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22/09/2020 | FRANCE | N°19DA01636,19DA01702

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 22 septembre 2020, 19DA01636,19DA01702


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier d'Armentières à l'indemniser des préjudices constitutifs à sa prise en charge médicale dans cet établissement par suite d'un accident de trajet survenu le 7 mai 2007. Appelée en la cause, la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres a demandé la condamnation du centre hospitalier d'Armentières à lui verser la somme de 93 809,33 euros au titre des débours exposés pour la prise en charge de M. A..., assorti

e des intérêts au taux légal à compter de sa demande avec capitalisation et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier d'Armentières à l'indemniser des préjudices constitutifs à sa prise en charge médicale dans cet établissement par suite d'un accident de trajet survenu le 7 mai 2007. Appelée en la cause, la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres a demandé la condamnation du centre hospitalier d'Armentières à lui verser la somme de 93 809,33 euros au titre des débours exposés pour la prise en charge de M. A..., assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande avec capitalisation et 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un jugement n° 1602174 du 22 mai 2019, le tribunal administratif de Lille a fait partiellement droit à la demande de M. A... et a condamné le centre hospitalier d'Armentières, d'une part, à lui verser une somme de 158 185 euros, d'autre part, à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres la somme 28 657,74 euros exposée au titre de ses débours, les frais futurs de santé sur présentation des justificatifs à la fin de chaque année échue, dans la limite de 61,76 euros, ces sommes étant augmentées des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2016 avec capitalisation à chaque échéance annuelle ultérieure, et à verser une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres, représentée par Me C... G..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation de ses débours au titre de la rente accident du travail à la somme de 5 624,29 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Armentières à lui verser la somme de 16 000 euros au titre de la rente accident du travail, assortie des intérêts à taux légal à compter du 6 juin 2016, avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Armentières le versement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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II. Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 juillet 2019, le 2 septembre 2019 et le 15 novembre 2019, le centre hospitalier d'Armentières, représenté par Me D... H..., demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter toutes les demandes de M. A... ou de la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres.

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Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... E..., première conseillère,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 19DA01636 et n° 19DA01702 sont dirigées contre le même jugement et posent des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. A... a été victime, le 7 mai 2007, d'un accident de travail, en chutant de son vélo sur le trajet de son lieu de travail. Cette chute a provoqué un traumatisme au niveau de la cheville gauche. Admis le jour même au service des urgences du centre hospitalier d'Armentières, M. A... a été pris en charge en chirurgie orthopédique, le diagnostic posé étant celui d'une fracture malléolaire de la cheville gauche, déplacée avec luxation tibio-astragalienne. Il y a été pratiqué, sous rachianesthésie, une intervention pour réduction à foyer ouvert et stabilisation des fragments par ostéosynthèse comportant un vissage en rappel du troisième fragment et fixation de la malléole médiale par deux broches. A sa sortie de l'hôpital, le 11 mai suivant, M. A... a eu sa cheville immobilisée dans une botte en résine refendue de principe. Mais, dès le 21 septembre 2007, la présence d'une algoneurodystrophie a été évoquée. Après l'ablation du matériel effectuée le 5 février 2008 en hospitalisation de jour, des douleurs sous malléolaires internes ont persisté ainsi que le cal vicieux. Le diagnostic d'algoneurodystrophie a été confirmé par un examen par scintigraphie réalisé le 17 juin 2008 et une arthrose post-traumatique a été mise en évidence par un arthroscanner effectué le 23 octobre 2009. Un traitement par infiltration de cortisone puis d'acide hyaluronique, administré au centre hospitalier régional universitaire de Lille à compter du mois de janvier 2010, associé au port de semelles adaptées, a permis d'obtenir une amélioration des douleurs au repos. M. A... continuant cependant à présenter une raideur douloureuse avec une boiterie à la marche a saisi, le 17 mars 2010, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux du Nord-Pas-de-Calais qui, après un rapport d'expertise du 6 juillet 2010 établi par le professeur Schernberg, a émis un avis favorable à une indemnisation sur la base d'une perte de chance d'éviter le dommage due à l'absence de réduction et d'ostéosynthèse et de prise en compte en post-opératoire de la fracture fibulaire, évaluée à 60 %. Après avoir refusé l'offre d'indemnisation amiable émise par la société hospitalière d'assurances mutuelles, M. A... a saisi le tribunal administratif de Lille qui, par jugement du 22 mai 2019, a condamné le centre hospitalier d'Armentières à lui verser la somme de 158 185 euros, et à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres la somme 28 657,74 euros au titre de ses débours, outre les frais futurs de santé exposés sur présentation des justificatifs à la fin de chaque année échue, dans la limite de 61,76 euros, ces sommes étant augmentées des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2016 avec capitalisation à chaque échéance annuelle ultérieure ainsi que la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. La caisse primaire d'assurance maladie de Flandres, estimant que la somme qui lui a été allouée au titre de la rente accident du travail est insuffisante, et le centre hospitalier d'Armentières, estimant que le taux de perte de chance appliqué au préjudice indemnisable est excessif et que la perte de gains professionnels futurs n'est pas en lien avec la faute retenue par les premiers juges, relèvent appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

3. Le moyen tiré par le centre hospitalier d'Armentières de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé, qui n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier la portée, doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la responsabilité du centre hospitalier d'Armentières :

En ce qui concerne l'existence d'une faute :

4. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 2 et 3 du jugement attaqué, d'ailleurs non contestés par les parties, de juger que la responsabilité du centre hospitalier d'Armentières est engagée sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, le défaut de réduction de la fracture fibulaire constituant une faute médicale.

