LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 mai 2019
Rejet
Mme FLISE, président
Arrêt n° 703 F-P+B+I
Pourvoi n° J 18-17.560
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la société GMF direction des sinistres, dont le siège est [...],
contre l'arrêt rendu le 20 février 2018 par la cour d'appel d'Angers (chambre A civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. Y... R..., domicilié [...],
2°/ à la Caisse des dépôts et consignations (CNRAC), gestionnaire de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, dont le siège est [...],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Mayenne, dont le siège est [...], 53000 Laval,
4°/ à la mutuelle Fonction publique, dont le siège est [...], défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 10 avril 2019, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, M. Savatier, conseiller doyen, Mme Rosette, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société GMF direction des sinistres, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 20 février 2018), que le 26 février 1995, M. R..., qui conduisait une motocyclette, a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société GMF (l'assureur) ; que ses préjudices ont été indemnisés selon une transaction signée avec l'assureur ; que son état de santé s'étant aggravé, M. R... a assigné l'assureur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne, de la mutuelle de la Fonction publique et de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales pour obtenir la réparation des préjudices liés à cette aggravation ;
Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. R... la somme de 103 464,57 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs et celle de 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors, selon le moyen :
1°/ que l'incidence professionnelle répare la dévalorisation sur le marché du travail, la hausse de la pénibilité de l'emploi ou le préjudice ayant trait à l'obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap et est donc exclue si la victime n'a purement et simplement pu reprendre aucune activité professionnelle ; qu'en allouant une indemnité de 40 000 euros de ce chef, après avoir retenu qu'il ne pouvait être reproché à M. R... de ne pas avoir cherché à se reclasser, ce qui revenait à considérer comme exclue toute possibilité de retrouver un jour un travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable ;
2°/ que le juge ne peut, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice, indemniser deux fois un même dommage ; qu'en allouant à M. R... une somme de 40 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle du fait qu'il n'avait pu reprendre aucune activité professionnelle, après lui avoir alloué pour cette même raison une indemnité au titre des pertes de grains professionnels futurs, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable et du principe de réparation intégrale du préjudice ;
Mais attendu qu'ayant relevé, que compte tenu des restrictions importantes à une activité, du marché du travail et de son âge, un retour à l'emploi de M. R... était très aléatoire, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a réparé au titre de l'incidence professionnelle, la perte de chance pour M. R... d'une promotion professionnelle, préjudice distinct de celui réparé au titre de la perte de gains professionnels futurs calculée au vu de son ancien salaire et qui n'intégrait pas l'évolution de carrière qu'il aurait pu espérer ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les première et deuxième branches du moyen unique annexé qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société GMF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société GMF direction des sinistres.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la GMF à payer à M. R... la somme de 103 464,57 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs et celle de 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;
Aux motifs qu'il résultait du rapport du docteur B... que depuis l'expertise réalisée depuis 1997 par les docteurs J... et Q..., il était possible de dire que l'état de santé de M. R... s'était aggravé comme en attestait la survenue des différentes pathologies ; que concernant la perte de gains professionnels futurs, dans son avis d'inaptitude du 25 juin 2012, le médecin du travail indique : "l'examen de ce jour révèle une incapacité à reprendre son poste d'agent d'exploitation de la route, M. R... ayant des difficultés à marcher, même à l'aide d'une canne. Il ne peut conduire son véhicule. Un travail assis, de type administratif, n'est pas possible non plus, M. R... ne pouvant maintenir cette position plus de dix minutes en raison des douleurs. Au total, M. Y... R... était actuellement inapte à tout poste dans la collectivité en raison des graves séquelles liées à son accident de 1995" ; que dans ces conditions, son employeur n'avait d'autre choix que de le mettre à la retraite pour invalidité et il ne peut en être fait grief à M. R... ; que l'expert judiciaire relevait que « la répercussion professionnelle s'est sensiblement modifiée, puisque lors de l'expertise de 1997, il n'avait pas été retenu de retentissement professionnel. M. R... a d'ailleurs trouvé un poste d'employé de la DDE. Il demeure inapte à la profession de chauffeur routier qu'il exerçait auparavant, mais aussi à celle d'employé de la DDE. Il ne pourrait reprendre qu'un poste sédentaire, n'exigeant pas de station debout, ni de