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01/03/2013 | CANADA | N°2013_CSC_12

Canada | R. c. J.F.


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. J.F., 2013 CSC 12, [2013] 1 R.C.S. 565
Date : 20130301
Dossier : 34284

Entre :
J.F.
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique
Intervenante

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

Motifs de jugement :
(par. 1 à 76)
Le juge Moldaver (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges

LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell et Karakatsanis)





R. c. J.F., 2013 CSC 12, [2013] 1 R.C.S. 565
J.F. Appelant ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. J.F., 2013 CSC 12, [2013] 1 R.C.S. 565
Date : 20130301
Dossier : 34284

Entre :
J.F.
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique
Intervenante

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

Motifs de jugement :
(par. 1 à 76)
Le juge Moldaver (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell et Karakatsanis)





R. c. J.F., 2013 CSC 12, [2013] 1 R.C.S. 565
J.F. Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique Intervenante
Répertorié : R. c. J.F.
2013 CSC 12
N o du greffe : 34284.
2012 : 12 octobre; 2013 : 1 er mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit criminel — Infractions — Complot — Participants aux infractions — Est‑ce qu'une personne peut être un participant à l'infraction de complot? — Est‑ce que la responsabilité comme participant peut être imputée à une personne qui a connaissance du complot et qui accomplit quelque chose en vue de la poursuite de la fin illégale visée par celui‑ci? — La juge du procès a‑t‑elle fait erreur dans ses directives au jury au sujet de la notion de complot? — La disposition réparatrice devrait‑elle être appliquée pour confirmer la déclaration de culpabilité? — Exception à la règle du ouï‑dire relative aux coconspirateurs — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 21(1) , 465(1) , 686(1) b)(iii).
J, un adolescent, a appris que son amie T et R, la sœur de cette dernière, projetaient de tuer leur mère en lui faisant boire de l'alcool en quantité et en la noyant, projet que les sœurs ont ultimement mis à exécution et à l'égard duquel elles ont été déclarées coupables. Les policiers ont trouvé l'archive d'une conversation sur MSN entre J et T dans laquelle J fournissait à T des renseignements au sujet de la mort par noyade, suggérait que les sœurs donnent des comprimés de codéine à leur mère en plus de l'alcool et recommandait des moyens de tromper la police. Le ministère public a également présenté des éléments de preuve indiquant que J avait fourni les comprimés aux filles et qu'il avait rencontré T et R après le meurtre pour leur fournir un alibi. Dans ses directives au jury, la juge du procès a précisé que J pouvait être déclaré coupable de complot en vue de commettre un meurtre, l'infraction prévue au par. 465(1) du Code criminel , soit comme un des auteurs principaux, soit comme un participant suivant les al. 21(1) b ) ou c ) du Code criminel . J a été déclaré coupable de complot en vue de commettre un meurtre. La Cour d'appel a rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité, mais a réduit la peine infligée à J.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis : Le fait d'être un participant à un complot constitue une infraction qui existe en droit canadien . Contrairement à la tentative de complot, cette infraction ne découle pas de la superposition de deux formes de responsabilité inchoative et ne souffre pas d'absence de proximité.
Il existe deux écoles de pensée au Canada sur la question de savoir comment, et dans quelles circonstances, une personne peut être jugée responsable comme participant à l'infraction de complot. L'approche restrictive (le modèle dégagé dans Trieu ) limite l'application de cette forme de responsabilité à ceux qui fournissent aide ou encouragement à la formation de l'entente. L'approche large (le modèle dégagé dans McNamara ) étend cette responsabilité à ceux qui fournissent aide ou encouragement à la poursuite de la fin illégale visée par le complot. L'approche qui doit être suivie est celle prévue dans Trieu et non celle dégagée dans McNamara . L'application de la notion de responsabilité comme participant se limite aux cas où l'accusé fournit aide ou encouragement à la formation initiale de l'entente ou encore aide ou encourage de nouveaux membres à se joindre à une entente préexistante.
Le modèle dégagé dans Trieu représente un fondement légitime permettant de conclure à la responsabilité comme participant à l'infraction de complot. Une personne devient un participant à une infraction si elle aide ou encourage un des auteurs principaux à la commettre. Il s'ensuit que la responsabilité comme participant est établie lorsque l'accusé a fourni aide ou encouragement à l'égard de l' actus reus du complot, c'est‑à‑dire l'acte consistant pour les conspirateurs à s'entendre.
Le modèle dégagé dans McNamara n'est pas un fondement permettant de conclure à la responsabilité comme participant à l'infraction de complot. Des actes accomplis dans la poursuite de la fin illégale visée par le complot ne constituent pas un élément de l'infraction de complot. Le fait de fournir aide ou encouragement à la poursuite de la fin illégale ne prouve pas que l'accusé a aidé ou encouragé l'auteur principal à commettre quelque élément constitutif de l'infraction de complot, et il ne saurait justifier une conclusion de responsabilité comme participant au complot. Toutefois, le fait qu'une personne ayant connaissance d'un complot accomplit ou omet d'accomplir une chose dans la poursuite de la fin illégale, et ce, au su et avec le consentement d'un ou de plusieurs des conspirateurs existants, constitue une solide preuve circonstancielle permettant d'inférer que cette personne est membre du complot.
Bien que la notion de responsabilité comme participant à un complot s'applique aux personnes qui aident à la formation d'une nouvelle entente (le modèle dégagé dans Trieu ), elle vise également celles qui fournissent aide ou encouragement à l'égard d'une entente préexistante. Le fait de fournir une aide ou un encouragement de cette nature facilite la perpétration par le nouveau membre de l'infraction de complot — c'est‑à‑dire l' acte consistant à s'entendre.
Vu la conclusion que la responsabilité comme participant ne s'étend pas aux actes accomplis dans la poursuite de la fin illégale visée par le complot, la thèse de la responsabilité comme participant n'aurait pas dû, dans les circonstances, être soumise au jury. Il n'y a aucune preuve que l'appelant a fourni aide ou encouragement à la formation de l'entente initiale entre R et T en vue d'assassiner leur mère ou qu'il a aidé ou encouragé un nouveau membre à se joindre au complot existant. Toutefois, l'erreur de la juge du procès n'a pas pu influer sur le verdict. La disposition réparatrice prévue au sous‑al. 686(1) b )(iii) du Code criminel s'applique. La preuve démontrant que l'appelant était impliqué comme membre du complot était accablante et, après que le jury a rejeté la défense présentée par J, il était inévitable que ce dernier soit déclaré coupable de l'infraction établie au par. 465(1) du Code criminel .
Enfin, les deux moyens d'appel se rapportant à la preuve admise en vertu de l'exception à la règle du ouï‑dire relative aux coconspirateurs sont rejetés.
Jurisprudence
