LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 octobre 2020
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 620 FS-P+B+I
Pourvoi n° P 19-18.971
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 OCTOBRE 2020
1°/ M. B... I..., domicilié [...] ,
2°/ l'union départementale des associations familiales (UDAF) des Hautes-Pyrénées, dont le siège est [...] , agissant en qualité de curateur de M. I...,
ont formé le pourvoi n° P 19-18.971 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2018 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige les opposant à la société BNP Paribas Personal Finance, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. I... et de l'union départementale des associations familiales des Hautes-Pyrénées, ès qualités, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société BNP Paribas Personal Finance, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Girardet, Mme Teiller, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mme Kerner-Menay, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, M. Serrier, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 29 novembre 2018), suivant acte du 5 février 2013, la société Cetelem, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas Personal Finance (la banque), a consenti à M. I... (l'emprunteur) un crédit à la consommation.
2. A la suite d'échéances demeurées impayées et du placement sous curatelle de l'emprunteur, prononcé par jugement du 18 février 2015, la banque l'a, par actes des 8 et 9 juin suivants, assigné ainsi que l'UDAF des Hautes-Pyrénées, prise en qualité de curateur (le curateur), en paiement du solde du prêt. L'emprunteur a notamment demandé que la banque soit déchue de son droit aux intérêts, en l'absence de remise du bordereau de rétractation prévu à l'article L. 311-12 du code de la consommation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. L'emprunteur et l'UDAF, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts et de condamner le premier au paiement d'une certaine somme à la banque, alors « qu'il appartient au prêteur de rapporter la preuve qu'il a remis à l'emprunteur le formulaire de rétractation détachable visé par l'article L. 311-12 du code de la consommation ; que, si l'existence d'une clause au sein de l'offre de prêt aux termes de laquelle l'emprunteur reconnaît avoir reçu le formulaire de rétractation peut être considérée comme un indice, il appartient à l'emprunteur d'établir d'autres éléments à l'effet de prouver la remise effective du bordereau de rétractation ; qu'en décidant que le seul fait que l'emprunteur ait reconnu, à travers une clause de l'offre de prêt, la remise du bordereau permettait de présumer la réalité de la remise du bordereau sans constater l'existence d'autres éléments de nature à corroborer la réalité de l'exécution de son obligation par l'emprunteur, la cour d'appel a violé les articles L. 311-12 et L. 311-48 du code de la consommation, pris en leur rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 311-12 et L. 311-48 du code de la consommation, dans leurs rédactions antérieures à celles issues de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
5. Il résulte de ces textes que, pour permettre à l'emprunteur d'exercer son droit de rétractation, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit et que le prêteur qui accorde un crédit sans remettre à l'emprunteur un contrat comportant un tel formulaire est déchu du droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
6. Ces dispositions sont issues de la transposition par la France de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE.
7. Par arrêt du 18 décembre 2014 (CA Consumer Finance, C-449/13), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions de la directive précitée doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à ce qu'en raison d'une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l'exécution desdites obligations de nature à compromettre l'effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48 (point 32).
8. L'arrêt de la Cour précise qu'une clause type figurant dans un contrat de crédit ne compromet pas l'effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48 si, en vertu du droit national, elle implique seulement que le consommateur atteste de la remise qui lui a été faite de la fiche d'information européenne normalisée (point 29). Il ajoute qu'une telle clause constitue un indice qu'il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents et que le consommateur doit toujours être en mesure de faire valoir qu'il n'a pas été destinataire de cette fiche ou que celle-ci ne permettait pas au prêteur de satisfaire aux obligations d'informations précontractuelles lui incombant (point 30). Selon le même arrêt, si une telle clause type emportait, en vertu du droit national, la reconnaissance par le consommateur de la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, elle entraînerait un renversement de la charge de la preuve de l'exécution desdites obligations de nature à compromettre l'effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48 (point 31).
9. Il s'ensuit qu'il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu'il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu'a précédemment jugé la Cour de cassation (1re Civ., 16 janvier 2013, pourvoi n° 12-14.122, Bull. 2013, I, n° 7), la signature par l'emprunteur de l'offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.
