Fortin c. Chrétien, [2001] 2 R.C.S. 500, 2001 CSC 45
Le Barreau du Québec Appelant
c.
Simon Fortin, Huguette Fortin et Lise Fortin Intimés
et
Jean-Guy Chrétien Mis en cause
et
La procureure générale du Québec Mise en cause
Répertorié : Fortin c. Chrétien
Référence neutre : 2001 CSC 45.
No du greffe : 27152.
Audition et jugement : 2 novembre 2000.
Motifs déposés : 12 juillet 2001.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1998] A.Q. no 4010 (QL), qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi rejeté.
François Folot, pour l’appelant.
Simon Fortin, Huguette Fortin et Lise Fortin, en personne.
Argumentation écrite seulement par Maurice Warren pour le mis en cause Chrétien.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge Gonthier —
I. Introduction
1 Les intimés sont des personnes qui se représentent seules devant les tribunaux conformément à l’art. 61 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25 (« C.p.c. »). Ils ont toutefois sollicité les conseils d’une personne non-membre du Barreau du Québec dans la préparation et la rédaction de leurs procédures en injonction à l’encontre du mis en cause Jean-Guy Chrétien, le tout contrairement au sous-par. 128(1)(b) de la Loi sur le Barreau, L.R.Q., ch. B-1 (« L.B. »). La principale question soulevée devant cette Cour est de déterminer si la nullité du contrat conclu par les intimés avec ce non-avocat affecte la validité des procédures qui en résultent.
2 À l’audition du 2 novembre 2000, notre Cour, par la voix du juge en chef McLachlin, rendait jugement séance tenante dans le présent appel. Elle déclarait que le Club juridique n’avait aucun droit d’être mis en cause dans le présent dossier étant donné l’ordonnance de la Cour d’appel enjoignant aux intimés de « rayer de leur déclaration solennelle le nom du Club juridique et de rayer de leurs procédures Le Club juridique comme mis en cause ». Puis, elle rejetait le pourvoi en indiquant que les motifs suivraient. Les voici.
II. Les faits
3 Les faits ne sont pas contestés. En octobre 1996, les intimés sont propriétaires de trois terrains qu’ils ont hérités de leur père. S’estimant victimes d’écoulements d’eau en provenance d’un terrain voisin appartenant au mis en cause Jean-Guy Chrétien, ils décident d’intenter des procédures judiciaires pour faire cesser l’inondation. Ne pouvant s’offrir les services d’un avocat et n’étant pas éligibles à l’aide juridique fournie par l’État québécois, ils choisissent d’adhérer au Club juridique, une association fondée par M. Yvon Descôteaux, un ex-avocat radié du Tableau de l’Ordre depuis 1990, afin d’obtenir aide et assistance dans le cadre de leurs démarches. À cette fin, ils paient chacun une cotisation annuelle de 50 $. Monsieur Descôteaux prépare et rédige les procédures en injonction qu’il juge alors nécessaires à la défense des droits des intimés. Ces derniers ne sont pas sans ignorer que M. Descôteaux n’est pas un avocat. Ils requièrent tout de même les documents pertinents qu’ils signeront eux-mêmes, feront timbrer et déposeront en Cour supérieure le 21 octobre 1996. En tout temps pertinent, les intimés feront eux-mêmes leurs représentations devant les tribunaux.
4 Le 13 novembre 1996, le mis en cause Chrétien dépose une requête en irrecevabilité à l’encontre de la requête en injonction interlocutoire et de l’action en injonction permanente présentées par les intimés, au motif que ces procédures ont, selon toute vraisemblance et après vérification, été rédigées par une personne non inscrite au Tableau de l’Ordre du Barreau du Québec, à l’encontre du sous-par. 128(1)(b) L.B. Subsidiairement, il demande que le Club juridique soit mis hors de cause pour absence d’intérêt.
5 Le 22 novembre 1996, le juge Goodwin de la Cour supérieure accueille la requête en irrecevabilité du mis en cause Chrétien et rejette la requête en injonction interlocutoire et l’action en injonction permanente des intimés, sauf à se pourvoir. Le 10 décembre 1996, les intimés inscrivent cette décision en appel à la Cour d’appel du Québec. Le 6 juin 1997, la Cour d’appel reçoit la demande d’intervention présentée par l’appelant, le Barreau du Québec, afin de soutenir et défendre l’application de la Loi sur le Barreau. Le mis en cause Chrétien informe alors la Cour d’appel qu’il s’abstiendra de présenter une quelconque argumentation jugeant que le débat concerne davantage les intimés et l’appelant. Le 3 décembre 1998, la Cour d’appel, à l’unanimité, renverse séance tenante le jugement de la Cour supérieure et permet ainsi aux intimés d’intenter leurs recours : [1998] A.Q. no 40l0 (QL). L’appelant obtient la permission d’en appeler devant notre Cour le 14 octobre 1999, [1999] 3 R.C.S. v.
III. Les dispositions législatives pertinentes
6 Code des professions, L.R.Q., ch. C-26
26. Le droit exclusif d’exercer une profession ne peut être conféré aux membres d’un ordre que par une loi; un tel droit ne doit être conféré que dans les cas où la nature des actes posés par ces personnes et la latitude dont elles disposent en raison de la nature de leur milieu de travail habituel sont telles qu’en vue de la protection du public, ces actes ne peuvent être posés par des personnes ne possédant pas la formation et la qualification requises pour être membres de cet ordre.
188. Toute personne qui contrevient à l’une des dispositions du présent code, de la loi ou des lettres patentes constituant un ordre commet une infraction et est passible d’une amende d’au moins 600$ et d’au plus 6 000$.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25
61. Nul n’est tenu de se faire représenter par procureur devant les tribunaux, hormis:
a) les personnes morales;
b) le curateur public;
c) les syndics, gardiens, liquidateurs, séquestres et autres représentants d’intérêts collectifs, lorsqu’ils agissent en cette qualité;
d) les agents de recouvrement et les acheteurs de comptes, relativement aux créances qu’ils sont chargés de recouvrer ou dont ils se sont portés acquéreurs;
e) les sociétés en nom collectif ou en commandite et les associations au sens du Code civil du Québec, à moins que tous les associés ou membres n’agissent eux-mêmes ou ne mandatent l’un d’eux;
f) les personnes qui agissent pour le compte d’autrui en vertu de l’article 59.
. . .
62. Le droit d’agir comme procureur devant les tribunaux est réservé exclusivement aux avocats, sauf dans les cas prévus au paragraphe e de l’article 9 de la Loi sur le notariat.
Loi sur le Barreau, L.R.Q., ch. B-1
122. 1. Toute personne devient inhabile à exercer la profession d’avocat et perd son statut de membre du Barreau dans le cas où:
a) (sous-paragraphe abrogé);
b) elle occupe une charge ou une fonction incompatible avec l’exercice ou la dignité de la profession d’avocat;
c) elle est pourvue d’un tuteur, d’un curateur ou d’un conseiller;
d) elle fait cession de ses biens ou une ordonnance de séquestre est prononcée contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
123. 1. Toute personne devenue inhabile à exercer la profession d’avocat qui, directement ou indirectement, exerce seul ou avec un avocat, ou qui se représente ou s’affiche comme avocat, est passible des peines prévues à l’article 132 en plus des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.