Arrêts approuvés : R. c. Trieu , 2008 ABCA 143, 429 A.R. 200; R. c. Bérubé , 1999 CanLII 13241, autorisation d'appel refusée, [2000] 1 R.C.S. vii; arrêts critiqués : R. c. McNamara (No. 1) (1981), 56 C.C.C. (2d) 193; R. c. Vucetic (1998), 129 C.C.C. (3d) 178; United States of America c. Lorenz (2007), 222 C.C.C. (3d) 16, autorisation d'appel refusée, [2008] 1 R.C.S. vi ( sub nom. Cheema c. Attorney General of Canada on behalf of the United States of America ); R. c. Taylor (1984), 40 C.R. (3d) 222; distinction d'avec l'arrêt : R. c. Déry , 2006 CSC 53, [2006] 2 R.C.S. 669; arrêts mentionnés : R. c. O'Brien , [1954] R.C.S. 666; R. c. Lam , 2005 ABQB 849 (CanLII); Papalia c. La Reine , [1979] 2 R.C.S. 256; Sheppe c. La Reine , [1980] 2 R.C.S. 22; R. c. Hibbert , [1995] 2 R.C.S. 973; R. c. Briscoe , 2010 SCC 13, [2010] 1 R.C.S. 411; People c. Strauch , 240 Ill. 60 (1909); R. c. Alexander (2005), 206 C.C.C. (3d) 233; Paradis c. The King , [1934] R.C.S. 165; R. c. Genser (1986), 39 Man. R. (2d) 203, conf. par [1987] 2 R.C.S. 685; R. c. Vu , 2012 CSC 40, [2012] 2 R.C.S. 411; Bell c. La Reine , [1983] 2 R.C.S. 471; R. c. Carter , [1982] 1 R.C.S. 938; R. c. Naicker , 2007 BCCA 608, 229 C.C.C. (3d) 187, autorisation d'appel refusée, [2008] 1 R.C.S. xi; R. c. Simpson , 2007 ONCA 793, 230 C.C.C. (3d) 542, autorisation d'appel refusée, [2008] 2 R.C.S. xi.
Lois et règlements cités
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 21(1) , 465 , 686(1) b )(iii).
Doctrine et autres documents cités
« Developments in the Law : Criminal Conspiracy » (1959), 72 Harv. L. Rev. 920.
Doherty, David. « Conspiracies and Attempts », in National Criminal Law Program, Substantive Criminal Law , vol. 1. Edmonton : Fédération des professions juridiques du Canada, 1990.
LaFave, Wayne R. Substantive Criminal Law , vol. 2, 2nd ed. St. Paul, Minn. : Thomson/West, 2003.
Manning, Morris, and Peter Sankoff. Manning Mewett & Sankoff : Criminal Law , 4th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2009.
Williams, Cameron R. « Complicity in a Conspiracy as an Approach to Conspiratorial Liability » (1968), 16 U.C.L.A. L. Rev. 155.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Rosenberg, Rouleau et Epstein), 2011 ONCA 220, 105 O.R. (3d) 161, 276 O.A.C. 292, 269 C.C.C. (3d) 258, 85 C.R. (6th) 304, [2011] O.J. No. 1577 (QL), 2011 CarswellOnt 2329, qui a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l'accusé pour complot en vue de commettre un meurtre. Pourvoi rejeté.
Ian R. Mang et Shelley M. Kierstead , pour l'appelant.
Alexander Alvaro et Andreea Baiasu , pour l'intimée.
Ryan D. W. Dalziel et Micah B. Rankin , pour l'intervenante.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Moldaver — Dans le présent pourvoi, la Cour doit décider si les dispositions du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , en matière d'aide et d'encouragement s'appliquent à l'infraction de complot et, dans l'affirmative, comment et dans quelles circonstances. Les cours d'appel sont divisées sur ces questions, et la présente affaire nous offre l'occasion de trancher parmi ces approches contradictoires.
I. Contexte
[2] L'appelant a été déclaré coupable de complot en vue de commettre un meurtre à la suite d'un procès devant la juge Van Melle de la Cour supérieure de justice de l'Ontario et un jury. Il a été jugé devant un tribunal pour adolescents et a reçu une période d'emprisonnement de 12 mois et une période de 6 mois à purger en liberté sous condition au sein de la collectivité.
[3] L'appelant a interjeté appel devant la Cour d'appel de l'Ontario à la fois de la déclaration de culpabilité et de la peine. L'appel de la déclaration de culpabilité a été rejeté; quant à l'appel visant la peine, il a été accueilli et celle‑ci a été réduite à 8 mois sous garde et à 4 mois de liberté sous condition.
[4] L'appelant se pourvoit, avec l'autorisation de notre Cour, contre sa déclaration de culpabilité. Comme je l'ai indiqué, la question principale consiste à décider si une personne peut être déclarée responsable comme participant à l'infraction de complot et, dans l'affirmative, dans quelles circonstances.
[5] L'accusation de complot en vue de commettre un meurtre, pour laquelle l'appelant a été reconnu coupable, porte sur le meurtre de A.K. par ses deux filles, R et T. La preuve présentée au procès de l'appelant a permis d'établir que R et T ont comploté en vue de tuer leur mère, puis ont finalement mis leur plan à exécution. Elles ont été jugées devant un tribunal pour adolescents et ont toutes deux été déclarées coupables de meurtre au premier degré.
A. La preuve contre l'appelant
[6] Selon la thèse du ministère public, l'appelant et T étaient des amis et cette dernière l'avait informé que R et elle projetaient de tuer leur mère. Elles avaient l'intention de lui faire boire de l'alcool en quantité, de la noyer dans le bain de la résidence familiale puis de faire passer la noyade pour un accident.
[7] Suivant le ministère public, l'appelant a pris diverses mesures pour aider R et T à réaliser leur plan. La police a découvert sur un ordinateur appartenant à R et à T l'archive d'une conversation révélatrice qu'ont eue l'appelant et T sur MSN quelques jours avant le meurtre. Dans cette conversation, l'appelant fournissait à T des renseignements au sujet de la mort par noyade, et lui expliquait ce que R et elle devaient faire si jamais leur mère se réveillait pendant le processus de noyade. Il suggérait également que, en plus de faire boire de l'alcool à leur mère en quantité, R et T lui donnent environ cinq comprimés Tylenol 3, parce que cela l'[ traduction ] « assommerait bien comme il faut » (d.a., p. 198). Les résultats de l'autopsie ont révélé la présence dans le sang de A.K. d'un taux de codéine 3,5 fois supérieur à la dose maximale recommandée — à savoir un niveau correspondant à la consommation de quatre à six comprimés Tylenol 3. Le ministère public a présenté des éléments de preuve indiquant que c'est l'appelant qui avait fourni ces comprimés à R et T peu avant le meurtre.
[8] Durant la même conversation, l'appelant promettait de fournir à R et à T un alibi pour le moment du meurtre et leur proposait un plan qu'il qualifiait d'[ traduction ] « irréfutable ». R et T n'ont pas retenu la suggestion de l'appelant, choisissant plutôt de suivre leur propre plan, lequel consistait à rencontrer ce dernier et un autre ami dans un restaurant précis peu après le meurtre. Des éléments de preuve présentés par le ministère public ont démontré que l'appelant avait acquiescé à cette suggestion et s'était présenté au restaurant comme prévu.
[9] Enfin, dans la même conversation avec T, l'appelant offrait d'être présent en compagnie de R et de T lorsque la police arriverait et il leur suggérait des façons de se comporter pour tromper les policiers. À un certain moment dans sa conversation avec T, l'appelant a fait un aveu éloquent : [ traduction ] « Je suis impliqué à tel point, je suis prêt à t'aider en tout [T] » (d.a., p. 197).
[10] Dans une déclaration faite aux policiers après son arrestation, l'appelant n'a pas nié qu'il était celui qui communiquait avec T dans les conversations sur MSN, mais il a soutenu qu'il n'était pas sérieux et qu'il ne s'attendait pas à ce que ses commentaires soient pris au sérieux (m.i., par. 20).
B. L'exposé final du ministère public et les directives de la juge du procès au jury
[11] Dans son exposé final, l'avocate du ministère public a invité le jury à déclarer l'appelant coupable selon l'un ou l'autre des deux fondements suivants : soit comme un des auteurs principaux du complot, soit comme un participant au complot aux termes des al. 21(1) b ) ou c ). Autrement dit, le ministère public a prétendu que l'appelant était devenu soit un membre du complot fomenté par R et T soit un participant à ce complot en fournissant aide ou encouragement à l'égard de celui‑ci.
[12] Acquiesçant à la demande du ministère public, la juge du procès a donné au jury des directives sur les deux fondements de la responsabilité. Les passages pertinents de l'exposé de la juge au jury au sujet de la responsabilité comme participant sont reproduits intégralement ci‑dessous :
[ traduction ] Commet également une infraction quiconque accomplit quelque chose en vue d'aider quelqu'un à commettre l'infraction.