10. Pour rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par l'emprunteur, l'arrêt énonce que la reconnaissance écrite par celui-ci, dans le corps de l'offre préalable, de la remise d'un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer sa remise effective et que l'emprunteur n'apporte pas la preuve de l'absence de remise du bordereau de rétractation par le prêteur ou à défaut de son caractère irrégulier.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. I... à payer à la société BNP Personal Finance la somme de 23 687,71 euros à titre principal avec intérêts au taux contractuel de 6,69 % à compter du 18 février 2015, l'arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société BNP Personal Finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. I... et l'union départementale des associations familiales des Hautes-Pyrénées, ès qualités.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté les demandes de M. I... visant à ce que soit constaté la nullité du contrat de prêt ;
AUX MOTIFS QU'« En premier lieu, Monsieur B... I... et son curateur, l'UDAF des Hautes- Pyrénées, invoquent la nullité du prêt sur le fondement de l'article 414-1 du code civil qui dispose que "pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit" et que "c'est à ceux qui agissent en nullité de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte". Le premier juge a parfaitement caractérisé l'impossibilité, en l'état des pièces produites et notamment du certificat médical du 15 novembre 2013, de retenir l'existence d'un trouble mental plusieurs mois auparavant en février 2013, de nature à justifier l'annulation de cet acte de prêt. Par conséquent, après examen des pièces produites aux débats et en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour retient que le tribunal, par des motifs précis et pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties sur ce point. En second lieu, Monsieur B... I... invoque l'existence d'un vice du consentement par manoeuvres dolosives. Cependant, l'appelant se contente de procéder par voie d'affirmation sans rapporter la démonstration positive de manoeuvres exercées par la banque pour tromper son consentement et lui faire souscrire un engagement dont il ne voulait pas. La demande de nullité reposant sur ce fondement sera rejetée ainsi que la demande de dommages et intérêts, aucune manoeuvre dolosive n'ayant été démontrée à l'encontre de la Sa BNP Personal Finance qui a accordé un prêt classique et non affecté. Enfin, Monsieur B... I... et l'UDAF des Hautes-Pyrénées soutiennent que le premier juge devait faire application de l'article 464 du code civil in fine en raison du préjudice subi par Monsieur B... I.... La Sa BNP Personal Finance s'oppose à cette demande considérant que le certificat médical produit n'est pas suffisamment probant et qu'elle n'avait pas les moyens de déceler l'altération à venir des capacités personnelles de Monsieur B... I.... Il résulte des dispositions de l'article 464 du code civil que "les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts par suite de l'altération de ses facultés personnelles était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés. Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s'il est justifié d'un préjudice subi par la personne protégée". En l'occurrence, le financement accordé avait bien une contrepartie réelle puisqu'il est démontré et non contesté que les fonds ont été versés en février 2013 sur le compte personnel de Monsieur B... I... et ont servi au moins pour partie à l'installation de volets neufs, À aucun moment, Monsieur B... I... n'a prétendu que l'installation ne lui aurait pas donné satisfaction ou que les prestations n'auraient pas été exécutées. La démonstration d'un préjudice n'est donc pas faite. Dans ces conditions, la nullité ne peut être encourue sur ce fondement. Il ressort par ailleurs des pièces produites que Monsieur B... I... a été placé sous curatelle renforcée par décision du II .mars 2014 au regard d'un certificat médical établi par le Docteur S... le 15 novembre 2013 qui, après avoir retenu que l'intéressé ne présente pas au jour de l'examen les éléments cliniques en faveur d'une pathologie démentielle ou psychiatrique, considère qu'il est mis en évidence une certaine fragilité, une lenteur d'idéation avec manque de discernement (oenolisme chronique) expliquant ses difficultés financières Cependant, outre que ce certificat n'est pas suffisant pour établir qu'à la daté de conclusion du contrat de crédit, l'altération de ses facultés personnelles était apparentes et de nature à limiter ses capacités de sauvegarde de ses intérêts, il n'est pas non plus établi que la banque