer devant la cour supérieure provinciale un recours de la nature de l' habeas corpus . Il faut maintenant déterminer la portée du pouvoir de révision de cette cour.
[52] Comme je l'ai déjà indiqué, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus , la question fondamentale consiste à savoir si la décision rendue était légale. Il est maintenant acquis qu'une décision ne sera pas légale si la détention est elle‑même illégale, si le décideur n'a pas compétence pour ordonner la privation de liberté (voir, par exemple, R. c. J.P.G. (2000), 130 O.A.C. 343), ou s'il y a eu un manquement à l'équité procédurale (voir May , Miller et Cardinal ). Cependant, en raison de la souplesse et de l'importance de ce bref, ainsi que des motifs justifiant la confirmation de la compétence concurrente de la cour supérieure provinciale et de la Cour fédérale, il est clair que la révision de la légalité exigera parfois l'examen du caractère raisonnable de la décision.
[53] La jurisprudence de notre Cour confirme que la révision peut comporter l'examen du caractère raisonnable de la décision. Plus particulièrement, la reconnaissance du pouvoir des cours supérieures provinciales d'examiner le caractère raisonnable de la décision découle logiquement de la façon dont notre Cour a défini le recours et des limites imposées par les tribunaux quant aux moyens d'obtenir ce recours.
[54] En effet, notre jurisprudence a reconnu que l' habeas corpus doit évoluer pour garantir que les objectifs sous‑jacents du recours continuent à être respectés : nul ne devrait être privé de sa liberté sans que la loi l'autorise. L'importance que revêt l' habeas corpus pour les personnes qui ont été privées de leur liberté confirme qu'il doit évoluer d'une manière significative ( Miller , p. 640‑641). Dans l'arrêt May , notre Cour a cité et approuvé les propos du juge Black de la Cour suprême des États‑Unis rappelant que l' habeas corpus n'est [ traduction ] « pas maintenant ni n'a jamais été un recours statique, étroit et formaliste; sa portée s'est élargie afin qu'il puisse remplir son premier objet — la protection des individus contre l'érosion de leur droit de ne pas voir imposer de restrictions abusives à leur liberté » ( May , par. 21; Jones c. Cunningham , 371 U.S. 236 (1962), p. 243; voir aussi la préface de l'ouvrage de R. J. Sharpe, The Law of Habeas Corpus (2 e éd. 1989)). Ce recours est essentiel aux personnes privées par l'État de leur liberté résiduelle — cette raison suffit en soi pour que l'on veille à ce que le recours soit rarement restreint.
[55] Notre Cour s'est montrée réticente à imposer des restrictions aux différentes voies par lesquels un individu peut avoir accès au recours. Comme je l'ai indiqué précédemment, l'arrêt Miller a confirmé que les détenus fédéraux pourront continuer de se prévaloir du recours en habeas corpus devant les cours supérieures, peu importe qu'il existe d'autres voies de recours (p. 640‑641). De même, dans Gamble , la juge Wilson a souligné que les tribunaux ne se sont pas enfermés, et ne devraient pas s'enfermer, dans des catégories ou des définitions limitées du pouvoir de contrôle judiciaire lorsque la liberté du sujet est en cause (p. 639‑640). Dans May , notre Cour a confirmé qu'en fait, il n'existe que deux situations où une cour supérieure provinciale devrait refuser d'entendre une demande d' habeas corpus : (1) l'exception établie par l'arrêt Peiroo s'applique (le législateur a mis en place une procédure d'examen complet, exhaustif et spécialisé) ( Peiroo c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 69 O.R. (2d) 253 (C.A.)), et (2) lorsqu'une loi comme le Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , investit une cour d'appel de la compétence de corriger les erreurs d'un tribunal inférieur et de mettre le demandeur en liberté au besoin ( May , par. 44 et 50). Ni l'une ni l'autre de ces exceptions n'exclut l'examen du caractère raisonnable des décisions des autorités correctionnelles. En conséquence, conformément à l'arrêt May , ces décisions peuvent et devraient être examinées par une cour supérieure provinciale.
[56] Plusieurs des principes qui favorisaient la reconnaissance de la compétence concurrente dans l'arrêt May entrent en jeu lorsqu'il faut déterminer la portée du pouvoir de révision d'une cour supérieure provinciale. Premièrement, chaque demandeur devrait pouvoir choisir son recours. Si l'audition d'une demande d' habeas corpus ne permet pas l'examen du caractère raisonnable de la décision sous‑jacente, le prisonnier privé de sa liberté en raison d'une décision déraisonnable ne peut plus choisir le recours qui lui permettra d'obtenir une réparation; il doit s'adresser à la Cour fédérale.
