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22/06/2020 | FRANCE | N°18BX03020

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 22 juin 2020, 18BX03020


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 22 mars 2016 par laquelle l'inspecteur du travail des Deux-Sèvres a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1601119 du 26 juin 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 juillet 2018, le 15 juillet 2019 et le 13 septembre 2019 à 9h10, M. C... D..., représenté par Me B..., demande

la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 juin 2018 ;...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 22 mars 2016 par laquelle l'inspecteur du travail des Deux-Sèvres a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1601119 du 26 juin 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 juillet 2018, le 15 juillet 2019 et le 13 septembre 2019 à 9h10, M. C... D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 juin 2018 ;

2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail des Deux-Sèvres du 22 mars 2016 ayant autorisé son licenciement.

Il soutient que :

- l'administration a entaché sa décision d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail, s'agissant du contrôle qu'elle doit porter sur le motif économique ; en effet, la cause économique réelle et sérieuse doit être appréciée à l'échelle du secteur d'activité ou du groupe, ce que n'a pas fait l'inspecteur ; or, à ce niveau, la réalité de ce motif n'est pas établie, alors en outre, qu'en l'espèce, l'employeur est, par son propre comportement fautif, à l'origine de sa propre cessation d'activité ;

- l'administration a également commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail, s'agissant du contrôle qu'elle doit opérer sur l'obligation de reclassement ; en l'espèce, l'inspecteur du travail n'a pas fait porter son contrôle sur le périmètre pertinent, qui devait être celui du groupe ; de ce fait, il n'a pas été en mesure de contrôler le respect par l'employeur de son obligation de reclassement ; or, en l'espèce, les recherches de reclassement n'ont pas été effectuées au niveau du groupe ou, du moins, l'employeur ne l'établit pas ; en outre, l'employeur a violé l'article D. 1233-2-1 du code du travail, en méconnaissant son obligation d'information des salariés sur la possibilité de recevoir des offres de reclassement situées à l'étranger ; enfin, l'employeur a procédé aux offres de reclassement par l'envoi de simples lettres circulaires dépourvues d'indications personnalisées.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 mars 2019 et le 14 août 2019, Actis Mandataires Judiciaires (ACM), agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRM Mobilier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. D... la somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ACM fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 juillet 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 16 août 2019, la clôture de l'instruction a été reportée au 13 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- et les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 septembre 2015, le tribunal de commerce de Niort a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société BRM Mobilier, dont le siège social était implanté dans les Deux-Sèvres, qui avait pour activité principale la fabrication et l'assemblage de meubles de bureau et de magasin et qui appartenait au groupe belge Mecaseat. Par un jugement du même tribunal de commerce du 27 janvier 2016, BRM Mobilier a été placée en liquidation judiciaire, puis, le 9 mars 2016, ledit tribunal a prononcé l'arrêt total et définitif de l'activité de la société. L'ensemble des salariés a été licencié, mais une autorisation administrative a été demandée par l'administrateur judiciaire pour M. C... D..., délégué du personnel suppléant dans le cadre d'une délégation unique du personnel ainsi que membre du CHSCT et donc salarié protégé. M. A... fait appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 juin 2018, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail des Deux-Sèvres du 22 mars 2016 ayant autorisé son licenciement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière, y compris lorsque l'entreprise fait l'objet d'une procédure de redressement ou en cas de liquidation judiciaire.

3. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. /Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. ". Il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à l'obligation de reclassement qui lui incombe, avant de procéder à un licenciement économique, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, dans l'hypothèse où il n'existe pas d'emploi équivalent au sein de l'entreprise, de vérifier si cette dernière a cherché à reclasser la salariée sur des emplois équivalents au sein du groupe auquel elle appartient. Pour ce faire, l'employeur doit procéder à un examen individuel des possibilités de reclassement au sein des entreprises appartenant au même groupe que son entreprise et lui présenter des propositions de reclassement concrètes, précises et personnalisées.

4. Il ressort des pièces du dossier que la société BRM Mobilier était détenue à 100 % par la société SMPC, elle-même détenue par la holding Mecaseat, et que les sociétés composant ce groupe étaient, en dehors de BRM, au nombre de 7 en France, et de 8 réparties dans divers pays étrangers. Si ACM établit que l'administrateur judiciaire a, par courriers recommandés, interrogé les diverses sociétés composant ce groupe pour savoir si elles pouvaient offrir des possibilités de reclassement pour les salariés de BRM et s'il produit les réponses négatives de certaines d'entre elles, la seule démarche qu'il justifie avoir été effectuée auprès de M. D... consiste en un courrier qui lui a été adressé le 5 février 2016, assorti d'un questionnaire. Ledit courrier, qui n'est pas personnalisé, a un contenu très général, rappelant que le groupe est constitué de nombreuses sociétés et que certaines étant situées à l'étranger, " il convient pour l'employeur d'interroger chaque salarié dont il envisage le licenciement afin de savoir s'il accepte des offres de reclassement à l'étranger et sous quelles restrictions éventuelles ". En annexe était joint un questionnaire-type, intitulé " questionnaire de mobilité relatif au reclassement à l'étranger d'un salarié dont le licenciement pour motif économique est envisagé ", composé de trois questions auxquelles le salarié était invité à répondre en cochant une case oui/non (1. Accepteriez-vous un reclassement à l'étranger ; 2. Avez-vous des restrictions à formuler s 'agissant de la rémunération susceptible de vous être proposée ; " Avez-vous éventuellement d'autres restrictions). M. D..., qui a au demeurant répondu non à ces trois questions, soutient qu'il s'agit de la seule " proposition de reclassement " qui lui a été adressée, le liquidateur judiciaire, en défense, ne justifiant d'aucune autre proposition concrète qui lui aurait été faite.

5. Ce courrier et ce questionnaire ne peuvent être regardés comme des propositions de reclassement personnalisées, démontrant que l'administrateur judiciaire, agissant au nom et pour le compte de la société BRM, a procédé à un examen individuel de la situation du salarié et lui a fait des propositions en adéquation avec sa formation et ses compétences, la circonstance que la société était placée en liquidation judiciaire ne pouvant exonérer le mandataire la représentant de son obligation de reclassement individualisée, ni d'ailleurs l'administration d'effectuer le contrôle de la mise en oeuvre de cette obligation. Par suite, M. D... est fondé à soutenir, d'une part, que le représentant de l'employeur n'a pas rempli envers lui son obligation de reclassement et d'autre part, que, dans ces conditions, l'inspecteur du travail ne pouvait autoriser son licenciement, et, pour ces motifs, est fondé à demander l'annulation de sa décision du 22 mars 2016.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de M. D... la somme que demande ACM sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1601119 du 26 juin 2018, le tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La décision de l'inspecteur du travail des Deux-Sèvres du 22 mars 2016 autorisant le licenciement de M. D... est annulée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Actis Mandataires Judiciaires, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRM Mobilier, et succédant en cette qualité à la Selarl Rabusseau, et au ministre du travail. Copie en sera adressée au directeur régional de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la Nouvelle-Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2020 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme Karine Butéri, président-assesseur,

Mme E..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 juin 2020.

Le président,

Pierre Larroumec

La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 18BX03020 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX03020
Date de la décision : 22/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : SCP RILOV

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-22;18bx03020 ?
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