LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 janvier 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 83 F-B
Pourvoi n° N 20-16.490
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 9 mars 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023
Mme [L] [C], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 20-16.490 contre l'arrêt rendu le 12 février 2020 par la cour d'appel de Toulouse (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Milleis vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Barclays vie,
2°/ à la société Milleis banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée société Barclays France, venant aux droit de la société Barclays bank Plc,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [C], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Milleis vie, anciennement dénommée société Barclays vie, et la société Milleis banque, anciennement dénommée société Barclays France, venant aux droits de la société Barclays bank Plc, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 12 février 2020) et les productions, Mme [C] a souscrit, le 23 janvier 2007, un contrat d'assurance-vie auprès de la société Barclays vie sur lequel elle a versé une somme de 50 000 euros, avant déduction des frais d'entrée, qui a été intégralement investie sur un support en unités de compte dénommé « Barclays absolu court terme ». Le 21 octobre 2014, après avoir indiqué qu'elle croyait garanti le montant du capital investi, Mme [C] a demandé le rachat de ce contrat dont la valeur s'élevait, avant déduction des frais d'arbitrage, à la somme de 39 139,11 euros.
2. Les 29 avril et 6 mai 2015, Mme [C] a assigné la société Barclays vie, actuellement dénommée Milleis vie, et la société Barclays France, devant un tribunal de grande instance afin d'obtenir leur condamnation, notamment, à réparer ses préjudices matériel et moral résultant d'un manquement de la société Barclays vie à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde.
3. La société Barclays bank Plc, société de droit anglais, aux droits de laquelle se trouve la société Milleis banque, anciennement dénommée Barclays France, est intervenue volontairement à l'instance.
4. L'assureur a invoqué la prescription de l'action de Mme [C].
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [C] fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable comme prescrite, alors « que la seule production par l'assureur de la copie de lettres d'information ne suffit pas à justifier de leur envoi au souscripteur d'une assurance sur la vie dont le capital, investi en unités de compte, encourt un risque d'érosion, de sorte qu'elle ne suffit pas davantage à justifier de la connaissance qu'aurait eue l'assuré de la manifestation du dommage, consistant en l'érosion de son capital, causé par un manquement de l'assureur à son obligation d'information et de conseil ; qu'en retenant au contraire, pour en déduire que le délai de prescription de l'action en responsabilité engagée par Mme [C] au titre d'un manquement de l'assureur à son obligation d'information et de conseil avait commencé de courir à compter de la lettre en date du 16 février 2009, par laquelle l'assureur avait porté à la connaissance de l'assurée des informations dont cette dernière aurait supposément dû comprendre que le dommage pris d'un risque d'érosion de son capital s'était manifesté, que la règle selon laquelle la seule production de la copie de lettres d'information ne suffisait pas à justifier de leur envoi n'était pas applicable, quand elle l'était pourtant, la cour d'appel a violé l'article L. 132-22 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et l'article L. 132-22 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-617 du 13 juin 2014 :
6. Il résulte du premier de ces textes que les actions mobilières se prescrivent par cinq ans à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
7. Selon le second, pour les contrats dont la provision mathématique est supérieure ou égale à un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie, l'assureur communique chaque année à son cocontractant la valeur de rachat du contrat.
8. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée par Mme [C] contre les sociétés Milleis vie et Milleis banque, après avoir énoncé que lorsqu'un manquement à une obligation précontractuelle est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, le point de départ de l'action est fixé à la date de la réalisation du dommage ou à la date à laquelle il s'est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle a pu légitimement l'ignorer, l'arrêt constate qu'il ressort des relevés de situation produits aux débats, conformes aux prescriptions des articles L. 132-22, R. 132-5-4 et A. 132-7 du code des assurances alors applicables, adressés à l'adresse de Mme [C] les 4 mars 2008 et 16 février 2009, qu'à cette date, la valorisation du contrat qu'elle avait souscrit révélait une perte de 6 098,61 euros par rapport à l'année précédente.
9. Il ajoute que si Mme [C] estimait avoir été mal informée sur la nature du placement souscrit, elle ne pouvait prétendre, après cette information annuelle, avoir légitimement ignoré l'évolution défavorable de ce placement investi sur des supports en unités de compte et le risque d'érosion de son capital et en déduit que, plus de cinq ans s'étant écoulés depuis cette information annuelle, son action était prescrite à la date des assignations délivrées les 29 avril et 6 mai 2015.
10. En statuant ainsi, alors que la seule production par l'assureur, sur lequel pèse la charge de la preuve du point de départ du délai de prescription qu'il invoque, de la copie de la lettre d'information annuelle, ne suffit pas à justifier de son envoi au souscripteur d'une assurance sur la vie qui conteste l'avoir reçue, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.
Condamne les sociétés Milleis vie et Milleis banque aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Milleis vie et Milleis banque à payer à la société Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocats, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour Mme [C]
Madame [C] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré son action irrecevable comme prescrite ;
Alors que la seule production par l'assureur de la copie de lettres d'information ne suffit pas à justifier de leur envoi au souscripteur d'une assurance sur la vie dont le capital, investi en unités de compte, encourt un risque d'érosion, de sorte qu'elle ne suffit pas davantage à justifier de la connaissance qu'aurait eue l'assuré de la manifestation du dommage, consistant en l'érosion de son capital, causé par un manquement de l'assureur à son obligation d'information et de conseil ; qu'en retenant au contraire, pour en déduire que le délai de prescription de l'action en responsabilité engagée par madame [C] au titre d'un manquement de l'assureur à son obligation d'information et de conseil avait commencé de courir à compter de la lettre en date du 16 février 2009, par laquelle l'assureur avait porté à la connaissance de l'assurée des informations dont cette dernière aurait supposément dû comprendre que le dommage pris d'un risque d'érosion de son capital s'était manifesté (arrêt, p. 6, § 1er et § 9), que la règle selon laquelle la seule production de la copie de lettres d'information ne suffisait pas à justifier de leur envoi n'était pas applicable (arrêt, p. 6, § 8), quand elle l'était pourtant, la cour d'appel a violé l'article L. 132-22 du code des assurances.