Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, de condamner l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez à lui verser la somme de 207 801,95 euros toutes taxes comprises en règlement des consommations d'énergie impayées au titre des exercices 2012 à 2014, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date des mises en demeure de payer adressées à l'association ou, à titre subsidiaire, de désigner un expert en vue d'évaluer le montant de ces consommations.
Par un jugement n° 1507269 du 22 novembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 19 janvier 2018, le 19 juillet 2018 et le 5 septembre 2018, la société EDF, représentée par Me I..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) à titre principal, de condamner l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez à lui verser la somme de 207 801,95 euros toutes taxes comprises ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert en vue de déterminer la quantité d'énergie consommée sur les sept points de livraison de l'association et les montants financiers correspondants durant les exercices 2012, 2013 et 2014 ;
4°) à défaut, de condamner l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez à lui verser la somme de 183 732,03 euros toutes taxes comprises ;
5°) de mettre à la charge de l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la clause de l'article 4 de la convention du 24 janvier 1972 doit être interprétée comme instaurant, pour déterminer le droit de l'association à la fourniture d'électricité gratuite, un plafond de consommation de quatre millions de kWh et un plafond de puissance de 1 000 kW ;
- son préjudice étant certain dans son principe, le tribunal aurait dû désigner un expert afin d'en déterminer le montant.
Par des mémoires en défense enregistrés le 7 mai 2018 et le 8 août 2018, l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société EDF en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a signifié à la société EDF les montants dont elle s'estimait redevable par des décisions des 6 juin 2012, 8 juin 2012, 16 janvier 2013, 27 mai 2013, 3 décembre 2013, 6 janvier 2014 et 18 novembre 2014 et la requérante n'a pas contesté ces décisions dans le délai de recours contentieux, ainsi que, s'agissant de la décision du 6 janvier 2014, dans le délai raisonnable d'un an, de telle sorte que la demande de la société EDF devant le tribunal était irrecevable ;
- les moyens soulevés par la société EDF ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 16 octobre 2020.
Un mémoire présenté par l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez et enregistré le 16 octobre 2020 n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 55-178 du 2 février 1955 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G... Grimaud, rapporteur ;
- les conclusions de M. D... Thielé, rapporteur public ;
- et les observations de Me C..., représentant la société EDF et de Me B..., substituant Me A..., représentant l'association syndicale autorisée du Canal de Ventavon-Saint-Tropez.
Considérant ce qui suit :
1. L'association syndicale autorisée du Canal de Ventavon-Saint-Tropez a conclu avec Electricité de France, le 24 janvier 1972, une convention relative au rétablissement du réseau d'irrigation de l'association syndicale à la suite de son interception par les ouvrages installés par EDF sur la chute de Sisteron. L'article 4 de cette convention prévoyait, dans certaines limites, une obligation de fourniture gratuite d'énergie par EDF au bénéfice de l'association. Le 25 avril 2012, la société EDF, venant aux droits de l'établissement public EDF, a indiqué à l'association qu'ayant identifié une anomalie de tarification, elle entendait facturer un surcroît de consommation qui n'avait, jusqu'à ce moment, pas été facturé. En dépit d'échanges intervenus entre 2012 et 2014 entre les parties, celles-ci ne sont pas parvenues à s'accorder sur l'interprétation de l'article 4 de la convention du 24 janvier 1972 et l'association syndicale autorisée du Canal de Ventavon-Saint-Tropez n'a pas réglé le montant de 207 801,95 euros hors taxes réclamé par la société EDF à ce titre.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le juge qui reconnaît la responsabilité de l'administration et ne met pas en doute l'existence d'un préjudice ne peut, sans méconnaître son office et entacher ainsi sa décision d'irrégularité, rejeter les conclusions indemnitaires dont il est saisi en se bornant à relever que les modalités d'évaluation du préjudice proposées par la victime ne permettent pas d'en établir l'importance et de fixer le montant de l'indemnisation. Il lui appartient d'apprécier lui-même le montant de ce préjudice, en faisant usage, le cas échéant, de ses pouvoirs d'instruction.
3. En l'espèce, si le jugement mentionne l'impossibilité d'évaluer le montant du préjudice invoqué par la société EDF au vu des pièces qu'elle produit, il rejette cette demande non pour ce motif mais au motif que la société EDF n'établit pas la réalité de son manque à gagner, de telle sorte qu'il pouvait rejeter la demande de la requérante sans recourir à une mesure d'instruction en vue de déterminer l'étendue du préjudice. La société EDF n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'une irrégularité sur ce point.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de la société EDF :
4. D'une part, aux termes des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans leur rédaction en vigueur à la date de l'introduction de la demande devant le tribunal : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Aux termes de l'article R. 421-3 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux (...) ". En vertu des dispositions de l'article R. 421-5 de ce code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
5. D'autre part, il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.
6. Si l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez fait valoir qu'elle a fait parvenir à la société EDF, les 6 juin 2012, 8 juin 2012, 16 janvier 2013, 27 mai 2013, 3 décembre 2013, 6 janvier 2014 et 18 novembre 2014, des correspondances et décisions administratives indiquant à cette société les sommes dont l'association s'estimait redevable en application des stipulations de l'article 4 de la convention du 24 janvier 1972, ces courriers et décisions ne constituent en tout état de cause que des mesures prises pour l'exécution d'un contrat qui ne sont pas détachables de celui-ci et ne sont, en principe, pas susceptibles de recours. Il en résulte qu'elles n'entrent pas, en tout état de cause dans le champ d'application des dispositions du code de justice administrative ci-dessus reproduites. Par ailleurs, la demande de la société EDF tendant à la condamnation d'une personne publique à réparer des préjudices qui lui sont imputés, l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez n'est pas davantage fondée à soutenir que cette action était enfermée dans le délai raisonnable visé au 5 ci-dessus.
