COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Mathew c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 643, 2005 CSC 55
Date : 20051019
Dossier : 30067
Entre :
Eugene Kaulius, Steven M. Cook, Charles E. Beil,
Craig C. Sturrock, Amalio De Cotiis, John N. Gregory,
347059 B.C. Ltd., Frank Mayer, John R. Owen,
Verlaan Investments Inc., William John Millar, NSFC
Holdings Ltd., TFTI Holdings Limited, Douglas H. Mathew,
Ian H. Pitfield, Succession de feu Lorne A. Green et
Innocenzo De Cotiis
Appelants
c.
Sa Majesté la Reine
Intimée
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 64)
La juge en chef McLachlin et le juge Major (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron)
______________________________
Mathew c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 643, 2005 CSC 55
Eugene Kaulius, Steven M. Cook, Charles E. Beil,
Craig C. Sturrock, Amalio De Cotiis, John N. Gregory,
347059 B.C. Ltd., Frank Mayer, John R. Owen,
Verlaan Investments Inc., William John Millar, NSFC
Holdings Ltd., TFTI Holdings Limited, Douglas H. Mathew,
Ian H. Pitfield, la succession de feu Lorne A. Green et
Innocenzo De Cotiis Appelants
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié : Mathew c. Canada
Référence neutre : 2005 CSC 55.
No du greffe : 30067.
2005 : 8 mars; 2005 : 19 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Linden, Rothstein et Sexton), [2004] 1 C.T.C. 115, 311 N.R. 172 (sub nom. Kaulius c. Minister of National Revenue), 2003 D.T.C. 5644 (sub nom. Kaulius c. The Queen), [2003] A.C.F. no 1470 (QL), 2003 CAF 371, confirmant une décision du juge Dussault, [2003] 1 C.T.C. 2045, 2002 D.T.C. 1637, [2002] A.C.I. no 222 (QL). Pourvoi rejeté.
Kim Hansen, pour les appelants.
Graham Garton, c.r., Anne‑Marie Lévesque et Alexandra K. Brown, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La Juge en chef et le juge Major —
1. Introduction
1 Le présent pourvoi, comme le pourvoi connexe Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54 (« Trustco Canada ») (dont les motifs sont déposés simultanément), soulève la question de l’interaction entre la règle générale anti‑évitement (« RGAÉ ») de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), et certaines dispositions de cette loi qui confèrent des avantages fiscaux.
2 Comme nous l’avons vu plus en détail dans l’arrêt Trustco Canada, la RGAÉ permet de supprimer un avantage fiscal dans le cas où l’attribution de cet avantage contrecarrerait l’objet ou l’esprit des dispositions invoquées pour l’obtenir. La question de l’interprétation correcte du par. 18(13) et de la disposition qui permet le partage de pertes entre associés au sens du par. 96(1) est au cœur du présent pourvoi. Pour les motifs qui suivent, le pourvoi est rejeté avec dépens.
2. Faits
3 Une série d’opérations a permis aux appelants de diminuer leurs revenus en déduisant les pertes résultant de la vente de biens hypothéqués ayant initialement appartenu à la Compagnie Standard Trust (« CST »). Le tout s’est déroulé en trois étapes. À la première étape, la CST a cédé un portefeuille hypothécaire comportant des pertes non réalisées à la société A avec laquelle elle avait un lien de dépendance, acquérant ainsi une participation de 99 pour 100 dans celle‑ci. À la deuxième étape, la CST s’est fondée sur le par. 18(13) pour transférer les pertes non réalisées à la société A, puis a vendu sa participation de 99 pour 100 dans celle‑ci à une partie avec laquelle elle n’avait aucun lien de dépendance. À la troisième étape, la société B a été formée en vue d’acquérir la participation de 99 pour 100 dans la société A. Les appelants se sont joints à la société B et ont pu ainsi demander la déduction au prorata de leurs parts des pertes résultant de la vente ou de la réduction de valeur des biens hypothéqués qui s’est ensuivie. C’est ainsi que les pertes de la CST ont été cédées, par le mécanisme du par. 18(13) et d’une société de personnes, à des contribuables sans lien de dépendance qui les ont appliquées à leurs propres revenus, alors que la CST a recouvré une partie des pertes liées aux hypothèques non remboursées.
4 La CST exploitait une entreprise consistant notamment à accorder des prêts garantis par des hypothèques sur des biens immeubles. En mai 1991, la CST était insolvable et Ernst & Young a été nommée comme liquidateur. À cette époque, la CST possédait un portefeuille de 17 prêts improductifs liés à 9 biens immobiliers sous‑jacents ayant une juste valeur marchande d’environ 33 millions de dollars (les « actifs au portefeuille »). Le coût d’acquisition des actifs au portefeuille pour la CST était d’environ 85 millions de dollars. Parce qu’elle était en liquidation, la CST ne pouvait pas utiliser les pertes non réalisées des actifs au portefeuille, qui s’élevaient à environ 52 millions de dollars.
5 Le liquidateur a mis au point et supervisé une série d’opérations destinées à obtenir la meilleure réalisation possible de la disposition des actifs au portefeuille. Ces opérations sont décrites en détail dans l’exposé des faits admis reproduit au par. 5 de la décision de la Cour canadienne de l’impôt ([2002] A.C.I. no 222 (QL)). Somme toute, les appelants, qui sont les associés d’une société de personnes relativement peu active n’ayant aucun lien de dépendance avec la CST, ont déduit de leurs propres revenus plus de 10 millions de dollars de pertes de la CST.