Quiconque aide ou encourage activement quelqu'un à commettre une infraction est coupable de l'infraction au même titre que la personne qui l'a réellement commise. Je vous rappelle toutefois que la simple connaissance d'un projet criminel, ou une simple discussion ou un simple acquiescement passif à un tel projet ne sont pas en soi suffisants.
. . .
Le ministère public estime que [l'appelant] peut être déclaré coupable de complot, soit comme partenaire à part entière au même titre que [T] et [R], soit comme participant au complot. Il est un participant au complot s'il a aidé, c'est‑à‑dire assisté, ou s'il a encouragé, [T] et [R] dans leur projet meurtrier — le plan d'assassiner [la personne décédée].
Certains d'entre vous peuvent penser que [l'appelant] était un partenaire principal dans le plan, qu'il avait accepté d'assassiner [la victime]. D'autres peuvent accepter, en fin de compte, qu'il était uniquement un participant au complot en ce qu'il a aidé ou encouragé les filles dans leur plan meurtrier. Le ministère public est d'avis que [l'appelant] était impliqué dans ce complot parce qu'il a fourni au moins un des éléments suivants :
• des conseils sur le processus de noyade et la façon de se comporter devant la police;
• de l'aide concernant certains détails du plan, notamment la suggestion de combiner l'alcool et les Tylenol 3, ainsi que les mesures à prendre si la victime se réveillait au cours du processus;
• une entente en vue de leur fournir un alibi et le fait qu'il se soit présenté chez Jack Astor's le soir du meurtre;
• des comprimés Tylenol 3 pour faciliter la mort de la victime. [d.a., p. 61 et 69‑70]
C. Appel devant la Cour d'appel de l'Ontario, 2011 ONCA 220, 15 O.R. (3d) 161
[13] Dans l'appel qu'il a formé devant la Cour d'appel de l'Ontario à l'encontre de la déclaration de culpabilité, l'appelant a soulevé plusieurs moyens, dont l'argument selon lequel le jury n'aurait pas dû recevoir de directives sur la responsabilité comme participant. Rédigeant le jugement unanime de la Cour d'appel, le juge Rosenberg a exprimé son désaccord. Selon lui, au vu des faits de l'espèce, l'appelant pouvait être déclaré coupable comme participant à l'infraction de complot en vue de commettre un meurtre [ traduction ] « s'il a aidé ou encouragé les sœurs au sens du par. 21(1) [du Code criminel ] à poursuivre leur fin illégale » (par. 27 (je souligne)).
[14] Ayant conclu que la responsabilité comme participant pouvait être invoquée, le juge Rosenberg a examiné les directives données à cet égard et conclu qu'elles étaient déficientes. À son avis, elles [ traduction ] « étaient génériques, n'étaient pas rattachées aux faits de l'espèce et n'indiquaient pas clairement que le jury devait conclure que l'appelant connaissait l'objet du complot et que son assistance avait pour but d'aider [R et T] dans la poursuite de la fin illégale, à savoir le meurtre de leur mère » (par. 29).
[15] Malgré cette déficience, le juge Rosenberg était convaincu que la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1) b )(iii) du Code pouvait sans problème être appliquée pour confirmer la déclaration de culpabilité. À cet égard, il a souligné que le bien‑fondé de la défense invoquée par l'appelant — soit que ses commentaires dans ses conversations sur MSN avec T ne devaient pas être pris au sérieux — [ traduction ] « ne dépendait pas de la question de savoir si l'appelant était un des auteurs principaux du complot ou un participant à celui‑ci ». Si le jury acceptait cette défense ou si celle‑ci soulevait un doute raisonnable, l'appelant serait acquitté. Par contre, si le jury la rejetait, « une conclusion de culpabilité était inévitable ». Le juge Rosenberg a également indiqué que les conversations de l'appelant avec T sur MSN constituaient « une preuve directe, dans ses propres mots, de son rôle dans le complot ». Par conséquent, de l'avis du juge, la « responsabilité de [l'appelant] comme participant au complot ou comme membre de celui‑ci était accablante » (par. 74).
II. Aperçu des questions soulevées dans le pourvoi
[16] Sur cette toile de fond, je vais maintenant me pencher sur ce qui constitue selon moi les deux questions principales dans le présent pourvoi : Est‑ce qu'une personne peut, en droit , être un participant à l'infraction de complot et, dans l'affirmative, comment et dans quelles circonstances? Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu qu'une personne peut en droit être un participant à l'infraction de complot au sens de l'art. 21 du Code .
[17] La question plus difficile — et celle qui, à mon sens, est au cœur du présent pourvoi — est de savoir comment et dans quelles circonstances. La réponse à cette question dépend de la façon dont on conçoit l'infraction de complot pour l'application de la notion de responsabilité comme participant. Si l'on reconnaît que l'acte prohibé dans un complot (l' actus reus ) consiste en une entente entre au moins deux personnes en vue de poursuivre une fin illégale, plus précisément une infraction criminelle ( R. c. O'Brien , [1954] R.C.S. 666), la question qui se pose est la suivante : La responsabilité comme participant devrait‑elle être réservée aux personnes qui fournissent aide ou encouragement à l'égard de l'entente à la base du complot, ou cette forme de responsabilité s'applique‑t‑elle aussi aux personnes qui fournissent aide ou encouragement à la poursuite de la fin illégale visée par le complot?
[18] La jurisprudence canadienne sur le sujet est divisée. En Alberta et au Québec, les tribunaux ont adopté l'approche étroite et limitent l'application de la responsabilité comme participant à quiconque fournit aide ou encouragement à l'égard de l'entente elle‑même, en s'attachant particulièrement à la formation de cette entente. Voir R. c. Trieu , 2008 ABCA 143, 429 A.R. 200, et R. c. Bérubé (1999), 139 C.C.C. (3d) 304 (C.A. Qué.), autorisation d'appel refusée, [2000] 1 R.C.S. vii. En Ontario et en Colombie‑Britannique, les tribunaux ont plutôt retenu l'approche large, qui a pour effet d'étendre la responsabilité comme participant également aux personnes qui fournissent aide ou encouragement à la poursuite de la fin illégale. Voir R. c. McNamara (No. 1) (1981), 56 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Ont.); R. c. Vucetic (1998), 129 C.C.C. (3d) 178 (C.A. Ont.); et United States of America c. Lorenz (2007), 222 C.C.C. (3d) 16 (C.A.C.‑B.), autorisation d'appel refusée, [2008] 1 R.C.S. vi ( sub nom. Cheema c. Attorney General of Canada on behalf of the United States of America ).
[19] La présente affaire offre à la Cour l'occasion de trancher parmi les points de vue contradictoires. Dans un premier temps, toutefois, il convient d'examiner la question déterminante soulevée par l'appelant : Une personne peut‑elle, en droit, être un participant à l'infraction de complot?
III. Analyse
A. Une personne peut‑elle, en droit, être un participant à l'infraction de complot?
[20] L' article 465 du Code criminel criminalise l'infraction de complot. Le complot en vue de commettre un meurtre — le crime en question dans la présente affaire — constitue une infraction autonome, prévue à l'al. 465(1) a ) du Code , lequel est rédigé ainsi :
465. (1) Sauf disposition expressément contraire de la loi, les dispositions suivantes s'appliquent à l'égard des complots :
a ) quiconque complote avec quelqu'un de commettre un meurtre ou de faire assassiner une autre personne, au Canada ou à l'étranger, est coupable d'un acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité;
[21] Comme tous les complots, le complot en vue de commettre un meurtre est une forme de responsabilité inchoative. Le crime est complet lorsqu'au moins deux personnes conviennent de tuer un tiers. Il n'est pas nécessaire que quelqu'un soit tué, ni que des mesures aient été prises pour que survienne le meurtre.
[22] Le paragraphe 21(1) du Code précise qu'une personne peut être jugée responsable comme « particip[a]nt à une infraction » de trois façons.
21. (1) Participent à une infraction :