était en mesure de connaître son état de vulnérabilité. En effet, le prêt a été accordé sous forme de crédit classique à Monsieur B... I..., les fonds ont été versés sur son compte personnel et l'organisme de crédit n'avait aucune connaissance du contexte de F octroi de ce crédit et en particulier du démarchage agressif commis par les employés de huis clos qui ont conduit Monsieur B... I... a signé successivement plusieurs bons de commande. L'examen de l'offre de crédit ne permet pas d'avantage de considérer que les commerciaux de la société huis clos ont agi en qualité de mandataires de la Sa BNP Personal Finance. C'est donc à tort que le premier juge a considéré que l'altération des facultés personnelles de Monsieur B... I... justifiait de réduire de moitié l'obligation contractée à l'égard delà Sa BNP Personal Finance » ;
ALORS QUE, premièrement, si le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges, constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ; qu'en excluant tout dol de la BNP PARIBAS en retenant que la preuve de manoeuvre n'était pas rapportée, quand elle devait rechercher, comme l'y invitait M. I..., si la BNP PARIBAS n'avait intentionnellement dissimulé des informations qui auraient pu être déterminantes du consentement de M. I..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 (devenu 1137) du code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, un crédit doit être qualifié d'affecté dès lors que il sert exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ; qu'en relevant, pour écarter l'existence d'un dol, que la Banque avait accordé un prêt classique et non affecté, sans rechercher si le crédit n'avait pas servi exclusivement au financement des portes et des volets faisant l'objet des contrats conclus avec la société HUIT CLOS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 311-1 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause, et de l'article 1116 (devenu 1137) du code civil ;
ALORS QUE, troisièmement, que les circonstances que le prêt a été accordé sous forme de crédit classique et que les fonds ont été versés sur le compte personnel de M. I... ne sont pas de nature à écarter le caractère affecté du crédit consenti ; qu'en opposant ces circonstances inopérantes pour écarter le caractère affecté du crédit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 311-1 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté la demande de M. I... visan à ce que la banque soit déchue de son droit à intérêt ;
AUX MOTIFS QUE « Monsieur B... I... et l'UDAF des Hautes-Pyrénées invoquent le non-respect des dispositions de l'article L.311-12 du code de la consommation pour justifier la déchéance du droit aux intérêts. En vertu de ce texte, le consommateur peut dans un délai de 14 jours exercer son droit de rétractation en utilisant le formulaire détachable de rétractation joint à son exemplaire du contrat de crédit. La reconnaissance écrite, par l'emprunteur, dans le corps de l'offre préalable, de la remise d'un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer la remise effective de celui-ci. Aucun texte n'impose que ce formulaire figure également sur l'exemplaire conservé par le prêteur. En l'espèce, sur la page 4 de l'offre préalable et immédiatement avant la signature de l'emprunteur, figure la mention suivante "je reconnais rester en possession d'un exemplaire de cette offre doté d'un formulaire détachable de rétractation et de la notice d'information d'assurance". Dès lors que Monsieur B... I... a souscrit une telle reconnaissance et qu'il n'apporte pas la preuve de l'absence de remise du bordereau ou, à défaut, de son caractère irrégulier, il ne peut se prévaloir de la déchéance du droit aux intérêts du prêteur » ;
ALORS QU'il appartient au prêteur de rapporter la preuve qu'il a remis à l'emprunteur le formulaire de rétractation détachable visé par l'article L. 311-12 du code de la consommation ; que, si l'existence d'une clause au sein de l'offre de prêt aux termes de laquelle l'emprunteur reconnait avoir reçu le formulaire de rétractation peut être considérée comme un indice, il appartient à l'emprunteur d'établir d'autres éléments à l'effet de prouver la remise effective du bordereau de rétractation ; qu'en décidant que le seul fait que M. I... ait reconnu, à travers une clause de l'offre de prêt, la remise du bordereau permettait de présumer la réalité de la remise du bordereau sans constater l'existence d'autres éléments de nature à corroborer la réalité de l'exécution de son obligation par l'emprunteur, la cour d'appel a violé les articles L. 311-12 et L. 311-48 du code de la consommation, pris en leur rédaction applicable à la cause.