6 Le 21 octobre 1992, la CST a constitué sa filiale en propriété exclusive 1004568 (la « filiale »). Le 23 octobre 1992, la CST et sa filiale ont conclu un contrat de société en vue de former la société de personnes STIL II (« société A »). À cette date, la CST a cédé, à titre d’apport de capital, les actifs au portefeuille en échange d’une participation de 99 pour 100 dans la société A, et la filiale a emprunté à la CST la somme de 417 318 $ destinée à servir d’apport de capital en échange d’une participation de 1 pour 100. Lors de sa formation, la société A avait un lien de dépendance avec la CST.
7 Le paragraphe 18(13) de la Loi de l’impôt sur le revenu interdit au contribuable dont l’entreprise habituelle consiste en partie à prêter de l’argent de déduire un montant au titre de la perte subie lors de la disposition d’une hypothèque si, à la fin d’une période donnée, cette hypothèque appartient à une société ayant un lien de dépendance avec le cédant. Dans ces circonstances, la perte est ajoutée dans le calcul du coût de l’hypothèque pour la société en question.
8 La CST s’est fondée sur le par. 18(13) pour céder les actifs au portefeuille à la société A à leur coût d’origine de 85 millions de dollars. Dès le départ, la CST voulait se servir de cette opération pour maintenir les pertes non réalisées des actifs au portefeuille, qui s’élevaient à 52 millions de dollars, et les céder à la société A afin de pouvoir éventuellement vendre sa participation de 99 pour 100 dans cette société à une partie n’ayant aucun lien de dépendance avec elle.
9 Les règles relatives aux sociétés de personnes édictées à l’art. 96 de la Loi prévoient que le revenu ou les pertes d’une société sont transmis à ses associés à la fin de l’année d’imposition. Pourvu qu’ils soient encore des associés à la fin de l’année d’imposition, les associés ont le droit de demander la déduction au prorata de leurs parts des pertes de la société, peu importe le moment où ils se sont joints à celle‑ci.
10 La CST projetait de vendre sa participation de 99 pour 100 dans la société A à une partie n’ayant aucun lien de dépendance avec elle, afin que la société A puisse disposer des actifs au portefeuille et réaliser des pertes pouvant atteindre 52 millions de dollars, et que le nouvel associé puisse se fonder sur l’art. 96 de la Loi pour demander la déduction de 99 pour 100 des pertes. Entre août 1992 et janvier 1993, la CST a communiqué avec 38 acheteurs potentiels de sa participation de 99 pour 100 dans la société A.
11 En janvier 1993, la CST a entrepris des négociations avec OSFC Holdings Ltd. (« OSFC »), une société avec laquelle elle n’avait aucun lien de dépendance. Le 31 mai 1993, la CST a convenu de vendre, et OSFC d’acheter, la participation de 99 pour 100 dans la société A. L’une des clauses du contrat d’achat obligeait OSFC à faire à la CST un « versement supplémentaire » d’un montant maximal de 5 millions de dollars si, sur le plan fiscal, la société A réalisait des pertes découlant de la disposition des actifs au portefeuille. Cette clause devait permettre à la CST de convertir des pertes non réalisées de 52 millions de dollars en une somme d’argent pouvant atteindre 5 millions de dollars.
12 OSFC avait, dès le départ, prévu de céder à un consortium sa participation dans la société A. Avant de passer à la description des autres opérations, il est utile de présenter les 4 personnes morales et 13 personnes physiques appelantes.
13 TFTI Holdings Ltd. (« TFTI ») et NSFC Holdings Ltd. (« NSFC ») sont contrôlées par Peter Thomas, qui contrôlait également OSFC. M. Thomas, qui n’est pas partie au présent pourvoi, possède une grande expérience dans l’immobilier puisqu’il a fondé la société immobilière Century 21 au Canada.
14 M. Kaulius a une formation de comptable agréé et a été, de 1992 jusqu’en 1998, le président des sociétés OSFC, NSFC et TFTI.
15 Verlaan Investments Inc. et 347059 B.C. Ltd. sont des sociétés de promotion immobilière.
16 Les frères Amalio et Innocenzo De Cotiis exercent de nombreuses activités dans le secteur de l’immobilier.
17 M. Mayer est un analyste en placements qui se spécialise dans le domaine de l’immobilier depuis plus de 28 ans.
18 M. Gregory, M. Cook et les sept autres appelants étaient tous des avocats du cabinet Thorsteinssons. M. Gregory a témoigné qu’il avait une bonne expérience de l’immobilier, et M. Cook a témoigné qu’il connaissait bien ce domaine en raison de sa formation.
19 Le 5 juillet 1993, OSFC et TFTI ont formé la SRMP Realty & Mortgage Partnership (« société B ») en vue d’acquérir et de gérer la participation de 99 pour 100 d’OSFC dans la société A. Les capitaux propres de la société B se composaient de 35 unités de catégorie A et de 15 unités de catégorie B. Les unités de catégorie B étaient réparties ainsi :
Détenteur d’unités de catégorie B Nombre d’unités de catégorie B
OSFC 12
TFTI 2
NSFC 0,5
Eugene Kaulius 0,5
20 Les unités de catégorie B ont été émises à TFTI, à NSFC et à Eugene Kaulius en contrepartie de 1 $ par unité. OSFC a reçu 12 unités de catégorie B en contrepartie de la cession à la société B de sa participation de 99 pour 100 dans la société A. OSFC était l’associée directrice générale de la société B et était autorisée à mobiliser des capitaux pour celle‑ci dans le but d’acheter la participation de 99 pour 100 d’OSFC dans la société A en offrant et en vendant des unités de catégorie A. OSFC a invité un certain nombre d’investisseurs potentiels, dont les appelants, à devenir associés de la société B.