2. Une procédure judiciaire faite par une personne devenue inhabile à exercer comme avocat ne peut être invalidée par le seul fait de cette inhabilité que si le client pour qui elle a été faite le demande ou si on établit qu’il connaissait cette inhabilité.
128. 1. Sont du ressort exclusif de l’avocat en exercice ou du conseiller en loi les actes suivants exécutés pour le compte d’autrui:
a) donner des consultations et avis d’ordre juridique;
b) préparer et rédiger un avis, une requête, une procédure et tout autre document de même nature destiné à servir dans une affaire devant les tribunaux;
c) préparer et rédiger une convention, une requête, un règlement, une résolution et tout autre document de même nature se rapportant à la constitution, l’organisation, la réorganisation ou la liquidation d’une corporation régie par les lois fédérales ou provinciales concernant les compagnies, ou à l’amalgamation de plusieurs corporations ou à l’abandon d’une charte.
2. Sont du ressort exclusif de l’avocat et non du conseiller en loi les actes suivants exécutés pour le compte d’autrui:
a) plaider ou agir devant tout tribunal, sauf devant:
. . .
129. Aucune des dispositions de l’article 128 ne limite ou restreint:
. . .
b) les droits spécifiquement définis et donnés à toute personne par toute loi d’ordre public ou privé;
132. Nonobstant toute loi contraire et sans restreindre la portée de la présente loi, quiconque exerce la profession d’avocat sans être inscrit au Tableau commet une infraction et est passible des peines prévues à l’article 188 du Code des professions.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64
1385. Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n’exige, en outre, le respect d’une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n’assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle.
Il est aussi de son essence qu’il ait une cause et un objet.
1411. Est nul le contrat dont la cause est prohibée par la loi ou contraire à l’ordre public.
1416. Tout contrat qui n’est pas conforme aux conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité.
1417. La nullité d’un contrat est absolue lorsque la condition de formation qu’elle sanctionne s’impose pour la protection de l’intérêt général.
1422. Le contrat frappé de nullité est réputé n’avoir jamais existé.
Chacune des parties est, dans ce cas, tenue de restituer à l’autre les prestations qu’elle a reçues.
1438. La clause qui est nulle ne rend pas le contrat invalide quant au reste, à moins qu’il n’apparaisse que le contrat doive être considéré comme un tout indivisible.
Il en est de même de la clause qui est sans effet ou réputée non écrite.
IV. Les décisions des tribunaux inférieurs
A. La Cour supérieure du Québec
7 Le juge Goodwin est d’avis qu’il a été clairement démontré que les procédures contestées ont été préparées et rédigées par M. Yvon Descôteaux, fondateur et mandataire du Club juridique, auquel les intimés ont adhéré en payant 50 $ chacun pour l’obtention d’une carte de membre. Il est aussi établi que M. Descôteaux est un ex-avocat, radié du Tableau de l’Ordre du Barreau du Québec et ce, à la connaissance des intimés. Ainsi, considérant la décision du juge Journet de la Cour supérieure dans l’affaire Gagnon c. Prévost, C.S. Terrebonne, no 700-12-019558-923, 13 mai 1996 (selon lequel une procédure préparée à l’encontre de la Loi sur le Barreau doit être déclarée irrecevable), il y a lieu d’accueillir la requête en irrecevabilité et de rejeter la requête en injonction interlocutoire et l’action en injonction permanente, sauf à se pourvoir.
B. La Cour d’appel du Québec (les juges Brossard, Rousseau-Houle et Biron (ad hoc), [1998] A.Q. no 4010 (QL)
8 La Cour d’appel rappelle d’abord que les lois établissant les normes professionnelles sont des lois d’ordre public politique et moral en ce qu’elles ont été adoptées pour protéger l’intérêt du public en général. Les parties à une convention ne peuvent faire échec à ces lois ou s’y soustraire d’aucune façon et le contrat conclu en violation d’une disposition d’ordre public est frappé de nullité absolue. En l’espèce, il ne fait aucun doute que la violation du sous-par. 128(1)b) L.B. doit être sanctionnée de nullité absolue, puisque le mandat entaché de nullité ne saurait être confirmé et qu’il y a violation d’une règle prohibitive destinée à protéger l’ordre social et l’administration de la justice.
9 Cependant, la véritable question est plutôt celle de savoir si cette nullité peut n’être que partielle. En matière contractuelle, l’art. 1438 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit que la clause qui est nulle ne rend pas le contrat invalide quant au reste, à moins que le contrat ne soit considéré comme un tout indivisible. La divisibilité peut également résulter de la nature des obligations ou des objectifs poursuivis par le législateur. De la même façon, bien que les art. 1411 et 1413 C.c.Q. fassent naître une présomption d’invalidité de l’opération juridique qui contrevient à une loi prohibitive, cette présomption peut être renversée lorsqu’il apparaît que les objectifs poursuivis par le législateur exigent que soient examinés la nature, les circonstances et les effets de cette opération juridique. Dans certains cas, les tribunaux ont également refusé que l’exercice illégal d’une profession soit étendu à des opérations juridiques incidentes.
10 En l’espèce, l’art. 61 C.p.c. permet aux intimés de se représenter seuls. Il ne leur est pas interdit de se faire aider et conseiller par des personnes qui ne sont pas membres du Barreau, pourvu qu’aucun mandat ne soit donné à ces personnes de les représenter devant les tribunaux. En conséquence, le sous-par. 128(1)b) ne saurait être interprété de façon à interdire ces actes. Le législateur ne peut avoir voulu que la protection accordée à l’art. 61 C.p.c. aux personnes qui ne peuvent avoir recours à un avocat se retourne contre eux. Ainsi, malgré le fait que le contrat de mandat entre les intimés et le Club juridique soit nul de nullité absolue, on doit reconnaître la validité des procédures intentées par la famille Fortin. La Cour d’appel précise, par ailleurs, que d’autres recours peuvent être exercés par le Barreau contre le mandataire du Club juridique qui contrevient à la loi.
V. Analyse
A. La validité du contrat conclu entre les parties
1. La Loi sur le Barreau : un objectif de protection du public
11 Depuis déjà plusieurs années, le législateur québécois assujettit l’exercice de certaines professions à des restrictions et à différents mécanismes de contrôle. Adopté pour la première fois en 1973, le Code des professions, L.R.Q., ch. C-26 (« C.P. »), régit maintenant les 44 ordres professionnels constitués en vertu de la loi. Il crée un organisme, l’Office des professions du Québec, qui a pour fonction de veiller à ce que chacun d’eux accomplisse le mandat qui leur est expressément confié par le Code et qui constitue leur principale raison d’être, assurer la protection du public (art. 12 et 23 C.P.). Dans la poursuite de cet objectif fondamental, le législateur a accordé aux membres de certaines professions le droit exclusif de poser certains actes. En effet, en vertu de l’art. 26 C.P., le droit exclusif d’exercer une profession n’est « conféré que dans les cas où la nature des actes posés par ces personnes et la latitude dont elles disposent en raison de la nature de leur milieu de travail habituel sont telles qu’en vue de la protection du public, ces actes ne peuvent être posés par des personnes ne possédant pas la formation et la qualification requises pour être membres de cet ordre ».
