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22/02/2013 | CANADA | N°2013_CSC_9

Canada | R. c. Personne désignée B


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Personne désignée B, 2013 CSC 9, [2013] 1 R.C.S. 405
Date : 20130222
Dossier : 34053

Entre :
Personne désignée B
Appelante
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Jacqueline Benoît, Raymond Bouchard, Denis Corriveau, Marcel Demers,
Raymond Desfossés, Gilles Dubois, Frédéric Faucher, Jean-Claude Gagné,
Denis Gaudreault et Gérard Hubert
Autres
et
Directeur des poursuites pénales, procureur général de l'Ontario et
Criminal Lawyers' Association (Ontario) r> Intervenants

Avis :

Les 24 janvier et 20 décembre 2011, la Cour a ordonné que le dossier dans la cause Personne dés...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Personne désignée B, 2013 CSC 9, [2013] 1 R.C.S. 405
Date : 20130222
Dossier : 34053

Entre :
Personne désignée B
Appelante
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Jacqueline Benoît, Raymond Bouchard, Denis Corriveau, Marcel Demers,
Raymond Desfossés, Gilles Dubois, Frédéric Faucher, Jean-Claude Gagné,
Denis Gaudreault et Gérard Hubert
Autres
et
Directeur des poursuites pénales, procureur général de l'Ontario et
Criminal Lawyers' Association (Ontario)
Intervenants

Avis :

Les 24 janvier et 20 décembre 2011, la Cour a ordonné que le dossier dans la cause Personne désignée B c. Sa Majesté la Reine (34053) soit mis sous scellés et qu'il soit interdit de publier toute information scellée.

Les motifs de jugement ne sont pas visés par ces ordonnances.


Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps * , Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

Motifs de jugement :
(par. 1 à 49)

Motifs dissidents :
(par. 50 à 153)
La juge Abella (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish, Moldaver et Karakatsanis)

Le juge Cromwell (avec l'accord du juge Rothstein)