21 Le 7 juillet 1993, OSFC a vendu à la société B sa participation de 99 pour 100 dans la société A moyennant une somme en espèces, 12 unités de catégorie B de la société B, et d’autres contreparties. La société B a également assumé l’obligation de faire à la CST un « versement supplémentaire » pour des pertes réalisées.
22 Le 9 juillet 1993 ou vers cette date, les détenteurs d’unités de catégorie A dont les noms figurent à l’annexe A (voir par. 5 de la décision de la Cour de l’impôt) se sont engagés à acheter le nombre indiqué d’unités de catégorie A au prix de 110 000 $ par unité, et à payer à la société B un produit de souscription supplémentaire pour financer au prorata leurs parts du « versement supplémentaire ».
23 Les appelants détiennent des unités de catégories A et B de la société B, et leurs parts sont exposées dans le tableau ci‑dessous :
Apport
Solde de clôture
Catégorie A
TFTI
110 000 $
‑937 689 $
NSFC
110 000 $
‑937 689 $
A. De Cotiis
36 667 $
‑312 528 $
I. De Cotiis
36 667 $
‑312 528 $
F. B. Mayer
330 000 $
‑2 813 068 $
347059 B.C. Ltd. et Verlaan Investments Inc.
330 000 $
‑2 813 068 $
C. E. Beil
88 000 $
‑750 152 $
S. M. Cook
77 000 $
‑656 383 $
L. A. Green
44 000 $
‑375 076 $
J. N. Gregory
55 000 $
‑468 845 $
D. H. Mathew
44 000 $
‑375 076 $
W. J. Millar
55 000 $
‑468 845 $
J. R. Owen
44 000 $
‑375 076 $
I. H. Pitfield
55 000 $
‑468 845 $
C. C. Sturrock
88 000 $
‑750 152 $
Total — catégorie A
1 503 334 $
‑12 815 020 $
Catégorie B
TFTI
2 $
‑2 095 377 $
NSFC
1 $
‑523 844 $
Kaulius
1 $
‑523 844 $
Total — catégorie B
4 $
‑3 143 065 $
Total — catégories A et B
1 503 338 $
‑15 958 085 $
24 Durant la période pertinente, ni la société A ni la société B n’a jamais acheté ou vendu des biens autres que les actifs au portefeuille.
25 Dès le 30 septembre 1993, à la suite de la vente de certains actifs au portefeuille et de la réduction de la valeur des autres actifs à leur juste valeur marchande, la société A a réalisé des pertes de plus de 52 millions de dollars. La société A a attribué 99 pour 100 de ses pertes à la société B, qui a ensuite réparti ces pertes parmi ses associés, dont les appelants.
26 Les appelants ont déduit ensemble, de leurs propres revenus pour l’année 1993 ou 1994, plus de 10 millions de dollars des pertes de la société B. Certains d’entre eux, en plus de réduire à néant leur revenu imposable pour l’année en question, ont également calculé des pertes autres que des pertes en capital qui feraient l’objet d’un report prospectif ou rétrospectif.
27 Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour les appelants, a appliqué la RGAÉ et a refusé la déduction de leur part des pertes de la société B.
3. Dispositions législatives
28 Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)
18. . . .
(13) [Perte superficielle] Sous réserve du paragraphe 138(5.2) et malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le cas où un contribuable — qui, à un moment donné d’une année d’imposition, réside au Canada et dont l’activité d’entreprise habituelle au cours de cette année consiste en partie à prêter de l’argent ou qui, à un moment donné de l’année, exploite une entreprise de prêt d’argent au Canada — subit une perte lors de la disposition d’un bien utilisé ou détenu dans le cadre de l’entreprise et qui est une action, ou un prêt, une obligation, un billet, une hypothèque, une convention de vente ou une autre créance mais qui n’est pas une immobilisation du contribuable, aucun montant n’est déductible au titre de la perte dans le calcul de son revenu provenant de cette entreprise pour l’année si :
a) d’une part, au cours de la période commençant 30 jours avant et se terminant 30 jours après la disposition, le contribuable ou une personne ou société de personnes avec laquelle il a un lien de dépendance acquiert ou convient d’acquérir le même bien ou un bien identique — appelés « bien de remplacement » au présent paragraphe;
b) d’autre part, à la fin de cette période, le contribuable ou la personne ou société de personnes, selon le cas, est propriétaire du bien de remplacement ou a le droit de l’acquérir.
Cette perte doit être ajoutée dans le calcul du coût du bien de remplacement pour le contribuable ou pour la personne ou société de personnes, selon le cas.
