Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Le Bélier a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 7 juillet 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la 6e section de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle Aquitaine a déclaré M. F... E... apte sous conditions à son poste d'ingénieur marketing industriel et " reporting group " à temps partiel.
Par un jugement n° 1603936 du 8 mars 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 mai 2018, la société Le Bélier, représentée par Me D... et Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 mars 2018 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail de la 6e section de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle Aquitaine du 7 juillet 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a méconnu les règles applicables qui imposent que la procédure soit contradictoire ;
- la décision de l'inspecteur du travail a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'en méconnaissance des dispositions de l'article L. 4624-3 du code du travail, elle n'a pas été avertie par l'inspecteur du travail qu'il envisageait d'infirmer l'avis d'inaptitude du médecin du travail ;
- la décision de l'inspecteur du travail a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que l'avis du médecin inspecteur du travail du 15 juin 2016 ne lui a pas été communiqué ;
- la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'erreur de droit dès lors que, saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 4624-1 du code du travail, il ne pouvait fonder son appréciation sur des éléments de fait et de droit postérieurs à la date de l'avis du médecin du travail contesté.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 juillet 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 juillet 2019, la clôture d'instruction a été en dernier lieu fixée au 2 septembre 2019 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... B... ;
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public ;
- et les observations de M. E....
Une note en délibéré pour M. E... a été enregistrée le 20 mai 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... E... a été engagé par la société Le Bélier, pour une durée indéterminée à compter du 2 avril 2007, en tant qu'ingénieur qualité. A sa demande, l'intéressé a conclu le 15 septembre 2010 avec cette société un avenant au contrat de travail à durée indéterminée le plaçant à temps partiel pour création d'entreprise (60%) du 20 septembre 2010 au 19 septembre 2011. Ce régime de temps de travail partiel a été renouvelé jusqu'au 19 septembre 2012. Nommé ingénieur marketing industriel et " reporting group " à temps plein le 1er juin 2013, M. E... a de nouveau bénéficié d'un régime de temps de travail partiel à compter du 1er août 2013. Le 5 juin 2015, M. E..., qui s'est plaint d'agissements constitutifs de harcèlement moral, a été placé en congé de maladie. A l'issue de la visite médicale de reprise de travail du 2 mars 2016, le médecin du travail a conclu le 30 mars 2016 à une inaptitude pour " danger immédiat ". En l'absence de possibilité de reclassement, M. E... a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par un courrier en date du 10 juin 2016. S'estimant médicalement apte à occuper son poste d'ingénieur marketing industriel et " reporting group ", M. E... a contesté l'avis du médecin du travail du 30 mars 2016 qui, après qu'un avis d'aptitude a été émis le 15 juin 2016 par le médecin inspecteur du travail, a été annulé par une décision du 7 juillet 2016 de l'inspecteur du travail lequel a prononcé l'aptitude de M. E... à occuper son poste d'ingénieur marketing industriel et " reporting group " à temps partiel (60%) sous réserve de mesures visant à lui garantir des conditions de travail compatibles avec sa durée contractuelle de travail.
2. Par un jugement du 8 mars 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de la société Le Bélier tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 7 juillet 2016. La société Le Bélier relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 4624-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs. (...) / L'employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. / En cas de difficulté ou de désaccord, l'employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l'inspecteur du travail. Il en informe l'autre partie. L'inspecteur du travail prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail (...) ". Aux termes de l'article D. 4625-34 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " En cas de contestation d'un avis émis par le médecin du travail en application du troisième alinéa de l'article L. 4624-1, le recours est adressé à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui emploie le salarié. / Ce dernier prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail dans le champ de compétence géographique duquel se situe le service de santé au travail ".
4. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ". Aux termes des dispositions de l'article L.121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ".
5. La décision de l'inspecteur du travail infirmant l'avis d'inaptitude pour " danger immédiat après étude de poste et avis du CHSCT " émis le 30 mars 2016 par le médecin du travail n'a pas été prise sur une demande de l'employeur mais sur recours de M. E.... Compte tenu de la portée que lui donne l'article L. 4624-1 du code du travail, une telle décision, qui fait obstacle au licenciement de l'intéressé, doit être regardée comme imposant des sujétions dans l'exécution du contrat de travail. Elle ne pouvait dès lors intervenir, en application de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, qu'après que l'employeur eut été mis à même de présenter ses observations.
6. Il en résulte que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, il appartenait à l'inspecteur du travail de mettre en oeuvre, avant de prendre sa décision, une procédure contradictoire.
7. S'il est constant que l'inspecteur du travail a fait connaître à la société Le Bélier l'existence du recours formé par son salarié à l'encontre de l'avis du 30 mars 2016 du médecin du travail, lui a communiqué les pièces produites par ce dernier et l'a invitée à présenter ses observations, il ne l'a pas informée de la mesure qu'il envisageait de prendre ni des motifs sur lesquels elle reposerait. La société Le Bélier ayant ainsi été privée de la garantie que constitue la procédure contradictoire dès lors qu'elle n'a pas été mise en mesure de pouvoir présenter utilement ses observations avant la décision de l'inspecteur du travail, celle-ci est entachée d'illégalité pour être intervenue au terme d'une procédure irrégulière.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la société Le Bélier, que cette dernière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 7 juillet 2016.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, le versement à la société Le Bélier de la somme de 1 500 euros au titre de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1603936 du tribunal administratif de Bordeaux du 8 mars 2018 et la décision de l'inspecteur du travail du 7 juillet 2016 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la société Le Bélier une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Le Bélier, à M. F... E... et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme C... B..., présidente-assesseure,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 juin 2020
Le président,
Pierre Larroumec
La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX01929 2