a ) quiconque la commet réellement;

b ) quiconque accomplit ou omet d'accomplir quelque chose en vue d'aider quelqu'un à la commettre;

c ) quiconque encourage quelqu'un à la commettre.
[23] Le libellé de l'art. 21 ne tend nullement à indiquer que le principe de la responsabilité comme participant ne s'applique pas aux infractions qui punissent les comportements inchoatifs. Si je comprends bien, le véritable argument de l'appelant consiste à dire que la responsabilité comme participant ne devrait pas s'appliquer à l'infraction de complot, étant donné que le fait d'être un participant à un complot [ traduction ] « est une infraction qui n'existe pas en droit » (m.a., par. 41). Selon lui, cette infraction souffre du même problème d'absence de proximité que celui qui a amené notre Cour à conclure que la « tentative de complot » n'est pas une infraction qui existe en droit : R. c. Déry , 2006 CSC 53, [2006] 2 R.C.S. 669. Comme l'a expliqué le juge Fish dans cet arrêt, les raisons distinctes qui sous‑tendent les infractions de « complot » et de « tentative » perdent leur justification lorsque ces deux formes de responsabilité inchoative sont superposées :
Lorsqu'on l'applique au complot, cette justification de la criminalisation de la tentative disparaît car une tentative de complot constitue, au mieux, un risque qu'un risque se matérialise. [par. 50]
[24] Malgré tous les efforts de l'appelant en vue d'appliquer la logique de l'arrêt Déry à la responsabilité comme participant aux cas où l'infraction reprochée est le complot, j'estime que cette comparaison est inappropriée, car elle revient à comparer des pommes avec des oranges. L'explication est très simple, contrairement au crime de tentative, la responsabilité comme participant n'a pas un caractère inchoatif. Pour que le ministère public puisse invoquer cette forme de responsabilité, il faut que l'auteur principal ait commis l'infraction sous‑jacente. Par conséquent, la qualité de participant à un complot ne découle pas de la superposition de deux formes de responsabilité inchoative.
[25] L'appelant a soulevé cet argument devant la Cour d'appel. Le juge Rosenberg l'a rejeté pour les raisons suivantes, auxquelles je souscris :
[ traduction ] À mon sens, la conclusion formulée dans Déry ne commande pas le réexamen des décisions de notre cour dans les affaires McNamara et Vucetic . La responsabilité comme participant à un complot ne souffre pas du problème d'absence de proximité soulevé dans Déry à l'égard de la tentative de complot. Une personne peut être responsable comme participant au complot au sens du par. 21(1) uniquement si le ministère public prouve qu'il y a eu entente entre au moins deux autres personnes en vue de commettre une infraction matérielle. Si aucune entente ne s'est concrétisée, la conduite du présumé participant constituerait tout au plus une tentative de complot et ne serait pas suffisante selon la conclusion formulée dans Déry . Cependant, si l'accusé est un participant au complot [. . .] le risque de perpétration de l'infraction criminelle s'est suffisamment concrétisé pour justifier une sanction criminelle. [Je souligne; par. 20.]
[26] En conséquence, je ne retiens pas cet aspect de l'argumentation de l'appelant. Bref, je suis convaincu que le fait d'être un participant à un complot constitue une infraction qui existe en droit. La question plus difficile à trancher, que j'aborde maintenant, est de savoir comment et dans quelles circonstances une personne peut être jugée responsable comme participant à un complot.
B. Comment et dans quelles circonstances une personne peut‑elle être jugée responsable comme participant à l'infraction de complot?
(1) Les deux approches dans la jurisprudence canadienne
[27] Comme je l'ai indiqué plus tôt, il existe deux écoles de pensée au Canada sur la question de savoir comment, et dans quelles circonstances, une personne peut être jugée responsable comme participant à l'infraction de complot — l'approche restrictive et l'approche large.
[28] L'affaire Trieu est l'arrêt de principe appuyant l'approche restrictive. Les faits de cette affaire sont simples. M. Trieu exploitait une petite entreprise de vente de téléphones cellulaires. Il a vendu des téléphones à cinq personnes impliquées dans un complot de trafic de cocaïne. Il savait que les conspirateurs se livraient au trafic de drogues, qu'ils formaient un groupe et qu'ils utiliseraient leurs téléphones pour leurs activités liées au trafic. Toutefois, il a prétendu ne pas être un membre du complot et a nié avoir convenu avec l'un ou l'autre des conspirateurs de faire le trafic de cocaïne.
[29] Le juge de première instance a acquitté M. Trieu ( R. c. Lam , 2005 ABQB 849 (CanLII)). À son avis, la preuve ne permettait pas d'établir que celui‑ci était un membre du complot. Le juge a également rejeté la thèse subsidiaire du ministère public selon laquelle, en vendant des téléphones cellulaires aux conspirateurs, M. Trieu les avait intentionnellement aidés à parvenir à leur fin — faire le trafic de cocaïne — et que, pour cette raison, il devait être jugé responsable comme participant à l'infraction de complot.
[30] Reconnaissant qu'il existait deux courants jurisprudentiels sur le sujet, le juge de première instance a retenu l'approche restrictive. À son avis, la responsabilité comme participant à l'infraction de complot ne s'étendait pas aux personnes ayant pris des mesures pour favoriser la fin illégale visée par le complot, mais se limitait plutôt aux personnes ayant aidé à la formation de l'entente visant une fin illégale particulière. Et puisqu'aucune preuve n'établissait que M. Trieu avait aidé à la formation de l'entente élaborée par les conspirateurs, il ne pouvait être jugé responsable comme participant à l'infraction de complot.
[31] Le ministère public a fait appel de l'acquittement de M. Trieu devant la Cour d'appel de l'Alberta, affirmant que le juge de première instance avait commis une erreur en adoptant l'approche restrictive relativement à la responsabilité comme participant. La Cour d'appel n'a pas retenu cet argument.
[32] S'exprimant au nom de la Cour d'appel, le juge Costigan a commencé son analyse en examinant certains des principes fondamentaux du droit relatif au complot et à la responsabilité comme participant. Se référant aux arrêts de notre Cour dans Papalia c. La Reine , [1979] 2 R.C.S. 256, et Sheppe c. La Reine , [1980] 2 R.C.S. 22, il a souligné que l'essence de l'infraction de complot est l'entente, et que les gestes posés en vue de réaliser la fin illégale ne constituent pas un élément de l'infraction. S'appuyant sur l'arrêt R. c. Hibbert , [1995] 2 R.C.S. 973, il a affirmé que [ traduction ] « [p]our être un participant à une infraction, une personne doit aider l'auteur principal à commettre cette infraction » (par. 32).
[33] Après avoir dégagé les principes fondamentaux régissant le droit relatif au complot et à la responsabilité comme participant, le juge Costigan a examiné les faits de l'arrêt Trieu et formulé les commentaires suivants :
[ traduction ] Il découle de ces principes que, pour conclure que M. Trieu était un participant à l'infraction de complot en vue de faire le trafic de cocaïne, le ministère public devait prouver qu'il avait accompli des actes en vue d'aider à la formation d'une entente visant le trafic de cette substance. Or, au vu des faits de l'espèce, les actes accomplis après la formation de l'entente n'ont pas aidé à la perpétration de l'infraction de complot. Par conséquent, M. Trieu ne pouvait être un participant à l'infraction de complot au motif qu'il aurait aidé les conspirateurs à parvenir à leur fin, soit faire le trafic de cocaïne. Il est vrai que les actes accomplis après la conclusion de l'entente auraient pu aider à la perpétration de l'infraction de trafic, mais M. Trieu n'était pas accusé de cette infraction. [Je souligne; par. 33.]