[57] Deuxièmement, rien ne permet de supposer que l'expertise de la Cour fédérale est plus grande que celle d'une cour supérieure lorsqu'il s'agit d'examiner la légalité d'une privation de liberté. Bien que la Cour fédérale puisse couramment être appelée à décider si une décision concernant une « simple perte de privilèges » est raisonnable, dans le cas d'une privation de liberté, les cours supérieures connaissent bien les droits garantis par la Charte qui s'appliquent lorsqu'un détenu est transféré à un établissement à sécurité plus élevé ( art. 7 et 9 ).
[58] Troisièmement, si le détenu ne peut obtenir, au moyen d'une demande d' habeas corpus , la révision de la décision possiblement déraisonnable le privant de sa liberté, il devra épuiser l'ensemble de la longue procédure de règlement de griefs prévue dans la loi pour faire entendre ses réclamations. Si, par exemple, le détenu a été privé de sa liberté parce qu'une décision était fondée sur une preuve non pertinente, ou parce que aucune preuve ne l'appuyait, il peut présenter une demande et obtenir une réparation rapidement.
[59] En l'espèce, les appelants ont déposé un affidavit qui affirme que les procédures d' habeas corpus deviennent de plus en plus longues puisque les juges des cours supérieures doivent examiner les dossiers des autorités carcérales qui ont pris les décisions. Il s'avère toutefois difficile de considérer cet affidavit comme une preuve convaincante que la demande d' habeas corpus présentée à une cour supérieure ne permet plus d'obtenir une réparation plus rapidement que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. L'affidavit indique le temps nécessaire dans certaines circonstances pour obtenir une décision dans le cadre de demandes d' habeas corpus , mais il ne compare pas ces délais aux délais requis pour présenter à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire et obtenir une décision dans des circonstances semblables.
[60] En l'espèce, des éléments de preuve déposés dans le présent dossier contredisent de manière convaincante les prétentions soutenues par les appelants dans leur affidavit. En effet, après avoir reçu le 15 mars 2010 la décision définitive relative à son transfèrement, M. Khela a déposé un avis de demande devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique le 27 avril 2010. L'avis indiquait que la demande serait présentée le 11 mai 2010. La juge Bruce de cette cour a rendu une décision seulement dix jours plus tard.
[61] De plus, dans leur affidavit, les appelants ne tiennent pas compte de la structure de la procédure de règlement de griefs prévue au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , DORS/92‑620 (« RSCMLC »). Monsieur Khela n'aurait pu contester devant la Cour fédérale la décision au motif d'une violation du principe de l'équité procédurale et de son caractère déraisonnable sans d'abord se soumettre au processus d'examen interne que prescrit le régime législatif. Selon le régime prévu par la loi, il aurait fallu que M. Khela dépose une plainte. Et selon la Directive du commissaire 081 , « Plaintes et griefs des délinquants », la procédure de traitement d'une telle plainte comprend plusieurs paliers. La directive indique que le plaignant qui n'est pas satisfait de « la décision finale rendue au palier final [. . .] peut soumettre une demande de révision judiciaire à la Cour fédérale » (art. 15 (je souligne)). Cependant, même si sa plainte est jugée prioritaire, le détenu pourrait devoir attendre jusqu'à 90 jours après la formulation de sa plainte pour obtenir la décision finale. Monsieur Khela n'aurait pu déposer une demande de contrôle judiciaire qu'après avoir obtenu cette décision. Compte tenu des modalités de cette procédure de règlement de griefs, la présentation d'une demande d' habeas corpus devant une cour supérieure provinciale reste le recours le plus rapidement accessible.
[62] Les appelants plaident que la révision du caractère raisonnable des décisions de transfèrement du SCC par une cour supérieure provinciale augmenterait la durée et le coût des instances, et modifierait l'attribution des ressources judiciaires. Cependant, comme la juge Wilson l'a expliqué dans Gamble , « [l]e redressement sous la forme d'un habeas corpus ne devrait pas être refusé pour de simples raisons de commodité » (p. 635).
[63] Quatrièmement, le fait que les détenus aient accès dans leur région au recours en habeas corpus milite aussi en faveur de l'inclusion d'un examen du caractère raisonnable de la décision. Dans May , notre Cour a fait remarquer qu'il « serait injuste que les prisonniers incarcérés dans des établissements fédéraux ne jouissent pas du même accès au recours en habeas corpus que les détenus des établissements provinciaux » (par. 70). Si nous acceptions l'argument des appelants, les prisonniers provinciaux pourraient présenter une demande d' habeas corpus à la cour supérieure provinciale de leur région pour des motifs liés à la procédure ou à la compétence, et cette même cour pourrait déterminer, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, si la décision qui a eu pour effet de les priver de leur liberté est raisonnable (voir, par exemple, Libo‑on c. Alberta (Fort Saskatchewan Correctional Centre) , 2004 ABQB 416, 32 Alta. L.R. (4th) 128, par. 1). Cependant, les détenus fédéraux devraient s'adresser à deux différents tribunaux pour obtenir réparation à l'égard de la même décision contestée présentant exactement le même dossier. Une telle politique serait dépourvue de toute cohérence.