96. (1) [Règles générales] Lorsqu’un contribuable est un associé d’une société de personnes, son revenu, le montant de sa perte autre qu’une perte en capital, de sa perte en capital nette, de sa perte agricole restreinte et de sa perte agricole, pour une année d’imposition, ou son revenu imposable gagné au Canada pour une année d’imposition, selon le cas, est calculé comme si :
. . .
g) la perte du contribuable — à concurrence de la part dont il est tenu — résultant d’une source ou de sources situées dans un endroit donné, pour l’année d’imposition du contribuable au cours de laquelle l’année d’imposition de la société de personnes se termine, équivalait à l’excédent éventuel :
(i) de la perte de la société de personnes, pour une année d’imposition, résultant de cette source ou de ces sources,
sur :
(ii) dans le cas d’un associé déterminé (au sens de la définition d’« associé déterminé » figurant au paragraphe 248(1), mais compte non tenu de l’alinéa b) de celle‑ci) de la société de personnes au cours de l’année, le montant déduit par la société de personnes en application de l’article 37 dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition provenant de cette source ou de ces sources,
(iii) dans les autres cas, zéro.
245. (1) [Définitions] Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
. . .
« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi.
« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.
(2) [Disposition générale anti‑évitement] En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.
(3) [Opération d’évitement] L’opération d’évitement s’entend :
a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;
b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.
(4) [Non‑application du par. 2] Il est entendu que l’opération dont il est raisonnable de considérer qu’elle n’entraîne pas, directement ou indirectement, d’abus dans l’application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble — compte non tenu du présent article — n’est pas visée par le paragraphe (2).
4. Décisions judiciaires
4.1 Cour canadienne de l’impôt, [2002] A.C.I. no 222 (QL)
29 L’appel devant la Cour canadienne de l’impôt (« Cour de l’impôt ») a porté uniquement sur la question de savoir si la RGAÉ permettait de supprimer l’avantage fiscal. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu (au par. 233) que les opérations en cause étaient « essentiellement [. . .] les mêmes » que celles examinées dans l’affaire OSFC Holdings Ltd. c. Canada, [2002] 2 C.F. 288, 2001 CAF 260 (« OSFC »). Il a suivi la décision majoritaire dans l’affaire OSFC et a rejeté l’appel.
4.2 Cour d’appel fédérale, [2003] A.C.F. no 1470 (QL), 2003 CAF 371
30 La Cour d’appel fédérale a convenu que les faits du présent pourvoi étaient essentiellement les mêmes que ceux en cause dans l’affaire OSFC; elle a suivi la décision majoritaire dans l’affaire OSFC et a rejeté l’appel. Dans l’arrêt OSFC, la Cour d’appel fédérale a utilisé une méthode en deux étapes pour appliquer la RGAÉ : elle a estimé, à la première étape, que le par. 18(13) et l’art. 96 permettaient aux appelants de demander la déduction des pertes en question, mais a conclu, à la deuxième étape, que la déduction de ces pertes devait leur être refusée parce que l’attribution de l’avantage fiscal irait à l’encontre de la politique prépondérante de la Loi de l’impôt sur le revenu qui interdit l’échange de pertes entre contribuables.
5. Analyse
5.1 L’interprétation et l’application de la RGAÉ
31 Nos conclusions concernant l’interprétation et l’application de la RGAÉ sont résumées au par. 66 de l’arrêt Trustco Canada, dont les motifs sont déposés simultanément.
1. Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s’applique :
(1) il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations dont l’opération fait partie (par. 245(1) et (2));
(2) l’opération doit être une opération d’évitement en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un objet véritable — l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;
(3) il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.
2. Il incombe au contribuable de démontrer l’inexistence des deux premières conditions, et au ministre d’établir l’existence de la troisième condition.
3. S’il n’est pas certain qu’il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable.
4. Les tribunaux doivent effectuer une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions qui génèrent l’avantage fiscal afin de déterminer pourquoi elles ont été édictées et pourquoi l’avantage a été conféré. Le but est d’en arriver à une interprétation téléologique qui s’harmonise avec les dispositions de la Loi conférant l’avantage fiscal, lorsque ces dispositions sont lues dans le contexte de l’ensemble de la Loi.
5. La question de savoir si les opérations obéissaient à des motivations économiques, commerciales, familiales ou à d’autres motivations non fiscales peut faire partie du contexte factuel dont les tribunaux peuvent tenir compte en analysant des allégations d’évitement fiscal abusif fondées sur le par. 245(4). Cependant, toute conclusion à cet égard ne constituerait qu’un élément des faits qui sous‑tendent l’affaire et serait insuffisante en soi pour établir l’existence d’un évitement fiscal abusif. La question centrale est celle de l’interprétation que les dispositions pertinentes doivent recevoir à la lumière de leur contexte et de leur objet.
6. On peut conclure à l’existence d’un évitement fiscal abusif si les rapports et les opérations décrits dans la documentation pertinente sont dénués de fondement légitime relativement à l’objet ou à l’esprit des dispositions censées conférer l’avantage fiscal, ou si ces rapports et opérations diffèrent complètement de ceux prévus par les dispositions.
7. Si le juge de la Cour de l’impôt s’est fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir en l’absence d’erreur manifeste et dominante.
(En italique dans l’original.)
32 Comme dans le pourvoi Trustco Canada, il a été admis que les deux premières conditions, celles qu’il y ait un avantage fiscal et une opération d’évitement, étaient remplies. Les avantages fiscaux tiennent aux pertes de plus de 10 millions de dollars qui ont été déduites par les appelants, qui sont détenteurs d’unités de la société B (l’« avantage fiscal »).