[34] L'arrêt Trieu a été porté à l'attention de la Cour d'appel en l'espèce. Le juge Rosenberg de cette cour a examiné le raisonnement à la base de l'approche restrictive adoptée dans Trieu , mais il a refusé de suivre cette approche, choisissant plutôt l'approche large adoptée par la Cour d'appel de l'Ontario dans les arrêts McNamara et Vucetic .
[35] Dans l'affaire McNamara , il s'agissait de décider si deux personnes ainsi qu'une entreprise étaient responsables à titre de coconspirateurs pour s'être jointes à un système de truquage d'offres mis en place par un certain nombre de conspirateurs déjà à l'œuvre. L'une des questions litigieuses devant la Cour d'appel était de savoir si ces deux personnes et cette entreprise pouvaient être jugées responsables comme participants à l'infraction de complot. La cour a répondu par l'affirmative à cette question :
[ traduction ] En revanche, si, à tout moment avant la réalisation de l'objet du complot, l'objet étant la réception de l'argent du contrat versé par l'État, elles [les personnes et l'entreprise] ont aidé ou encouragé l'un ou l'autre des conspirateurs dans la poursuite de cet objet , elles deviendraient des participants à l'infraction criminelle de complot par l'effet de l'art. 21 du Code . [Je souligne; p. 454.]
[36] Dans l'arrêt Vucetic , la Cour d'appel de l'Ontario a réaffirmé l'approche large adoptée dans l'affaire McNamara relativement à la responsabilité comme participant :
[ traduction ] Toutefois, pour déclarer l'appelant coupable en tant que personne ayant fourni aide et encouragement, le jury devra recevoir des directives selon lesquelles l'appelant connaissait l'objet du complot et que son assistance avait pour but d'aider les conspirateurs à parvenir à leur fin criminelle illégale . [Je souligne; par. 7.]
[37] En choisissant de suivre les arrêts McNamara et Vucetic , le juge d'appel Rosenberg a fait les observations suivantes dans ses motifs :
[ traduction ] Là encore, je ne vois aucune raison de principe de refuser de suivre les arrêts McNamara et Vucetic sur cette question. Je comprends le point soulevé dans Trieu voulant que l'entente constitue l'essence du complot. Il ne s'agit cependant pas d'une entente abstraite, mais plutôt d'une entente visant un but commun, une fin illégale précise. . .
Il faut reconnaître que le fait d'incorporer la responsabilité comme participant pour avoir fourni aide ou encouragement à la poursuite de la fin illégale brouille la ligne de démarcation entre le complot et l'infraction matérielle. Toutefois, la distinction tient à ce que la responsabilité comme participant à un complot requiert la preuve d'une entente, mais non la preuve que la fin illégale a été réalisée. La responsabilité comme participant à une infraction matérielle requiert la preuve de la perpétration de cette infraction. Ainsi, en l'espèce, l'appelant pourrait être reconnu coupable de complot s'il a aidé ou encouragé les sœurs au sens du par. 21(1) dans la poursuite de leur fin illégale, même si elles n'avaient finalement pas mis leur plan à exécution ou si la défunte avait survécu à la tentative d'assassinat. [par. 26 et 27]
[38] Bref, les diverses affaires sur la question révèlent l'existence de deux tendances jurisprudentielles. La première, suivie dans l'arrêt Trieu , a un caractère restrictif, et elle fonde la responsabilité comme participant sur l'aide ou l'encouragement fourni par l'accusé à l'égard de l'entente même, tout particulièrement sa formation. La deuxième, telle qu'elle a été retenue dans l'arrêt McNamara , a un caractère plus large et elle inclut dans le champ d'application de la responsabilité comme participant le fait d'aider ou d'encourager quelqu'un dans la poursuite de la fin illégale visée par le complot. Il reste à décider laquelle des deux approches devrait être adoptée.
(2) L'approche qui doit être suivie
[39] Pour déterminer la portée de la responsabilité comme participant à un complot, il importe de bien comprendre les éléments constitutifs de l'infraction de complot. En effet, pour être participant à une infraction, une personne doit aider ou encourager les auteurs principaux « à commettre l'infraction » : R. c. Briscoe , 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, par. 16. En ce qui concerne l'infraction de complot, la Cour a conclu dans Papalia que « [l]' actus reus est le fait de l'entente » (p. 276). Le fait de fournir aide ou encouragement au vu de la formation d'une entente entre les conspirateurs (situation envisagée dans Trieu ) équivaut à aider ou à encourager les auteurs principaux dans la perpétration du complot, et devrait donc faire naître la responsabilité comme participant à l'égard du complot.
[40] J'ai expliqué plus tôt dans les présents motifs pourquoi, en droit, une personne pouvait être jugée responsable comme participant à l'infraction de complot. Dès lors qu'on accepte cette conclusion, je ne vois aucune raison de principe ou considération d'intérêt général qui justifierait de ne pas criminaliser la forme limitée de responsabilité comme participant envisagée dans l'arrêt Trieu [1] . Les parties et l'intervenante n'ont présenté ni jurisprudence ni doctrine à l'effet contraire — et je n'en connais pas moi‑même. Quant à ceux qui préconisent en cette matière l'approche large sanctionnée par l'arrêt McNamara , ils ne contestent pas eux non plus que le modèle dégagé dans Trieu peut constituer une base permettant d'asseoir une conclusion de responsabilité comme participant à l'infraction de complot. D'ailleurs, dans la présente affaire, le juge Rosenberg a reconnu que c'était le cas.
[41] Il s'ensuit, à mon avis, que le modèle dégagé dans Trieu peut représenter un fondement légitime permettant de conclure à la responsabilité comme participant à l'infraction de complot. Je m'empresse toutefois d'ajouter qu'un examen de la jurisprudence canadienne et étrangère révèle peu de décisions publiées dans lesquelles les faits relèvent du paradigme envisagé dans l'arrêt Trieu . De fait cet arrêt lui‑même n'était pas un cas de cette nature. Et la seule décision portée à mon attention est People c. Strauch , 240 Ill. 60 (1909). Dans cette affaire, un père avait présenté son fils à une autre personne dans l'intention qu'ils se lancent dans un complot, ce qu'ils ont fait. Le père a été déclaré coupable en tant que participant au complot pour avoir fourni aide et encouragement à l'égard de sa formation.
[42] J'en viens maintenant à l'approche large retenue dans McNamara et à la question centrale de la présente espèce — soit celle de savoir si la responsabilité comme participant peut être imputée à une personne qui a connaissance du complot et qui accomplit (ou omet d'accomplir) une chose en vue de la poursuite de la fin illégale visée par le complot.
[43] Avec égards pour ceux qui sont d'avis différent, j'estime que cette responsabilité ne saurait être imputée à une telle personne. La responsabilité comme participant devrait être réservée aux comportements apportant aide ou encouragement à la formation de l' entente qui constitue l'essence même du crime de complot. Dans tous les autres cas, l'accusé ne sera pas déclaré coupable de complot en l'absence de preuve qu'il était membre de celui‑ci.
[44] Comme je l'ai expliqué plus tôt, l'entente est un élément central de l'infraction de complot. À l'inverse, un acte accompli dans la poursuite de la fin illégale ne constitue pas un élément de l'infraction de complot. Bien qu'un tel acte puisse être invoqué à titre de preuve circonstancielle pour démontrer l'existence d'un complot, il ne constitue pas en soi un élément constitutif de l' actus reus de cette infraction. D'ailleurs, il est possible de prouver le complot en l'absence de tout acte manifeste accompli dans la poursuite de la fin illégale visée par le complot. Autrement dit, [ traduction ] « [l]e crime de complot est complet lorsque l'entente est conclue » : Trieu , par. 31.