[64] Cinquièmement, la nature non discrétionnaire de l' habeas corpus et la répartition des fardeaux de preuve lors de l'exercice de ce recours devaient favoriser le détenu qui prétend avoir été illégalement privé de sa liberté. En effet, si le détenu devait s'adresser à la Cour fédérale pour déterminer si la privation de sa liberté était déraisonnable, le recours resterait discrétionnaire. De plus, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, il incomberait au demandeur de démontrer que la décision de le transférer était déraisonnable. Comme Farbey, Sharpe et Atrill l'ont affirmé, [ traduction ] « [i]l serait erroné [. . .] de priver le demandeur [des avantages de l' habeas corpus ] en l'obligeant à exercer un autre recours » (p. 54).
[65] En définitive, lorsque nous soupesons l'ensemble de ces facteurs, nous devons conclure que le fait de permettre à une cour supérieure provinciale d'examiner le caractère raisonnable de la décision dans le cadre d'une demande d' habeas corpus revient à donner un meilleur accès à un recours plus efficace. Le caractère raisonnable de la décision devrait alors être considéré comme un élément du contrôle de la légalité.
[66] La détermination du caractère légal d'une décision ne peut s'arrêter au seul examen de la compétence. Les appelants prétendent qu'un examen par voie d' habeas corpus [ traduction ] « se limite à une analyse de la question de savoir si la cour a compétence pour rendre une décision », par opposition à un examen du caractère raisonnable de la décision sous‑jacente. Ils invoquent à cet égard les conclusions du juge Le Dain dans l'arrêt Miller selon lesquelles (1) le certiorari auxiliaire ne peut avoir pour effet de transformer une demande d' habeas corpus en un appel sur le fond (p. 632) et (2) la demande d' habeas corpus porte sur des questions de compétence plutôt que sur des questions de fond (p. 630). Les appelants ont toutefois mal interprété le contexte des observations du juge Le Dain, qui ont été formulées à l'égard des arrêts antérieurs Goldhar c. The Queen , [1960] R.C.S. 431, Re Sproule (1886), 12 R.C.S. 140, et Re Tr e panier (1885), 12 R.C.S. 111 . Le juge Le Dain rappelait simplement le contenu de décisions antérieures dans lesquelles notre Cour avait confirmé que l' habeas corpus ne doit pas être utilisé pour interjeter appel d'une déclaration de culpabilité . Ainsi, le juge Le Dain confirmait dans cette affaire ce qui a plus tard été précisé dans l'arrêt May , soit que « les cours supérieures provinciales [. . .] devraient décliner compétence en matière d' habeas corpus [. . .] lorsqu'une loi comme le Code criminel [. . .] investit une cour d'appel de la compétence de corriger les erreurs d'un tribunal inférieur et de libérer le demandeur au besoin » (par. 50). Ces propos ne signifient pas qu'une cour supérieure provinciale ne peut pas se prononcer sur le caractère raisonnable d'une décision administrative lorsqu'elle est saisie d'une demande d' habeas corpus assorti d'un certiorari auxiliaire.
[67] L'arrêt May n'empêche pas non plus une cour supérieure provinciale d'examiner le caractère raisonnable d'une décision de transférer sous‑jacente lorsqu'elle est saisie d'une demande d' habeas corpus assorti d'un certiorari auxiliaire. Dans cet arrêt, notre Cour a confirmé que « [l]a privation de liberté n'est légale que si elle relève de la compétence du décideur » (par. 77). Il ne faut pas interpréter ces propos comme signifiant que seules les décisions ne relevant pas de la compétence du décideur seront illégales. Bien au contraire, le passage tiré de l'arrêt May signifie simplement que l'existence de la compétence constitue une condition nécessaire à la légalité d'une décision. Cependant, le respect de cette condition ne suffit pas en soi pour qu'une décision soit légale. Ainsi, une décision qui relève de la compétence du décideur, mais qui n'offre pas les garanties d'équité procédurale, ne sera pas légale. De même, une décision qui n'est pas étayée par la preuve, ou qui est arbitraire ou déraisonnable, ne peut pas être légale, peu importe si elle relevait ou non de la compétence du décideur.
[68] Certes, selon un courant jurisprudentiel au Royaume‑Uni, une décision n'est illégale que si elle ne relève pas de la compétence du décideur. Par exemple, dans R. c. Secretary of State for the Home Department, ex parte Cheblak , [1991] 2 All E.R. 319, lord Donaldson de la Cour d'appel a déclaré ce qui suit :
[ traduction ] Un bref d'habeas corpus est décerné lorsqu'une personne est détenue sans autorisation ou quand l'autorisation outrepasse les pouvoirs de la personne ayant permis la détention et est, par conséquent, illégale. Le recours au contrôle judiciaire est admis lorsque la décision ou la mesure contestée relève des pouvoirs du décideur, mais qu'en raison d'une erreur procédurale, d'une mauvaise interprétation du droit, d'un défaut de tenir compte des facteurs pertinents, de la prise en compte de facteurs non pertinents ou du caractère fondamentalement déraisonnable de la décision ou de la mesure, elle n'aurait jamais dû être prise. Dans un tel cas, la décision ou la mesure est légale tant qu'elle n'est pas annulée par un tribunal compétent. [Italiques dans l'original; p. 322‑323.]