R. c. Personne désignée B, 2013 CSC 9, [2013] 1 R.C.S. 405
Personne désignée B Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Jacqueline Benoît, Raymond Bouchard,
Denis Corriveau, Marcel Demers,
Raymond Desfossés, Gilles Dubois,
Frédéric Faucher, Jean‑Claude Gagné,
Denis Gaudreault et Gérard Hubert Autres
et
Directeur des poursuites pénales,
procureur général de l'Ontario et
Criminal Lawyers' Association (Ontario) Intervenants
Répertorié : R. c. Personne désignée B
2013 CSC 9
N o du greffe : 34053.
2012 : 11 avril; 2013 : 22 février.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps * , Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour supérieure du québec
Droit criminel — Preuve — Privilège de l'indicateur — Révélations relatives à elle et à autrui faites par une personne bénéficiant du privilège de l'indicateur auprès d'un corps policier à un second corps policier — Cette personne bénéficie‑t‑elle du privilège de l'indicateur auprès du second corps policier? — Une promesse implicite de confidentialité par le second corps policier a‑t‑elle découlé du lien entre les deux corps policiers?
La personne désignée B (« B ») est entrée en contact avec le premier corps policier pour lui communiquer des renseignements relatifs à des crimes violents, et ce corps policier lui a promis la confidentialité. Deux jours plus tard, B ainsi que les renseignements qu'elle avait fournis ont été transférés à la Sûreté du Québec (« SQ »). Durant cinq ans, elle a poursuivi sa collaboration avec la SQ et a continué à révéler des renseignements sur des crimes graves. Au terme de cette période, le ministère public a ordonné à la SQ de caviarder le nom de B et tout renseignement susceptible de révéler son identité dans l'ensemble des documents et de mettre ces derniers sous scellés. Il a également présenté une demande pour que soit déterminé si B jouissait du privilège relatif aux indicateurs de police auprès de la SQ. Le juge des requêtes a conclu que B ne jouissait pas du statut d'indicateur.
Arrêt (les juges Rothstein et Cromwell sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli, et l'affaire est renvoyée pour réexamen.
La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Moldaver et Karakatsanis : Bien que le juge des requêtes ait reconnu qu'une promesse de confidentialité peut être soit expresse, soit implicite, il n'a entrepris aucune analyse pour déterminer si une promesse implicite aurait pu prendre naissance. Tout particulièrement, il a omis de tirer quelque conclusion que ce soit quant à la question de savoir si le transfert de B du premier corps policier à la SQ, la relation entre les deux corps policiers et les similitudes dans les relations qu'a entretenues B avec l'un et l'autre pourraient avoir mené une personne placée dans la position de cette dernière à avoir des motifs raisonnables de croire que le statut dont elle bénéficiait auprès du premier corps policier serait maintenu relativement à ses rapports avec le second corps policier.
L'hypothèse d'une promesse implicite de confidentialité ressort en l'espèce du lien entre le premier corps policier et la SQ et du fait que cette dernière a omis de préciser à B la nature de son statut. Les rapports de cette dernière avec la SQ découlent de ceux qu'elle entretenait, à titre d'indicateur anonyme, avec le premier corps policier, et les deux corps policiers ont traité avec B en collaborant au fil des ans. Ensuite, il est incontesté qu'on n'a jamais dit à B qu'elle cessait d'être un indicateur anonyme après le transfert de son dossier à la SQ. Cela s'avère, même si — fait également incontesté — elle a demandé à cette dernière à maintes reprises des précisions sur son statut.
B est entrée en contact avec le premier corps policier pour lui communiquer des renseignements relatifs à des crimes violents. On lui a promis que le privilège de l'indicateur s'appliquerait aux renseignements qu'elle communiquerait à ce corps policier. Pour mener à bien ses enquêtes, la SQ a utilisé des renseignements confidentiels qui avaient été communiqués par B au premier corps policier avant que la SQ n'intervienne.
Sur la base des renseignements fournis par B, les deux corps policiers travaillaient de pair et traitaient indifféremment avec elle. Un agent de la SQ a reconnu que, dans les faits, les deux forces travaillaient de pair pour mener une enquête fondée sur les renseignements divulgués par B. Ces rapports étroits ressortent également d'une lettre adressée par un agent du premier corps policier à la SQ, dans laquelle il reconnaissait l'existence de la protection conférée par le premier corps policier à B et laissait entendre que son service de police croyait que cette dernière jouissait d'un statut semblable auprès de la SQ.
Outre le lien temporel et opérationnel entre les deux corps policiers, B a demandé à maintes reprises des précisions sur son statut sans jamais obtenir de réponse claire, ce qui aurait bien pu donner à une personne placée dans la situation de B des motifs raisonnables de croire que son identité serait protégée. Si les agents de la SQ ont nié catégoriquement avoir considéré B comme un indicateur, ils ne semblent pas l'avoir informée de leur point de vue. Le premier corps policier avait promis la confidentialité à B, parce que sa collaboration mettait sa vie en danger. Or, ce danger auquel elle s'exposait n'a pas disparu au moment du transfert de son dossier à la SQ deux jours plus tard et il ne fait aucun doute que les policiers de la SQ étaient au courant de la protection dont bénéficiait B auprès du premier corps policier. À tout le moins, la SQ a tenu un discours ambigu quant à la confidentialité des déclarations de B. L'effet réel sur l'attente raisonnable de B en matière d'anonymat de ce discours ambigu de la SQ doit être déterminé dans le cadre d'une nouvelle audience.
Le fait qu'un corps policier ait conféré le statut d'indicateur à quelqu'un ne suffit pas, à lui seul, pour justifier la prétention à l'existence du privilège de l'indicateur en ce qui a trait à ses rapports avec un autre corps policier. Or, compte tenu du lien entre les corps policiers dans leur traitement de B et de la continuité effective des rapports qu'elle a entretenus avec les deux corps policiers, elle aurait pu avoir des motifs raisonnables de croire que la protection promise par le premier corps policier continuerait de s'appliquer au fil de ses révélations continues à la SQ.
Les juges Rothstein et Cromwell (dissidents) : Pour trancher l'affaire, il faut en premier lieu évaluer le contexte des réalités concrètes dans lequel elle s'inscrit et les limites de la révision en appel. En réalité, le juge des requêtes a expressément rejeté le témoignage de B selon lequel on lui avait fait la promesse qu'elle jouirait du statut d'indicateur de police anonyme, voire qu'on en avait discuté avec elle. Il a également jugé que les policiers n'avaient rien fait qui aurait permis à B de croire qu'elle allait devenir indicateur de police anonyme. Même si, dans de rares cas, il peut être possible en théorie qu'une personne soit à la fois témoin pour le ministère public et indicateur de police anonyme, ce n'était pas possible dans la situation de B. Le juge des requêtes l'a reconnu, comme d'ailleurs le propre avocat de B devant la Cour. Le fait que la police ait l'obligation de protéger une personne n'a rien à voir avec celui de savoir si cette personne est un indicateur de police anonyme. Partant, il n'y a rien d'incompatible à ce que les policiers soutiennent, d'une part, qu'ils s'estimaient tenus de protéger B et, d'autre part, que celle‑ci n'était pas un indicateur de police anonyme.
Toute supposition voulant que B ait posé des questions relativement à son statut d'indicateur de police et qu'elle n'ait pas eu droit à une réponse claire n'est étayée ni par les conclusions du juge des requêtes ni par le dossier. En fait, les policiers qui ont témoigné relativement à cette question ont affirmé à plusieurs reprises qu'il n'y a tout simplement pas eu de discussion quant au statut de la personne désignée B en tant que source ou indicateur anonyme. En effet, aucun des agents en cause n'a omis de donner une réponse claire à B quant à la question de savoir si elle était une source anonyme parce qu'il n'y a pas eu de discussions à ce sujet.
Une cour qui siège en appel n'est pas habilitée à soupeser de nouveau les éléments de preuve au dossier et à tirer des inférences que n'a pas voulu tirer le juge des requêtes, à moins que celui‑ci n'ait commis une erreur manifeste et déterminante. La Cour ne peut donc pas, en appel, tirer de ce dossier l'inférence que B a demandé si elle était une source et qu'elle n'a pas eu de réponse claire. Une telle inférence serait non seulement contraire à la preuve à laquelle le juge des requêtes a donné foi, mais aussi contraire à sa conclusion de fait expresse que la SQ n'a rien fait qui aurait pu inciter B à croire qu'elle deviendrait un indicateur de police anonyme.
Au sujet des promesses alléguées d'anonymat qui auraient été faites par les policiers, le juge des requêtes était conscient de l'existence de l'inconstance dans la preuve et il l'a expressément souligné. Un examen du dossier permet de constater qu'il y a effectivement eu un certain flou et de l'inconstance dans la preuve quant à la question de savoir ce qui était confidentiel et ce qui ne l'était pas. C'était au juge des requêtes qu'il revenait de faire la lumière sur la question, pas à une cour siégeant en appel. Le juge l'a fait et il n'y a aucune raison de revenir sur ses conclusions.
Le juge des requêtes n'a pas omis d'examiner la question de l'existence ou non d'une promesse implicite quant au statut d'indicateur anonyme en l'espèce. Au contraire, ses constatations de fait et le dossier étayent amplement la conclusion qu'il a pris soin d'examiner si une promesse tant implicite qu'explicite avait été faite, même si le témoignage de B n'a fait état que de promesses explicites répétées de la SQ. C'était le seul fondement pour justifier sa croyance qu'elle avait le statut d'indicateur.
Le juge était au fait des rapports qu'entretenait B avec d'autres corps policiers. Or, au courant de cet élément du dossier, il a conclu à la nécessité de considérer différemment les rapports qu'elle entretenait avec la SQ. Il a fait état de plusieurs différences pour justifier cette conclusion qui est largement étayée par la preuve.
À la lumière des nombreuses constatations du juge des requêtes, le dossier ne permet pas de conclure à l'existence d'une promesse implicite en l'espèce. En fait, le témoignage de B, dont il ressort clairement que le privilège de l'indicateur qu'elle revendiquait n'aurait découlé que de promesses expresses qu'on lui aurait faites — des promesses dont le juge a conclu qu'elles n'avaient jamais existé —, dément cette possibilité. Qui plus est, le juge a ajouté foi aux dépositions des policiers selon lesquels ils n'avaient même jamais envisagé de faire de B un indicateur anonyme et n'avaient rien fait qui a pu inciter cette dernière à croire qu'elle avait ce statut. Le juge a aussi conclu que ce n'est que quelques années après que B ait échangé pour la première fois avec la SQ qu'elle a commencé à réclamer le statut d'indicateur de police anonyme. Ces constatations empêchent d'accorder quelque crédit que ce soit à la théorie de la promesse sous‑entendue ou implicite.
Enfin, les conclusions du juge — selon lesquelles B savait en fait ne pas jouir du privilège de l'indicateur et avait invoqué ce statut après coup par opportunisme — permettent d'écarter, au motif qu'elle n'est pas pertinente, la possibilité qu'une personne imaginaire placée dans sa situation ait pu croire à une promesse implicite. B savait n'avoir reçu aucune telle promesse et a tout de même communiqué les renseignements. Elle est une soupirante déçue de ne pas avoir signé un contrat potentiellement lucratif de témoin repenti et une opportuniste, pas un indicateur de police.
Vu le dossier, il n'y a pas lieu de modifier les conclusions de fait du juge des requêtes. Toutefois, rien ici ne doit prêter à une interprétation qui nie l'importance pour le policier d'indiquer clairement à une source éventuelle en quoi consiste son statut. Bien au contraire. Compte tenu du rôle important que joue le statut d'indicateur dans la détection des crimes et la poursuite de leurs auteurs, les tribunaux ne doivent pas miner son efficacité en sanctionnant l'action policière qui crée chez les indicateurs éventuels de l'incertitude ou de la confusion quant à leur statut. En l'espèce, le juge des requêtes était manifestement conscient de ces considérations, comme il se devait de l'être, et il a tiré ses conclusions à l'issue d'un examen attentif et approfondi de l'ensemble du dossier de preuve. Il n'y a donc pas lieu de modifier sa décision.
Jurisprudence
Citée par la juge Abella
Arrêts mentionnés : R. c. Barros , 2011 CSC 51, [2011] 3 R.C.S. 368; Bisaillon c. Keable , [1983] 2 R.C.S. 60; R. c. Leipert , [1997] 1 R.C.S. 281; Attorney‑General c. Briant (1846), 15 M. & W. 169, 153 E.R. 808.
Citée par le juge Cromwell (dissident)
R. c. Stinchcombe , [1991] 3 R.C.S. 326; Bisaillon c. Keable , [1983] 2 R.C.S. 60; R. c. Leipert , [1997] 1 R.C.S. 281; Personne désignée c. Vancouver Sun , 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253; R. c. Babes (2000), 146 C.C.C. (3d) 465; R. c. Barros , 2011 CSC 51, [2011] 3 R.C.S. 368; R. c. Basi , 2009 CSC 52, [2009] 3 R.C.S. 389.
POURVOI contre une décision de la Cour supérieure du Québec (le juge Gagnon), n o 200‑01‑134678‑097, rendue le 17 septembre 2010. Pourvoi accueilli, les juges Rothstein et Cromwell sont dissidents.
Guy Bertrand , pour l'appelante.
Jacques Casgrain et Maxime Laganière , pour l'intimée.
Louis Belleau , pour les Autres.
François Lacasse et Nancy L. Irving , pour l'intervenant le directeur des poursuites pénales.
Susan Magotiaux , pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.
Anil K. Kapoor et Lindsay L. Daviau , pour l'intervenante Criminal Lawyers' Association (Ontario).
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish, Abella, Moldaver et Karakatsanis rendu par
[1] La juge Abella — Le présent pourvoi concerne une personne (« personne désignée B ») [1] à qui un service de police a garanti la confidentialité pour les renseignements qu'elle leur a relatés et dont le dossier a ultérieurement été transféré à un autre service. Ce second corps policier n'a pas répondu aux questions réitérées de cette personne sur son statut et n'a jamais précisé la nature de celui‑ci. Le règlement de la présente affaire dépend des conséquences du vide informationnel créé par le second service de police et, en particulier, sur la possibilité qu'une inférence ait pu raisonnablement être tirée qu'une promesse implicite de confidentialité avait été faite en raison du lien entre les deux corps policiers.
[2] Le juge des requêtes a conclu que le statut d'indicateur anonyme dont jouissait la personne désignée B auprès d'un service de police ne lui conférait pas automatiquement le même statut auprès de l'autre service. Le juge a également estimé que la personne désignée B avait menti en prétendant avoir reçu du second service de police la promesse expresse qu'elle aurait ce statut d'indicateur anonyme. Mais il n'aurait pas fallu en rester là. En effet, il restait à déterminer si, compte tenu de l'interaction entre les corps de police et de la conduite des policiers, il existait un lien entre ces forces policières et, le cas échéant, si la personne désignée B avait reçu une promesse implicite suivant laquelle la confidentialité dont elle jouissait auprès du premier service de police continuerait de s'appliquer auprès du second. Le juge des requêtes a ajouté foi aux témoignages d'agents du second corps policier sur leurs rapports avec la personne désignée B. Or, fait important, selon ces derniers, la personne désignée B avait demandé des précisions sur son statut à maintes reprises, et jamais on ne lui a clairement indiqué qu'elle n 'était pas un indicateur de police.
[3] Le juge des requêtes a conclu que le statut de la personne désignée B auprès de chaque corps policier devait être traité différemment. Il n'a jamais expliqué pourquoi. La personne désignée B a pris des risques en fournissant à la Sûreté du Québec (« SQ ») des renseignements qui ont mené à des enquêtes et à des poursuites relatives à des crimes violents. J'estime que le juge des requêtes a commis une erreur en omettant de tirer quelque conclusion que ce soit quant à la question de savoir si le transfert, la relation entre les deux corps policiers et les similitudes dans les relations qu'a entretenues la personne désignée B avec l'un et l'autre pourraient avoir mené une personne placée dans la position de cette dernière à avoir des motifs raisonnables de croire que le statut dont elle bénéficiait auprès du premier corps policier serait maintenu relativement à ses rapports avec le corps policier à qui son dossier avait été transféré.
[4] Le dossier révèle que ces questions sont toujours pendantes. Aucune des conclusions tirées par le juge des requêtes n'en traite, même si on accepte toutes les conclusions décrites par le juge Cromwell. Avec égards pour l'opinion contraire, j'estime donc que cela laisse en suspens une question clé, soit celle de savoir si, dans les circonstances, il y a eu promesse implicite de confidentialité.
Les faits
[5] Inquiète pour sa propre sécurité et dans un esprit de vengeance, la personne désignée B a rencontré deux agents du premier corps policier, pour leur révéler des renseignements relativement à un bon nombre de personnes impliquées dans des crimes violents auxquels elle a admis avoir elle-même participé. Les agents de ce corps policier lui ont promis la confidentialité et attribué un code d'indicateur dans leur système. Ils l'ont ensuite remise en liberté, mais, comme ce corps policier n'était pas compétent pour enquêter sur les activités criminelles en cause, ses agents ont transmis les renseignements obtenus à la SQ.
[6] Deux jours plus tard, la personne désignée B a été transférée à la SQ et deux agents de ce corps policier l'ont mis en état d'arrestation pour ses crimes. Elle était tout de même disposée à poursuivre sa collaboration et à divulguer son passé criminel. Au cours des jours qui ont suivi, elle a révélé à cet égard de nombreux renseignements aux agents de la SQ.
[7] La personne désignée B s'est vu attribuer un code d'indicateur de la SQ et, durant cinq ans, elle a poursuivi sa collaboration avec cette dernière. La plupart de ses déclarations à ce service de police étaient précédées de la promesse que les renseignements fournis ne serviraient pas à la poursuivre, sauf pour parjure, à cette condition près que des accusations reposant sur d'autres éléments de preuve pourraient être portées contre elle.
[8] Durant ces cinq années, la personne désignée B a plaidé coupable quant à un des crimes violents qu'elle avait commis et s'est vu infliger une peine à cet égard.
[9] Au terme des cinq ans, le ministère public a ordonné à la SQ de caviarder le nom de la personne désignée B et tout renseignement susceptible de révéler son identité dans l'ensemble des documents et de mettre ces derniers sous scellés. Quelques mois plus tard, deux agents de la SQ se sont présentés au pénitencier pour faire signer à la personne désignée B une « Renonciation au bénéfice du privilège d'informateur » — une renonciation à son droit d'invoquer le privilège d'indicateur de police. Elle a refusé de signer. Par la suite, le nom de la personne désignée B n'a plus figuré dans les nouveaux documents, qui l'identifient plutôt par le vocable « source ».
[10] Le ministère public a présenté une demande pour que soit clarifié le statut de la personne désignée B et que soit déterminé si elle jouissait du privilège relatif aux indicateurs de police lui assurant l'anonymat. L'audience s'est déroulée à huis clos et avec des documents tous sous scellés.
[11] À l'audience, la personne désignée B a affirmé que des agents de la SQ l'avaient assuré à plusieurs reprises qu'elle était un indicateur. Elle a invoqué le code d'indicateur attribué par la SQ, la demande qui lui a été faite de signer la « Renonciation au bénéfice du privilège d'informateur »s de police et le fait qu'elle était identifiée par le mot « source » dans tous les documents créés après que le ministère public avait demandé le caviardage de l'ensemble des documents. Pour sa part, le ministère public a fait valoir que la SQ s'attendait de la personne désignée B qu'elle devienne un témoin repenti, que cette personne avait été avertie à de nombreuses reprises que ses déclarations pourraient servir à l'incriminer, que la SQ n'avait pas protégé son identité dans les documents et déclarations produits avant que les documents ne soient mis sous scellés et que le service de police avait fait une divulgation partielle d'une des déclarations de la personne désignée B à une occasion. Le ministère public a laissé entendre que ces éléments contredisaient le témoignage de cette dernière selon lequel on lui avait promis l'anonymat.