[45] Selon moi, il découle de ce qui précède que l'approche large, telle qu'elle a été retenue dans l'arrêt McNamara , doit être rejetée. Le fait de fournir aide ou encouragement à la poursuite de la fin illégale ne prouve pas que l'accusé a aidé ou encouragé l'auteur principal à commettre quelque élément constitutif de l'infraction de complot. Ce fait ne saurait justifier une conclusion de responsabilité comme participant au complot.
[46] La conclusion que je tire est conforme à l'observation suivante, tirée d'un article du Harvard Law Review et à laquelle je souscris :
[ traduction ] Mais le fait d'aider et d'encourager une personne à commettre un crime ne consiste pas seulement à aider le criminel, mais à l'aider dans la perpétration de l'infraction criminelle particulière. Une personne n'apporte pas aide et encouragement à l'égard d'un complot en aidant les complices à commettre une infraction matérielle, car le crime de complot est distinct de l'infraction qui constitue son objet. Il est nécessaire d'aider les complices dans la perpétration du crime de complot, c'est‑à‑dire dans la perpétration de l'acte qui consiste dans le fait pour ces personnes de s'entendre . Ce n'est qu'à ce moment qu'il est justifiable de passer outre à la nécessité de prouver la perpétration, par le défendeur lui‑même, de l'acte de s'entendre. Dans tous les autres cas, pour que le défendeur soit déclaré coupable de complot, il faut prouver non seulement qu'il savait qu'il aidait à la réalisation d'une entreprise illicite, mais aussi que quelqu'un d'autre savait qu'il avait l'intention de le faire, et qu'il y avait eu entente au moins tacitement de fournir et d'accepter une telle aide. [Je souligne; notes de bas de page omises.]
(« Developments in the Law : Criminal Conspiracy » (1959), 72 Harv. L. Rev. 920, p. 934‑935)
[47] Dans un article intitulé « Conspiracies and Attempts », dans National Criminal Law Program, Substantive Criminal Law (1990), vol. 1, D. Doherty (alors juge à la Cour suprême de l'Ontario), a abondé dans le même sens :
[ traduction ] Les dispositions en matière d'aide et d'encouragement [les al. 21(1) b ) et c ) du Code ] devraient s'appliquer aux accusations de complot. Elles devraient toutefois être appliquées avec prudence. Ces dispositions exigent que l'aide soit donnée en vue de la perpétration du crime. Dans le contexte d'une accusation de complot, les actes d'aide ou d'encouragement reprochés doivent avoir été accomplis en vue d'aider ou d'assister à la concrétisation de l'acte de s'entendre . L'aide ou l'assistance fournie en vue de la réalisation de la fin visée par le complot ne devrait pas être assimilée à l'assistance apportée en vue de la formation du complot. [Je souligne; p. 36.]
(Voir également M. Manning et P. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (4 e éd. 2009), p. 316.)
[48] Ceux qui préfèrent l'approche retenue dans McNamara craignent que les personnes qui ne sont pas devenues membres du complot, mais qui ont néanmoins fait certaines choses en vue de la poursuite de la fin illégale visée par celui‑ci, passent à travers les mailles du filet malgré leur culpabilité morale — à moins que la fin illégale ne soit réalisée ou tentée, auquel cas elles pourraient être accusées d'avoir participé à l'infraction matérielle ou d'avoir tenté de la commettre.
[49] Par conséquent, dans le cas qui nous occupe, on craint que si R et T n'avaient pas tué leur mère ou tenté de le faire, l'appelant aurait en définitive échappé à toute responsabilité, malgré les efforts qu'il a déployés pour favoriser le projet de meurtre, à moins que le ministère public ne puisse prouver qu'il s'était joint à l'entente élaborée par R et T et qu'il était ainsi devenu membre du complot.
[50] Bien que sensible à l'inquiétude soulevée par ceux qui préfèrent l'approche large adoptée dans l'arrêt McNamara , j'estime que, considérée de façon réaliste, cette inquiétude est plus imaginaire que réelle.
[51] Dans R. c. Alexander (2005), 206 C.C.C. (3d) 233 (C.A. Ont.), une affaire portant sur diverses accusations, notamment un complot d'extorsion, le juge Doherty a affirmé ce qui suit :
[ traduction ] Les observations des appelants reposent sur de solides assises juridiques. L' actus reus du crime de complot consiste dans la formation d'une entente, tacite ou expresse, entre au moins deux personnes, en vue d'agir ensemble dans la poursuite d'un objectif criminel commun. Les coconspirateurs partagent un but commun, issu de la rencontre des volontés, où chacun accepte d'agir de concert avec l'autre pour réaliser ce but commun.
Il découle du fait que l' actus reus requiert l'existence d'un objectif commun que le complot n'est pas établi simplement par la preuve que l'accusé connaissait l'existence du projet de commettre le crime ou par le fait qu'il a accompli des actes favorisant la réalisation de ce projet. Ni la connaissance d'un projet criminel, ni la participation à celui‑ci ne peuvent être assimilées à l' actus reus d'un complot : voir R. c. Lamontagne (1999), 142 C.C.C. (3d) 561 (C.A. Qué.), p. 575‑576; R. c. Cotroni , précité, p. 17‑18. La connaissance du projet criminel et les actes favorisant sa réalisation apportent toutefois un élément de preuve, particulièrement lorsqu'ils coexistent, à partir duquel on peut déduire l'existence d'une entente. [Je souligne; références omises; par. 46‑47.]
Je souscris au commentaire souligné, mais je le présenterais de façon légèrement différente et en des termes un peu plus catégoriques.
[52] À mon avis, le fait qu'une personne ayant connaissance d'un complot (connaissance qui, par définition, emporte celle de la fin illégale recherchée) accomplit (ou omet d'accomplir) une chose dans la poursuite de la fin illégale, et ce, au su et avec le consentement d'un ou de plusieurs des conspirateurs existants, constitue une solide preuve circonstancielle permettant d'inférer que cette personne est membre du complot. Plus précisément, cela constituerait la preuve d'une entente, tacite ou expresse, tendant à la réalisation de la fin illégale. En fin de compte, il s'agit d'une question qui relève du juge des faits, qui doit décider s'il est raisonnablement possible de tirer de la preuve une autre inférence que l'existence d'une entente. Toutefois, comme je vais l'expliquer, la présente affaire illustre comment une accumulation de faits de ce genre peut rendre quasi certaine la conclusion qu'une personne est membre d'un complot.
[53] En tirant cette conclusion, je tiens à souligner que la preuve des complots est souvent circonstancielle. Les cas où l'on dispose d'une preuve directe de l'existence d'une entente tendent à être rares. Toutefois, il est courant que le fait qu'une personne est membre d'un complot puisse être inféré de la preuve d'une conduite aidant à la perpétration de la fin illégale. Le juge Rinfret a énoncé ce point fondamental dans l'arrêt Paradis c. The King , [1934] R.C.S. 165, il y a quelque 80 ans de cela :
[ traduction ] Comme tous les autres crimes, le complot peut être établi par voie d'inférence à partir de la conduite des personnes en cause. Il ne fait aucun doute que l'entente intervenue entre elles constitue l'élément essentiel de l'infraction, mais ce n'est que dans de rares cas qu'il sera possible de l'établir au moyen d'une preuve directe. [p. 168]