Lord Donaldson a plus tard clarifié cet énoncé dans l'affaire R. c. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Muboyayi , [1992] 1 Q.B. 244 (C.A.), où il a statué qu'une demande d' habeas corpus devrait être rejetée pour la raison suivante :
[ traduction ] . . . ce n'est pas la compétence qui a été contestée mais seulement une décision administrative sous‑jacente antérieure. Il s'agit là d'une contestation bien différente et, tant qu'elle n'est pas accueillie, il n'existe aucune raison de contester la légalité de la détention. [p. 255]
Autrement dit, une décision ne peut pas être considérée illégale pour des motifs autres que la compétence tant qu'une cour de révision « appropriée » ne l'a pas déclarée illégale (Farbey, Sharpe et Atrill, p. 58).
[69] Ces décisions ne reflètent pas l'état du droit canadien. Premièrement, l'introduction au Canada du courant jurisprudentiel découlant des affaires Cheblak et Muboyayi aurait pour effet de scinder la compétence, ce que notre Cour a expressément rejeté dans May et dans la trilogie Miller ( May , par. 72; Miller , p. 624‑626). Deuxièmement, la conclusion selon laquelle seule une erreur de compétence est déterminante quant à la « légalité » est contraire aux décisions de l'autorité supérieure au Royaume‑Uni (voir, par exemple, R. c. Governor of Brixton Prison, Ex parte Armah , [1968] A.C. 192 (H.L.); R. c. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Khawaja , [1984] 1 A.C. 74 (H.L.); pour d'autres critiques de la série de décisions découlant des affaires Cheblak et Muboyayi , voir H. W. R. Wade, « Habeas Corpus and Judicial Review » (1997), 113 L.Q.R. 55, et Farbey, Sharpe et Atrill, p. 56-63).
[70] Enfin, obliger les détenus à contester devant la Cour fédérale le caractère raisonnable d'une décision du SCC de transférer un détenu pourrait aussi conduire à un gaspillage des ressources judiciaires. Par exemple, un détenu pourrait contester le processus suivi pour rendre une décision et le caractère raisonnable de celle‑ci. Si nous acceptions la position des appelants, un détenu pourrait d'abord contester cette décision pour des motifs d'équité procédurale en présentant à la cour supérieure provinciale une demande d' habeas corpus assorti d'un certiorari auxiliaire. En cas de rejet de cette demande, le détenu pourrait alors contester le caractère raisonnable de la même décision en sollicitant la délivrance d'un bref de certiorari devant la Cour fédérale. Compte tenu de la possibilité d'obtenir un certiorari auxiliaire, une telle scission des recours serait illogique, causerait sans doute un dédoublement des procédures et aurait une incidence négative sur l'économie des ressources judiciaires.
[71] Dans un article antérieur, Robert Sharpe avait écrit que [ traduction ] « la portée de l'examen dans le cadre d'un habeas corpus dépend des documents que renferme le dossier soumis à la cour » (R. J. Sharpe, « Habeas Corpus in Canada » (1976), 2 Dal. L.J. 241, p. 262; le juge Chiasson, par. 72). Si, comme je le crois, cette affirmation est juste, et si la portée de l'examen est inextricablement liée aux documents dont dispose la cour de révision, il est tout à fait logique d'inclure dans l'examen de la légalité, lors de la demande d' habeas corpus , une appréciation du caractère raisonnable de la décision. En effet, il est maintenant bien établi que, puisque la cour dispose, dans le cadre d'une demande d' habeas corpus assorti d'un certiorari auxiliaire, [ traduction ] « du dossier intégral des instances inférieures » elle peut examiner ce dossier pour s'assurer qu'il appuie la décision (Farbey, Sharpe et Atrill, p. 45‑46). Cela permettra aussi de préserver les ressources judiciaires limitées.
[72] Le raisonnement qui précède mène à la conclusion qu'un détenu peut contester le caractère raisonnable de sa privation de liberté par voie d' habeas corpus . Ainsi, lorsque la privation de liberté découle d'une décision administrative fédérale, cette décision peut faire l'objet de l'une ou l'autre des deux formes de contrôle, et il appartient au détenu de choisir celle qu'il préfère. Le détenu peut opter pour la contestation du caractère raisonnable de la décision par voie de contrôle judiciaire fondé sur l' art. 18 de la LCF . Il peut aussi, par une demande d' habeas corpus , obtenir l'examen du caractère raisonnable de la décision. Le « caractère raisonnable » constitue donc un « doute [valablement soulevé] » quant à la légalité de la privation de liberté dans le cadre d'une demande d' habeas corpus .