[12] De l'avis du juge des requêtes, les agents du premier corps policier s'étaient engagés à protéger l'identité de la personne désignée B en échange des renseignements qu'elle leur a divulgués. Partant, toutes les déclarations de la personne désignée B au premier corps policier étaient protégées en vertu du privilège de l'indicateur. Cette conclusion n'est pas contestée par les parties.
[13] En revanche, le juge des requêtes a conclu que « [l]a preuve exige de considérer différemment la situation de [la personne désignée B] selon qu'elle communique des renseignements [au premier corps policier] ou aux enquêteurs de la Sûreté du Québec ». Quant au statut de la personne désignée B auprès de la SQ, il a observé que la preuve faisait état de « deux versions diamétralement opposées ». Il a rejeté le témoignage de la personne désignée B, selon qui des agents de la SQ lui auraient affirmé expressément qu'elle était un indicateur anonyme, et a ajouté foi à celui des agents de la SQ niant l'existence d'une telle promesse.
[14] Qualifiant d'« insolite » le fait que des policiers demandent à une personne de renoncer à un privilège s'il ne lui avait jamais été offert, le juge des requêtes a néanmoins ajouté foi à la déposition des témoins du ministère public et rejeté celle de la personne désignée B, l'estimant non crédible. Par conséquent, il a conclu que la SQ n'avait jamais promis à cette personne le statut d'indicateur de police en échange de ses révélations.
[15] Par ailleurs, le juge des requêtes n'a pas analysé la question de savoir si la promesse avait été implicite dans les circonstances en raison du lien entre le premier corps policier — qui avait expressément consenti à la personne désignée B le statut d'indicateur — et la SQ, à qui le premier corps policier a immédiatement transféré le dossier faute d'avoir la compétence quant aux crimes qu'elle décrivait. C'est parce qu'il était arrivé à la conclusion qu'il fallait traiter différemment les rapports que la personne désignée B entretenait avec le premier corps policier d'une part et la SQ d'autre part que le juge des requêtes a fait l'impasse sur cette question. En effet, il n'a pas du tout tenu compte de la relation qu'avait la personne désignée B avec le premier corps policier lorsqu'il a examiné le statut qu'elle avait dans ses rapports avec la SQ.
[16] Le juge des requêtes n'a jamais expliqué pourquoi les deux forces policières devaient être traitées différemment. Il n'a pas non plus tiré de conclusion relativement à la question. Il a plutôt articulé son analyse en se fondant sur cette hypothèse inexplorée. Or, la personne désignée B n'est entrée en relation avec la SQ qu'en raison de sa collaboration avec le premier corps policier à titre d'indicateur anonyme. Avec tout le respect que je dois au juge des requêtes, j'estime que, en omettant de tenir compte de ce lien, il ne s'est pas demandé si une promesse implicite de confidentialité avait découlé de la conduite des policiers. Autrement dit, un individu dans la situation de la personne désignée B aurait‑il eu des motifs raisonnables d'inférer de la conduite des policiers que la protection dont il jouissait auprès du premier corps policier survivrait au transfert à la SQ de son dossier et des renseignements qu'il avait révélés?
[17] Je suis d'avis d'annuler la décision du juge des requêtes et d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience pour que soit défini le statut de la personne désignée B, compte tenu du lien entre les corps policiers.
Analyse
[18] Dans R. c. Barros , [2011] 3 R.C.S. 368, la Cour a conclu que « les individus qui fournissent des renseignements à la police n'en deviennent pas tous des indicateurs confidentiels » (par. 31). Toutefois, elle a précisé « qu'il n'est pas nécessaire que la promesse [de protection et de confidentialité] soit explicite [et] peut être implicite selon les circonstances » (par. 31, citant Bisaillon c. Keable , [1983] 2 R.C.S. 60). La question de droit qui se pose est donc celle de savoir si, en toute objectivité, on peut inférer des circonstances l'existence d'une promesse implicite de confidentialité. En d'autres mots, la conduite des policiers aurait‑elle pu donner à quelqu'un dans la situation de l'indicateur potentiel des motifs raisonnables de croire que son identité serait protégée? Dans le même ordre d'idées, pourrait‑on raisonnablement déduire de la preuve que l'indicateur potentiel croyait que le statut d'indicateur lui était conféré ou lui avait été conféré? Il peut y avoir promesse implicite relative au privilège de l'indicateur même lorsque la police n'a pas l'intention d'attribuer ce statut ou de considérer la personne comme un indicateur, dès lors que la conduite des policiers dans l'ensemble des circonstances aurait pu donner lieu à une attente raisonnable en matière de confidentialité.
[19] Le juge des requêtes a reconnu qu'une promesse de confidentialité peut être soit expresse, soit implicite, mais il n'a entrepris aucune analyse pour déterminer si une promesse implicite aurait pu résulter des circonstances entourant les rapports de la personne désignée B avec les deux corps policiers. En toute justice pour le juge, l'hypothèse de la promesse implicite de confidentialité n'a pas été plaidée devant lui. Les arguments soulevés portaient plutôt sur les affirmations de la personne désignée B selon qui des agents de la SQ lui avaient assuré, expressément et à maintes reprises, que son identité serait protégée, ce qu'ont nié les agents. Ayant donné tort à la personne désignée B à ce sujet, le juge des requêtes n'a, en effet, pas envisagé la possibilité qu'une promesse implicite de confidentialité ait pu découler de la conduite des policiers, même sans déclaration expresse à cet effet.
[20] Selon le juge Cromwell, la question de la promesse implicite de confidentialité ne se pose pas, puisque le juge des requêtes est arrivé à la conclusion, au vu des faits, que la personne désignée B savait qu'elle ne bénéficiait pas du statut d'indicateur auprès de la SQ. Sauf le respect que je dois à mon collègue, telle n'était pas la conclusion du juge. Je conviens que pareille conclusion mettrait fin à l'analyse. Cela dit, le juge n'a jamais tiré de telle conclusion. Il a rejeté les prétentions de la personne désignée B voulant que la SQ lui aurait expressément promis qu'elle aurait le statut d'indicateur anonyme. Il a invoqué sa « crédibilité douteuse [. . .] et [. . .] son opportunisme évident ». Autrement dit, le juge des requêtes a conclu que, pour soutenir sa prétention, la personne désignée B a menti lorsqu'elle a affirmé que les agents de la SQ lui ont expressément promis la confidentialité. Cela n'équivaut toutefois pas à une conclusion selon laquelle la personne désignée B savait depuis le début qu'elle ne jouissait pas de cette protection quant à ses rapports avec la SQ.
[21] De même, le fait que la personne désignée B n'ait pas témoigné quant à une promesse implicite ne signifie pas nécessairement qu'une telle promesse n'a pas été faite ou qu'elle savait que le statut d'indicateur lui avait été refusé. Si la personne désignée B a pu être jugée non crédible lorsqu'elle a affirmé avoir reçu une promesse explicite d'anonymat, l'existence possible d'une promesse implicite reste plausible compte tenu de la preuve au dossier qui fait état d'un lien entre les corps policiers. L'« opportunisme évident » de la personne désignée B et son manque de crédibilité n'empêchent pas, dans les circonstances du présent dossier, de conclure qu'il y a eu une promesse implicite de confidentialité ni ne dispensent le juge des requêtes d'examiner le lien qui existe entre les enquêtes et de déterminer s'il a donné lieu à une telle promesse. On peut difficilement avancer des hypothèses sur les conclusions que le juge aurait pu émettre à ce sujet s'il s'y était attaché.
[22] À mon avis, l'hypothèse d'une promesse implicite de confidentialité ressort en l'espèce du lien entre le premier corps policier et la SQ et du fait que cette dernière a omis de préciser à la personne désignée B la nature de son statut. D'abord, les rapports de cette dernière avec la SQ découlent de ceux qu'elle entretenait, à titre d'indicateur anonyme, avec le premier corps policier, et les deux corps policiers ont traité avec cette personne en collaborant au fil des ans. Ensuite, il est incontesté qu'on n'a jamais dit à la personne désignée B qu'elle cessait d'être un indicateur anonyme après le transfert de son dossier à la SQ. Cela s'avère, même si — fait également incontesté — elle a demandé à cette dernière à maintes reprises des précisions sur son statut.
[23] La question principale porte sur le lien entre les corps policiers. La personne désignée B fait valoir l'argument selon lequel, eu égard au privilège de l'indicateur, les corps policiers forment une entité « indivisible » de sorte que la confidentialité promise par un à une personne dont le dossier est par la suite transféré à un autre continue de s'appliquer. Il ne me semble pas nécessaire d'adopter un principe d'« indivisibilité » à ce point radical. Le fait qu'un corps policier ait conféré le statut d'indicateur à quelqu'un ne suffit pas, à lui seul, pour justifier la prétention à l'existence du privilège de l'indicateur en ce qui a trait à ses rapports avec un autre corps policier.
[24] Il ne faut pas en conclure pour autant que le transfert de la personne désignée B d'un service de police à un autre ne joue aucunement pour déterminer si cette personne avait des motifs de croire qu'elle s'était vu octroyer le privilège de l'indicateur par la SQ. Compte tenu des interactions entre les deux corps policiers dans leur traitement de la personne désignée B et de la continuité effective des rapports qu'elle a entretenus avec les deux corps policiers, elle aurait pu avoir, à mon avis, des motifs raisonnables de croire que la protection promise par le premier corps policier continuerait de s'appliquer au fil de ses révélations continues à la SQ.
[25] La personne désignée B est entrée en contact avec le premier corps policier pour lui communiquer des renseignements relatifs à des crimes violents. On lui a promis que le privilège de l'indicateur s'appliquerait aux renseignements qu'elle communiquerait au premier corps policier à compter de leur rencontre initiale. Un des deux agents qui étaient présents à cette rencontre a saisi, dès la première rencontre, l'importance de la confidentialité, étant donné le risque que courait la personne désignée B et la nature sensible des renseignements qu'elle communiquait au sujet d'activités criminelles graves. Pour reprendre ses propos :
On ne peut pas se permettre de mettre sa sécurité en jeu. C'est sûr et certain qu'on n'aurait pas le temps voulu pour, comme on dit, [. . .] coder [la personne désignée B] là; il y a une procédure de codification tout ça, mais dans notre tête à nous autres, tout ce que la personne désignée B nous avait dit, [. . .] rentraient dans un dossier classé pour protéger ses [. . .] autrement dit, secrets.
. . .
. . . tout ce qui avait été dit [. . .] [f]allait que ça demeure hautement confidentiel, puis il y avait des éléments là qui impliquaient des enquêtes passées, des [crimes violents], on ne pouvait pas se permettre de [. . .] on ne pouvait pas classer ça à la légère, il fallait que ce soit hautement classifié . . .
[26] Pour mener à bien ses enquêtes, la SQ a utilisé des renseignements confidentiels qui avaient été communiqués par la personne désignée B au premier corps policier durant leur rencontre initiale, avant que la SQ n'intervienne. Fait important, ces renseignements ne concernaient pas les accusations portées contre la personne désignée B et comportaient notamment une liste de personnes impliquées dans des activités criminelles violentes. Autrement dit, la SQ a certes arrêté la personne désignée B pour un crime violent, mais le traitement qu'elle lui a réservé révèle qu'elle la tenait pour bien plus qu'un simple suspect dans un crime grave. La SQ s'attendait de la part de la personne désignée B qu'elle continue de lui fournir des renseignements sur des activités criminelles violentes, ce qu'elle a effectivement continué de faire, comme elle l'avait fait pour le premier corps policier.
[27] Il ne fait aucun doute que les policiers de la SQ étaient au courant de la protection dont bénéficiait la personne désignée B auprès du premier corps policier. En effet, selon un des agents de la SQ, lors de l'arrestation de celle‑ci, la SQ savait déjà que cette personne avait fourni « beaucoup d'informations » au premier corps policier, qu'elle était prête à collaborer en communiquant d'autres renseignements, qu'elle était « protégée » par cet autre corps policier et que la SQ allait devoir continuer d'assurer sa protection :
Bien, nous autres, on sait dès le début que la personne désignée B veut donner de l'information là, il n'y a pas de secret pour ça, puis quand on prend charge de la personne désignée B, c'est parce que [le premier corps policier] nous dit qu'elle est impliquée dans des [activités criminelles violentes]. [Ces activités], c'est la Sûreté du Québec qui s'occupe de ça au Québec. Ça fait qu'on la rencontre comme suspect [dans un crime grave], mais on sait que cette personne‑là [. . .] veut collaborer à la Sûreté, on sait qu'elle a donné de l'information au [premier corps policier], on sait que c'est une personne qui est protégée par le [premier corps policier], on sait que c'est nous autres qui va continuer à la protéger. Donc, on est un peu ses contrôleurs . [Italiques ajoutés.]
[28] À l'audience, un autre agent de la SQ qui avait traité avec la personne désignée B depuis le début a reconnu avoir su, dès son premier entretien avec elle au moment de son transfert, que le premier corps policier lui avait attribué un code à titre de « source ». Voici la transcription de l'échange :
Q Est‑ce que déjà à la police de Québec, elle était classée comme une « source »?
. . .
R Moi, je vous dirais, qu'à ma connaissance, je vous dirais que non.
. . .
Q Saviez‑vous qu'elle l'avait été par le [premier corps policier] ou qu'elle l'était toujours ensuite auprès du [premier corps policier]?
R « Source » [du premier corps policier]?
Q Ouais.
R Ç'avait été codé comme ça . . . [Italiques ajoutés.]
[29] Des notes — prises deux ans après l'arrestation de la personne désignée B par un agent du premier corps policier à la suite d'une conversation avec un agent de la SQ (et déposées à titre de nouvelle preuve) — confirment que le premier corps policier avait informé la SQ du privilège dont bénéficiait la personne désignée B :
Nous [l'agent de la SQ et moi] parlons de la source [B] et les informations que cette source a donné [ sic ] [aux deux agents du premier corps policier qui ont été les premiers à la rencontrer].
Il est question du privilège de l'informateur. À ce sujet, je dis que [la personne désignée B] jouit du privilège parce qu'[elle] a donné ces informations à titre de source et [elle] avait une expectative de confidentialité.
Je dis à [l'agent de la SQ] que selon moi bien que je ne suis [ sic ] pas avocat, si les informations sont confidentielles et si elles se retrouvent dans [un document], ces informations se devront d'être élagués [ sic ]. À confirmer avec un avocat.
[30] Durant cinq ans, la personne désignée B a continué de fournir à la SQ d'amples renseignements sur des crimes violents. Les agents de la SQ ne cessaient de la solliciter à titre de source de renseignements, et ses révélations leur ont permis de mener des enquêtes et d'intenter des poursuites relativement à de nombreux autres crimes.
[31] Au cours des années durant lesquelles elle a collaboré, la personne désignée B savait qu'elle faisait affaire tantôt avec un corps policier, tantôt avec l'autre. À quelques reprises, elle se trouvait sous la garde du premier corps policier, ou dans les locaux de cette force, et des agents de la SQ venaient l'y chercher. De plus, à au moins trois occasions, un agent du premier corps policier s'est entretenu avec la personne désignée B en présence d'agents de la SQ.
[32] À l'audience, un agent de la SQ a reconnu que, dans les faits, les deux forces travaillaient de pair pour mener une enquête fondée sur les renseignements divulgués par la personne désignée B. Pour démontrer sa bonne foi, cette dernière a remis à la SQ divers objets, y compris des milliers de dollars. La SQ a confié l'argent au premier corps policier. À la question de savoir pourquoi la SQ avait procédé ainsi, l'agent de la SQ a fait remarquer que « [le premier corps policier] était au dossier, [. . .] participait au dossier ». Il a qualifié leurs rapports concomitants avec la personne désignée B de « genre de projet entre organisations ».
[33] Ces rapports étroits ressortent également d'une lettre adressée par un agent du premier corps policier à la SQ au sujet de l'argent remis, dans laquelle il reconnaissait l'existence de la protection conférée par le premier corps policier à la personne désignée B et laissait entendre que son service de police croyait que cette dernière jouissait d'un statut semblable auprès de la SQ. L'agent avait demandé à la SQ de rendre l'argent à la personne désignée B, car le seul élément prouvant l'origine criminelle des fonds émanait d'elle‑même, qui l'avait divulgué à la SQ en échange d'une promesse qu'il ne servirait pas à l'incriminer. L'agent auteur de la lettre a indiqué que
compte tenu du statut de [la personne désignée B] à l'égard de la Sûreté du Québec et [du premier corps policier], et de notre obligation de garder confidentiel ce statut , nous n'avons pu recueillir aucun élément de preuve qui aurait pu être utilisé. [Italiques ajoutés.]
[34] Autrement dit, non seulement les rapports de la personne désignée B avec la SQ ont‑ils continuellement fait intervenir le premier corps policier, mais ils ne différaient pas sensiblement de ceux qu'elle entretenait avec ce dernier. Les deux services de police l'ont avertie qu'elle ne bénéficierait d'aucune immunité à l'égard des crimes qu'elle avait elle‑même commis et s'attendaient qu'elle devienne un témoin repenti par rapport à d'autres causes. Sur la base des renseignements fournis par la personne désignée B, les deux corps policiers travaillaient de pair et traitaient indifféremment avec elle.
[35] Cette preuve d'un lien étroit entre le premier corps policier et la SQ aurait pu donner à une personne placée dans la situation de la personne désignée B des motifs raisonnables de croire qu'elle participait à une opération conjointe et continue des deux forces policières : le premier corps policier lui avait promis expressément qu'elle jouirait du privilège de l'indicateur et la SQ — à qui son dossier a été transféré avec son consentement pour des raisons de ressort — a bénéficié de ces rapports protégés et des renseignements découlant de cette protection.
[36] Outre le lien temporel et opérationnel entre les deux corps policiers, la preuve, non contredite à cet égard, démontre que la personne désignée B a demandé à maintes reprises des précisions sur son statut sans jamais obtenir de réponse claire. Selon un agent de la SQ qui a traité avec la personne désignée B dès l'arrestation de cette dernière, à l'époque de son transfert à la SQ, elle s'inquiétait de « savoir qu'est‑ce qui va arriver avec elle », et cette situation lui causait « une grosse préoccupation » et du stress, car elle avait « extrêmement peur » de mourir. Un autre agent de la SQ a affirmé que la personne désignée B s'était enquise de son statut deux ans après son transfert. Le juge des requêtes a déterminé qu'elle s'en enquérait toujours deux ans plus tard.
[37] La conduite des agents de la SQ, qui n'ont pas donné d'éclaircissement à la personne désignée B quant à son statut, et ce, malgré ses demandes réitérées à cet égard, aurait bien pu donner à un individu dans la situation de cette dernière des motifs raisonnables de croire que son identité serait protégée. Il convient de souligner que personne ne lui a jamais dit qu'elle ne bénéficiait pas du statut d'indicateur anonyme auprès de la SQ. Un des agents de la SQ qui avait procédé à l'arrestation de la personne désignée B, par exemple, a affirmé ne pas avoir abordé la question de son statut avec la personne désignée B au moment où il l'a arrêtée, parce qu'elle avait déjà « commencé un processus » avec le premier corps policier. Pour reprendre un extrait de son témoignage :