12 La profession juridique est l’une d’entre elles. L’article 128 L.B. énonce notamment que les actes suivants sont du ressort exclusif des avocats et conseillers en loi lorsqu’ils sont exécutés pour le compte d’autrui : a) donner des consultations et des avis d’ordre juridique, b) préparer et rédiger un avis, une requête, une procédure et tout autre document de même nature destiné à servir dans une affaire devant les tribunaux, c) préparer et rédiger une convention, une requête, un règlement, une résolution et tout document de même nature se rapportant à la constitution, l’organisation, la réorganisation ou la liquidation d’une corporation, alors que seul l’avocat peut plaider ou agir devant tout tribunal à l’exception de ceux énumérés au sous-par. 128(2)a).
13 En contrepartie de ce monopole, le législateur a imposé un certain nombre d’obligations et de responsabilités aux auteurs de ces actes exclusifs. La mise en œuvre, le respect et la sanction de ces règles appartiennent au Barreau du Québec. En ce sens, le Barreau s’assure de la qualité de la formation professionnelle de ses membres, y compris des conditions dans lesquelles ils effectuent leur stage, et vérifie leur capacité à entreprendre et à continuer l’exercice de leur profession (par. 94i) C.P., par. 15(2) L.B. et Règlement sur la formation professionnelle des avocats, R.R.Q. 1981, ch. B-1, r. 7). Il a le privilège de délivrer, de refuser, de retirer ou de suspendre le permis d’exercice de la profession et l’inscription au Tableau de l’Ordre et il met notamment en place un régime d’inspection professionnelle à cette fin (art. 40, 45 à 55.1 et 90 C.P., Règlement sur l’inscription au Tableau de l’Ordre des avocats, R.R.Q. 1981, ch. B-1, r. 8, et Règlement sur la procédure du comité d’inspection professionnelle des avocats, R.R.Q. 1981, ch. B-1, r. 10).
14 Le Barreau adopte aussi un code de déontologie imposant au professionnel des devoirs d’ordre général et particulier envers le public, ses clients et sa profession, comprenant ceux de s’acquitter de ses fonctions avec intégrité, de ne pas poser des actes dérogatoires à la dignité de la profession, de ne pas occuper des charges incompatibles et d’éviter de se placer en conflits d’intérêt, et de respecter le secret professionnel (art. 87 C.P. et Code de déontologie des avocats, R.R.Q. 1981, ch. B-1, r. 1).
15 Le Barreau détermine également une procédure de conciliation et d’arbitrage des comptes des membres de l’ordre que peuvent utiliser les personnes ayant recours à leurs services pour contester le montant des honoraires (art. 88 C.P. et Règlement sur la procédure de conciliation et d’arbitrage des comptes des avocats, (1994) 126 G.O. II, 6727). Il établit les modalités de garde et de disposition des sommes d’argent détenues en fidéicommis par les avocats pour le compte de leurs clients et constitue un fonds d’indemnisation devant servir à rembourser les sommes utilisées à des fins impropres ou illégales (art. 89 C.P. et Règlement sur la comptabilité et les comptes en fidéicommis des avocats, R.R.Q. 1981, ch. B-1, r. 3).
16 Finalement, pour assurer le respect des normes imposées par la loi et par le Code de déontologie des avocats, le Barreau a instauré un comité de discipline chargé de traiter de toute plainte formulée à l’endroit d’un professionnel, de faire enquête sur leur conduite et d’imposer des sanctions allant de la réprimande à l’amende ou à la radiation permanente de l’ordre (art. 116 à 161.1 C.P.).
17 L’importance des actes posés par les avocats, la vulnérabilité des justiciables qui leur confient leurs droits et la nécessité de préserver la relation de confiance qui existe entre eux justifient cet encadrement particulier de l’exercice de la profession juridique. Dans l’affaire Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, p. 335, le juge Estey explique ainsi la nécessité de réglementer l’activité professionnelle des membres du Barreau; propos cités avec approbation dans Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869, p. 888 :
Il existe un bon nombre de raisons qui pourraient très bien inciter une province à légiférer dans le domaine de la réglementation des membres du barreau. Ces derniers sont des officiers des cours constituées par les provinces; ils se voient chaque jour accorder la confiance du public; de par la nature des services qu’ils fournissent, il est difficile pour le public, qui manque de connaissances dans le domaine, d’évaluer ces services; [. . .] et il est difficile d’apprécier la qualité de services juridiques.
En tant que dépositaire de la confiance du public, l’avocat joue un rôle très particulier au sein de la collectivité lorsqu’il exerce ces actes réservés (voir R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, par. 2 et 31). Le Barreau, qui pallie en quelque sorte à l’ignorance des justiciables et surveille la qualité des services professionnels offerts, a pour vocation d’assurer cette relation de confiance.
18 Ce faisant, le Barreau tend non seulement à protéger le public à l’encontre des agissements dérogatoires de ses membres, mais également à l’encontre des personnes non-membres qui n’offrent aucune garantie de compétence, d’intégrité, de confidentialité et d’indépendance. En effet, dans le Code de déontologie des avocats, les dispositions concernant les honoraires ou les sommes d’argent détournées et celles concernant la gestion des plaintes par le comité de discipline ne sont applicables qu’à l’égard des membres du Barreau. D’où l’importance de dissuader les tiers de poser des actes exclusifs aux avocats par l’adoption de sanctions. En l’espèce, les intimés admettent avoir fait appel aux services de M. Yvon Descôteaux, une personne non-membre du Barreau dans la préparation et la rédaction de leurs actes de procédure. Quelles sont donc les conséquences pour les parties d’avoir agi ainsi?
2. Les sanctions applicables aux contraventions à la Loi sur le Barreau
19 La personne qui agit à l’encontre des dispositions impératives de l’art. 128 L.B. s’expose d’abord à des sanctions d’ordre pénal. La section XIV de la Loi sur le Barreau regroupe diverses dispositions qui interdisent l’exercice illégal de la profession d’avocat (art. 132 à 140 L.B.). En vertu de l’art. 132 L.B., quiconque exerce la profession d’avocat sans être inscrit au Tableau de l’Ordre commet une infraction et est passible des peines prévues à l’art. 188 C.P. lesquelles consistent en des amendes d’au moins 600 $ et d’au plus 6 000 $. Bien que ces recours demeurent ouverts et qu’ils aient été régulièrement exercés par le Barreau dans le passé à l’encontre du Club juridique et de son mandataire, là n’est pas l’objet du présent litige.
20 Par ailleurs, une convention conclue à l’encontre de la Loi sur le Barreau peut également faire l’objet de sanctions en application des principes de droit civil. Les intimés et le Club juridique, par le biais de M. Descôteaux, ont conclu un contrat prévoyant l’octroi par un non-avocat d’un service de préparation et de rédaction de procédures judiciaires moyennant rémunération, sous la forme d’une cotisation annuelle. Ce contrat, au même titre que tous les autres contrats, est régi par les dispositions générales impératives concernant ses conditions de formation prévues au Code civil du Québec : art. 1385 à 1415. L’article 1411 C.c.Q. énonce notamment que la cause d’un contrat ne doit pas être prohibée par la loi ou contraire à l’ordre public.