33 Le sens de l’expression « série d’opérations » est expliqué aux par. 25‑26 de l’arrêt Trustco Canada. La RGAÉ peut s’appliquer à un avantage fiscal qui découle d’une « série d’opérations », incluant des événements « terminés en vue de réaliser la série » (par. 248(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu). Dans le présent pourvoi, la série d’opérations s’entend de toutes les opérations décrites plus haut, qui vont du transfert des pertes de la CST à la société A à la déduction de ces pertes par les détenteurs d’unités de la société B. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que chaque opération de la série avait principalement pour objet l’obtention d’un avantage fiscal.
5.2 La question en litige
34 Comme nous l’avons vu, l’objet principal de chaque opération de la série était de transférer les pertes de la CST à la société A pour qu’elle puisse servir à vendre ces pertes à des contribuables sans lien de dépendance. En définitive, les appelants, qui n’avaient aucun lien de dépendance avec la CST, ont acheté les pertes fiscales par l’intermédiaire de la société B. Ils ont déduit ces pertes d’autres revenus, et certains d’entre eux ont également calculé des pertes autres que des pertes en capital qui feraient l’objet d’un report prospectif ou rétrospectif. En contrepartie, ces derniers ont fourni des fonds qui ont été retournés à la CST, qui a ainsi recouvré une partie de ses pertes liées aux hypothèques improductives. Les appelants ont invoqué l’effet combiné du par. 18(13) et des dispositions relatives aux sociétés de personnes contenues dans la Loi de l’impôt sur le revenu pour demander la déduction des pertes en question. Il s’agissait essentiellement d’une série d’opérations visant le transfert de pertes non réalisées d’un contribuable sans lien de dépendance à un autre. Le différend porte sur les conséquences fiscales des opérations et non sur la situation des sociétés de personnes.
35 La question est de savoir si ces opérations, qui, convient‑on, constituent des opérations d’évitement générant un avantage fiscal, donnent lieu à un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4). Plus précisément, dans le contexte de cette série d’opérations, permettre aux appelants de déduire ces pertes contrecarrerait‑il l’objet ou l’esprit du par. 18(13) et des dispositions relatives aux sociétés de personnes contenues dans la Loi? Comme l’indique le par. 44 de l’arrêt Trustco Canada, « [l]’interprétation contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi invoquées par le contribuable et l’application des dispositions interprétées correctement aux faits [. . .] sont au cœur de l’analyse. »
36 Le paragraphe 18(13) s’applique à une société de personnes si les conditions suivantes sont remplies : (1) un contribuable qui exploite une entreprise de prêt d’argent dispose d’une hypothèque (ou d’un bien semblable autre qu’une immobilisation); (2) une société de personnes est propriétaire de ce bien ou a le droit de l’acquérir à la fin de la période prescrite; (3) la société de personnes a un lien de dépendance avec le contribuable.
37 Dans les cas où il s’applique, le par. 18(13) engendre deux conséquences fiscales. Premièrement, l’auteur du transfert ne peut déduire la perte résultant de la disposition du bien. Deuxièmement, la perte est ajoutée au coût du bien pour le bénéficiaire du transfert.
38 La première conséquence a pour effet d’empêcher l’auteur du transfert de demander la déduction de la perte qui résulterait normalement du transfert. Cette conséquence n’est pas en cause en l’espèce, étant donné que la CST n’a pas demandé la déduction des pertes résultant de cette opération. Toutefois, la deuxième conséquence est en cause.
39 Les appelants, qui ont, en fin de compte, demandé la déduction des pertes, tentent de s’appuyer en partie sur l’aspect « maintien des pertes » du par. 18(13). Ils font valoir que toutes les conditions prescrites par le par. 18(13) ont été remplies et notamment que, puisque la société A avait un lien de dépendance avec la CST à la fin de la période prescrite, les pertes non réalisées lui ont été transférées à bon droit. De plus, une fois que les pertes non réalisées étaient maintenues au profit de la société A en application du par. 18(13), ils avaient, en vertu des dispositions relatives aux sociétés de personnes, le droit de demander la déduction au prorata de leur participation dans la société B. Le ministre soutient, pour sa part, que la série d’opérations donne lieu à un évitement fiscal abusif et qu’elle devrait être interdite en vertu de la RGAÉ.
5.3 Interprétation des par. 18(13) et 96(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu
5.3.1 La méthode d’interprétation appropriée
40 Pour résoudre le litige découlant de l’effet combiné du par. 18(13) et de l’art. 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu, il faut déterminer l’intention qu’avait le législateur au moment où il a adopté ces dispositions en leur donnant une interprétation téléologique à la lumière de leur contexte.
41 Dans l’affaire connexe OSFC, à la première étape de l’analyse en deux étapes qu’ils ont effectuée, les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont interprété de manière littérale le par. 18(13) et l’art. 96 de la Loi. Ils ont conclu que, puisque le par. 18(13) ne restreint pas, à première vue, l’utilisation des pertes une fois qu’elles sont transférées, celles‑ci peuvent ultérieurement être transférées à un contribuable sans lien de dépendance. De même, ils ont estimé que les règles relatives aux sociétés de personnes édictées à l’art. 96 de la Loi permettraient aux appelants de demander la déduction des pertes du fait qu’elles prescrivent la distribution du revenu et des pertes de la société aux associés à la clôture de son exercice, et ce, sans aucune autre réserve. Ensuite, à la deuxième étape de son analyse, lorsqu’elle a examiné la politique générale de la Loi dans son ensemble, la Cour d’appel fédérale a supprimé les avantages en application de la RGAÉ.