Q Est‑ce qu'il est question là de son témoignage de repenti, de son statut . . .
R Il n'est pas question de ça.
Q . . . à ce moment‑là?
R Non, parce que, [la personne désignée B, elle] a déjà commencé avec [le premier corps policier]. Elle, la personne désignée B là, elle est dans un processus avec [ce corps policier], on sait qu'elle [lui] a donné beaucoup d'informations [. . .] , on sait ça, parce qu'on a rencontré les gars [du premier corps policier], fait que, moi je ne sais pas ce que la personne désignée B, elle, peut penser à ce moment‑là. Elle [. . .] est dans un processus dans sa tête, c'est sûr, sûr [. . .] parce que [. . .] elle collabore avec [le premier corps policier] . [Italiques ajoutés.]
L'agent en question faisait certes référence à la procédure pour devenir un témoin repenti, mais le « processus » entrepris auprès du premier corps policier incluait une promesse de confidentialité faite seulement deux jours auparavant.
[38] Si les agents de la SQ ont nié catégoriquement avoir considéré la personne désignée B comme un indicateur, ils ne semblent pas l'avoir informée de leur point de vue. Le premier corps policier avait promis la confidentialité à la personne désignée B, parce que sa collaboration mettait sa vie en danger. Or, ce danger auquel elle s'exposait n'a pas disparu au moment du transfert de son dossier à la SQ deux jours plus tard. À compter de ce moment‑là, la personne désignée B a exprimé à maintes reprises qu'elle était préoccupée quant à la protection de son anonymat, à sa sécurité, ainsi qu'à l'incertitude et à la confusion qu'elle ressentait en attendant que se concrétise la possibilité de la signature d'un contrat de témoin repenti.
[39] Il ne fait aucun doute que les questions posées par la personne désignée B portaient principalement sur le fait de savoir si le contrat de témoin repenti serait signé dans un proche avenir et sur le type de protection dont elle jouirait par suite de la signature d'un tel contrat. Cela dit, il ne fait également aucun doute qu'elle a posé des questions qui exprimaient des préoccupations quant à la confidentialité. Puisque le statut de la personne désignée B était changeant et incertain par suite de son transfert d'une force policière à une autre, l'omission de la SQ de clarifier ce statut pourrait avoir donné à cette dernière des motifs raisonnables de croire qu'elle avait le statut d'indicateur, qu'elle ait posé ou non une question spécifique du type : « Est‑ce que je vais être traité/ée comme un indicateur de police advenant le cas où il n'y aurait pas signature d'un contrat de témoin repenti? »
[40] Dans les circonstances, le fait que personne n'ait précisé à son intention si la promesse de confidentialité qui lui avait été faite par le premier corps policier tenait toujours quant à ses rapports avec la SQ pourrait fort bien avoir mené la personne désignée B à croire que la protection dont elle jouissait avec le premier corps policier continuait de s'appliquer en attendant la signature du contrat de témoin repenti.
[41] Les nouveaux éléments de preuve illustrent également l'ambiguïté ayant résulté de l'attitude de la SQ à l'égard du statut de la personne désignée B. Un agent de la SQ responsable du dossier depuis le transfert de la personne désignée B a rédigé deux documents qui ont été déposés à titre de nouvelle preuve. Ces documents avaient été rédigés par suite d'une discussion qu'avait eue leur auteur, deux ans après le transfert de la personne désignée B, avec un agent du premier corps policier quant au statut de cette dernière. Celle-ci n'est pas nommée dans les documents en question et est identifiée par le vocable « source », comme le veut la pratique lorsqu'il est question d'un indicateur dans ce type d'écrit. Dans de nombreux autres documents préparés par des agents de la SQ, la personne désignée B est nommée. Autrement dit, la pratique des agents de la SQ a manqué d'uniformité : tantôt ils la désignaient par son nom, tantôt ils la qualifiaient d'indicateur. Leur confusion a bien pu donner à la personne désignée B des motifs raisonnables de présumer que l'anonymat continuait à lui être assuré après le transfert de son dossier du premier corps policier à la SQ.
[42] Le juge Cromwell conclut que, comme on s'attendait à ce que la personne désignée B serve de témoin repenti, elle ne pouvait raisonnablement croire que la SQ la considérait comme un indicateur. Or, le privilège de l'indicateur n'est pas nécessairement incompatible avec le statut de témoin repenti. Selon la déposition à l'audience de la personne désignée B, elle croyait conserver le statut d'indicateur de police jusqu'à la conclusion d'un contrat de témoin repenti avec le ministère public. Autrement dit, son identité serait protégée le temps que le ministère public confirme son intention de la convoquer à titre de témoin et lui offre certains avantages en échange de son témoignage.
[43] Comme l'a reconnu la Cour dans l'arrêt Barros , une personne peut être à la fois un indicateur bénéficiant du privilège dans une affaire et un témoin dont l'identité peut être divulguée dans une autre :
À partir du moment où l'indicateur se rend sur le « terrain » et se met à agir comme un agent de la police, le privilège relatif aux indicateurs de police, qui empêcherait la divulgation de son identité, cesse de s'appliquer à l'égard des événements dans le cadre desquels il agit comme agent. [. . .] Bien entendu, cela ne veut pas dire que l'indicateur perd la protection dans les autres cas où il n'a pas outrepassé les limites de son rôle. [Italiques ajoutés; par. 33.]
Qui plus est, suivant l'avis exprimé par la Cour dans l'arrêt R. c. Leipert , [1997] 1 R.C.S. 281, par. 17, un témoin ne peut pas être tenu de révéler qu'il a fourni des renseignements à la police dans la même affaire, sous le couvert de la confidentialité : « [Le privilège de l'indicateur] s'applique au témoin appelé à la barre, qui ne peut être contraint de dire s'il est un indicateur de police . . . ». Cette possibilité est reconnue depuis l'arrêt Attorney‑General c. Briant (1846), 15 M. & W. 169, 153 E.R. 808, dans lequel le baron en chef Pollock a conclu qu'un témoin du ministère public n'aurait pas à répondre à la question de savoir s'il a fourni les renseignements ayant mené aux poursuites pénales. Enfin, bien que l'indicateur renonce habituellement au privilège une fois qu'il a accepté de témoigner, rien ne l'empêche de le conserver tant que sa décision et celle de la poursuite à cet égard ne sont pas arrêtées.
[44] Les propos rassurants tenus à plusieurs reprises par les agents de la SQ en s'adressant à la personne désignée B ont pu la conforter dans son idée qu'elle était effectivement un indicateur jusqu'au moment où elle deviendrait témoin repenti. Un des deux agents de la SQ qui avaient procédé à son arrestation lui a expliqué qu'elle ne serait jamais appelée à témoigner sur les renseignements qu'elle avait fournis à moins qu'un contrat de témoin repenti ne soit signé :
R . . . Et je lui ai expliqué aussi, que si elle ne signait pas de contrat, elle n'aurait jamais témoigné dans aucune de ses choses qu'elle nous avait données avec une promesse. . .
Q Avec une promesse de [. . .] que ça ne pourrait pas servir contre elle?
R Bien c'est ça. [. . .] Elle n'aurait pas à témoigner parce que le contrat c'est pour que la personne témoigne [. . .] et c'est le but du contrat . . .
Q S'il n'y avait pas de contrat, bien, elle n'aurait pas à témoigner, nécessairement. . .
R C'est ça.
[45] Qui plus est, selon la déposition d'un autre agent de la SQ, il a toujours indiqué clairement à la personne désignée B que ses déclarations étaient confidentielles :
Q Mais la personne désignée B vous a posé à quelques reprises : « Eille , moi, les déclarations, qu'est‑ce que vous faites avec, ça va rester confidentiel, ne montrez pas ça à personne.? »
R Ç'a toujours été confidentiel.
Q Ç'a toujours été confidentiel?
R Oui.
Q Mais, vous avez toujours été clair avec la personne désignée B, que c'était confidentiel?
R Ç'a toujours été confidentiel. La seule chose [. . .] Quand je parle de confidentialité là, c'est que ces déclarations‑là n'ont pas été montrées à d'autres accusés, ou potentiels, même accusables . . . [En italique dans l'original.]
Il a également rassuré la personne désignée B à plusieurs reprises en précisant qu'aucune de ses déclarations n'avait été divulguée :
Q Mais ça lui a été dit que c'était confidentiel?
R Ses déclarations, tant qu'à moi, n'ont jamais été divulguées dans aucun dossier. À part [une fois] [. . .] on n'a jamais divulgué aucune déclaration. D'ailleurs, ça m'agaçait des fois puis je lui disais : « Regarde, inquiète‑toi pas, il n'y a rien, dans le dossier il n'y a rien qui a été divulgué ».
[46] L'agent a signalé une seule exception à la règle de confidentialité qui a été appliquée de manière générale aux déclarations de la personne désignée B : à une occasion, une déclaration a été divulguée dans le cadre d'une enquête dans un autre dossier, et ce, à l'insu de la personne désignée B et sans son consentement. Une telle utilisation exceptionnelle de ses déclarations quelques années après le début de ses rapports avec la SQ ne permet guère de juger si la personne désignée B pouvait avoir ou non des motifs raisonnables de croire que son identité était protégée pendant la période en question.
[47] Certes, la personne désignée B a fourni des renseignements à la SQ après avoir été avertie de la possibilité qu'ils servent en preuve au procès de tiers. Or, il convient d'analyser ces avertissements à la lumière des propos rassurants réitérés par les agents de la SQ, à savoir que ses déclarations demeureraient confidentielles et qu'elle ne serait jamais tenue de témoigner sur ces sujets à moins de devenir un témoin repenti, et pas avant . À tout le moins, la SQ a tenu un discours ambigu quant à la confidentialité des déclarations et n'a jamais clairement démenti que la personne désignée B fût protégée par la confidentialité. À mon avis, l'effet réel sur l'attente raisonnable de la personne désignée B en matière d'anonymat de ce discours ambigu de la SQ doit être déterminé dans le cadre d'une nouvelle audience.
[48] Autre fait important, cinq ans après le transfert de la personne désignée B à la SQ, le ministère public a ordonné à la SQ de caviarder tous les documents susceptibles de révéler l'identité de la personne désignée B et de faire signer à cette dernière la renonciation. Les agents de la SQ lui ont rendu visite à maintes reprises pour obtenir d'elle une signature. Eût‑il été certain que son identité n 'était pas protégée, ces mesures n'auraient pas été nécessaires. Le juge des requêtes a reconnu le caractère « insolite » et « contradictoire » de la demande du ministère public compte tenu du fait que les agents de la SQ avaient affirmé n'avoir jamais promis la confidentialité à la personne désignée B et a conclu en ces termes : « On aurait voulu confondre qu'on [n']aurait pas mieux fait. »
[49] Compte tenu de ce qui précède, y compris la preuve incontestée selon laquelle la SQ n'a pas informé la personne désignée B de la nature de son statut, il est plausible qu'une personne placée dans la même situation que cette dernière aurait eu des motifs raisonnables de croire que la confidentialité que lui avait promis le premier corps policier continuerait de la protéger après le transfert de son dossier à la SQ. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de renvoyer l'affaire pour réexamen à la lumière des présents motifs.
Version française des motifs des juges Rothstein et Cromwell rendus par
Le juge Cromwell (dissident) —
I. Aperçu
[50] La partie appelante — soit la personne désignée B — a transmis à la Sûreté du Québec (« SQ ») des renseignements incriminants pour elle et pour d'autres relativement à des activités criminelles [2] . La question qu'il faut trancher en l'espèce est celle de savoir si la personne désignée B jouissait du statut d'indicateur anonyme relativement à ces révélations. À l'issue d'une audience au cours de laquelle la personne désignée B et plusieurs policiers ont témoigné, le juge des requêtes a conclu qu'il n'en était rien. Le présent pourvoi conteste cette conclusion.
[51] Ma collègue, la juge Abella, est d'avis d'annuler la décision du juge des requêtes et d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience, et ce, essentiellement pour deux raisons. Premièrement, le juge des requêtes « n'a[urait] pas analysé » la question de l'existence ou non dans les circonstances d'une promesse implicite faite à la personne désignée B de lui conférer le statut d'indicateur anonyme (par. 15 et 19). Deuxièmement, cette question, qui aurait été omise dans l'analyse du juge, se poserait toujours selon ma collègue, car la preuve, y compris de nouveaux éléments, permettrait de conclure qu'« un individu dans la situation de la personne désignée B aurait [. . .] eu des motifs raisonnables d'inférer de la conduite des policiers » (par. 16) que son statut était protégé. Par conséquent, l'omission d'examiner cette question pendante justifierait la tenue d'une nouvelle audience. Je ne puis souscrire ni à la conclusion de ma collègue ni aux motifs qui la sous‑tendent. Mon désaccord repose sur les points connexes suivants.
[52] En premier lieu, j'estime que l'analyse du pourvoi doit s'inscrire dans le contexte des réalités concrètes de la présente affaire et dans les limites prescrites de la révision en appel. Avec égards, j'estime que l'analyse de ma collègue vise des situations hypothétiques qui sont soit contraires aux conclusions claires du juge des requêtes, soit totalement irréalistes compte tenu du dossier dont la Cour est saisie.
[53] En deuxième lieu, j'estime que le juge des requêtes n'a pas omis d'examiner la question de l'existence ou non d'une promesse implicite quant au statut d'indicateur anonyme. Ses constatations de fait et le dossier étayent amplement la conclusion qu'il s'est penché sur cette possibilité.
[54] En troisième lieu, à la lumière des nombreuses constatations du juge des requêtes, le dossier ne permet pas, selon moi, de conclure à l'existence d'une promesse implicite en l'espèce. En fait, le témoignage de la personne désignée B et les circonstances ayant entouré son traitement par la SQ démentent cette possibilité. Qui plus est, le juge des requêtes s'est penché spécifiquement sur la question de savoir si une promesse implicite avait été faite et a expressément tiré la conclusion de fait que la SQ n'a jamais rien fait qui pourrait avoir incité la personne désignée B à croire qu'elle pourrait devenir un indicateur de police anonyme . Selon moi, aucune question pendante ne subsiste à cet égard.
[55] En quatrième lieu, selon le juge des requêtes, la personne désignée B savait en fait , dès ses premiers entretiens avec les agents de la SQ puis durant les entretiens subséquents, qu'on ne lui avait pas promis l'anonymat quant à ses rapports avec ce corps de police et que sa prétention au statut d'indicateur n'a été qu'un geste opportuniste de sa part, après le fait. Cette conclusion, qui est largement étayée par le dossier, rend futile la question de savoir ce qu'aurait pensé une personne imaginaire placée dans la situation de la personne désignée B. Cette dernière ne pensait à rien de tel, elle savait pertinemment qu'aucune promesse d'anonymat ne lui avait été faite et, pourtant, elle a révélé des renseignements à la SQ pendant plusieurs années. Selon le juge des requêtes, la personne désignée B n'a invoqué le privilège relatif à l'indicateur de police qu'après que le ministère public, pour honorer ses obligations de communication dans le cadre d'un autre procès, a jugé préférable de demander au tribunal de clarifier son statut. Le juge n'a pas retenu les arguments soulevés après coup par la personne désignée B, qualifiant l'exercice d'« opportunisme évident ».
[56] Je suis d'avis de rejeter l'appel.
II. Questions en litige, faits et historique judiciaire
A. Introduction
[57] Pendant plusieurs années, la personne désignée B, a transmis à la SQ des renseignements incriminants pour elle et pour d'autres relativement à des activités criminelles. Elle l'a fait dans l'espoir de devenir un « témoin repenti » et d'obtenir la rémunération et les autres avantages normalement associés à ce type de coopération. En fin de compte, des personnes (dont certaines sont parties au présent appel; ci‑après appelées les « autres personnes ») ont été accusées de plusieurs crimes graves et c'est dans le contexte de leur procès qu'est soulevée la question de savoir si le statut d'indicateur de police avait été conféré ou non à la personne désignée B.
[58] Si les renseignements révélés par la personne désignée B satisfont à la norme formulée dans R. c. Stinchcombe , [1991] 3 R.C.S. 326, il faudrait normalement les communiquer. Or, la personne désignée B a prétendu avoir le statut d'indicateur de police anonyme et soutenu que, du fait de ce statut de source des renseignements fournis à la SQ, son identité est protégée et ne peut être communiquée. Le ministère public prétend toutefois que la personne désignée B ne jouit pas de ce statut.
[59] L'ampleur de l'obligation de communication du ministère public envers les autres personnes dans le contexte de leur procès dépend bien sûr considérablement du statut de la personne désignée B. Si cette dernière est effectivement une source anonyme relativement à certains renseignements, son identité doit être protégée ainsi que toute autre information susceptible de révéler cette dernière de même que son rôle de source de ces renseignements. La confidentialité absolue de cette information s'imposerait, à moins qu'un accusé n'établisse que cette dernière est visée par l'exception relative à la « démonstration de [son] innocence » ou que la personne désignée B et la police renoncent à l'application du privilège. Autrement, la confidentialité est absolue et la communication interdite. L'incidence sur l'obligation de communication pourrait donc être considérable.
[60] Le ministère public a demandé au juge des requêtes de trancher la question. Ce dernier a conclu que la personne désignée B n'avait pas le statut d'indicateur anonyme à l'égard des renseignements fournis à la SQ.
B. Questions en litige
[61] Compte tenu de l'évolution de l'affaire, les principales questions en litige sont les suivantes :
1. Quelles sont les réalités concrètes de la présente affaire et les limites appropriées de la révision en appel qui justifient d'entendre le pourvoi? À mon avis, les conclusions de fait expresses du juge, lues à la lumière du dossier, n'autorisent aucune intervention en appel quant à sa conclusion que la personne désignée B n'était pas une source anonyme de la SQ.
2. Le juge des requêtes a‑t‑il omis d'examiner la question de l'existence ou non, en l'espèce, d'une promesse implicite quant au statut d'indicateur anonyme? À mon avis, ce n'est pas le cas.
3. Au vu du dossier, la question de l'existence ou non d'une promesse implicite faite par la SQ quant à l'octroi du privilège de l'indicateur de police se pose‑t‑elle toujours? À mon avis, ce n'est pas le cas.
4. La conclusion du juge des requêtes selon laquelle la personne désignée B savait en fait pertinemment ne pas jouir du statut d'indicateur anonyme porte-t‑elle un coup fatal à la thèse de cette dernière? À mon avis, c'est le cas.
C. Faits
(1) La partie appelante se manifeste à la police
[62] Mue par le désir de vengeance contre d'autres et de rédemption pour son propre passé criminel, la partie appelante a communiqué avec la police. Elle souhaitait révéler des renseignements à propos d'anciens crimes et collaborer aux poursuites intentées contre leurs auteurs.
[63] Peu de temps après, la partie appelante a été mise en état d'arrestation par la SQ, informée de ses droits et détenue en lien avec ses activités criminelles. Il va sans dire que la mise en garde comportait un avis selon lequel tout ce qu'elle dirait pourrait être utilisé en preuve. À l'audience sur la requête, le ministère public a lu la mise en garde faite à la personne désignée B par l'agent de la SQ avant qu'il ne prenne la déposition de cette dernière relativement à ses activités criminelles.
Q Et quand il vous dit là : Mon nom est [. . .] Je vais vous lire une mise en garde. Vous pouvez vous asseoir. Je tiens à vous informer que vous êtes arrêté. . .
. . .