21 L’ordre public est constitué de certains interdits sociaux qui restreignent la liberté contractuelle des parties. Ils marquent l’existence, au-delà des intérêts particuliers, d’intérêts généraux que les parties doivent respecter (art. 9 C.c.Q.). Le critère qui distingue les lois d’ordre public des autres types de loi réside dans l’intérêt public, plutôt que simplement privé, dont se soucie le législateur. Je partage l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle les dispositions de la Loi sur le Barreau concernant l’exercice de la profession d’avocat sont d’ordre public, puisqu’elles tendent à protéger l’intérêt général. La doctrine est unanime à ce sujet. Le juge Baudouin et le professeur Jobin, dans leur traité consacré au droit des obligations, sont d’avis que les lois d’organisation des corporations professionnelles sont d’ordre public politique et moral ou de direction (par opposition à l’ordre public économique ou de protection), au même titre que les lois portant sur l’administration de la justice, l’organisation de l’État, les lois administratives et fiscales et les lois pénales. Elles ont toutes en commun le fait qu’elles visent à protéger « l’ensemble des institutions qui constituent la base des règles du jeu de la société » : J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (5e éd. 1998), p. 157, no 133. (Voir également J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations (3e éd. 1996), p. 255, no 165, et D. Lluelles avec la collaboration de B. Moore, Droit québécois des obligations (1998), vol. 1, p. 663-664, nos 2028-2030.)
22 Les tribunaux se sont également penchés sur la question. Dans l’affaire Pauzé c. Gauvin, [1954] R.C.S. 15, p. 19, notre Cour a déclaré que la Loi des architectes, S.R.Q. 1941, ch. 272, avait été adoptée en vue de protéger l’intérêt général et de procurer au public les services de personnes réellement compétentes, afin d’assurer que les édifices soient convenablement construits. Cette position fut réitérée dans l’affaire Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499. À la page 524, le juge L’Heureux-Dubé, exprimant l’opinion de notre Cour, faisait état du fait que les tribunaux avaient jugé de façon constante que les lois établissant des normes professionnelles étaient d’ordre public, bien qu’en un sens elles protégeaient un groupe restreint au sein de la société. L’affaire In re Réserves du Nord (1973) Ltée: Biega c. Druker, [1982] C.A. 181, traite plus spécifiquement des dispositions de la Loi sur le Barreau. Dans cette affaire, le juge L’Heureux-Dubé, alors à la Cour d’appel du Québec, jugeait invalide une convention conclue à l’encontre de l’art. 56 L.B. qui interdisait à un avocat d’agir pour le syndic d’une faillite si dans les deux années précédant la faillite, il avait représenté la débitrice et ce afin d’éviter les conflits d’intérêts. À la page 191, elle affirmait :
Édictée en vue de la protection du public, la Loi du Barreau, y compris les règlements adoptés sous l’empire de cette loi (art. 22), contient des dispositions impératives et prohibitives ainsi que des sanctions (art. 48). L’exercice exclusif d’une profession est une matière d’ordre public. Depuis, la Loi des architectes et la Loi des ingénieurs civils ont, au motif de la protection du public, été considérées à maintes reprises comme des lois d’ordre public Pauzé c. Gauvin . . .
23 Toute convention dont la cause est contraire au sous-par. 128 (1)b) L.B. va donc à l’encontre de l’ordre public. En vertu de l’art. 1416 C.c.Q., tout contrat qui n’est pas conforme aux conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité. La nullité est absolue lorsque cette condition s’impose pour la protection de l’ordre général (art. 1417 C.c.Q.); elle est relative lorsqu’elle s’impose plutôt pour la protection d’intérêts particuliers (art. 1419 C.c.Q.). Étant donné les impératifs liés à la protection du public auxquels répond la Loi sur le Barreau et dont j’ai fait mention précédemment, ses dispositions concernant l’exercice d’actes réservés ne sauraient être édictées qu’en vue de protéger l’intérêt général. Ainsi, un contrat qui y contrevient doit être sanctionné de nullité absolue.
24 L’appelant prétend qu’en cas de nullité, qu’elle soit relative ou absolue, le contrat est réputé n’avoir jamais existé et les parties sont tenues de se restituer les prestations qu’elles ont reçues. Selon lui, il s’ensuit donc nécessairement que les actes de procédure résultant d’un contrat nul doivent être restitués au Club juridique, empêchant ainsi les intimés de s’en servir devant un tribunal pour faire valoir leurs droits. En ce sens, la principale question à laquelle cette Cour doit maintenant répondre est de déterminer si la nullité de ce contrat affecte la validité des actes de procédure qui y trouvent leur origine.
B. Les effets de la nullité ou la validité des procédures résultant d’un contrat nul
25 Il est vrai que, suivant l’adage « Quod nullum est, nullum producit effectum », ce qui est nul ne produit aucun effet. Or, la réalité est souvent beaucoup plus complexe. Aussi, faut-il apprécier la portée de cette nullité dans le temps et dans l’espace. D’abord, un contrat frappé de nullité est privé de toute efficacité juridique dans le futur. De plus, les effets produits dans le passé sont effacés — le contrat étant réputé n’avoir jamais existé — et les parties à la convention doivent être replacées dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion de la convention en application des principes de la restitution des prestations prévus au Code civil du Québec (art. 1422 et 1699 et suiv.).
26 Ensuite, la question de la portée de la nullité peut également être examinée en termes d’étendue ou d’espace. Il s’agit alors de déterminer si un acte juridique en entier ou encore une partie seulement de celui-ci sera frappé de nullité (nullité partielle ou intégrale) ou encore si la nullité de cet acte juridique aura une incidence sur le sort des autres actes juridiques (nullité simple ou élargie) : Y. Picod, Rép. civ. Dalloz, t. VII, « Nullité », nos 93-102. Avant de procéder à l’application de ces concepts dans la présente affaire, il convient de s’attarder à la définition de l’objet des obligations réciproques des parties.
1. L’objet des obligations
27 Le Code civil du Québec, reprenant en cela les enseignements de la doctrine française et québécoise, nous indique qu’il existe une distinction entre l’objet de l’obligation, comme étant la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose (art. 1373 C.c.Q.), et l’objet du contrat, qui envisage l’opération juridique réalisée par les parties comme un tout et non dans chacun de ses éléments (art. 1412 C.c.Q.). La simplicité du contrat conclu entre les parties en l’espèce peut parfois donner l’impression que ces deux notions se chevauchent et se confondent. Il y a tout de même lieu de les distinguer.
28 L’objet de l’obligation de M. Descôteaux et du Club juridique est la prestation d’un service de préparation et de rédaction d’actes de procédure. En d’autres mots, ces derniers, en échange d’une contrepartie financière (obligation des intimés), ont accepté de donner un certain nombre de conseils et de connaissances aux intimés en matière de rédaction de procédures. Il y a là une analogie intéressante avec le contrat de travail. En concluant un contrat de travail, le salarié s’engage, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction d’une autre personne (art. 2085 C.c.Q.). L’objet de l’obligation du salarié est alors la fourniture d’une force de travail et non le résultat de celle-ci. De la même façon, l’acte de procédure, en tant que tel, n’est-il que l’expression matérielle des connaissances qui ont été transmises aux intimés. Il est le produit du service rendu par le Club juridique.