[73] Le transfèrement sera illégal s'il ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » ( Dunsmuir , par. 47). Il en sera de même pour une décision dénuée « [de] justification, [de] transparence et [d']intelligibilité » ( ibid .). La décision sera légale si les motifs et le dossier de la décision « étayent, effectivement ou en principe, la conclusion » ( Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor) , 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 12, citant avec approbation D. Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304).
[74] À l'heure actuelle, une décision est considérée comme déraisonnable et, partant, illégale, si les droits à la liberté d'un détenu sont sacrifiés en l'absence de toute preuve, sur la foi d'une preuve non fiable, d'une preuve non pertinente ou d'une preuve qui n'étaye pas la conclusion, même si je n'exclus pas la possibilité qu'elle puisse également être déraisonnable pour d'autres motifs. La décision sur la fiabilité de la preuve exige de la déférence à l'égard du décideur, mais les autorités doivent tout de même expliquer en quoi la preuve offerte est digne de foi.
[75] Un examen visant à déterminer si une décision est raisonnable et, par conséquent, légale, appelle nécessairement la déférence ( Dunsmuir , par. 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa , 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59; Newfoundland and Labrador Nurses' Union , par. 11‑12). En effet, une décision ordonnant un transfèrement non sollicité est néanmoins une décision administrative prise par un décideur possédant une expertise relative à un pénitencier en particulier. Examiner cette décision selon une norme autre que la norme de la décision raisonnable pourrait bien entraîner une microgestion des prisons par les tribunaux.
[76] La décision ordonnant un transfèrement, tout comme la décision faisant l'objet de l'arrêt Lake , « tient en grande partie aux faits, et le [décideur] doit soupeser divers facteurs dont l'“aspect juridique est négligeable” » ( Lake c. Canada (Ministre de la Justice) , 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, par. 38 et 41). La loi énonce un certain nombre de facteurs dont doivent tenir compte les directeurs lorsqu'ils procèdent à un transfèrement : les détenus doivent être placés dans un établissement dont le niveau de sécurité est le moins restrictif nécessaire pour assurer la sécurité du public, du personnel et des autres détenus; ils devraient avoir accès à la collectivité à laquelle ils appartiennent et à leur famille, et ils devraient être transférés dans un milieu culturel et linguistique compatible ( LSCMLC , art. 28 ). Pour déterminer si un détenu constitue une menace pour la sécurité du pénitencier ou pour les personnes qui y vivent et y travaillent, il faut une connaissance approfondie de la culture du pénitencier et du comportement des personnes qui s'y trouvent. Les directeurs et le commissaire possèdent, plus que les juges des cours supérieures provinciales, cette connaissance approfondie et l'expérience pratique connexe.
[77] L'intervenante ALCCB prétend que l'application de la norme de la décision raisonnable ne devrait pas avoir pour effet de modifier la structure fondamentale ou les avantages du bref. Je suis d'accord. Premièrement, les fardeaux de preuve habituels associés au bref continueront de s'appliquer. Une fois que le détenu a démontré qu'il a été privé de sa liberté et qu'il soulève un doute quant au caractère raisonnable de la privation, le fardeau de la preuve se déplace et impose aux autorités intimées de prouver que le transfèrement était raisonnable compte tenu de l'ensemble des circonstances.
[78] Deuxièmement, l' habeas corpus demeure non discrétionnaire en ce qui concerne la décision de réviser le dossier. Lorsque le demandeur soulève valablement un doute quant au caractère raisonnable de sa détention, le juge de la cour supérieure provinciale est tenu d'examiner la décision au fond et de déterminer si les autorités chargées de la détention ont présenté des éléments de preuve fiables qui étayent leur conclusion. Contrairement à la Cour fédérale lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la cour supérieure provinciale qui entend une demande d' habeas corpus n'a pas le pouvoir discrétionnaire inhérent de refuser d'examiner l'affaire (voir Farbey, Sharpe et Atrill, p. 52‑56). Toutefois, un pouvoir discrétionnaire résiduel entre en jeu à la deuxième étape de la procédure d' habeas corpus lorsque, après examen du dossier, le juge doit décider s'il y a lieu de libérer le demandeur.
[79] Troisièmement, la possibilité de contester une décision au motif qu'elle est déraisonnable ne change pas nécessairement la norme de révision applicable aux autres lacunes de la décision ou du processus décisionnel. Par exemple, la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l'équité procédurale sera toujours celle de la « décision correcte ».
[80] Il n'est pas nécessaire de savoir si la décision qu'a prise la directrice dans la présente affaire était illégale parce qu'elle était déraisonnable. Comme je l'expliquerai plus loin, la décision était illégale parce qu'elle était inéquitable sur le plan procédural.