Q . . . vous avez le droit de garder le silence. Nous devons vous informer que nous sommes des policiers. Vous n'êtes pas oblig[é/ée] de dire quoi que ce soit et vous devez comprendre clairement que si vous désirez parler, tout ce que vous direz sera pris par écrit [. . .] et ça pourra servir de preuve contre vous . [Je souligne.]
[64] La partie appelante a fait des déclarations à propos de sa participation à des activités criminelles et a même guidé des agents de la SQ jusqu'au lieu du crime. Dès le départ, la personne désignée B avait été informée par la police qu'elle serait tenue responsable de ses crimes. Il ne faisait donc aucun doute pour la personne désignée B que ces renseignements n'étaient pas visés par quelque obligation de confidentialité que ce soit. L'arrestation de la personne désignée B, sa détention et la mise en garde qui lui a été donnée par la SQ sont compatibles à tous égards avec cet avis.
[65] Je relève également la conclusion du juge des requêtes selon laquelle la personne désignée B avait affirmé que, dès le début de sa coopération avec la police, elle voulait et comptait témoigner aux procès qui seraient intentés. Dans de telles circonstances, comme l'a conclu le juge des requêtes, elle ne pouvait devenir à la fois témoin à charge et indicateur de police anonyme pour la SQ.
[66] Le lendemain, la partie appelante a été mise en état d'arrestation et informée de ses droits relativement à un autre crime. La personne désignée B a de nouveau fait une déclaration de son propre chef sur plusieurs sujets, dont sa propre participation à ce crime.
[67] Je souligne que la SQ avait informé la personne désignée B que ses déclarations pourraient être utilisées en preuve.
[68] Par la suite, la partie appelante a intensifié sa coopération avec la SQ et fait d'autres révélations impliquant d'autres personnes dans des crimes sérieux. Plusieurs de ces déclarations ont été faites en échange d'une promesse donnée par un représentant de la SQ qu'elles ne serviraient pas comme preuve incriminante contre la partie appelante .
[69] Les agents de la SQ, estimant que la partie appelante pourrait leur être d'une grande utilité pour élucider d'autres dossiers, ont envisagé la possibilité d'en faire un témoin repenti.
[70] En raison de la fréquence de leurs rencontres, ils ont enregistré la partie appelante comme indicateur dans la base de données de la SQ, censément pour être en mesure d'engager des dépenses secrètes à son égard. Effectivement, même si ce type de code est normalement réservé aux indicateurs anonymes inscrits dans sa base de données, la SQ a clairement précisé que, dans ce cas, elle le lui avait attribué pour des raisons purement administratives. Comme l'a dit un agent de la SQ durant son témoignage, ce type d'enregistrement était justifié parce que les dépenses secrètes ne sont remboursables que si elles ont été engagées à l'égard d'une personne inscrite sous un tel code dans la base de données de la SQ.
[71] Peu après sa première rencontre avec la SQ, les agents de cette dernière ont en outre soumis la partie appelante à un test polygraphique, une des étapes préalables importantes en vue de l'obtention du statut de témoin repenti.
(2) La partie appelante s'impatiente
[72] Certes, la partie appelante aurait pu inférer du test polygraphique qu'un contrat de témoin repenti allait bientôt lui être présenté; elle ne s'apaisait pas pour autant. Peu de temps après, elle a informé la SQ que le temps que mettait le ministère public à formaliser son statut de témoin repenti la rendait nerveuse et a réclamé d'être mise au courant sans délai de l'état de sa demande et d'obtenir des précisions sur son statut entre-temps. À un certain moment, elle a menacé de faire la grève de la faim et de cesser sa coopération avec la SQ tant qu'elle ne serait pas officiellement reconnue comme témoin repenti.
[73] Selon son témoignage, à force d'insister, la partie appelante s'est fait répondre par la SQ qu'elle la considérerait comme un indicateur de police anonyme tant qu'elle n'aurait pas reçu d'autres instructions sur l'état de sa demande relative au statut de témoin repenti. Or, à l'audience, les agents de la SQ ont nié pour leur part lui avoir fait une telle promesse. Selon eux, elle était en passe de devenir un témoin repenti (et c'est expressément le discours que certains lui ont tenu) et l'idée d'en faire un indicateur anonyme ne leur avait pas traversé l'esprit à ce moment-là. Le juge des requêtes a ajouté foi aux témoignages des policiers et a rejeté celui de la personne désignée B qui a continué de collaborer avec la SQ pendant un certain temps après cet épisode.
(3) La partie appelante a poursuivi sa coopération avec la SQ
[74] Près d'un an après son arrestation, la partie appelante a été informée par des policiers de la décision du ministère public de ne pas l'engager comme témoin repenti. Ayant renoncé à l'interroger aux procès qui allaient être instruits, ses représentants avaient en effet jugé qu'il était inutile de lui conférer ce statut.
[75] Plus tard, des agents de la SQ ont informé la personne désignée B qu'elle pourrait se voir offrir un contrat de témoin repenti malgré tout. La partie appelante a accepté l'offre des policiers, et la coopération entre eux a été rétablie.
[76] La personne désignée B a donc repris sa coopération active avec la SQ et lui a fait plusieurs déclarations ultérieurement. Il vaut la peine de souligner que, bien qu'il ait été clairement expliqué à la partie appelante que ces déclarations ne pourraient être utilisées contre elle en justice, il lui avait également été expliqué qu'elles pourraient servir de preuve au procès de tiers . Comme je vais l'expliquer ci‑après, et comme l'a conclu à bon droit le juge des requêtes, dans de telles circonstances, les rôles de témoin éventuel et d'indicateur de police étaient tout à fait inconciliables, ce que la personne désignée B devait avoir compris.
[77] Par la suite, la partie appelante a entretenu des rapports occasionnels avec la SQ à qui elle communiquait d'autres renseignements en personne ou par téléphone. Lors de leurs entretiens, la SQ lui assurait qu'un contrat de témoin repenti allait probablement lui être présenté.
(4) L'entente de témoin repenti n'est pas conclue
[78] L'année suivante, des agents de la SQ ont rencontré la partie appelante pour lui transmettre la nouvelle offre du ministère public dans le cadre de la cause en cours d'instance. Les agents de la SQ l'ont également informée qu'elle serait considérée jusqu'à nouvel ordre comme un témoin spécial — c'est‑à‑dire un témoin qui bénéficie d'une protection policière en raison de la nature délicate des renseignements qu'il pourrait être appelé à fournir durant son témoignage, mais qui ne jouit pas des avantages financiers normalement réservés au témoin repenti. Ils lui ont assuré cependant que sa demande en vue d'obtenir le statut de témoin repenti suivait son cours.
[79] Quelques semaines plus tard, la partie appelante a communiqué avec la SQ pour être rassurée quant à l'état de sa demande en vue d'obtenir le statut de témoin repenti. Selon la partie appelante, un agent de la SQ, en présence d'un autre agent, lui aurait dit que le contrat ne saurait se faire attendre et que, de toute façon, elle était considérée comme un indicateur de police anonyme entre-temps, ce que nie également la SQ. Pour sa part, l'agent a affirmé avoir seulement demandé à la partie appelante de témoigner au procès et lui avoir assuré qu'il prenait soin d'elle et de sa sécurité. Toujours aux dires de l'agent en question, il n'a jamais pensé lui conférer le statut d'indicateur anonyme parce qu'il avait toujours été convaincu qu'elle obtiendrait un contrat de témoin repenti. Comme je l'ai signalé précédemment, le juge des requêtes a donné foi aux témoignages des policiers.
[80] Cependant, le fait que l'évaluation du dossier de la personne désignée B progressait n'est pas contesté. En effet, des agents ont emmené la partie appelante dans d'autres locaux sécurisés de la SQ plus tard la même année. Elle y a tout divulgué sur son passé criminel, une étape préalable à la signature d'un contrat de témoin repenti. Elle a également rencontré des procureurs du ministère public quelques jours plus tard.
[81] Quelques mois plus tard, la partie appelante a encore été interrogée. On lui a assuré de nouveau que ses déclarations ne seraient pas utilisées contre elle en justice. L'interrogatoire portait sur plusieurs déclarations contradictoires qu'elle avait faites à la police et aux procureurs du ministère public. De toute évidence, sa crédibilité était mise à l'épreuve, un exercice fréquent lorsqu'il est question de déterminer si un candidat au titre de témoin repenti possède les qualités requises et s'il constituerait un témoin convaincant.
[82] Cela dit, le ministère public qui n'avait pas, à ce moment‑là, l'intention de faire comparaître la personne désignée B comme témoin, a décidé de ne pas conclure l'entente. La partie appelante n'était donc pas retenue à titre de témoin repenti.
(5) Le ministère public tente de clarifier le statut de la partie appelante
[83] Ayant décidé de ne pas engager la partie appelante à titre de témoin repenti, le ministère public a demandé que soit clarifié le statut de cette dernière, de sorte qu'il puisse respecter ses obligations en matière de communication. Par mesure de précaution, le ministère public a ordonné entre‑temps que l'identité de la partie appelante et tout renseignement susceptible de la révéler soient biffés de divers documents.
[84] Le ministère public souhaitait principalement savoir si la partie appelante bénéficiait ou non du privilège de l'indicateur puisque, si tel était le cas, la plupart de ses déclarations, même si elles étaient autrement susceptibles d'être divulguées, ne le seraient pas. Afin d'élucider la question, un policier envoyé par le ministère public est allé rencontrer la partie appelante pour lui demander de signer un engagement de ne pas chercher à faire reconnaître l'existence d'un privilège de l'indicateur relativement aux renseignements fournis à la SQ, ce que la partie appelante a refusé de faire. Le ministère public a donc présenté une requête à la cour, lui enjoignant de déterminer si la partie appelante jouissait ou non du privilège de l'indicateur. Ayant entendu des témoins et les arguments des avocats, le juge a conclu que la personne désignée B ne bénéficiait pas du privilège de l'indicateur.
D. Historique judiciaire
[85] Après avoir analysé les décisions de la Cour dans Bisaillon c. Keable , [1983] 2 R.C.S. 60; R. c. Leipert , [1997] 1 R.C.S. 281; Personne désignée c. Vancouver Sun , 2007 CSC 43, [2007] 3 R.C.S. 253, ainsi que la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. c Babes (2000), 146 C.C.C. (3d) 465, le juge des requêtes a conclu que, pour que s'applique le privilège de l'indicateur, il faut que la police ait promis, expressément ou implicitement, à la personne revendiquant le privilège que son identité comme source des renseignements serait protégée. Il a ajouté qu'il incombe à la personne qui invoque le privilège de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle est en droit d'en bénéficier.
[86] À l'audience, la partie appelante a témoigné sur ce point et a admis s'être manifestée initialement auprès de la police pour se venger. Elle a ajouté qu'elle espérait devenir un témoin repenti et que ses déclarations ne serviraient pas à l'incriminer devant un tribunal. Elle a néanmoins affirmé qu'elle croyait bénéficier du privilège de l'indicateur parce que c'est ce que lui avaient assuré à maintes reprises plusieurs agents de la SQ. Selon elle, on lui avait dit qu'elle serait considérée comme un indicateur anonyme tant que l'entente de témoin repenti qu'elle espérait conclure avec le ministère public n'était pas finalisée . Depuis le début, la personne désignée B a fait valoir que la SQ lui avait promis expressément le statut d'indicateur. Dans son témoignage, elle n'a jamais dit qu'elle avait inféré des actes des policiers qu'ils lui promettaient ce statut ni que la conduite du corps policier l'avait confortée dans son inférence.
[87] Le ministère public a également appelé plusieurs agents de la SQ à témoigner à cet égard. Ils ont tous affirmé que la partie appelante n'avait jamais été considérée comme un indicateur anonyme ni été informée qu'elle en était un. En fait, à leurs yeux, dès le départ, la personne désignée B était en voie de devenir un témoin repenti et témoignerait lors de procès ultérieurs. À leurs dires, la possibilité de lui conférer le privilège de l'indicateur ne leur avait tout simplement jamais traversé l'esprit.
[88] Après avoir examiné la preuve testimoniale et documentaire dont il disposait, le juge des requêtes a recensé les divers éléments appuyant les positions respectives des parties.
[89] Parmi les éléments favorables à la partie appelante, le juge des requêtes a retenu que, à certains égards, la SQ a traité la personne désignée B comme elle traiterait un indicateur anonyme, mais aussi qu'elle lui a demandé de signer un engagement de ne pas chercher à faire reconnaître l'existence du privilège de l'indicateur relativement aux renseignements qu'elle lui avait fournis.
[90] Au soutien de l'argument contraire, le juge des requêtes a recensé entre autres (1) le fait que la partie appelante voulait devenir un agent de la police et s'attendait à témoigner lors de procès ultérieurs, (2) le fait que la personne désignée B avait été arrêtée relativement à des activités criminelles violentes et que les renseignements qu'elle avait fournis à la SQ à ce sujet avaient été utilisés contre elle, (3) le fait que la personne désignée B avait fait des déclarations peu après sa première rencontre avec des agents de la SQ, sachant que ces déclarations pouvaient mener à des accusations en lien avec des activités criminelles sérieuses, (4) le fait que la SQ n'a jamais produit de rapport de source relativement aux révélations faites par la personne désignée B, (5) le fait que le ministère public avait proposé l'immunité à la personne désignée B et s'était engagé à ne pas la faire témoigner, (6) le fait que l'une des déclarations de la partie appelante avait été divulguée durant une autre enquête (ce qui est incompatible avec l'anonymat auquel a droit une personne qui jouit du privilège de l'indicateur) et (7) le fait que la partie appelante avait été avertie à l'égard de plusieurs dépositions que ces dernières pourraient être utilisées au procès de tiers.
[91] Après avoir procédé à cet exercice, le juge des requêtes a reconnu qu'il était certes surprenant de « demander à celui que l'on considère comme un témoin éventuel de renoncer à son privilège d'informateur de police après lui avoir attribué [quelques années] plus tôt un identifiant réservé aux sources ». Selon le juge, il était également très étrange que le ministère public demande à la partie appelante de s'engager à ne pas invoquer un privilège que seuls les agents de la SQ avaient le pouvoir de lui accorder, ce qu'ils affirment n'avoir jamais fait.
[92] Cela dit, le juge des requêtes était toujours d'avis qu'aucune entente — expresse ou implicite — n'était intervenue entre la SQ et la partie appelante conférant le statut d'indicateur anonyme à cette dernière. Contrairement à ce que suggère la juge Abella, soit que la question clé de l'existence ou non d'une promesse implicite d'anonymat serait restée sans réponse, le juge des requêtes y a, en fait, répondu spécifiquement, par la négative. Concluant à une preuve contradictoire, le juge a largement rejeté le témoignage de la partie appelante qu'il jugeait non crédible et accepté celui des agents de la SQ.
[93] Le juge des requêtes était également d'avis que la partie appelante a su en tout temps , et ce, à compter de sa première rencontre avec des agents de la SQ, qu'elle témoignerait dans d'autres procès. Selon lui, son insistance à devenir indicateur anonyme était motivée par la déception de n'avoir pas été engagée comme témoin repenti et par l'échec de ses négociations avec le programme de protection des témoins. Pour le juge des requêtes, la partie appelante avait profité de la tentative du ministère public de lui faire signer un engagement de ne pas chercher à faire reconnaître l'existence du privilège de l'indicateur pour invoquer ce dernier et cela trahissait chez elle un opportunisme évident. Compte tenu de cette conclusion expresse selon laquelle la personne désignée B avait tenté d'invoquer le privilège uniquement après coup, j'estime que, contrairement à ce qu'affirme ma collègue au par. 20, nous sommes autorisés à conclure que cela « équivaut [ bel et bien ] à une conclusion selon laquelle la personne désignée B savait depuis le début qu'elle ne jouissait pas de cette protection quant à ses rapports avec la SQ ».
[94] Cela dit, le juge des requêtes a conclu que son analyse des témoignages et des pièces avait démontré de façon prépondérante et dominante que la partie appelante ne jouissait pas du privilège de l'indicateur à l'égard des renseignements fournis à la SQ, mais constituait plutôt un témoin contraignable dans le cadre du procès d'autres personnes. Le juge a aussi conclu que les agents de la SQ n'ont jamais rien fait qui ait pu permettre à la personne désignée B de croire qu'elle deviendrait un indicateur de police anonyme.
III. Analyse
A. Quelles sont les réalités concrètes de la présente affaire?
[95] Pour commencer, je pense qu'il importe de préciser quelles sont les réalités concrètes de la cause ainsi que les limites de la révision en appel qui doivent baliser l'examen des demandes de la partie appelante. Selon moi, il est impératif de garder certaines questions à l'esprit.
[96] Premièrement, le juge des requêtes a expressément rejeté le témoignage de la personne désignée B, y compris les passages où elle affirmait qu'on lui avait fait la promesse qu'elle jouirait du statut d'indicateur de police anonyme ou qu'on en avait même discuté avec elle. Il a également jugé que les policiers n'avaient rien fait qui aurait permis à la personne désignée B de croire qu'elle allait devenir indicateur de police anonyme. Il vaut la peine de citer des extraits clés des conclusions du juge à cet égard :
Les policiers [. . .], qui ont des contacts réguliers avec [la personne désignée B] à compter de [sa première rencontre avec des agents de la SQ], affirment tous qu'ils ont toujours traité [cette dernière] comme un témoin d'infractions et qu'ils n'ont jamais évoqué avec [elle] l'hypothèse qu'[elle] soit un jour considéré[e] par eux comme un indicateur de police au cas où il n'obtiendrait pas de contrat de témoin repenti. [La personne désignée B] soutient catégoriquement le contraire et identifie ces mêmes policiers comme étant ceux qui ont pris cet engagement formel avec lui à plusieurs reprises.
. . .
Le tribunal retient en conséquence la version des témoins policiers qui ont toujours, depuis [sa première rencontre avec des agents de la SQ], manifesté l'intention de faire témoigner publiquement [la personne désignée B] au sujet de ses révélations et qui ont toujours tenu avec lui ce discours sans jamais lui laisser entendre qu'[elle] pourrait, à défaut de contrat avec l'État, devenir un indicateur de police.
. . .
. . . l'ensemble de la preuve impose au tribunal de conclure à l'inexistence d'une entente, qu'elle soit expresse ou tacite , entre [la personne désignée B] et les policiers [. . .] lui permettant de bénéficier du statut d'informateur de police . . . [Je souligne.]
[97] Deuxièmement, même si, dans de rares cas, il peut être possible en théorie qu'une personne soit à la fois témoin pour le ministère public et indicateur de police anonyme, ce n'était pas possible dans la situation de la personne désignée B. Le juge des requêtes l'a reconnu, comme d'ailleurs l'avocat de la personne désignée B elle‑même devant la Cour. En outre, le juge des requêtes a spécifiquement rejeté, dans les faits, l'affirmation de la personne désignée B selon laquelle on lui avait promis le statut d'indicateur anonyme en attendant la fin du processus devant mener à celui de témoin repenti et donné foi aux témoignages des policiers selon lesquels ils n'avaient rien fait qui a pu inciter la personne désignée B à croire qu'elle avait le statut d'indicateur de police anonyme à quelque moment que ce soit durant leurs échanges.
[98] Troisièmement, le fait que la police ait l'obligation de protéger une personne n'a rien à voir avec celui de savoir si cette personne est un indicateur de police anonyme. Il n'y a rien d'incompatible à ce que les policiers soutiennent, d'une part, qu'ils s'estimaient tenus de protéger la personne désignée B et, d'autre part, que celle‑ci n'était pas un indicateur de police anonyme.