29 L’acte de procédure présenté par les intimés est en fait un acte juridique distinct. En effet, « [q]ue l’acte de procédure soit un acte juridique n’est pas discuté et n’est pas vraiment discutable » : J. Héron, « Réflexions sur l’acte juridique et le contrat à partir du droit judiciaire privé » (1988), 7 Droits 85. Au-delà des nuances doctrinales sur la question de la définition de l’acte juridique, toute procédure judiciaire est un acte juridique unilatéral, car elle est l’expression de la volonté de son auteur, ainsi que de son désir de voir certains effets de droit se réaliser. Voir J. Martin de la Moutte, L’acte juridique unilatéral : essai sur sa notion et sa technique en droit civil (1951); B. Moore, « De l’acte et du fait juridique ou d’un critère de distinction incertain » (1997), 31 R.J.T. 276; Baudouin et Jobin, op. cit., nos 40-41; Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues (2e éd. 1991), « acte juridique ».
30 Cet acte juridique se distingue de la convention conclue entre les parties sous plusieurs aspects. D’abord, il porte la signature du justiciable et exprime sa seule volonté de mettre en œuvre ses droits plutôt que d’être le résultat d’une entente bilatérale. Étant un acte judiciaire, il s’éloigne également du caractère essentiellement privé du contrat, et comporte une dimension publique une fois qu’il est présenté au tribunal. Il se distingue finalement de la convention visant la rédaction de l’acte de procédure en ce qu’il a précisément pour but la représentation des droits de ce justiciable devant les tribunaux. Il n’est pas inutile à cet égard de rappeler que les intimés ont non seulement signé, fait timbrer et déposé eux-mêmes leurs actes de procédure en Cour supérieure, mais ils ont également fait leurs propres représentations devant le tribunal. La loi marque d’ailleurs cette distinction entre la préparation et la rédaction des actes de procédure et la représentation devant les tribunaux qui se fait entre autres par la présentation de tels actes.
31 Comme je le mentionnais précédemment, au Québec, la rédaction et la préparation d’actes de procédure pour le compte d’autrui est un acte du ressort exclusif de l’avocat en exercice ou du conseiller en loi, en vertu du sous-par. 128(1)b) L.B. Aussi, un acte de procédure peut-il être préparé et rédigé par une personne qui se représente seule devant les tribunaux, et qui a la possibilité de le faire en vertu de l’art. 61 C.p.c., et ce, pour son compte personnel.
32 La représentation devant le tribunal fait l’objet d’une seconde étape. À ce stade, la procédure n’est plus seulement destinée à servir devant les tribunaux, mais elle y est effectivement présentée. Cette seconde étape est également régie par différentes dispositions législatives. Par exemple, le sous-par. 128(1)b) L.B. n’a aucune portée à l’égard de la représentation. À ce stade, les art. 61 et 62 C.p.c. et le par. 128(2) L.B. prennent la relève. Le paragraphe 128(2) L.B. prévoit qu’est du ressort exclusif de l’avocat le fait de plaider ou d’agir devant tout tribunal pour le compte d’autrui (sauf devant certains tribunaux énumérés). L’article 62 C.p.c. confirme d’ailleurs que seuls les avocats peuvent agir à titre de procureurs devant les tribunaux : Malartic Hygrade Gold Mines (Québec) Ltd. c. R. (Québec), [1982] C.S. 1146 (le juge en chef Deschênes). L’article 61 C.p.c. peut également s’appliquer. En vertu de celui-ci, la personne qui se représente seule peut présenter les actes de procédure nécessaires à l’exercice de ses droits et recours. La représentation comprend à la fois celle qui est écrite et celle qui est orale. Ainsi, la personne qui se représente seule peut également soumettre les actes de procédure en guise de plaidoirie écrite.
33 En ce sens, l’objet de l’obligation de M. Descôteaux et du Club juridique est limité à la préparation et la rédaction des actes de procédure et la procédure judiciaire présentée devant les tribunaux est un acte juridique distinct appartenant aux intimés en tant que justiciables se représentant seuls conformément à l’art. 61 C.p.c. Ayant clairement défini l’objet des obligations des parties, je me propose maintenant de déterminer la portée de la nullité dont est affectée la convention visant la rédaction des actes de procédure.
2. La nullité partielle ou intégrale
34 La Cour d’appel, dans cette affaire, a jugé que le contrat conclu entre les parties devait être sanctionné de nullité absolue, mais que cette nullité pouvait n’être que partielle. Sans s’appuyer directement sur l’art. 1438 C.c.Q., la cour y a vu une certaine analogie. En vertu de cette disposition, la clause qui est nulle ne rend pas le contrat invalide quant au reste, à moins qu’il n’apparaisse que le contrat doive être considéré comme un tout indivisible. L’indivisibilité d’un contrat sera constatée lorsque la clause invalide constituait un élément essentiel du contrat, dans son sens objectif ou au sens où l’entendaient les parties contractantes.
35 L’arrêt Pauzé c. Gauvin, précité, constitue un exemple de nullité partielle appliquée par notre Cour. Dans cette affaire, l’intimé, qui était ingénieur civil et membre en règle de la Corporation des ingénieurs professionnels du Québec, réclamait la valeur et le prix des services professionnels qu’il avait rendus à l’appelant, soit la préparation des plans et devis et la surveillance des travaux de construction d’un immeuble. L’appelant refusait de payer au motif que la convention intervenue entre les parties était nulle parce que contraire à l’art. 12 de la Loi des architectes selon lequel la fourniture de plans et devis est un acte réservé aux architectes. Le juge Taschereau, au nom de la majorité, déclarait que le contrat était fondé sur une considération illégale et contraire à l’ordre public. Cependant, cette nullité ne devait s’appliquer qu’à la confection des plans et devis rémunérés et non à la surveillance des travaux, puisqu’il s’agissait de deux fonctions indépendantes et différentes, l’une étant réservée à l’architecte et l’autre pouvant également être exécutée par un tiers. Il s’agissait donc, pour notre Cour, de restreindre un contrat contenant deux clauses à sa seule portion licite au lieu de le maintenir ou de l’annuler pour le tout. La partie sur la surveillance des travaux pouvait ainsi faire l’objet d’une action en exécution, tandis que la partie traitant des plans et devis était nulle.
36 L’article 1438 consacre maintenant cette situation dans le Code civil du Québec. Dans sa thèse de doctorat, le professeur P. Simler précise que la vraie et la seule nullité partielle consiste à supprimer dans un acte juridique donné une clause ou une partie matérialisée de cet acte, sans que pour autant l’acte lui-même ne soit anéanti : P. Simler, La nullité partielle des actes juridiques (1969), p. 7-8. Voir aussi D. Veaux, « Contrats et obligations -- Nullité ou rescision des conventions », Juris-Cl. civil, art. 1304 à 1314, Fasc. 50, no 84.