42 En fait, les juges majoritaires ont procédé à une analyse textuelle restrictive des dispositions en cause, à savoir le par. 18(13) et l’art. 96 (étape 1), qu’ils ont complétée par une analyse téléologique approfondie de ce qu’ils considéraient comme une politique générale de la Loi dans son ensemble (étape 2). Bien qu’ils soient parvenus au bon résultat, nous préférons une méthode d’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique unifiée à la méthode en deux étapes qu’ils ont appliquée. Il existe un principe d’interprétation constant : il faut dégager l’intention du législateur en tenant compte du libellé, du contexte et de l’objet des dispositions en cause. Ce principe s’applique autant à la Loi de l’impôt sur le revenu et à la RGAÉ qu’à toute autre mesure législative.
43 Nous tenons à ajouter que, bien qu’il soit utile d’examiner séparément les trois éléments d’interprétation législative de manière à ce que chacun reçoive l’attention qu’il mérite, force est de constater que ces éléments sont inextricablement liés. Par exemple, en analysant le contexte législatif, il faut tenir compte des objets et de la politique générale des dispositions examinées. Et bien qu’il soit utile d’examiner individuellement les facteurs indiquant un objectif législatif, cet objectif législatif représente en même temps la question à laquelle il faut répondre en définitive, à savoir ce qu’a voulu le législateur.
5.3.2 Le texte des dispositions
44 Comme nous l’avons déjà indiqué, les appelants soutiennent que le libellé du par. 18(13) et de l’art. 96 leur permet de déduire les pertes en question. Il est évident que le maintien de la perte visé au par. 18(13) est au profit d’une personne ou d’une société de personnes ayant un lien de dépendance avec l’auteur du transfert. Étant donné que le libellé du par. 18(13) ne réserve pas expressément la capacité de demander la déduction de la perte au bénéficiaire immédiat du transfert ayant un lien de dépendance, les appelants prétendent qu’ils peuvent se servir des dispositions relatives aux sociétés de personnes pour demander cette déduction. Le ministre, quant à lui, fait valoir que la disposition vise des rapports avec lien de dépendance et qu’un contribuable sans lien de dépendance ne peut se servir des dispositions
relatives aux sociétés de personnes pour demander la déduction de la perte maintenue par cette disposition.
45 À première vue, les dispositions relatives aux sociétés de personnes édictées à l’art. 96 de la Loi n’imposent aucune restriction au partage de pertes entre associés, sauf en ce qui concerne les sociétés de personnes étrangères visées au par. 96(8). Tous les associés qui se sont joints à la société avant la fin de l’année d’imposition peuvent utiliser les pertes accumulées. Il est admis que les appelants ont demandé la déduction des pertes au prorata de leur participation dans la société B. Il faut néanmoins se demander si ces dispositions peuvent s’appliquer conjointement avec le par. 18(13) de manière à permettre aux appelants de demander la déduction de pertes qui provenaient de la CST, l’auteur initial du transfert.
46 L’exigence du par. 18(13) que la société de personnes ait un lien de dépendance avec le contribuable et les règles relatives aux sociétés de personnes doivent être interprétées de manière téléologique, l’une par rapport à l’autre et dans le contexte des autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui traitent du transfert de pertes. Il s’agit de déterminer, à la lumière de la série d’opérations, si permettre aux appelants de demander la déduction des pertes contrecarrerait l’objet ou l’esprit du traitement des pertes visé au par. 18(13) et les règles relatives aux sociétés de personnes, peu importe que l’avantage fiscal puisse découler d’une interprétation littérale de ces dispositions.
5.3.3 Le contexte des dispositions
47 Selon les règles fondamentales d’interprétation législative, il faut tenir compte du contexte législatif général pour déterminer le sens des dispositions législatives, ce que confirme le par. 245(4), qui exige que la question de l’évitement fiscal abusif soit tranchée à la lumière des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.
48 La question est de savoir si les autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu aident à déterminer si le législateur a voulu que le par. 18(13) et l’art. 96 servent à maintenir une perte non réalisée en vue de sa vente future à une partie sans lien de dépendance. Le gouvernement fait valoir que les autres dispositions de la Loi démontrent que le transfert de pertes à des parties sans lien de dépendance va généralement à l’encontre de la politique générale de la Loi. Ce transfert n’est permis qu’exceptionnellement dans des circonstances particulières et à des fins précises. Les appelants prétendent au contraire que, lorsque le législateur a voulu empêcher le transfert de pertes à des parties sans lien de dépendance, il l’a fait expressément, et que l’absence d’interdictions expresses, au par. 18(13) et à l’art. 96, permet d’inférer que le législateur entendait permettre ces transferts.
49 La Cour d’appel fédérale a examiné les autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui traitent du transfert ou du partage de pertes entre contribuables. Elle a conclu, à juste titre, que la Loi de l’impôt sur le revenu a comme politique générale d’interdire le transfert de pertes entre contribuables, sous réserve d’exceptions précises. Elle a également eu raison de conclure qu’en établissant ces exceptions le législateur a voulu favoriser la réalisation d’un objectif particulier à l’égard de certains rapports qui existent entre l’auteur et le bénéficiaire du transfert dans des circonstances précises. Toutefois, nous soulignons qu’on ne saurait automatiquement inférer de la politique générale d’interdiction du transfert de pertes entre contribuables qu’il faut considérer que le par. 18(13) empêche les appelants de demander la déduction des pertes en l’espèce. Cette politique n’est qu’un seul des facteurs à considérer pour déterminer l’intention du législateur en ce qui concerne le par. 18(13) et l’art. 96.