[99] Quatrièmement, une cour qui siège en appel n'est pas habilitée à soupeser de nouveau les éléments de preuve au dossier et à tirer des inférences que n'a pas voulu tirer le juge des requêtes, à moins que celui‑ci n'ait commis une erreur manifeste et déterminante. Avec respect, j'estime que ma collègue la juge Abella transgresse cet important principe à plus d'un égard.
[100] Si on se penche, par exemple, sur les références répétées de ma collègue aux demandes de la personne désignée B quant à son « statut ». Dans les faits, ma collègue suggère que la personne désignée B a demandé à maintes reprises si elle était un indicateur de police et ce, sans obtenir de réponse claire. Avec égards, je considère que c'est une inférence qui ne peut être tirée à bon droit du présent dossier ou des conclusions de fait du juge des requêtes.
[101] L'affirmation de la personne désignée B selon laquelle elle avait reçu l'assurance qu'elle avait le statut d'indicateur de police anonyme en attendant l'issue du processus qui devait mener à la signature du contrat qui ferait d'elle un témoin repenti a été spécifiquement rejetée par le juge des requêtes. Par contre, le juge a expressément conclu que, dès la première rencontre de la personne désignée B avec la SQ et par la suite, les policiers avaient toujours manifesté l'intention de citer la personne désignée B à comparaître publiquement quant aux révélations qu'elle leur avait faites et que leurs discussions avec elle n'ont jamais pu lui laisser croire qu'elle pourrait devenir une source anonyme .
[102] Selon le témoignage des policiers, preuve acceptée par le juge, la personne désignée B était préoccupée d'obtenir un contrat de témoin repenti, un contrat dont elle pouvait raisonnablement s'attendre qu'il lui procure des avantages financiers et autres. Ses questions répétées portaient non pas sur son statut d'indicateur anonyme, mais sur les progrès du processus devant mené à la signature d'un tel contrat, questions auxquelles les policiers ont répondu en lui assurant que le processus suivait son cours et en précisant que le ministère public avait le dernier mot sur la question. Toute supposition voulant que la personne désignée B ait posé des questions relativement à son statut d'indicateur de police et qu'elle n'ait pas eu droit à une réponse claire n'est, à mon avis, étayée ni par les conclusions du juge des requêtes ni par le dossier. En fait, les policiers qui ont témoigné relativement à cette question ont affirmé à plusieurs reprises qu' il n'y a tout simplement pas eu de discussion quant au statut de la personne désignée B en tant que « source » ou « indicateur anonyme ». À titre d'exemple, voici un extrait du témoignage d'un des agents :
Q Mais, lorsqu'elle avait ces questionnements‑là, vous souvenez‑vous que la personne désignée B vous aurait demandé : « Ouais, mais là, s'ils ne signent pas là, vous faites quoi avec moi?
R Non.
Q Je suis quoi là?
R Non.
Q . . . Les déclarations vous faites quoi avec? »
R Non. On a toujours travaillé dans le sens qu'elle deviendrait un témoin repenti. Moi, quand j'ai travaillé avec elle, on prenait des déclarations, on allait chercher des éléments de preuve. C'était clair dans notre esprit à nous que ça allait être présenté à des procureurs de la Couronne pour que des accusations soient portées. Mais moi, de toute façon, il lui avait été expliqué de la façon qu'elle deviendrait un témoin repenti, donc, qu'il y avait des gens qui allaient se pencher là‑dessus. Donc, on a toujours travaillé dans le sens qu'elle deviendrait un témoin repenti.
Le témoignage d'un autre agent à ce sujet est également instructif :
Q Puis la personne désignée B quand elle s'entretenait avec vous, j'ai pas raison de dire qu'à plusieurs reprises elle vous avait dit : « Moi, je veux être comme une “source”, je ne veux pas que tu donnes mes déclarations à personne » . . .
R Non, la personne désignée B . . .
Q . . .
R Non, la personne désignée B, ses déclarations étaient ciblées puis on s'en servait [. . .] La personne désignée B là, tout le temps qu'elle a été avec nous autres là, elle a su qu'on se servait de ses déclarations.
Un troisième agent a donné une réponse semblable :
Q Avez‑vous, [. . .] dans les débuts de votre relation, si je peux dire ça comme ça [. . .] comme contrôleur avec la personne désignée B, discuté des avenues possibles de la personne désignée B au niveau, pour vous orienter un peu [. . .] Vous l'avez qualifiée, vous avez dit : « bon, tu es “source”, témoin spécial ou témoin de repenti de toute façon »?
R` Moi j'ai jamais parlé [. . .] Moi, dans mon travail là, le statut de la personne désignée B, ça s'enlignait toujours pour devenir témoin repenti, devenir témoin dans la cause, ç'a toujours été ça.
. . .
Q Mais, vous ne lui avez pas répondu aussi que de toute façon, en attendant tu es « source »?
R Non. Non. Elle a toujours été considérée comme [. . .] Moi, dans ma tête à moi, elle allait témoigner, ç'a été une surprise quand on a appris qu'elle ne témoignerait pas, ç'a été une surprise.
Autrement dit, aucun des agents en cause n'a omis de donner une réponse claire à la personne désignée B quant à la question de savoir si elle était une source anonyme parce qu'il n'y a pas eu de discussions à ce sujet et que l'idée même qu'elle puisse être ou devenir une source ne leur a jamais effleuré l'esprit.
[103] À mon avis, la Cour ne peut pas, en appel, tirer de ce dossier l'inférence que la personne désignée B a demandé si elle était une « source » et qu'elle n'a pas eu de réponse claire. Une telle inférence serait non seulement contraire à la preuve à laquelle le juge des requêtes a donné foi, mais aussi contraire à sa conclusion de fait expresse que la SQ n'a rien fait qui aurait pu inciter la personne désignée B à croire qu'elle deviendrait un indicateur de police anonyme.
[104] Toujours avec respect, j'estime que ma collègue a également outrepassé les limites de la révision en appel quant à la question des promesses alléguées d'anonymat qui auraient été faites par les policiers. À ce sujet, le juge des requêtes était conscient de l'existence d'un certain flou et de l'inconstance dans la preuve et il l'a expressément souligné. Un examen du dossier permet de constater qu'il y a effectivement eu certaines contradictions dans le témoignage des policiers sur cette question et qu'ils ont utilisé le terme « confidentiel » dans plusieurs sens. Le juge est même intervenu durant le témoignage d'un agent de manière à clarifier le sens que donnait ce dernier au terme en question.
[105] La confusion apparente quant à la question de savoir ce qui était confidentiel et ce qui ne l'était pas ressort clairement du témoignage des policiers. Par exemple, un agent — dans le passage cité par ma collègue la juge Abella au par. 44 — affirme que si la personne désignée B ne signait pas de contrat, elle n'aurait pas à témoigner et ses déclarations ne seraient pas utilisées contre elle, ce qui suppose un certain degré de confidentialité. Plus tard, toutefois, il a affirmé avoir agi à une occasion d'une manière incompatible avec le fait que la personne désignée B était une source anonyme et insisté pour dire que la personne désignée B n'est pas une « source » parce qu'il n'est pas permis de divulguer l'identité d'une « source ». Un autre agent a aussi tenu des propos contradictoires lorsqu'il a témoigné quant à la confidentialité. En effet, dans le passage cité par ma collègue au par. 45, l'agent a affirmé que les déclarations de la personne désignée B étaient « toujours [. . .] confidentiel[les] », mais il a aussi affirmé que la personne désignée B n'a jamais été un indicateur de police ou une « source » anonyme. Par ailleurs, dans son témoignage, un autre agent a systématiquement distingué la situation de la personne désignée B de celle d'un indicateur de police — dont l'identité et les déclarations doivent rester secrètes — et affirmé que rien en l'espèce ne faisait l'objet d'une quelconque confidentialité.
[106] C'était au juge des requêtes qu'il revenait de faire la lumière sur la question, pas à une cour siégeant en appel. Le juge a fait référence à la question (entre autres) et tiré des conclusions selon lesquelles la preuve démontrait que la personne désignée B, en l'espèce, ne pouvait être à la fois indicateur de police et témoin de la poursuite, que les policiers avaient invariablement manifesté leur intention de citer la personne désignée B à comparaître et qu'ils ne lui avaient jamais laissé croire qu'elle deviendrait un indicateur de police anonyme. À mon avis, il n'y a aucune raison de revenir sur ces conclusions claires.
[107] Avec ces éléments en tête, je vais maintenant me pencher sur les questions qu'il reste à trancher.
B. Le juge des requêtes a‑t‑il omis d'examiner la question de l'existence ou non, en l'espèce, d'une promesse implicite quant au statut d'indicateur anonyme?
[108] Ma collègue, la juge Abella, estime que la décision du juge des requêtes devrait être infirmée parce qu'il ne se serait pas penché sur la question de l'existence ou non d'une promesse implicite quant au statut d'indicateur anonyme. Avec égards, je ne peux convenir que le juge a omis d'examiner la question, et ce, pour plusieurs raisons.
[109] Le juge était au fait des rapports qu'entretenait la personne désignée B avec d'autres corps policiers. Or, au courant de cet élément du dossier, il a conclu à la nécessité de considérer différemment les rapports qu'elle entretenait avec la SQ. Il a fait état de plusieurs différences pour justifier cette conclusion qui est largement étayée par la preuve.
[110] La personne désignée B avait communiqué avec la police afin de lui révéler certains renseignements. Durant sa première rencontre avec la SQ, elle a été mise en détention et en état d'arrestation pour le crime qu'elle avait commis. Comme je l'ai rappelé précédemment, la personne désignée B a ensuite fait un certain nombre de déclarations. Si, dans certains cas, on lui avait promis que les déclarations ne serviraient pas en preuve contre elle, dans beaucoup de cas, il lui a été précisé clairement — et elle savait pertinemment — que les déclarations pourraient servir de preuve au procès d'autrui . Manifestement, un tel usage de ces déclarations est totalement inconciliable avec l'idée que l'identité de leur auteur comme source des renseignements ne serait pas révélée. Bref, les rapports de la personne désignée B avec la SQ ont consisté en négociations relatives à l'inscription d'un plaidoyer et en longs pourparlers sur la possibilité de conclure un contrat de témoin repenti qui aurait prévu la comparution de la personne désignée B comme témoin à charge lors de procès publics.
[111] Je conclus de ces considérations que le juge des requêtes n'a pas omis d'examiner la question de l'existence ou non d'une promesse implicite quant au statut d'indicateur anonyme. Il a plutôt pris soin d'examiner si une promesse tant implicite qu'explicite avait été faite, même si le témoignage de la personne désignée B n'a fait état que de promesses explicites répétées de la SQ. C'était le seul fondement pour justifier sa croyance qu'elle avait le statut d'indicateur. Quoi qu'il en soit, comme je vais l'expliquer dans la prochaine section, la question de l'existence d'une « promesse [supposément] implicite » ne s'est jamais posée au vu du dossier.
C. Au vu du dossier, la question de l'existence ou non d'une promesse implicite par la SQ quant à l'octroi du privilège de l'indicateur de police se pose‑t‑elle toujours?
[112] Rien dans le dossier ne permet de conclure qu'une personne raisonnable dans la position de la personne désignée B croirait ou pourrait croire que son identité à titre de source des renseignements serait protégée. Pour trancher la question, il faut examiner de près le dossier et les conclusions de fait du juge.
[113] Tout d'abord, il importe de comprendre la déposition faite par la personne désignée B devant le juge. Elle a systématiquement affirmé que la SQ lui a promis expressément à de nombreuses reprises qu'elle allait bénéficier du statut d'indicateur anonyme jusqu'à l'issue des négociations relatives à son contrat de témoin repenti. La personne désignée B n'a jamais affirmé que sa perception des actes de la SQ l'avait incitée à croire que son identité était protégée. Selon son témoignage, la prétendue entente quant à l'obligation de confidentialité découlait uniquement de promesses expresses faites à ce sujet par des agents de la SQ.
[114] À l'audience sur la requête, la partie appelante a expliqué très clairement le fondement sur lequel elle s'appuie pour invoquer le privilège de l'indicateur : les policiers le lui avaient expressément promis. En effet, au début de son témoignage, elle a affirmé avoir demandé à la SQ, peu après le début de leur coopération, de préciser son statut. Elle résume ainsi sa vision des faits :
[B] Là, suite à ça, je discute avec la police de [. . .] « Ça va être quoi mon statut, allez‑vous me signer un contrat, allez‑vous me signer [. . .] » « Non, avant le contrat [personne] désignée B, tout ce que tu me dis, ça reste confidentiel. Ça fait qu'il y a toujours [. . .] Il y a 3 statuts là‑dedans : une “source”, un témoin spécial ou tu es un témoin repenti. » Bon. « Puis là, pour le moment‑là, toi tu es une “source”. » « Ah oui. » « Ouais, fait que tout ce tu dis là nous autres c'est [. . .] t'as pas de charge là, puis on prend ça, puis c'est toute. »
[115] La personne désignée B a ajouté que, pendant les quelques mois qui ont suivi son premier contact avec la SQ, des agents de cette dernière lui ont répété régulièrement ne pas être en mesure de lui dire si elle serait engagée à titre de témoin repenti, mais affirmaient qu'elle était de toute façon un indicateur anonyme entre‑temps :
[B] Ils disent : « . . . on peut pas dire que tu es témoin spécial, on ne le sait pas [personne] B, tu n'es pas un témoin repenti, on ne le sait pas. Ça fait que tu es une “source”. »
[116] Plus tard au cours de son témoignage, la partie appelante a nommé les personnes qui lui auraient dit expressément qu'elle serait considérée comme un indicateur anonyme jusqu'à la décision sur sa candidature au titre de témoin repenti.
[117] Dans sa déposition, la partie appelante n'a jamais laissé entendre que son interprétation de son prétendu statut d'indicateur anonyme découlait d'autre chose que de promesses expresses qui lui avaient été faites par les agents de la SQ. Il n'est jamais ressorti de son témoignage que ses rapports avec la SQ lui avaient donné l'impression qu'elle bénéficiait de ce statut. Selon tous les agents de la SQ qui ont témoigné, non seulement de telles promesses n'avaient jamais été faites, mais la possibilité de tenir la personne désignée B pour un indicateur anonyme n'avait même jamais été envisagée ou discutée avec elle.
[118] Le juge des requêtes a formulé des conclusions de fait non équivoques sur la valeur probante qu'il accordait au témoignage de la partie appelante. Selon lui, elle manquait de crédibilité et a su en tout temps , soit à compter de sa première rencontre avec la SQ, qu'elle témoignerait au procès d'autres personnes (et donc que son identité, par la force des choses, ne pourrait rester secrète). Les conclusions du juge collent aux nombreuses mises en garde faites à la partie appelante relativement à ses nombreuses déclarations à la SQ. En outre, le juge des requêtes a conclu que la stratégie de la partie appelante d'invoquer le privilège de l'indicateur n'était rien d'autre qu'une vaine tentative de la part d'un mécontent de se venger du traitement à son avis injuste que le ministère public et la SQ lui auraient réservé relativement à son souhait de devenir un témoin repenti. Le juge a conclu que c'est seulement après qu'on a demandé à la personne désignée B de signer un engagement de ne pas chercher à faire reconnaître l'existence du privilège de l'indicateur qu'elle a commencé à réclamer le statut d'indicateur anonyme. En outre, je le répète, le juge a aussi conclu que la SQ n'a jamais rien fait qui aurait pu inciter la personne désignée B à comprendre qu'elle était ou pouvait être un indicateur de police anonyme. En somme, le juge des requêtes a rejeté en grande partie les faits tels que les a présentés la partie appelante, dont l'argument qu'une promesse expresse lui avait été faite. Fait important, la partie appelante ne conteste nullement les funestes constatations du juge des requêtes quant à la crédibilité de son témoignage.
[119] En plus de rejeter la version des faits de la partie appelante, le juge des requêtes a conclu que les agents de la SQ avaient envisagé depuis le début de faire témoigner cette dernière et n'avaient jamais eu l'intention d'en faire un indicateur anonyme. Cette conclusion correspond en grande partie au témoignage des agents de la SQ et constitue, à mon avis, une conclusion de fait parfaitement défendable au vu du dossier.
[120] Bref, il ressort clairement du témoignage de la partie appelante que le privilège de l'indicateur qu'elle revendiquait n'aurait découlé que de promesses expresses qu'on lui aurait faites, des promesses dont le juge a conclu qu'elles n'avaient jamais existé. Qui plus est, le juge a ajouté foi aux dépositions des policiers selon lesquels ils n'avaient même jamais envisagé de faire de la personne désignée B un indicateur anonyme et n'avaient rien fait qui a pu inciter cette dernière à croire qu'elle avait ce statut. Le juge a aussi conclu que ce n'est que quelques années après que la personne désignée B ait échangé pour la première fois avec la SQ qu'elle a commencé à réclamer le statut d'indicateur de police anonyme. Ces constatations empêchent d'accorder quelque crédit que ce soit à la théorie de la promesse sous‑entendue ou implicite.
[121] En outre, comme je l'ai mentionné précédemment, nous savons que, peu après leur première rencontre, des agents de la SQ ont arrêté la partie appelante relativement à ses activités criminelles. On lui a alors lu ses droits et on l'a informée expressément que toute parole pourrait être utilisée pour l'incriminer devant un tribunal. Nous savons également que tout au long de ses rapports avec la SQ, ses déclarations étaient généralement précédées d'une mise en garde selon laquelle les renseignements pourraient servir contre elle ou, à tout le moins, à poursuivre d'autres personnes. Le dossier révèle que la partie appelante était consciente de cette possibilité.
[122] En effet, le contre‑interrogatoire mené par le procureur du ministère public a clairement fait ressortir la connaissance par la partie appelante du fait que ses premières déclarations à la SQ pourraient être utilisées pour l'incriminer et déposées en preuve dans le cadre d'un procès public :
Q Puis vous là, quand on vous dit ça peut servir de preuve contre vous, vous comprenez quoi de ça, vous?
R Bien, ça peut servir de preuve contre moi. C'est ça que je comprends c'est clair.
Q Dans quel cadre ça peut servir de preuve contre vous?
R Bien, ça peut servir de preuve contre moi, que voulez‑vous que je vous dise. . .
Q Durant quoi? Durant le procès? Durant un procès public? Ça veut donc dire qu'on va s'en servir de cette déclaration‑là si on se dit. . .
R Exactement. Oui, oui.
Q Vous comprenez ça comme il faut?
R Oui. Oui. [Je souligne.]
[123] Plus tard pendant le contre‑interrogatoire, le procureur a lu à la partie appelante un extrait de la transcription d'un des interrogatoires menés après son arrestation par la SQ. Un agent de ce corps policier y explique à la partie appelante qu'elle a droit à l'assistance d'un avocat et que ses paroles pourraient servir de preuve dans un procès ultérieur. Le procureur a alors demandé à la partie appelante si elle avait bien compris ce que l'agent de la SQ lui avait dit :
Q Vous compreniez bien ce qu'on vous disait à ce moment‑là. Vous saviez que ça pourrait servir . . .
R Oui.
Q . . . de preuve à la Cour?
R Oui, oui.
[124] Non seulement la partie appelante savait‑elle que ses déclarations à la SQ pourraient servir à l'incriminer, mais, elle est allée jusqu'à affirmer avoir voulu au départ se voir offrir un contrat de témoin repenti dans l'espoir, justement, d'éviter que ses révélations ne soient utilisées à tel dessein :
Q Est‑ce que vous, vous espériez en avoir un contrat de repenti?
R En premier j'espérais en avoir un, parce que je voulais pas que mes déclarations soient retenues contre moi , vu que . . .
. . .
Oui, j'espérais, au début. Mais là, ils me disaient tout le temps : « Non [personne] désignée B, on traversera la rivière quand on sera rendus au pont. » [Je souligne.]