37 À mon avis, l’art. 1438 C.c.Q. ne saurait recevoir d’application en l’espèce. Nous ne sommes pas en présence d’un contrat qui comporte plusieurs objets distincts, mais bien un seul, l’octroi d’un service par M. Descôteaux et le Club juridique aux intimés en échange du paiement d’une cotisation annuelle. La nullité du contrat conclu entre eux est davantage intégrale et emporte celle de l’ensemble de la convention. Si les actes de procédure résultant de cet acte nul peuvent subsister, ce n’est pas en vertu de l’application du concept de la nullité partielle, mais bien en raison du principe de la nullité simple selon lequel la nullité d’un contrat n’a pas d’incidence sur le sort des autres contrats ou actes juridiques.
3. La nullité simple ou élargie
38 En principe, la nullité d’un acte ne saurait s’étendre à d’autres actes juridiques distincts : H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, t. II, vol. 1, Obligations--théorie générale (9e éd. 1998), par. 329-2; Picod, op. cit., nos 99-102. Il peut toutefois arriver que, par nature, un acte soit l’accessoire d’un autre ou qu’il existe une réelle interdépendance entre eux de sorte que la nullité de l’un emporte la nullité de l’autre. Cette théorie de l’accessoire prévaut notamment en matière de sûretés. Il arrive également que la nullité d’un contrat principal soit étendue au contrat de crédit ayant servi à le financer. Il en est ainsi au Québec en vertu de l’art. 116 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1, selon lequel le consommateur qui a utilisé le capital net d’un contrat de prêt d’argent pour payer en totalité ou en partie l’achat ou le louage d’un bien ou d’un service, peut, si le prêteur d’argent et le commerçant vendeur ou locateur collaborent régulièrement en vue de l’octroi de prêts d’argent à des consommateurs, opposer au prêteur d’argent les moyens de défense qu’il peut faire valoir à l’encontre du commerçant vendeur ou locateur. (Voir l’équivalent français : art. L. 311-21 du Code de la consommation; et les arrêts de la Cour de cassation suivants : Cass. civ. 1re, 16 décembre 1992, Bull. civ. X, no 316, et Cass. civ. 2e, 11 mars 1992, Bull. civ. III, no 79.) Par contre, au-delà des textes de loi spécifiques qui le prévoient, la nullité n’est qu’exceptionnellement élargie. Elle ne s’étend aux autres actes juridiques que lorsque les deux actes sont intimement liés, ont été conclus entre les mêmes parties et pour une fin commune.
39 Notre Cour ne s’est que rarement penchée sur ce principe. Dans l’affaire Pauzé c. Gauvin, précitée, elle a rejeté l’application du principe de la nullité élargie, le considérant comme faisant partie de la théorie de l’accessoire, au profit de la nullité partielle. Ce faisant, elle confirmait toutefois son existence en droit québécois. À la page 20 de ses motifs, le juge Taschereau, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour, indiquait :
L’appelant soutient au contraire que la surveillance des travaux est ancillaire au contrat de la préparation des plans, et que la nullité attachée à ce dernier vicie également le premier. Je ne puis accepter cette prétention. Il ne fait pas de doute qu’en certains cas, la nullité du contrat principal, qui existe à l’état isolé et par lui-même, entraîne la nullité du contrat accessoire, qui ne peut exister qu’en se rattachant à ce même contrat principal. Ainsi en est-il du contrat de gage, de cautionnement ou d’hypothèque, greffé à un contrat de prêt : accessorium sequitur principale. (Planiol et Ripert, Vol. 6, No. 44; Mignault, Vol. 5, pages 187 et 188; Pothier, No. 14). [Je souligne.]
40 Bien qu’elle s’appuyait à tort sur le concept de nullité partielle, la Cour d’appel dans la présente affaire partageait également cet avis que les tribunaux avaient parfois empêché d’étendre la nullité d’un contrat à d’autres opérations juridiques incidentes lorsque celles-ci n’étaient pas intimement liées. En effet, la nullité de la convention conclue entre les parties, et ayant pour objet la préparation et la rédaction d’actes de procédure, n’a pas d’incidence nécessaire sur la validité de l’acte juridique distinct que constitue la procédure judiciaire présentée par les intimés au tribunal. Les parties aux deux actes juridiques ne sont pas les mêmes; l’acte de procédure est un acte unilatéral du justiciable, ce qui le distingue de l’accord de volontés que constitue le contrat. De plus, comme je le mentionnais précédemment, si la convention ne relève que du domaine privé, sous réserve des exigences de l’ordre public, l’acte judiciaire comporte une dimension publique particulière lorsqu’il est déposé devant le tribunal. Finalement, alors que l’acte de procédure a pour objectif de faire valoir les droits du justiciable au stade de la représentation, la convention n’intervient qu’au stade de la préparation initiale.
41 L’application de ce principe de la nullité simple de la convention visant la rédaction des actes de procédure en droit civil s’harmonise parfaitement avec l’intention manifestée par le législateur québécois lorsqu’il a adopté l’art. 61 C.p.c. L’article 61 fait partie intégrante d’une loi édictée en vue de réglementer la bonne administration de la justice au Québec. Il se situe dans le titre III du livre premier du Code qui regroupe un ensemble de règles fondamentales applicables à toutes les demandes en justice parmi lesquelles figurent celles concernant l’intérêt, la qualité et l’aptitude nécessaires aux parties pour intenter un recours ainsi que différentes dispositions régissant, le cas échéant, leurs procureurs. L’article 61 pose comme règle la possibilité pour une partie de se représenter seule : « Nul n’est tenu de se faire représenter par procureur devant les tribunaux » (je souligne). Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel qu’une personne doit faire appel aux services d’un procureur, notamment lorsqu’elle est une personne morale, une association ou encore une société en nom collectif. L’article 61 constitue certes un droit d’accès aux tribunaux pour tous les justiciables réunissant les qualités nécessaires pour ce faire.
42 Une telle disposition ne saurait être neutralisée par les dispositions de la Loi sur le Barreau, aussi prohibitives soient-elles. Il y a plutôt lieu de les voir se greffer au cadre fourni par le Code de procédure civile et de leur donner une interprétation qui permette à l’art. 61 de conserver son sens et sa portée. Ainsi, on ne saurait empêcher un justiciable de faire valoir ses droits au motif qu’il a obtenu de l’aide d’une personne non-membre du Barreau sous peine de restreindre gravement la possibilité pour ce justiciable d’exercer son droit de se représenter seul prévu par le législateur dans le Code de procédure civile.
43 À cet égard, dans un document de consultation qu’il rédigeait à l’attention du ministre de la Justice en février 2000, le comité chargé de la révision de la procédure civile au Québec soulignait également l’importance de faciliter l’accès aux tribunaux pour le justiciable qui fait lui-même valoir ses droits en vertu de l’art. 61. À son avis, le droit d’ester en justice sans être représenté requiert donc, pour sa mise en œuvre, des outils adéquats permettant aux citoyens d’agir personnellement : ministère de la Justice du Québec, La révision de la procédure civile, Document de consultation du Comité de révision de la procédure civile, février 2000, p. 11.