D. Mesure disciplinaire et communication
[81] L' article 29 de la LSCMLC autorise les transfèrements, et l'al. 5(1) b ) et l'art. 13 du RSCMLC indiquent la façon dont ce pouvoir est exercé lorsqu'un transfèrement immédiat s'impose. Selon l' art. 29 de la LSCMLC , le commissaire peut autoriser le transfèrement d'un détenu d'un pénitencier à un autre conformément aux règlements pourvu que le pénitencier où le détenu est transféré constitue un milieu où seules existent les restrictions nécessaires, compte tenu de la sécurité du public, du pénitencier et des personnes qui s'y trouvent ( art. 28 et 29 ). Suivant l'al. 13(2) a ) du RSCMLC , lorsque le commissaire ou l'agent désigné conclut qu'un détenu doit faire l'objet d'un transfèrement immédiat d'urgence non sollicité, ce dernier peut tout de même présenter des observations au sujet du transfèrement. Aux termes du par. 27(1) de la LSCMLC , lorsque les règlements autorisent le détenu à présenter des observations, le décideur doit lui communiquer « tous les renseignements » entrant en ligne de compte dans la décision finale relative au transfèrement, sous réserve seulement du par. 27(3) . Par conséquent, même les détenus visés par un transfèrement d'urgence non sollicité ont le droit de connaître tous les renseignements que le directeur a pris en considération dans sa décision, ou un sommaire de ceux‑ci, sous réserve seulement du par. 27(3) . La communication d'un sommaire des renseignements peut satisfaire à l'obligation de fournir au détenu « tous les renseignements ».
[82] Comme la Cour l'a confirmé dans l'arrêt Cardinal , une des décisions de la trilogie Miller , « à titre de principe général de common law , une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne » (p. 653). L' article 27 de la LSCMLC guide le décideur et précise ces droits procéduraux ( May , par. 94). Pour garantir l'équité du processus de prise de décision qui mène au transfèrement, le par. 27(1) prévoit que tous les renseignements entrant en ligne de compte dans la prise de décision, ou un sommaire de ceux‑ci, doivent être communiqués au détenu, et ce, dans un délai raisonnable avant la prise de la décision finale. Il incombe au décideur de prouver qu'il a respecté le par. 27(1) .
[83] Cette forme de communication ne doit pas se confondre avec la communication requise par l'arrêt R. c. Stinchcombe , [1991] 3 R.C.S. 326. Comme la Cour l'a indiqué dans l'arrêt May , « [i]l faut toujours examiner les exigences de l'équité procédurale en contexte » (par. 90, citant Ruby c. Canada (Solliciteur général) , 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, par. 39; Knight c. Indian Head School Division No. 19 , [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1999] 2 R.C.S. 817, par. 21; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1992] 1 R.C.S. 711, p. 743; Therrien (Re) , 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3, par. 82). Dans ce contexte, bien que la liberté résiduelle d'un détenu soit en jeu, son innocence ne l'est pas. L'arrêt Stinchcombe exige que le ministère public communique tous les renseignements pertinents, non seulement les « renseignements que le ministère public entend produire en preuve, mais aussi ceux qu'il n'a pas l'intention de produire » (p. 343). Aux termes de l' art. 27 , les autorités ne sont pas tenues de produire les éléments de preuve qu'elles possèdent et qui n'ont pas été pris en compte dans la décision relative au transfèrement; elles doivent communiquer seulement les éléments de preuve entrant en ligne de compte dans la décision. De plus, suivant Stinchcombe , le ministère public doit communiquer tous les renseignements pertinents, mais selon l' art. 27 de la LSCMLC , un sommaire de ces renseignements suffit.
[84] Le régime législatif permet certaines exemptions à la lourde obligation de communication prévue aux par. 27(1) et (2) . Selon le par. 27(3) , si le commissaire a des motifs raisonnables de croire que la communication des renseignements prévue aux par. 27(1) ou (2) mettrait en danger a) la sécurité d'une personne, b) la sécurité du pénitencier, ou c) compromettrait la tenue d'une enquête licite, il peut refuser la communication de renseignements au détenu dans la mesure jugée strictement nécessaire à la protection des intérêts en danger.
[85] La décision de refuser la communication de renseignements conformément au par. 27(3) peut nécessairement être révisée par voie d' habeas corpus. Cette décision n'est pas indépendante de celle qui est prise au sujet du transfèrement en vertu de l' art. 29 . L' article 27 apporte plutôt des précisions sur les garanties procédurales établies pour assurer l'équité des décisions fondées sur l' art. 29 ou sur d'autres dispositions. Lorsqu'une décision de transférer est prise en vertu de l' art. 29 et qu'un détenu peut présenter des observations conformément au RSCMLC , l' art. 27 s'applique et les décisions prises sous son régime sont susceptibles de révision. Si l'autorité correctionnelle ne se conforme pas à toutes les obligations que lui impose l' art. 27 , la cour de révision peut conclure que la décision relative au transfèrement est inéquitable sur le plan procédural, et la privation de liberté du détenu ne pourra être légale. Un tel constat constitue certainement un « doute [valablement soulevé] » que le détenu peut invoquer dans sa demande d' habeas corpus .