[125] Compte tenu de ce qui précède, j'estime que le juge des requêtes n'a commis aucune erreur en concluant que la partie appelante savait que les renseignements qu'elle fournissait à la SQ pourraient servir dans le cadre de procès publics, que son identité à titre de source de ces renseignements ne resterait pas secrète et du coup, qu'elle ne bénéficiait pas du privilège de l'indicateur à l'égard de ces renseignements. C'est le discours que la SQ lui avait tenu à leur premier contact et répété au moment de ses déclarations.
[126] Quoi qu'il en soit, même si la personne désignée B avait quelque espoir que ce soit en ce sens, toute attente et toute croyance que les policiers avaient agi en conséquence et lui avaient garanti l'anonymat aurait été déraisonnable. En effet, le fait même que des mises en garde répétées avaient averti la personne désignée B que ses déclarations pourraient à tout le moins être déposées en preuve aux procès publics de tiers est fondamentalement incompatible avec une attente ou une croyance à l'égard d'une garantie d'anonymat.
[127] Ma collègue, la juge Abella, mentionne plusieurs éléments à l'appui de sa conclusion selon laquelle la partie appelante avait des motifs raisonnables de croire qu'elle jouissait du privilège de l'indicateur. Avec égards, aucun ne me convainc.
[128] Lorsqu'elle a été formellement accusée et mise en garde, elle devait savoir que tout ce qu'elle dirait à compter de ce moment-là pourrait être utilisé comme preuve devant un tribunal. Ce traitement par la police est totalement incompatible avec l'idée que ce corps policier aurait incité quelqu'un à croire que son identité à titre de source de déclarations qui lui étaient faites resterait confidentielle. Il va de soi que la personne désignée B l'aurait parfaitement compris.
[129] J'ai déjà discuté de la suggestion de ma collègue selon laquelle la personne désignée B aurait demandé à maintes reprises aux agents de la SQ ce qu'il en était de son statut et n'aurait pas reçu de réponse claire. Ni les conclusions du juge des requêtes ni le dossier ne permettent de tirer une telle inférence. J'ai aussi fait référence aux témoignages des policiers quant à l'anonymat et à la confidentialité et au fait que le juge des requêtes les a examinés avant de conclure que les agents de la SQ n'avaient rien fait qui permette à la personne désignée B d'inférer qu'elle était un indicateur de police anonyme. Ma collègue donne aussi de l'importance à certains documents pour étayer la possibilité selon laquelle la personne désignée B croyait avoir reçu la promesse implicite qu'elle obtiendrait le statut de source anonyme. Or, cela ne pouvait être le cas parce qu'aucun élément de preuve ne démontre que la personne désignée B avait même connaissance de l'existence de ces documents. Ils n'ont donc pas pu avoir d'incidence sur sa compréhension de la situation. Or, selon le témoignage des policiers qui étaient à même de conférer à la partie appelante le statut d'indicateur anonyme, il n'a jamais été question de faire d'elle un tel indicateur et le seul « statut » dont elle jouissait auprès de la SQ était celui d'un individu en voie de devenir un témoin repenti. Le juge des requêtes a donné foi à ces témoignages.
[130] Ma collègue souligne que deux documents font référence à la partie appelante en la qualifiant de source et que, par ailleurs, elle avait été nommée dans un grand nombre d'autres documents. La juge Abella conclut que cette inconstance dans le traitement de la personne désignée B a pu la mener à tenir raisonnablement pour acquis qu'elle avait un statut confidentiel avec la SQ. Avec égards, j'estime que le présent dossier ne permet pas de tirer une telle inférence. La personne désignée B n'a jamais laissé entendre une telle chose durant son long témoignage. Qui plus est, aucun élément de preuve ne permet d'affirmer que ce fait était connu de la partie appelante au moment pertinent; il n'a donc pas pu donner lieu à une promesse implicite dans l'esprit de la partie appelante. Considérer que cet élément de preuve peut miner les témoignages d'agents de la SQ qui ont dit n'avoir jamais envisagé de conférer à la personne désignée B le statut de source anonyme reviendrait à en faire un usage totalement contraire à des conclusions de fait claires tirées par le juge des requêtes. Enfin, ces éléments de preuve ne portent pas à conséquence s'ils sont envisagés dans le bon contexte factuel. La partie appelante est identifiée par son nom dans de nombreux documents, ce qui n'est pas compatible avec la thèse selon laquelle la police a effectivement voulu lui assurer l'anonymat. Les documents en preuve ne permettent pas d'écarter la conclusion de fait du juge des requêtes selon laquelle la SQ n'a jamais traité la personne désignée B comme une source anonyme. Que la personne désignée B n'ait pas eu connaissance de ces faits à l'époque signifie bien sûr qu'ils n'ont pu donner lieu à une promesse implicite d'anonymat.
[131] En dernier lieu, l'avocat de la partie appelante a fait grand cas du fait que le ministère public avait tenté de faire signer à la partie appelante un engagement à ne pas invoquer le privilège de l'indicateur à l'égard des renseignements fournis à la SQ. Il importe de mentionner d'emblée que le document en question ne signifiait pas que la partie appelante était un indicateur anonyme, mais enjoignait seulement à cette dernière de promettre de ne pas chercher à obtenir ce statut à l'avenir. Quoi qu'il en soit, la preuve démontre clairement que l'initiative émanait du ministère public, et non de la SQ. Certes, il se peut que le ministère public ait été justifié de souhaiter obtenir un tel engagement, mais je ne crois pas que ce fait, faute de preuve à l'appui, permette de conclure que la SQ considérait la partie appelante comme un indicateur anonyme ou qu'il ait donné naissance à des motifs raisonnables de croire à l'existence d'une promesse implicite d'anonymat. Le juge des requêtes a examiné cet argument de manière approfondie et l'a rejeté.
[132] En conclusion, je suis d'avis que l'existence ou non d'une promesse implicite d'anonymat n'a jamais été une question à trancher vu le dossier en l'espèce.
D. La conclusion du juge des requêtes selon laquelle la personne désignée B savait en fait pertinemment ne pas jouir du statut d'indicateur anonyme porte‑t-elle un coup fatal à la thèse de cette dernière?
[133] Le juge des requêtes est arrivé à la conclusion que la personne désignée B savait en fait pertinemment que son identité n'était pas protégée à l'égard des renseignements qu'elle avait révélés à la SQ. Selon ma collègue, le juge n'a jamais tiré une telle conclusion. Je ne suis pas de cet avis. À mes yeux, la conclusion est étayée par la preuve et porte un coup fatal à la thèse de l'existence d'une entente implicite à l'effet contraire. L'analyse de ce point nécessite de rappeler certains principes du droit relatif aux indicateurs anonymes avant de poursuivre l'examen des conclusions du juge des requêtes.
[134] Selon le point de vue traditionnel, le privilège de l'indicateur comporte les éléments d'offre et d'acceptation inspirés du contrat. Le privilège prend naissance lorsqu'un policier promet la protection et l'anonymat à un indicateur éventuel en échange de ses révélations. Dans les cas clairs, l'anonymat est demandé explicitement et accordé : R. c. Barros , 2011 CSC 51, [2011] 3 R.C.S. 368, par. 31‑32; R. c. Basi , 2009 CSC 52, [2009] 3 R.C.S. 389, par. 36. La promesse peut être explicite ou implicite : Bisaillon , p. 105. Si l'intention subjective des policiers est pertinente pour apprécier la preuve, leur intention subjective de conférer ou non le privilège ne fait pas partie des éléments du critère permettant de déterminer l'existence du privilège. Tous les arrêts de principe issus de notre Cour confèrent à la règle ce fondement de type contractuel.
[135] Je souscris donc à l'avis de ma collègue, la juge Abella, selon qui le critère pour déterminer s'il y a eu promesse implicite d'anonymat en l'espèce consiste à déterminer si la conduite des policiers aurait donné à quelqu'un dans la situation de la personne désignée B des motifs raisonnables de croire qu'une telle promesse lui avait été faite en échange des renseignements fournis. Ainsi, il faut à la fois un élément subjectif et un élément objectif : la personne qui dit être une source doit effectivement croire que l'anonymat lui a été promis en échange de ses révélations, et cette croyance doit être raisonnable, du point de vue d'une personne raisonnable placée dans la situation de la première. Si cette croyance existe et si elle est raisonnable, alors l'existence d'une promesse implicite est démontrée.
[136] Je souligne que l'avocat de la partie appelante devant la Cour convient que la personne qui dit être une source doit croire que la protection lui a été accordée. Pour reprendre ses propos, « [l]a conviction et la perception de B quant à son statut d'informateur est de prime importance ».
[137] Je tiens à souligner cet élément fondamental parce que j'estime respectueusement que ma collègue l'a perdu de vue dans son analyse. Elle s'efforce de démontrer que, si la personne désignée B avait cru qu'on lui avait promis la confidentialité, sa croyance aurait été raisonnable. Évidemment, je ne puis accepter cette thèse. Mais, quoi qu'il en soit, le caractère raisonnable de la croyance d'une personne imaginaire placée dans la situation de la personne désignée B ne suffit pas pour établir l'existence du privilège, à moins que la personne désignée B démontre également qu'elle croyait effectivement à l'existence d'une promesse implicite. Il n'est pas possible de tirer une telle conclusion en l'espèce, et ce fait est fatal à la thèse qu'elle défend.
[138] Je le répète, la thèse présentée par la personne désignée B lors de son long témoignage portait, non pas sur l'existence d'une sorte de promesse implicite, mais sur sa prétendue croyance, fondée exclusivement sur des promesses expresses et réitérées, qu'on lui avait conféré le statut d'indicateur anonyme. Les faits ne permettent pas de conclure que la personne désignée B croyait dans les faits être un indicateur. Bien au contraire.
[139] Le juge a signalé à juste titre que, selon le dossier de preuve, dans les circonstances de l'espèce, la personne désignée B ne pouvait être à la fois un témoin à charge et un indicateur de police à l'égard des renseignements qu'elle avait révélés à la SQ. Le juge des requêtes a également tenu pour acquis que, étant donné la situation, ce fait aurait dû paraître évident pour la personne désignée B. Le juge des requêtes a mentionné à maintes reprises, d'une part, le fait que cette dernière savait qu'elle allait témoigner et, d'autre part, les mises en garde expresses à ce sujet qu'elle avait entendues et signées. La démarche du juge n'est pas erronée et est étayée par la preuve au dossier.
[140] À ma connaissance, aucune règle absolue n'empêche un indicateur anonyme de témoigner quant aux renseignements qu'il a communiqués à la police sous le couvert de la confidentialité. Cela dit, en pratique, une telle situation serait extrêmement rare. On peut difficilement imaginer comment un indicateur pourrait, dans son témoignage, traiter de certains renseignements sans qu'il soit évident que la police les tient de lui. Autrement dit, ce genre de témoignage emporte toujours ou presque toujours le risque que l'identité de l'indicateur à titre de source des renseignements confidentiels soit dévoilée. Cela dit, je tiens à souligner que le ministère public doit impérativement faire tout en son pouvoir pour éviter qu'une telle situation se produise. En pratique, à moins que le ministère public et le témoin y renoncent d'un commun accord, le privilège de l'indicateur empêche en réalité le ministère public de faire témoigner un indicateur à propos des renseignements qu'il a révélés à la police sous le couvert de la confidentialité. Les deux rôles sont presque toujours incompatibles. Évidemment, un témoin éventuel comprendra cela, car il sera généralement manifeste que sa déposition révélera la source des renseignements. Comme je l'ai mentionné, le juge des requêtes a reconnu qu'il était en présence d'une telle situation. Il importe également de rappeler qu'il a spécifiquement rejeté le témoignage de la personne désignée B selon qui on lui avait expressément promis le statut d'indicateur anonyme le temps qu'une décision soit prise au sujet de la possibilité de conclure un contrat de témoin repenti.
[141] Compte tenu de l'ensemble de la preuve, le juge des requêtes a conclu que la personne désignée B savait qu'elle allait témoigner relativement aux renseignements qu'elle avait fournis à la SQ et qu'elle devait donc savoir qu'elle n'était pas un indicateur anonyme. En outre — et possiblement plus important encore — le juge a conclu que le comportement de la personne désignée B s'est mis à changer seulement quelques années après le début de sa coopération avec la SQ, et après qu'on lui a appris que son témoignage ne serait pas nécessaire à ce moment-là. Le juge a aussi conclu que c'est seulement après qu'on a demandé à la personne désignée B de signer un engagement de ne pas chercher à faire reconnaître l'existence du privilège et après l'échec des négociations avec le service de protection des témoins que la personne désignée B a invoqué son statut d'indicateur anonyme. Bref, selon le juge, la personne désignée B savait dès le départ qu'elle ne bénéficiait pas de la protection accordée aux indicateurs et le fait pour elle de prétendre le contraire après coup relevait d'un opportunisme évident.
[142] À mon avis, ces conclusions claires et fortes sont étayées par une montagne de preuve, et tout particulièrement celle voulant que la personne désignée B n'a jamais laissé entendre devant le juge que sa croyance selon laquelle elle bénéficiait de la protection accordée aux indicateurs était fondée sur autre chose que des promesses expresses prononcées à ce sujet par des agents de la SQ. Bien entendu, le juge a conclu à l'inexistence de promesses de ce genre et même au fait que les agents de la SQ n'avaient rien fait qui eût pu porter la personne désignée B à croire qu'une telle promesse lui était faite.
[143] Les conclusions du juge — selon lesquelles la personne désignée B savait en fait ne pas jouir du privilège de l'indicateur et avait invoqué ce statut après coup par opportunisme — permettent d'écarter, au motif qu'elle n'est pas pertinente, la possibilité qu'une personne imaginaire placée dans sa situation ait pu croire à une promesse implicite. La personne désignée B savait n'avoir reçu aucune telle promesse et a tout de même communiqué les renseignements. Elle est une soupirante déçue de ne pas avoir signé un contrat potentiellement lucratif de témoin repenti et une opportuniste, pas un indicateur de police.
[144] En conclusion sur ce point, la personne désignée B n'a jamais prétendu avoir une croyance subjective — selon laquelle on lui avait promis l'anonymat en échange des renseignements qu'elle a divulgués à la SQ — fondée sur autre chose que des promesses expresses. Compte tenu des conclusions du juge des requêtes, rien n'étaye le point de vue suivant lequel la personne désignée B avait une quelconque croyance subjective de ce type fondée sur quoi que ce soit. Ainsi, à mon avis, ce qu'une personne imaginaire dans la situation de la personne désignée B aurait raisonnablement pu penser n'est pas pertinent.
[145] Vu le dossier et les conclusions de fait du juge des requêtes en l'espèce, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu de modifier la décision sur la requête. Cependant, je tiens à souligner le fait que je partage l'avis du juge des requêtes selon lequel la police et la poursuite auraient pu mieux conduire l'affaire. Par conséquent, aucun de mes propos ne doit prêter à une interprétation qui nie l'importance pour le policier d'indiquer clairement à une source éventuelle en quoi consiste son statut. Bien au contraire.
[146] Le statut d'indicateur de police joue un rôle important dans les enquêtes menées sur des crimes et les poursuites qui en découlent. Comme l'a fait remarquer la Cour au par. 10 de Leipert , « [l]a règle revêt une importance fondamentale pour le fonctionnement du système de justice criminelle ». Pour être efficace, la protection accordée aux indicateurs de police doit être pour ainsi dire inviolable, sous réserve seulement de l'application étroite de l'exception relative à la démonstration de l'innocence de l'accusé. En effet, notre Cour a déjà décrit le privilège comme étant « absolu » : Vancouver Sun , par. 4.
[147] Tant la police que le grand public bénéficient de l'existence de ce privilège, car il invite les gens à contribuer aux enquêtes policières :
Le travail des policiers et le système de justice pénale dans son ensemble sont, dans une certaine mesure, tributaires de l'initiative des indicateurs confidentiels. Ainsi, il est depuis longtemps reconnu en droit que les personnes choisissant de servir d'indicateur confidentiel doivent être protégées des représailles possibles. Le privilège relatif aux indicateurs de police est la règle de droit qui empêche l'identification, en public ou en salle d'audience, des personnes qui fournissent à titre confidentiel des renseignements concernant des matières criminelles. Cette protection encourage par ailleurs les indicateurs éventuels à collaborer avec le système de justice pénale.