[54] En outre, il n'est pas nécessaire que tous les membres d'un complot jouent, ou aient l'intention de jouer, des rôles égaux dans la perpétration ultime de la fin illégale. De fait, il n'importe pas qu'ils aient commis personnellement, ou aient eu l'intention de commettre personnellement, l'infraction dont la perpétration a été convenue par chacun d'entre eux : R. c. Genser (1986), 39 Man. R. (2d) 203 (C.A.), conf. par [1987] 2 R.C.S. 685 [2] . Toute assistance, quelle qu'en soit l'ampleur, fournie par une personne dans la poursuite de la fin illégale peut mener à la conclusion que cette personne est membre du complot, dans la mesure où l'existence d'une entente sur un projet commun peut être inférée et que la preuve de l'état mental requis a été établie.
[55] Je n'écarte pas la possibilité qu'une personne — connaissant l'existence d'un complot en cours — puisse accomplir une chose dans la poursuite de la fin illégale visée par le complot sans pour autant que les conspirateurs existants le sachent ou y consentent. Par exemple, supposons que A et B complotent pour tuer C. D apprend l'existence du complot et souhaite faciliter le meurtre. À l'insu de A ou de B, D empêche que C, la victime visée, reçoive un message la mettant en garde : W. R. LaFave, Substantive Criminal Law (2 e éd. 2003), vol. 2, p. 270. Dans de telles circonstances, une entente, tacite ou autre, entre la personne fournissant de l'aide (D) et les conspirateurs existants (A et B) ne serait que fiction, étant donné que ni A ni B n'avaient connaissance des gestes posés par D ou n'y avaient consenti.
[56] Nous ne sommes pas en présence d'une telle situation en l'espèce, et je remets à une autre occasion l'examen de la question de savoir si une personne qui a « clandestinement » aidé à la poursuite de la fin illégale visée par un complot en cours pourrait être tenue responsable d'un crime si les conspirateurs n'ont pas commis ou tenté de commettre le crime matériel qui formait l'objet du complot, et si ses propres actes ne constituaient pas une tentative de commettre l'infraction matérielle.
(3) Fournir aide ou encouragement à l'égard d'une entente préexistante
[57] Au‑delà du débat entre l'approche restrictive et l'approche large, il convient de se demander si, dans le cadre de la première approche, le modèle dégagé dans Trieu doit s'appliquer uniquement aux personnes qui aident à la formation d'une nouvelle entente tendant à la poursuite d'une fin illégale ou si son champ d'application doit viser également les personnes qui fournissent aide ou encouragement à l'égard d'une entente préexistante .
[58] Au soutien de sa thèse selon laquelle la deuxième approche devrait être suivie, le ministère public s'est appuyé en partie sur le récent arrêt de notre Cour R. c. Vu , 2012 CSC 40, [2012] 2 R.C.S. 411. De façon plus particulière, il a fait valoir que, comme il a été jugé que le complot constitue une infraction continue ( Bell c. La Reine , [1983] 2 R.C.S. 471, p. 488), quiconque fournit aide ou encouragement à l'égard de l'entente à tout moment durant l'existence du complot est susceptible d'engager sa responsabilité comme participant.
[59] Dans Trieu , le juge Costigan de la Cour d'appel a opiné que, puisque le complot est un crime continu, une personne pourrait engager sa responsabilité comme participant après la formation de l'entente initiale si, par exemple, elle apporte son aide en amenant un nouveau membre à se joindre à un complot préexistant (par. 34). Le juge Doherty a lui aussi exprimé l'avis qu'une personne qui aide ou encourage d'autres personnes à se joindre à une entente existante engage sa responsabilité comme participant : « Conspiracies and Attempts », dans National Criminal Law Program, Substantive Criminal Law (1990), vol. 1, p. 37. Ces autorités soulignent, observation à laquelle je souscris, que le fait d'aider ou d'encourager quelqu'un à devenir membre d'un complot préexistant facilite la perpétration par ce nouveau membre de l'infraction de complot — c'est‑à‑dire l' acte consistant à s'entendre. Pour être cohérent du point de vue des principes, la responsabilité comme participant devrait donc s'appliquer également lorsque l'aide ou l'encouragement fourni se traduit par l'addition d'un nouveau membre à un complot préexistant.
[60] En l'espèce, le ministère public a plaidé que l'appelant pourrait être jugé responsable comme participant au complot parce qu'il a encouragé les sœurs à maintenir leur entente alors qu'il y avait certaines indications qu'elles pourraient l'abandonner (m.i., par. 34). En outre, au moins un auteur américain a affirmé qu'une personne pourrait être reconnue responsable comme participant à l'infraction de complot [ traduction ] « du fait qu'elle aurait facilité la continuation du complot, par exemple en “offrant un refuge au groupe pour ne pas qu'il ait à se démembrer” » (C. R. Williams, « Complicity in a Conspiracy as an Approach to Conspiratorial Liability » (1968), 16 U.C.L.A. L. Rev. 155, p. 162, citant « Developments in the Law : Criminal Conspiracy », p. 934‑935). Ce même auteur soutient que « le fait [pour un accusé] d'encourager une ou plusieurs personnes à mettre à exécution un complot déjà élaboré » pourrait également entraîner sa responsabilité comme participant (p. 162).
[61] Je ne ferais pas droit à l'argument du ministère public. Tout d'abord, cet argument déborde le cadre de la situation limitée envisagée par le juge d'appel Costigan dans Trieu et par le juge Doherty dans son article. Ensuite, pour ce qui est de la substance de la thèse du ministère public, bien que je reconnaisse que ces situations peuvent être considérés comme constituant de l'aide ou de l'encouragement à l'égard de l'entente elle‑même, un tel comportement est tout aussi souvent, sinon davantage, qualifié d'aide ou d'encouragement en vue de la réalisation de la fin illégale et il relève, de ce fait, du modèle dégagé dans l'arrêt McNamara . Comme je l'ai précisé plus tôt, ce modèle ne devrait pas entraîner une déclaration de culpabilité basée sur la responsabilité comme participant. Le ministère public ne devrait pas être en mesure de réaliser indirectement ce que les principes pertinents ne l'autorisent pas à faire directement.
[62] À mon avis, l'argument du ministère public en faveur de la criminalisation de l'aide ou de l'encouragement fourni à l'égard d'une entente préexistante (à l'exclusion de l'ajout d'un nouveau membre à l'entente) se veut une solution à un problème qui n'existe pas. Comme je l'ai expliqué précédemment, un acte qui aide ou encourage quelqu'un dans la poursuite de la fin illégale constitue un élément de preuve circonstancielle permettant d'inférer qu'une personne est membre d'un complot. Dans les affaires où la preuve circonstancielle ne permet pas d'établir ce fait, le ministère public est en mesure de déposer d'autres chefs d'accusation. En effet, il pourra dans certains cas se fonder sur la notion de responsabilité comme participant pour accuser la personne en question de l'infraction matérielle formant l'objet du complot, ou encore de tentative de perpétrer cette infraction. Dans d'autres circonstances, l'infraction consistant à conseiller la perpétration de l'infraction matérielle pourra s'appliquer.
[63] En résumé, l'application de la notion de responsabilité comme participant se limite aux cas où l'accusé fournit aide ou encouragement à la formation initiale de l'entente ou encore aide ou encourage de nouveaux membres à se joindre à une entente préexistante.
C. Application à la présente affaire
[64] Vu ma conclusion que la responsabilité comme participant ne s'étend pas aux actes accomplis dans la poursuite de la fin illégale visée par le complot, je suis d'accord avec l'appelant pour affirmer que la thèse de la responsabilité comme participant n'aurait pas dû, dans les circonstances, être soumise au jury. Il n'y a aucune preuve que l'appelant a fourni aide ou encouragement à l'égard de la formation de l'entente en vue d'assassiner A.K. ou encore a aidé ou encouragé un nouveau membre à se joindre au complot existant. Cela étant dit, à l'instar de la Cour d'appel, je suis convaincu que, bien qu'importante, l'erreur n'a pas pu influer sur le verdict.