En ce qui concerne la perte de chance :

5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et ainsi que l'ont estimé les premiers juges que, eu égard au caractère complexe et instable de la fracture tri-malléolaire présentée par M. A..., la réduction de la fracture fibulaire aurait laissé persister, même en cas de traitement conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science, des douleurs et une impotence fonctionnelle résiduelle au niveau de la cheville. C'est par suite à bon droit que les premiers juges ont estimé que la faute commise par le centre hospitalier d'Armentières avait seulement fait perdre à M. A... une chance d'éviter ce dommage. L'expert désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux du Nord-Pas-de-Calais évalue à 90 % la chance perdue d'échapper aux complications qui ont suivi cette faute médicale en faisant valoir la gravité et la complexité de la lésion initiale. Pour contester le taux de 80 % retenu par les premiers juges, le centre hospitalier d'Armentières produit, pour la première fois en appel, un rapport critique rédigé par le docteur Benfrech, selon lequel, d'une part, les fractures tri malléolaires de la cheville ont des pronostics variables en fonction des lésions articulaires initiales, d'autre part, une arthrodèse tibia-talienne pourrait être pratiquée, avec un taux de résultats positifs s'élevant à 69 %, ce que l'intéressé refuse, et, enfin, la réduction et la fixation de la fracture fibulaire auraient pu exposer l'intéressé à des complications infectieuses et cutanées dont les conséquences fonctionnelles sont parfois graves. Ce faisant, alors, d'une part, que l'expert diligenté par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux du Nord-Pas-de-Calais a pris en compte l'état antérieur de M. A... dans l'appréciation du taux de perte de chance, d'autre part, que la circonstance, à la supposer établie, que M. A... refuserait de se soumettre à une nouvelle intervention chirurgicale, ce qui ne saurait en tout état cause lui être imposé, est sans incidence la détermination de ce taux et, enfin, que les complications infectieuses et cutanées encourues ne sauraient, à elles seules et à défaut de toute précision complémentaire, exonérer le centre hospitalier de la faute qu'il a commise en s'abstenant de procéder à la réduction et à la fixation de la fracture tibulaire, le centre hospitalier d'Armentières n'apporte pas les éléments suffisant de nature à remettre en cause le taux de perte de chance de 80 % retenu par les premiers juges, qu'il y a par suite lieu de confirmer, eu égard notamment à l'état antérieur du patient, à la complexité et de la gravité de la lésion initiale.

Sur les préjudices :

7. Il résulte de l'instruction que si M. A... est atteint d'un déficit fonctionnel permanent de 15 % imputable à hauteur de 80 % à la faute du centre hospitalier, a été déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre son poste, et s'est vu allouer une rente et un capital accident du travail par la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres, il n'en est pas pour autant définitivement inapte à l'exercice de toute activité professionnelle. Le rapport d'expertise relève ainsi que l'intéressé " peut envisager la reprise à un poste adapté pouvant justifier une formation " et que, s'il est " inapte à poursuivre l'activité professionnelle exercée au moment du dommage ", il est en revanche " apte à une autre activité ". Cette aptitude à l'exercice d'une activité professionnelle autre quelle celle exercée au jour de l'accident a également été reconnue par l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux du Nord-Pas-de-Calais. Dans ces conditions, le centre hospitalier d'Armentières est fondé à soutenir qu'aucune indemnisation au titre de la perte de gains professionnels futurs n'est due à M. A..., le préjudice invoqué présentant un caractère incertain. Par suite, il y a lieu de réformer le jugement en tant qu'il alloue à M. A... la somme de 134 731,77 euros à ce titre.

8. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier d'Armentières est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges l'ont condamné à verser à M. A... une somme de 134 731,77 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs. Il y a par suite lieu de ramener la somme de 158 185 euros accordée à M. A... à la somme de 23 453 euros.

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres :

9. Eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours subrogatoire exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une rente d'accident du travail ne saurait, pour l'application des règles résultant de l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue du IV de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, s'exercer que sur ces deux postes de préjudice. En particulier, une telle rente ne saurait être imputée sur un poste de préjudice personnel. La caisse primaire d'assurance maladie de Flandres n'est donc pas fondée à soutenir que la rente et le capital accident du travail doivent être imputés sur le poste de déficit fonctionnel permanent subi par M. A... et n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges les ont imputés sur la seule perte de gains professionnels futurs.

10. Il résulte de ce qui précède que la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont limité à 5 624,29 euros la somme que le centre hospitalier d'Armentières a été condamné à lui verser au titre de la rente accident du travail.

11. En l'absence de condamnation à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres une indemnité supplémentaire réparant un poste de préjudice, l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale fait obstacle à ce que le centre hospitalier d'Armentières verse à l'organisme de sécurité sociale l'indemnité forfaitaire de gestion qu'il réclame en appel.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Le centre hospitalier d'Armentières n'étant pas partie perdante, les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à son encontre ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu de faire droit non plus à celles de M. A... présentées contre la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête enregistrée sous le n° 19DA01636 et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres présentées dans la requête enregistrée sous le n° 19DA01702 sont rejetées.

Article 2 : La somme de 158 185 euros que le centre hospitalier d'Armentières a été condamné à verser à M. A... par le jugement du tribunal administratif de Lille du 22 mai 2019 est ramenée à la somme de 23 453 euros.

Article 3 : Le jugement n° 1602174 du 22 mai 2019 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les conclusions de M. A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres, au centre hospitalier d'Armentières et à M. F... A....

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N°19DA01636,19DA01702


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01636,19DA01702
Date de la décision : 22/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Préjudice matériel - Perte de revenus.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Droits des caisses de sécurité sociale - Imputation des droits à remboursement de la caisse.


Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: Mme Anne Khater
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : CABINET LE PRADO - GILBERT ; CABINET LE PRADO - GILBERT ; CABINET LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-09-22;19da01636.19da01702 ?
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