( Vancouver Sun , par. 16)
[148] Compte tenu du rôle important que joue le statut d'indicateur dans la détection des crimes et la poursuite de leurs auteurs, les tribunaux ne doivent pas miner son efficacité en sanctionnant l'action policière qui crée chez les indicateurs éventuels de l'incertitude ou de la confusion quant à leur statut. La tentative délibérée par un policier de créer de la confusion chez une personne quant à son statut, voire de poser des actes par inadvertance qui produisent le même effet, minent la confiance dans la protection qui découle du privilège de l'indicateur et découragent les détenteurs de renseignements sur des activités criminelles de les communiquer à la police, ce qui affaiblit une puissante avenue d'enquête.
[149] En l'espèce, le juge des requêtes était manifestement conscient de ces considérations, comme il se devait de l'être, et il a tiré ses conclusions à l'issue d'un examen attentif et approfondi de l'ensemble du dossier de preuve. Il n'y a donc pas lieu de modifier sa décision.
[150] Je dois maintenant examiner brièvement deux autres points.
E. Y a‑t‑il lieu d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience au motif que le juge des requêtes n'a pas suivi les principes établis par la Cour dans l'arrêt R. c. Basi ?
[151] Les autres personnes font valoir que le juge des requêtes n'a pas suivi les principes établis dans l'arrêt Basi et a, par le fait même, porté atteinte à leur droit à une défense pleine et entière. Comme je suis d'avis que la partie appelante ne bénéficie pas du privilège de l'indicateur, les autres personnes auraient droit à la communication de tous les renseignements pertinents issus des rapports de la partie appelante avec la SQ qui sont visés par la communication préalable. Il s'ensuit que tout manquement procédural imputable au juge des requêtes, s'il en était, n'a causé aucun préjudice aux autres personnes.
F. La divulgation de l'identité de la personne désignée B aurait‑elle mis fin au privilège?
[152] Les autres personnes prétendent que, même si le privilège s'appliquait en l'espèce, la divulgation de l'identité de la personne désignée B y aurait mis fin. Comme je suis d'avis que le privilège n'a jamais existé, je n'ai pas à répondre à cette question. Je mentionne simplement qu'il me semble que, dans le cas contraire, il faudrait trancher cette question.
IV. Dispositif
[153] Je suis d'avis de rejeter l'appel sans dépens.
Pourvoi accueilli, les juges Rothstein et Cromwell sont dissidents.
Procureurs de l'appelante : Guy Bertrand Avocats, Québec.
Procureur de l'intimée : Poursuites criminelles et pénales du Québec, Québec.
Procureurs des Autres : Shadley Battista, Montréal.
Procureur de l'intervenant le directeur des poursuites pénales : Service des poursuites pénales du Canada, Ottawa.
Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureurs de l'intervenante Criminal Lawyers' Association (Ontario) : Kapoor Barristers, Toronto.


* La juge Deschamps n'a pas participé au jugement.
* La juge Deschamps n'a pas participé au jugement.
[1] Pour protéger l'identité de la personne désignée B, le nom du corps de police qui lui a conféré le statut d'indicateur, les noms des policiers qui ont traité avec elle ainsi que les dates des rencontres et des conversations pertinentes n'ont pas été divulgués dans les présents motifs.

[2] Tout au long des présents motifs, le féminin est utilisé pour désigner tant la partie appelante que les autres personnes.


Synthèse
Référence neutre : 2013 CSC 9 ?
Date de la décision : 22/02/2013
Proposition de citation de la décision: R. c. Personne désignée B


Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2014
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2013-02-22;2013.csc.9 ?

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