marche, ni d'effort prolongé. Compte tenu du cursus professionnel de Monsieur R... et notamment du fait qu'il est titulaire d'une BEPA et d'un CCTA, il n'est pas exclu qu'il puisse trouver un poste adapté, mais il existe manifestement une restriction importante des métiers envisageables" ; que même s'il existait antérieurement un certain retentissement professionnel, dans la mesure où M. R... avait dû quitter son poste de chauffeur routier, celui-ci est désormais tout autre, puisqu'il avait dû quitter son nouvel emploi et connaissait d'importantes restrictions ; que la MDPH avait d'ailleurs accordé à M. R..., pour une durée de 24 mois à compter du 1er novembre 2013, une allocation adulte handicapé en raison d'un taux d'incapacité supérieur ou égal à 50 % et inférieur à 80 % et "des restrictions substantielles et durables pour l'accès à un emploi" ; que le docteur H... N... , médecin généraliste, attestait dans un certificat du 15 avril 2016, qu'un reclassement professionnel n'était pas envisageable en l'état actuel des choses, l'intéressé ne pouvant avoir d'activité debout ou assis de façon prolongée ; qu'il résultait donc de ce qui précède que, même si son taux de déficit permanent est resté inchangé en raison de l'amélioration de certaines séquelles alors que d'autres s'aggravaient, M. R... ne pouvait plus, du fait des conséquences de l'accident dont il avait été victime, exercer une activité professionnelle dans les conditions antérieures ; qu'au demeurant, compte tenu des restrictions importantes à une activité (pas de station debout ni assise prolongée), du marché du travail et de son âge, un retour à l'emploi était très aléatoire ; qu'enfin, il ne pouvait lui être fait grief de ne pas avoir cherché à se reclasser ; que dans ces conditions, il convenait de retenir une perte de gains professionnels futurs jusqu'à l'âge de la retraite, soit le concernant, 62 ans ; qu'il était à préciser que, comme l'avait retenu le tribunal, le nombre de 32 trimestres se rapportait aux trimestres liquidables et non à la durée de versement de la pension ; qu'il n'était pas contesté que M. R... percevait un salaire de 1222,18 euros et bénéficiait actuellement d'une pension de retraite de 328,54 euros ; que sa perte de revenus était donc de 899,64 euros par mois ; qu'il n'y avait pas lieu d'en déduire le montant de l'allocation adulte handicapé qui lui était servie, seules devant être imputées sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime les prestations versées par des tiers payeurs ouvrant droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ; que concernant l'incidence professionnelle, il s'agissait ici d'indemniser la dévalorisation de M. R... sur le marché du travail et le changement d'activité professionnelle ; que cette dévalorisation pouvait se traduire par une augmentation de la fatigabilité au travail (même pour un faible taux d'incapacité) mais aussi la perte de chance de promotion ; qu'en l'espèce, l'existence d'une incidence professionnelle était donc certaine puisque M. R... avait dû quitter son travail à la DDE, pour lequel il pouvait espérer une chance de promotion, mais aussi parce que ses restrictions de capacité rendront l'exercice de tout emploi particulièrement difficile ; que compte tenu de son âge, à savoir désormais 49 ans, il convenait de lui allouer à ce titre une somme de 40 000 euros ;
Alors 1°) que le motif hypothétique équivaut à un défaut de motifs ; qu'en énonçant qu'il était "possible" de dire que l'état de santé de M. R... s'était aggravé, la cour d'appel a statué par un motif hypothétique et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors 2°) que la perte de gains professionnels futurs doit s'apprécier en fonction des possibilités de reclassement ; qu'en énonçant par principe qu'il ne pouvait être fait grief à M. R... de ne pas avoir cherché à se reclasser, après avoir constaté que l'expert judiciaire avait conclu qu'il n'était pas exclu qu'il puisse trouver un poste adapté et que la Maison Départementale des Personnes Handicapées avait reconnu un taux d'incapacité inférieur à 80 %, et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette absence de recherche de reclassement ne résultait pas d'un choix de la victime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, en sa rédaction applicable à la cause ;
Alors 3°) et en tout état de cause que l'incidence professionnelle répare la dévalorisation sur le marché du travail, la hausse de la pénibilité de l'emploi ou le préjudice ayant trait à l'obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap et est donc exclue si la victime n'a purement et simplement pu reprendre aucune activité professionnelle ; qu'en allouant une indemnité de 40 000 euros de ce chef, après avoir retenu qu'il ne pouvait être reproché à M. R... de ne pas avoir cherché à se reclasser, ce qui revenait à considérer comme exclue toute possibilité de retrouver un jour un travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable ;
Alors 4°) que le juge ne peut, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice, indemniser deux fois un même dommage ; qu'en allouant à M. R... une somme de 40 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle du fait qu'il n'avait pu reprendre aucune activité professionnelle, après lui avoir alloué pour cette même raison une indemnité au titre des pertes de grains professionnels futurs, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable et du principe de réparation intégrale du préjudice.