[86] L' habeas corpus est structuré de telle sorte que, dès lors que le détenu a valablement soulevé un doute quant à la légalité de sa privation de liberté, il incombe aux autorités de justifier de la licéité de la détention ( May , par. 71). Si le commissaire, ou son représentant, choisit de refuser la communication de renseignements au détenu en se fondant sur le par. 27(3) , il lui incombe alors d'invoquer cette disposition et de prouver qu'il avait des motifs raisonnables de croire que la communication de ces renseignements compromettrait les intérêts mentionnés.
[87] Lorsque les autorités correctionnelles refusent, en se fondant sur le par. 27(3) , de communiquer au détenu tous les renseignements entrant en ligne de compte dans leur décision de transférer un détenu ou un sommaire de ceux‑ci, elles devraient généralement, si le détenu conteste une décision par voie d' habeas corpus , présenter au juge de la cour de révision un affidavit scellé. Cet affidavit contiendrait les renseignements qui n'ont pas été communiqués au détenu et ceux qui lui ont été communiqués, ainsi qu'un exposé des raisons pour lesquelles la communication de ces renseignements risquerait de compromettre la sécurité du pénitencier, la sécurité d'une personne ou la tenue d'une enquête licite.
[88] Lorsque les autorités carcérales se fient à des « renseignements glanés » ou à des tuyaux anonymes pour justifier un transfèrement, elles doivent aussi indiquer dans l'affidavit scellé les raisons pour lesquelles elles jugent ces sources fiables. Lorsque le droit à la liberté est en jeu, l'équité procédurale comprend aussi des mesures destinées à vérifier la preuve sur laquelle les autorités se sont fondées. Si une personne doit subir une forme de privation de sa liberté, l'« équité procédurale comprend [. . .] une procédure de vérification de la preuve présentée contre cette personne » ( Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration) , 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326, par. 56).
[89] Aux termes du par. 27(3) , le commissaire peut refuser la communication de renseignements s'il a des « motifs raisonnables de croire » que la communication de ces renseignements pourrait mettre en danger la sécurité du pénitencier, la sécurité d'une personne, ou pourrait compromettre la tenue d'une enquête. Le commissaire, ou son représentant, est le mieux en mesure de décider si ce risque pourrait effectivement se concrétiser. Par conséquent, il faut, dans une certaine mesure, faire preuve de déférence sur ce point envers le commissaire ou le directeur. De même, ces derniers sont mieux en mesure de déterminer la fiabilité de certaines sources ou de certains informateurs. Par conséquent, il faut, sur ce point également, faire preuve d'une certaine déférence. Toutefois, si le par. 27(3) n'est pas invoqué et que certains renseignements ne sont pas communiqués, la déférence ne sera pas justifiée et la décision sera inéquitable sur le plan procédural et, par conséquent, illégale.
[90] Toutefois, je souligne que tout manquement à la LSCMLC ou au RSCMLC n'est pas nécessairement inéquitable. Il appartiendra à la cour de révision de déterminer si un manquement donné a emporté un manquement à l'équité procédurale. Par exemple, si le par. 27(3) a été invoqué à tort ou s'il s'agissait d'un manquement à une simple formalité de la loi, le juge chargé de la révision devra décider si l'erreur ou le manquement à une formalité a rendu la décision inéquitable sur le plan procédural.
E. Légalité de la privation de liberté
[91] Je le répète, le bref d' habeas corpus est décerné lorsque (1) le demandeur a été privé de sa liberté, et (2) cette privation de liberté était illégale. Nul n'a contesté le fait que le transfèrement de M. Khela à l'Établissement Kent constituait une privation de sa liberté. Cependant, les parties ne s'entendent pas sur la légalité de la privation.
[92] Il ressort clairement de l'examen du dossier que, lorsqu'elle a décidé le transfèrement, la directrice a pris en compte des renseignements qui n'ont pas été communiqués à M. Khela. Elle ne lui a pas non plus communiqué un sommaire satisfaisant des renseignements manquants. Le refus de communiquer ces renseignements n'était pas justifié aux termes du par. 27(3) . Par conséquent, la décision de la directrice ne satisfaisait pas aux exigences législatives en matière d'équité procédurale.
[93] En l'espèce, la juge saisie de la demande a relevé que la directrice avait omis de communiquer des renseignements au sujet de la fiabilité des sources (par. 47), le détail des déclarations faites par les sources (par. 51) ainsi que la matrice de notation sur laquelle était fondée la cote de sécurité de M. Khela (par. 56). La juge a estimé que l'omission de communiquer ces renseignements avait rendu la décision non équitable sur le plan procédural (par. 59). Je souscris à cette conclusion.