44 Je note d’ailleurs que le législateur n’a prévu aucune sanction pour le justiciable qui se fait aider par un tiers dans la rédaction et la préparation de ses actes de procédure dans la législation pertinente, alors qu’il l’a expressément fait à d’autres occasions. Il en est ainsi du justiciable qui a bénéficié des conseils d’une personne inhabile. Le paragraphe 123(2) L.B. prévoit qu’une procédure faite, c’est-à-dire rédigée, préparée, signée, mais aussi présentée au tribunal par une personne inhabile (définie à l’art. 122 comme un avocat qui occupe une fonction incompatible, qui est pourvu d’un tuteur ou qui a fait cession de ses biens) pour le compte d’autrui, sera rejetée par le tribunal si le client le demande ou si on établit qu’il connaissait cette inhabilité. Une telle sanction n’est pas prévue dans la Loi sur le Barreau ou dans d’autres lois pour les procédures rédigées pour le compte d’autrui par d’autres qu’une personne inhabile qui sont en quelque sorte le produit d’un contrat nul, et ce même si le contrat a été conclu par le justiciable en toute connaissance de cause. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de l’acte du justiciable lui-même, c’est-à-dire, signé par lui et produit à ses propres fins.
45 Ainsi, s’il est clairement illégal pour une personne non-membre du Barreau d’exercer la profession d’avocat ou de poser l’un quelconque des actes qui lui sont réservés, on ne saurait reprocher aux intimés, au même titre que tout autre justiciable, de faire valoir leurs droits. La principale raison d’être de la Loi sur le Barreau et de ses différentes dispositions réglementaires est de protéger le public à l’encontre des personnes qui, sans être inscrites au Tableau de l’Ordre, prétendent pouvoir offrir des services de qualité. Aussi n’est-il pas surprenant que la loi ne prévoit aucune sanction à l’encontre du justiciable et vise plutôt à sanctionner les personnes non-membres du Barreau qui posent des actes réservés. En l’absence de disposition législative expresse, on ne saurait pénaliser le justiciable qui commet l’erreur de s’adresser à ces personnes. Dans l’affaire Millette c. 2862-2678 Québec Inc., C.S. Laval, no 540-05-002176-968, 27 novembre 1996, p. 3, le juge Bergeron exprimait des propos similaires :
Encore une fois et je l’ai dit tantôt dans la discussion ou pendant l’argument, j’ai du mal à penser qu’une Cour de justice puisse pénaliser un demandeur qu’il soit ou non de bonne foi et qui s’est fait aider dans la rédaction de ses procédures par quelqu’un qui n’a pas le droit, en vertu de la Loi du Barreau, de faire cela. Autrement, j’ai signalé quelques exemples, on pourrait rejeter une action prise quelques jours avant la prescription et priver un justiciable d’un recours possiblement valable parce qu’il aurait commis cette erreur de consulter le Club juridique ou un dénommé Descôteaux.
Je ne pense pas que la Loi du Barreau indique en aucun article que des documents ainsi préparés par des personnes non éligibles à le faire entache la procédure au point qu’on doive ou rejeter l’action ou comme dans les deux cas mentionnés tantôt, rejeter les requêtes présentées.
46 Dans une autre affaire identique à celle qui fait l’objet du présent appel, Dubé c. Beaulieu, C.Q. Beauharnois, no 760-22-000024-979, 25 juin 1997, le juge Boyer de la Cour du Québec résumait bien l’esprit de mes propos. Dans cette affaire, le demandeur avait présenté une requête en irrecevabilité de la défense au motif que celle-ci avait été rédigée par le mandataire du Club juridique. Le juge Boyer était d’avis que le contrat de mandat conclu entre les parties en vue de rédiger les actes de procédure était nul de nullité absolue parce que contraire à l’ordre public. Cependant, la nullité du contrat n’avait pas d’incidence sur le sort des procédures produites devant le tribunal. De plus, il ne saurait être question d’enlever tout droit et recours au justiciable qui consulte une personne non-membre du Barreau. Il affirmait, aux p. 5-6 de son jugement :
Ce principe reconnu [ordre public], le Tribunal estime qu’il faut cependant distinguer en l’espèce entre le contrat de mandat ad litem illégal et le texte de la défense, un fait juridique issu d’une illégalité. On concevrait mal que le Tribunal ne puisse priver de toute efficacité juridique un mandat ad litem qui heurte l’ordre public politique, l’ordre public de direction, c’est-à-dire l’intérêt général. Le Tribunal doit même la soulever d’office en cas d’inaction des parties et empêcher le contrevenant de continuer à occuper.
Le texte de la défense constitue par contre le produit d’une illégalité, soit la préparation d’une procédure. Il s’agit d’un fait qui peut certes mériter une sanction au contrevenant mais qui ne peut être annulé. Le Tribunal, à l’instar de ce que décide l’honorable juge Anthime Bergeron de la Cour Supérieure, estime que le rejet de la défense au dossier aurait pour effet de pénaliser la défenderesse et non de la protéger comme membre du public. L’aspect répressif de la Loi sur le Barreau et le Code des professions vise à sanctionner l’exercice illégal d’une profession et non à châtier la clientèle du contrevenant.
47 En conclusion, je suis donc d’avis que la nullité de la convention visant la rédaction des actes de procédure ne saurait affecter la validité des actes de procédure présentés au tribunal dans le cadre d’un recours en justice. Il s’agit non seulement d’un acte juridique distinct qui appartient au justiciable, mais également la concrétisation du droit de ce justiciable de se représenter seul comme le prévoit le Code de procédure civile en matière d’administration de la justice.
4. L’accessibilité à la justice
48 En terminant, j’ajouterai quelques mots sur l’accessibilité à la justice. Ce principe fort important était au cœur de l’argumentation des intimés devant cette Cour et les cours inférieures. Selon eux, le rejet des actes de procédure au motif qu’ils ont été rédigés avec l’aide du Club juridique porte atteinte à leur droit à l’accessibilité au système de justice. Il ne fait aucun doute que l’art. 61 C.p.c. exprime entre autres la reconnaissance de la situation de certains justiciables qui, trop fortunés pour avoir recours à l’assistance juridique de l’État, ne le sont pas suffisamment pour se payer les services d’un avocat. Le choix de consulter un avocat pour ces personnes n’en est souvent pas un. L’article 61 leur permet de se représenter seuls et de soumettre les actes de procédure nécessaires à l’exercice de leurs droits et recours. Cependant, on ne saurait confondre la reconnaissance de cette réalité avec l’accessibilité à la justice. C’est se méprendre que de croire que le fait de laisser les gens se servir de procédures préparées ou rédigées par des personnes non-membres du Barreau ou radiées de celui-ci à la suite d’une contravention aux normes de la profession et qui prétendent pouvoir offrir des services de qualité, favorise l’accessibilité à la justice au Canada. Bien au contraire, l’exercice de cette liberté par les justiciables peut souvent aller à l’encontre de leurs propres intérêts.
49 En ce sens, on ne saurait trop insister sur le rôle essentiel que l’avocat est appelé à jouer dans notre société. L’avocat est un officier de justice. Par son serment d’office, il affirme solennellement qu’il remplira les devoirs de sa profession avec honnêteté, fidélité et justice et qu’il se conformera aux diverses dispositions législatives qui régissent son exercice et dont j’ai largement fait mention dans la première partie de ces motifs. L’article 2 L.B. consacre cette fonction publique qu’il exerce auprès du tribunal. En vertu de l’art. 2.06 de son Code de déontologie des avocats, il a le devoir de servir la justice et de soutenir l’autorité des tribunaux. Il doit donc s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et préserver l’impartialité et l’indépendance du tribunal. Voir ministère de la Justice du Québec, op. cit., p. 16, « l’avocat », et Association du Barreau canadien, Code de déontologie professionnelle (1988), ch. XIII, « L’avocat et l’administration de la justice », p. 65.