50 En résumé, bien qu’il ne soit peut‑être pas déterminant en soi, le contexte législatif du par. 18(13) et de l’art. 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu indique qu’il est peu probable que le législateur ait voulu que les parties sans lien de dépendance puissent acheter les pertes découlant de transferts visés par le par. 18(13).
5.3.4 L’objet du par. 18(13) et de l’art. 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu et l’intention du législateur
51 Les règles relatives aux sociétés de personnes édictées à l’art. 96 reposent sur l’exigence que les associés d’une société de personnes aient un intérêt commun dans les activités commerciales de la société, et ce, dans le cadre de rapports avec lien de dépendance. Bien qu’à première vue le par. 96(1) n’apporte aucune restriction à la transmission des pertes aux associés, sauf en ce qui concerne le traitement des sociétés de personnes étrangères visées au par. 96(8), il est implicite que les règles s’appliquent dans le cas où les associés d’une société de personnes exploitent ensemble une entreprise dans le cadre de rapports avec lien de dépendance.
52 Le traitement général du partage de pertes entre associés a pour objet de favoriser la mise en place d’une structure organisationnelle permettant à ces derniers d’exploiter ensemble une entreprise dans le cadre de rapports avec lien de dépendance.
53 Le paragraphe 18(13) a notamment pour objet d’empêcher le contribuable qui exploite une entreprise de prêt d’argent de demander la déduction d’une perte résultant de la disposition apparente d’une hypothèque ou d’un bien semblable autre qu’une immobilisation. Le fait de réserver au bénéficiaire d’un transfert avec lien de dépendance la perte dont la déduction serait normalement demandée par l’auteur du transfert permet de réaliser cet objectif. Dans les cas où le par. 18(13) ne s’applique pas, seul l’auteur du transfert peut demander la déduction de la perte résultant de la disposition, ce qui serait conforme à la politique générale de la Loi qui interdit le transfert de pertes.
54 Sous le régime du par. 18(13), la perte relève habituellement de l’auteur du transfert ou trouve son origine dans l’entreprise de ce dernier et est maintenue en raison des rapports particuliers qu’il a avec la société bénéficiaire du transfert. En fait, cette disposition empêche l’auteur du transfert de demander la déduction de la perte parce qu’il est à l’origine de la perte et que celle‑ci continue de relever de lui avant et après le transfert. Permettre à un nouvel associé sans lien de dépendance de prendre une participation dans la société bénéficiaire du transfert et de profiter ainsi de la perte irait à l’encontre du principe fondamental qui sous‑tend le par. 18(13) et qui veut que la perte soit maintenue parce qu’elle continue, pour l’essentiel, de relever de l’auteur du transfert. Cela irait à l’encontre de l’objet principal du par. 18(13) et du principe qui le sous‑tend. Le paragraphe 18(13) permet de maintenir et de transférer une perte à cause des rapports avec lien de dépendance qui existent entre l’auteur et le bénéficiaire du transfert. En l’absence de ces rapports, il n’y a aucune raison d’appliquer la disposition.
5.3.5 Conclusion sur l’interprétation du par. 18(13) et de l’art. 96 de la Loi
55 Ces observations indiquent que le par. 18(13) et les dispositions relatives aux sociétés de personnes n’ont pas pour effet combiné de permettre aux contribuables de maintenir des pertes non réalisées et de les transférer à des parties sans lien de dépendance. Le paragraphe 18(13) part du principe que les associés de la société bénéficiaire du transfert exercent ensemble une activité commerciale autre qu’une activité visant le transfert de la perte et qu’il existe un lien de dépendance entre la société et l’auteur du transfert en ce qui concerne le bien en question.
5.4 Application
56 Cela nous amène à la question fondamentale de savoir si la seule conclusion raisonnable possible est que la série d’opérations sur laquelle les appelants se fondent pour obtenir les avantages fiscaux en cause donne lieu à un évitement fiscal abusif lorsque les par. 18(13) et 96(1) sont interprétés de manière téléologique dans le contexte de l’ensemble de la Loi.
57 Comme l’indique le par. 59 de l’arrêt Trustco Canada, pour savoir s’il y a eu évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4), il faut examiner attentivement les faits pour décider si l’attribution d’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable. Bien qu’aucun élément factuel ne soit déterminant en soi quant à la question de savoir s’il y a eu évitement fiscal abusif, la RGAÉ permet de supprimer un avantage fiscal « si les rapports et les opérations décrits dans la documentation pertinente sont dénués de fondement légitime relativement à l’objet ou à l’esprit des dispositions censées conférer l’avantage fiscal, ou si ces rapports et opérations diffèrent complètement de ceux prévus par les dispositions » (Trustco Canada, par. 60).