[65] La preuve démontrant que l'appelant était impliqué comme membre du complot était accablante. Le ministère public a présenté de solides éléments de preuve à partir desquels le jury pouvait conclure que l'appelant — qui connaissait l'existence du complot élaboré par R et T — leur a fourni de l'aide et des conseils, et ce, au su de ces dernières et avec leur consentement, en vue de faciliter le meurtre de leur mère. D'ailleurs, peu avant le meurtre, il avait dit ceci dans sa conversation avec T sur MSN : [ traduction ] « Je suis impliqué à tel point, je suis prêt à t'aider en tout [T] » (d.a., p. 197). Cette déclaration, ainsi que d'autres éléments de preuve établissant que l'appelant avait fourni les comprimés Tylenol 3 à R et T et s'était présenté au restaurant après le meurtre pour ainsi leur offrir un alibi, ont procuré au jury toute la preuve nécessaire pour conclure à l'existence d'une entente entre l'appelant, d'une part, et R et T, d'autre part, en vue de commettre le meurtre. Rien de plus n'était nécessaire pour établir que l'appelant était membre du complot. Il est sans importance que, contrairement à R et T, l'appelant n'ait pas pris part concrètement au meurtre de A.K. Après que le jury a rejeté, comme il l'a nécessairement fait, l'explication de l'appelant selon laquelle il n'était pas sérieux, il était inévitable que ce dernier soit déclaré coupable en tant que membre du complot.
[66] Je me dois de souligner que, dans les circonstances, la décision du ministère public d'accuser l'appelant de complot en vue de commettre un meurtre a considérablement atténué les conséquences qui auraient autrement pu découler pour ce dernier. En effet, l'aide qu'il a fournie à R et T en vue de faciliter le meurtre, meurtre qu'elles ont en fin de compte commis, aurait fort bien pu entraîner le dépôt contre lui d'une accusation de meurtre au premier degré.
[67] Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi visant la déclaration de culpabilité. Je prends cette décision tout en étant conscient que l'appelant a soulevé deux moyens d'appel subsidiaires.
[68] Premièrement, l'appelant soutient que la preuve qui a été admise en vertu de l'exception à la règle du ouï‑dire relative aux coconspirateurs ne respectait pas l'approche raisonnée en matière de ouï‑dire. De façon plus précise, il fait valoir que les déclarations de T n'auraient pas dû être admises comme preuve faisant foi de la véracité de leur contenu, car cette dernière était en mesure de témoigner et aurait pu être assignée par le ministère public. Je ne retiens pas cette prétention. Au procès, l'avocat de la défense n'a pas soulevé cette question devant la juge. S'il l'avait fait, le ministère public aurait pu décider de citer T comme témoin. Dans les circonstances, il est bien possible que la décision de l'avocat de la défense de ne pas soulever cette question ait constitué un choix stratégique — et, comme la compétence de l'avocat qui a occupé au procès n'est pas contestée, il ne m'apparaît pas nécessaire de m'attarder davantage à ce moyen.
[69] Deuxièmement, l'appelant affirme que la juge du procès n'a pas précisé, dans ses directives au jury, que l'exception relative aux coconspirateurs s'appliquait seulement à la notion de membre du complot et non à celle de responsabilité comme participant. Une fois de plus, l'avocat de la défense n'a pas soulevé la question devant la juge du procès. Qui plus est, les directives données par cette dernière au sujet de l'exception relative aux coconspirateurs faisaient état de l'utilisation d'une telle preuve uniquement pour établir le fait d'être membre du complot. Elles n'indiquaient aucunement qu'elle pouvait l'être pour prouver la responsabilité comme participant. En conséquence, je ne ferais pas droit à ce moyen.
[70] En outre, compte tenu de ma conclusion que les faits de l'espèce ne donnent pas lieu à l'application de la responsabilité comme participant pour l'infraction de complot, nous ne sommes pas en présence d'un cas indiqué pour déterminer comment — si tant est même qu'il s'applique — le cadre établi dans l'arrêt R. c. Carter , [1982] 1 R.C.S. 938, relativement à l'exception concernant les coconspirateurs pourrait s'appliquer à l'égard d'un participant à un complot.
[71] Enfin, je souligne que des cours d'appel ont rendu des décisions contradictoires quant à l'applicabilité de l'exception concernant les coconspirateurs lorsque ceux‑ci sont jugés séparément : R. c. Naicker , 2007 BCCA 608, 229 C.C.C. (3d) 187, autorisation d'appel refusée, [2008] 1 R.C.S. xi; R. c. Simpson , 2007 ONCA 793, 230 C.C.C. (3d) 542, autorisation d'appel refusée, [2008] 2 R.C.S. xi. Toutefois, cette question n'a pas été soulevée devant notre Cour ni devant les juridictions inférieures. Je ne considère donc pas qu'il est nécessaire de l'examiner.
IV. Conclusion
[72] Le fait de fournir aide et encouragement à l'égard d'un complot est une infraction qui existe en droit canadien. L'infraction est prouvée lorsque l'accusé aide ou encourage une personne relativement à l' actus reus du complot, c'est‑à‑dire à l' acte de s'entendre. Il s'ensuit que l'approche adoptée dans Trieu est le seul fondement permettant de conclure à la responsabilité comme participant à l'infraction de complot. L'approche retenue dans McNamara est rejetée.
[73] Je tiens toutefois à signaler que le comportement visé par l'affaire McNamara peut fort bien étayer le dépôt d'une accusation de complot. Comme il a été indiqué plus tôt, le fait qu'une personne ayant connaissance d'un complot accomplit (ou omet d'accomplir) une chose dans la poursuite de la fin illégale, et ce, au su et avec le consentement d'un ou de plusieurs des conspirateurs existants, constitue une solide preuve circonstancielle indiquant que cette personne est membre du complot.
[74] L'approche que j'ai adoptée introduit une certaine mesure de simplicité et de clarté dans le droit applicable. L'application de la notion de responsabilité comme participant se limite aux cas où l'accusé fournit aide ou encouragement à la formation initiale de l'entente ou encore aide ou encourage de nouveaux membres à se joindre à une entente préexistante.
[75] Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi formé contre la déclaration de culpabilité.
V. Pourvoi à l'encontre de la peine
[76] Devant notre Cour, l'appelant a également voulu se pourvoir contre la peine qui lui a été infligée, même s'il n'avait pas demandé ni reçu l'autorisation de le faire. Je ne vois aucune raison d'accorder l'autorisation d'interjeter appel de la peine. En conséquence, je n'examinerai pas l'appel proposé à cet égard.

Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant : Mang, Steinberg, Toronto.
Procureur de l'intimée : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureurs de l'intervenante : Bull, Housser & Tupper, Vancouver.

[1] Je dois souligner que, suivant le modèle dégagé dans Trieu , si A réunit B et C dans l'espoir qu'ils forment un complot, mais que B et C ne le font pas, A ne peut être tenu responsable de l'infraction de tentative de complot, étant donné que cette infraction n'existe pas en droit. Voir Déry .
[2] À mon avis, la décision rendue dans l'affaire R. c. Taylor (1984), 40 C.R. (3d) 222 (C.S.C.‑B.) — où le point de vue contraire a été exprimé — est erronée.


Synthèse
Référence neutre : 2013 CSC 12 ?
Date de la décision : 01/03/2013
Proposition de citation de la décision: R. c. J.F.


Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2014
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2013-03-01;2013.csc.12 ?

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