[94] Les déclarations faites par les sources et les renseignements relatifs à la fiabilité des sources auraient dû être communiqués à M. Khela. Les appelants plaident que les renseignements relatifs à la fiabilité des sources et des détails importants de l'incident qui ont mené au transfèrement de M. Khela ont effectivement été communiqués. Cependant, dans le cas des sources, l'évaluation mentionnait seulement que, en octobre 2009 et en janvier 2010, [ traduction ] « [l]e Service du renseignement de sécurité a reçu des renseignements selon lesquels M. Khela avait commandé l'agression au couteau » et que « trois sources différentes » avaient impliqué M. Khela dans les incidents ayant mené à son transfèrement. Il était aussi indiqué dans l'évaluation que les renseignements ainsi obtenus « corroborent des déclarations antérieures et ajoutent foi aux soupçons ». Ces déclarations n'informent pas suffisamment M. Khela de la preuve qui pèse contre lui. L'évaluation n'indique pas clairement ce que chacune des trois sources distinctes a dit, ou la raison pour laquelle les renseignements reçus plus tard « corroborent » des déclarations antérieures. De vagues déclarations relatives à l'obtention de renseignements d'une source et à la corroboration ne satisfont pas à l'exigence prescrite par la loi de communiquer au détenu, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans la décision ou un sommaire de ceux‑ci.
[95] Il est possible que les appelants auraient pu refuser à juste titre, aux termes du par. 27(3) de la LSCMLC , de communiquer certains de ces renseignements, mais ils n'ont pas invoqué le par. 27(3) ni présenté aucune preuve (y compris un affidavit scellé) indiquant que le refus de cette communication visait à protéger les intérêts mentionnés au par. 27(3) . Si ce paragraphe n'est jamais invoqué, ou plaidé avec preuve à l'appui, rien ne permet à la Cour de conclure que la directrice a eu raison de refuser au détenu la communication des renseignements pris en compte dans sa décision de le transférer.
[96] De plus, je conviens avec la juge saisie de la demande et la Cour d'appel qu'il était inéquitable sur le plan procédural que la directrice ne communique pas la matrice de notation qui sous‑tend l'ÉRNS. Les appelants plaident que les tribunaux inférieurs n'auraient pas dû traiter du refus de la directrice de communiquer la matrice de notation car, contrairement à la situation dans May , la décision de transférer M. Khela ne reposait pas seulement sur l'ÉRNS puisque le commissaire avait écarté la cote de sécurité. Cependant, la question de savoir si la décision reposait uniquement sur cette échelle n'est pas pertinente. La question consistait plutôt à déterminer si la directrice avait pris en ligne de compte , dans sa décision, la matrice de notation qui permet d'appliquer l'ÉRNS ( art. 27 ).
[97] Le fait de modifier le résultat obtenu au moyen de l'ÉRNS n'élimine pas l'obligation faite à la directrice de communiquer la matrice de notation. Cette matrice permet de calculer la cote de sécurité du détenu. Cette cote est alors examinée et peut être écartée. Cependant, même si elle est écartée, la cote de sécurité (et, indirectement, la matrice de notation) est quand même « prise [. . .] en ligne de compte » au sens de l' art. 27 de la LSCMLC . Le directeur ou le commissaire doit examiner le résultat avant de l'écarter. Sans la matrice de notation et les renseignements relatifs à la méthode utilisée pour calculer la note totale, M. Khela ne possédait aucun moyen de contester les renseignements sur lesquels reposait le calcul ou la façon d'établir la note totale. En conséquence, il ne pouvait contester efficacement la décision d'écarter la cote de sécurité.
[98] Une décision de transférer un détenu dans un pénitencier à sécurité plus élevée n'est légale que si, entre autres exigences, elle est équitable sur le plan procédural. Pour qu'elle le soit, les autorités correctionnelles doivent satisfaire aux exigences prévues par la loi en matière de communication. En l'espèce, ces exigences n'ont pas été respectées et la décision de transférer M. Khela de l'Établissement de Mission à l'Établissement Kent était en conséquence illégale. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a donc eu raison d'accueillir la demande d' habeas corpus . Monsieur Khela a été valablement renvoyé dans un établissement à sécurité moyenne (C.A., par. 95).
VI. Conclusion
[99] Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi sans dépens. La décision initiale relative au transfèrement était illégale. Monsieur Khela est toutefois maintenant légalement détenu à l'Établissement Kent et ne peut en conséquence être renvoyé pour le moment dans un établissement à sécurité moyenne.
Pourvoi rejeté sans dépens.
Procureur des appelants : Procureur général du Canada, Ottawa et Vancouver.
Procureurs de l'intimé : Conroy & Company, Abbotsford.
Procureur des intervenantes l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et la Société John Howard du Canada : Université Queen's, Kingston.
Procureurs de l'intervenante l'Association canadienne des libertés civiles : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa.
Procureur de l'intervenante l'Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : University of British Columbia, Vancouver.