En ce qui concerne l'interprétation du contrat :
7. Aux termes des stipulations de l'article 4 de la convention conclue le 24 janvier 1972 : " La puissance fournie à titre gratuit par Electricité de France, aux droits et obligations des ex-sociétés concessionnaires des chutes de Ventavon et du Poët, pour le fonctionnement de la station de pompage du Beynon, soit 1 000 kW du 15 avril au 15 octobre de chaque année, restera acquise à l'ASA pour être affectée exclusivement aux besoins en énergie de l'ensemble des stations de pompage de son réseau d'irrigation sans que la quantité d'énergie correspondante puisse excéder 4 MWh (Quatre millions de kilowatts heure par an). / Cette puissance sera délivrée pendant la durée de la concession de la chute de Sisteron dans les conditions techniques prévues à l'article 3 du décret 55-178 du 2 février 1955 ". En vertu du premier alinéa de l'article 3 du décret du 2 février 1955 : " Les réserves en force et les quantités d'énergie réservée, attribuées au titre des paragraphes 6°, d'une part, et 7° d'autre part, de l'article 10 de la loi du 16 octobre 1919 doivent dorénavant être mises à disposition des bénéficiaires au lieu de leur emploi par ceux-ci, c'est-à-dire à leurs postes d'alimentation suivant les conditions techniques et financières de raccordement dont relèverait un abonné consommant, au même lieu, une fourniture d'énergie non réservée ayant les mêmes caractéristiques ".
8. L'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez soutient qu'eu égard à la rédaction combinée de ces stipulations et dispositions ainsi qu'à l'impossibilité technique où se serait trouvée en 1972 la société EDF de mesurer en continu une puissance électrique instantanée livrée à un consommateur, le contrat n'instaure qu'un unique plafond de quatre millions de kilowatts heure à la fourniture gratuite d'électricité, la référence à la puissance de 1 000 kW ayant trait, selon l'association, à la puissance de l'abonnement souscrit par ses soins.
9. Il résulte toutefois de ces stipulations, qui font expressément référence à la puissance délivrée à l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez, qu'elles n'octroient à celles-ci un droit à fourniture gratuite d'électricité pour la période du 15 avril au 15 octobre de chaque année que, d'une part, dans la mesure où la puissance fournie pendant cette période par les installations de l'usine hydroélectrique de Sisteron aux installations de l'association est inférieure ou égale à 1 000 kW et où, d'autre part, la quantité d'énergie fournie est inférieure à quatre millions de kilowatts heure par an. Les dispositions de l'article 3 du décret du 2 février 1955, qui n'ont trait qu'aux conditions de raccordement et de livraison des bénéficiaires de livraisons préférentielles d'électricité issues d'installations hydroélectriques, sont sans incidence sur l'interprétation de cette clause. Enfin, il résulte par ailleurs de l'instruction que la puissance instantanée délivrée à un utilisateur pouvait être effectivement mesurée en 1972, de telle sorte que l'impossibilité technique alléguée sur ce point par l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez est également sans incidence sur l'interprétation du contrat.
10. Il en résulte que l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez, qui ne peut utilement invoquer la pratique contractuelle contraire depuis 1972 dès lors, d'une part, que la société EDF soutient que celle-ci ne résulte pas de l'accord des parties mais d'une erreur de tarification de sa part et, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait entendu déroger volontairement à l'application de cette clause, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a jugé que les consommations d'énergie situées au-delà du seuil de puissance délivrée de 1 000 kW ne pouvaient bénéficier de la gratuité définie dans les conditions fixées à l'article 4 de la convention susvisée.
En ce qui concerne le montant dû en application du contrat :
11. Il résulte de l'instruction et notamment des écritures de la société EDF que celle-ci entend facturer, conformément aux stipulations contractuelles précitées, la différence entre la quantité d'électricité non facturée au cours des exercices 2012, 2013 et 2014, qui s'est élevée à 4 millions de kWh par an, et la quantité d'électricité devant être effectivement délivrée à titre gratuit en vertu du contrat, qui exclut les périodes où la puissance consommée est supérieure à 1 000 kW.
12. Si la société EDF produit différents tableaux récapitulant la consommation électrique des stations de pompage de l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez, celle-ci conteste les calculs effectués par la requérante ainsi que les données fondant ces calculs, qui reposent notamment sur des tableurs informatiques dont les formules de calcul ne sont pas connues de la Cour, qui n'est pas en mesure de vérifier leur conformité aux stipulations contractuelles. Est ainsi en cause une question technique au sens de l'article R. 625-2 du code de justice administrative. Il y a lieu par suite, avant de statuer sur la requête de la société EDF, de demander un avis technique sur ce point.
D É C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de la société EDF, demandé un avis technique à M. E... F..., qui devra :
1°) informer la Cour des formules de calcul utilisées par la société EDF pour parvenir au montant de 207 801,95 euros toutes taxes comprises qu'elle réclame à l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez ;
2°) vérifier la conformité mathématique et comptable de ces formules au contrat tel qu'il est interprété par le présent arrêt ;
3°) vérifier que les données de consommation invoquées par EDF sont conformes à la réalité.
Article 2 : Le consultant accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-3 à R. 621-6, R. 621-10 à R. 621-12-1, R. 621-14 et R. 625-2 du code de justice administrative.
Article 3 : L'avis sera consigné par écrit et transmis à la Cour dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société EDF et à l'association syndicale autorisée du canal de Ventavon-Saint-Tropez et à M.E... F....
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2020, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- Mme H... J..., présidente assesseure,
- M. G... Grimaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2020.
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N° 18MA00274