58 Nous sommes d’avis que permettre aux appelants de demander la déduction des pertes en l’espèce contrecarrerait les objets du par. 18(13) et des dispositions relatives aux sociétés de personnes, et que le ministre a eu raison de leur refuser cette déduction en application de la RGAÉ. Lorsqu’ils sont interprétés de manière textuelle, contextuelle et téléologique, le par. 18(13) et l’art. 96 ne permettent pas aux parties sans lien de dépendance d’acheter les pertes fiscales maintenues par le par. 18(13) et d’en demander la déduction comme s’il s’agissait de leurs propres pertes. Le paragraphe 18(13) a pour objet de transférer une perte à une partie avec lien de dépendance, afin d’empêcher le contribuable qui exploite une entreprise de prêt d’argent de réaliser une perte apparente. Le traitement général du partage de pertes entre associés a pour objet de favoriser la mise en place d’une structure organisationnelle permettant à ces derniers d’exploiter ensemble une entreprise dans le cadre de rapports avec lien de dépendance. Le paragraphe 18(13) permet le maintien et le transfert d’une perte en tenant pour acquis qu’elle sera réalisée par un contribuable ayant un lien de dépendance avec l’auteur du transfert. Le législateur ne peut pas avoir voulu que les règles relatives aux sociétés de personnes et le par. 18(13) aient pour effet combiné de maintenir et de transférer une perte devant être réalisée par un contribuable n’ayant aucun lien de dépendance avec l’auteur du transfert. Utiliser ces dispositions pour maintenir et vendre une perte non réalisée à une partie sans lien de dépendance donne lieu à un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4). De telles opérations ne sont pas conformes à l’esprit et à l’objet du par. 18(13) et de l’art. 96 interprétés correctement.
59 L’argument des appelants selon lequel rien dans le par. 18(13) ne limite les dispositions ultérieures du bien à des parties sans lien de dépendance repose sur une interprétation littérale de la disposition et passe outre au principal examen qui doit être effectué en vertu de la RGAÉ, lequel repose sur une interprétation contextuelle et téléologique des dispositions en cause. Comme nous l’avons vu plus haut, le texte de la disposition se prête à une interprétation différente proposée par le ministre et ne règle pas en soi le différend. Pour ce faire, nous devons recourir à une interprétation téléologique des dispositions. L’interaction du par. 18(13) et de l’art. 96 nous oblige à examiner tout le contexte factuel de la série d’opérations pour déterminer si elle contrecarre l’objet et l’esprit de ces dispositions.
60 Les opérations contestées avaient pour toile de fond la faillite de la CST, qui a laissé dans son sillage des hypothèques improductives. La CST a transféré des pertes non réalisées de 52 millions de dollars à la société A, en principe dans le cadre d’une opération avec lien de dépendance. La société A devait servir à maintenir des pertes non réalisées, et la CST avait, dès le départ, prévu de vendre sa participation dans la société A après l’application du par. 18(13) de manière à ce que les pertes maintenues dans la société A puissent être transférées à des parties sans lien de dépendance au moyen d’un remplacement d’associés de la société A. Les opérations ultérieures mettant en cause la société B ont été effectuées « en vue » des opérations entre la CST et la société A.
61 Par ces opérations ultérieures, les pertes maintenues dans la société A ont été transférées à la société B qui a vendu des unités aux appelants qui n’avaient aucun lien de dépendance avec la CST. La nouvelle société, la société B, était relativement peu active. Dès sa formation, la société B avait pour seul objectif de réaliser et de répartir les pertes fiscales sans se livrer à aucune autre activité importante. Ces conclusions ne sont pas non plus contredites par le fait (1) que les biens sous‑jacents des hypothèques ont été évalués et vendus ou radiés, (2) que les appelants ont versé des sommes importantes pour acquérir leurs participations dans la société B, ou (3) que les appelants ont tenté de réduire au minimum le risque auquel ils pourraient être exposés en cas de refus des pertes fiscales par les autorités.
62 Le caractère abusif des opérations est confirmé par la vacuité et la facticité de l’aspect « avec lien de dépendance » des rapports initiaux entre la société A et la CST. Une interprétation téléologique de l’interaction entre les par. 18(13) et 96(1) indique qu’ils autorisent le maintien et le partage de pertes sur le fondement d’un contrôle partagé des actifs dans le cadre d’une activité commerciale commune. En l’espèce, l’absence d’un tel fondement mène à une inférence d’abus. Ni la société A ni la société B ne s’est jamais occupée de biens immobiliers, mis à part le portefeuille hypothécaire initial de la CST. La CST, qui a vendu toute sa participation à OSFC, n’a jamais été associée à celle‑ci ou avec l’un ou l’autre des appelants. La seule conclusion raisonnable est que la série d’opérations contrecarrait l’objectif du législateur qui est de réserver le transfert de ce type de pertes aux sociétés ayant un lien de dépendance.
63 Comme nous l’avons vu dans l’affaire connexe Trustco Canada, une cour d’appel doit s’abstenir d’intervenir dans le cas où le juge de la Cour de l’impôt a bien appliqué le droit et a tiré des conclusions et fait des inférences étayées par la preuve. En l’espèce, le juge Dussault de la Cour de l’impôt était tenu d’appliquer la méthode en deux étapes prescrite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt OSFC. Il était également tenu, à la première étape, de souscrire à la conclusion des juges majoritaires selon laquelle les opérations d’évitement en cause ne contrevenaient ni à l’esprit ni à l’objet du par. 18(13). Il a toutefois ajouté, au par. 304, qu’il préférait l’opinion dissidente exprimée dans l’arrêt OSFC, selon laquelle le législateur ne peut pas avoir voulu que le par. 18(13) permette le transfert de pertes entre des contribuables sans lien de dépendance. En définitive, s’il lui avait été loisible de le faire, il aurait appliqué la RGAÉ pour refuser la déduction des pertes en se fondant sur son interprétation du par. 18(13). Nous sommes d’accord avec ces conclusions et nous y souscrivons.
6. Conclusion
64 Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureur des appelants : Kim Hansen, Vancouver.
Procureur de l’intimée : Sous‑procureur général du Canada, Ottawa.