50 Dans l’affaire Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 187-188, le juge McIntyre expliquait ainsi l’importance de cette fonction exercée par les avocats auprès des tribunaux :
Il est incontestable que la profession juridique joue un rôle très important et, en fait, un rôle d’une importance fondamentale dans l’administration de la justice tant en matière criminelle qu’en matière civile. Je n’essaierai pas de répondre à la question que soulèvent les décisions des tribunaux d’instance inférieure et qui consiste à savoir si le rôle de la profession juridique peut être qualifié de judiciaire ou de quasi judiciaire, mais je soulignerai qu’en l’absence d’une profession juridique indépendante, possédant l’expérience et les compétences nécessaires à l’exercice de son rôle dans l’administration de la justice et le processus judiciaire, le système juridique en entier serait dans un état précaire. Dans l’exercice de ce que l’on pourrait appeler ses fonctions de nature privée, c’est-à-dire, en jouant le rôle de conseiller juridique et de représentant de clients devant les tribunaux judiciaires et autres, l’avocat se voit conférer de vastes pouvoirs non consentis aux membres d’autres professions libérales. [...] Peu importe la norme qu’on applique, ces pouvoirs et fonctions sont essentiels au maintien de l’ordre dans notre société et à l’application régulière de la loi dans l’intérêt de toute la collectivité.
51 Dans l’imaginaire collectif, l’avocat incarne donc d’abord et avant tout ce plaideur qui défend les droits de son client dans le cadre d’un procès. Il symbolise la défense de la liberté et est le détenteur des secrets du droit et de la procédure qui lui permettent d’obtenir gain de cause. Cette fonction dite judiciaire représente certes une partie du travail de certains avocats, mais elle est loin d’être la seule ou la plus importante. En fait, le judiciaire n’est, en quelque sorte, qu’un « accident du juridique ». Cet aspect de la fonction d’avocat, public et plus flamboyant, a simplement occulté sa fonction juridique première : J.-C. Woog, Pratique professionnelle de l’avocat (3e éd. 1993), p. 8.
52 Dans un ouvrage regroupant différents points de vue sur la déontologie professionnelle de la profession juridique, des auteurs suggèrent une conception morale et plus globale de l’avocat dit responsable (« responsible lawyer »). Suivant cette approche, au-delà du rôle d’adversaire que l’on a pu attribuer à l’avocat, celui-ci est une personne qui remplit différentes fonctions de conseiller dans le meilleur intérêt de son client, de sa profession et de l’administration de la justice en général : D. E. Buckingham, J. E. Bickenbach, R. Bronaugh et l’honorable Bertha Wilson, Legal Ethics in Canada — Theory and Practice (1996), préfacé par l’honorable Frank Iacobucci. Aux pages 97 et 143, ils s’expriment ainsi :
[traduction] La culture populaire contribue largement à l’image selon laquelle le travail d’avocat se fait dans la salle d’audience, en particulier devant les tribunaux criminels. [. . .] Ce genre de confrontation où chacune des parties est représentée par un avocat d’expérience qui plaide sa cause est typique de ce que l’on appelle souvent le système accusatoire . . .
. . .
[Nous devrions] élargir le paradigme traditionnel de manière à y englober le plein sens moral de ce que signifie être avocat et une personne. [. . .] Le « rôle » de l’avocat comporte en fait de nombreuses facettes, plusieurs sur le plan professionnel et plusieurs sur le plan personnel . . .
Tout avocat assume plusieurs rôles à titre personnel, en plus d’être avocat. Ainsi, nous sommes à un moment donné de notre vie enfant, conjoint, père ou mère, ami, dirigeant et citoyen. Par ailleurs, en tant qu’avocat ce rôle professionnel fait souvent de nous au cours d’une même journée conseiller, plaideur, lobbyiste, négociateur, employeur ou employé ou associé.
53 Ainsi, contrairement à la croyance populaire, le bon avocat, loin d’accentuer et d’exacerber les différends entre les parties, tentera de rapprocher les intérêts opposés afin d’éviter l’affrontement ultime que constitue le procès. Il sera appelé à jouer un rôle de modérateur, de négociateur et de conciliateur. Il est d’ailleurs de son devoir de faciliter la solution rapide des litiges et de ne pas intenter de recours inutiles ou frivoles : art. 2.02, 2.05 et 3.02.11 du Code de déontologie des avocats et Association du Barreau canadien, op. cit., ch. IX, « L’avocat en tant que tel », p. 39. Ainsi, à chaque fois que la situation s’y prête, l’avocat doit envisager avec son client les modes alternatifs de règlement des litiges (médiation, conciliation et arbitrage) et il doit l’informer adéquatement des avantages à procéder à l’amiable. Il pourra également discuter avec la partie adverse et négocier un règlement au différend qui les oppose : Barreau du Québec, Collection de droit 1999-2000, vol. 1, Barreau et pratique professionnelle, ch. X, « Les devoirs envers l’administration de la justice », par Me P.-G. Guimont, p. 97-110. Voir aussi P. B. Heymann et L. Liebman, The Social Responsibilities of Lawyers: Case Studies (1988); G. MacKenzie, Lawyers and Ethics: Professional Responsibility and Discipline (feuilles mobiles), vol. 1.
54 Ainsi, s’il est éminemment louable de favoriser l’accessibilité à la justice et s’il est vrai que d’offrir aux justiciables la possibilité de se représenter seuls et de présenter les actes de procédure qu’ils jugent appropriés constitue la reconnaissance du libre arbitre des justiciables et, dans une certaine mesure, une piste de solution, on ne saurait affirmer qu’il s’agit d’une fin en soi. À chaque jour, les tribunaux à travers le Canada contribuent dans une certaine mesure à rendre la justice plus accessible. Par exemple, ils assurent la mise en œuvre de garanties constitutionnelles, dont le droit à l’assistance d’un interprète et le droit d’employer la langue officielle de son choix dans les procédures intentées devant eux. Les greffiers et greffières des cours fournissent également une aide technique précieuse aux justiciables et les juges encadrent et guident les personnes non représentées par des avocats dans l’exercice de leurs droits. Cependant, ils ne sauraient en aucune façon remplacer l’avocat. Celui-ci, en tant qu’officier de justice, joue un rôle essentiel dans notre système de justice, au niveau de la représentation des droits des justiciables devant les tribunaux, mais également à l’étape préalable de règlement à l’amiable des litiges. Aussi serait-il souhaitable que tous les justiciables puissent y avoir recours peu importe leur situation financière.
VI. Dispositif
55 Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté, l’appelant étant condamné à rembourser aux intimés leurs déboursés devant toutes les cours.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelant : Flynn, Rivard, Montréal.
Procureurs du mis en cause Chrétien : Warren & Ouellet, Thedford-Mines.