LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à Mme E... T... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Axa France ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'U... T... a été mortellement blessé dans un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré par la société Pacifica (l'assureur) ; que sa veuve, Mme E... T..., et leurs quatre enfants, N..., C..., J... et M... T..., ont assigné l'assureur en indemnisation de leurs préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Opale ;
Sur le premier moyen :
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu qu'en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par l'ensemble de la famille proche du défunt doit être évalué en prenant en compte comme élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe en tenant compte de la part de consommation personnelle de celle-ci, et des revenus que continue à percevoir le conjoint, le partenaire d'un pacte civil de solidarité ou le concubin survivant ; que l'allocation aux adultes handicapés, versée à la victime avant son décès afin de lui garantir un minimum de revenus, doit être prise en considération pour déterminer le montant de ce revenu annuel de référence du foyer ;
Attendu que pour débouter Mme E... T... de sa demande d'indemnisation de son préjudice économique, l'arrêt, après avoir énoncé que, pour la détermination du revenu de référence du foyer, l'appréciation des revenus du défunt suppose de prendre en considération toutes les ressources, ce qui ne pourra toutefois être le cas des prestations servies à ce dernier dans le cadre du devoir de solidarité nationale, retient qu'il est établi par ses avis d'imposition que, lors de son décès, U... T... ne bénéficiait d'aucun revenu imposable, l'allocation adulte handicapé et le complément de cette allocation ayant constitué ses seules ressources, tandis que Mme E... T... disposait de son côté du revenu de solidarité active, le foyer recevant également une aide personnalisée au logement, qu'il est ainsi démontré que ce couple ne vivait, au jour du décès accidentel du mari, que des seules prestations de solidarité nationale, et qu'après ce décès, la situation nouvelle de Mme E... T..., qui relève toujours de la solidarité nationale, devra être à nouveau appréciée à ce titre, de sorte que celle-ci ne peut justifier d'un préjudice économique réel à la suite au décès de son conjoint ;
Qu'en statuant ainsi, sans prendre en considération l'allocation aux adultes handicapés versée à U... T... avant son décès pour déterminer le montant du revenu de référence du foyer et le préjudice économique subi par sa veuve en raison de son décès, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
Et, sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu que pour dire que la sanction du doublement des intérêts légaux prononcée par le premier juge à l'encontre de l'assureur aura cours jusqu'au 4 avril 2016, l'arrêt retient que ce dernier a signifié à cette date ses propositions indemnitaires subsidiaires ;
Qu'en relevant d'office ce moyen, sans le soumettre préalablement à la discussion des parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme E... T... de sa demande d'indemnisation de son préjudice économique à la suite au décès de son conjoint et dit que la sanction du doublement des intérêts légaux prononcée par le premier juge aura cours jusqu'au 4 avril 2016, l'arrêt rendu le 1er février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société Pacifica aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à Mme E... T... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme E... T...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme T... de sa demande d'indemnisation de son préjudice économique suite au décès de son conjoint ;
AUX MOTIFS QUE s'il est constant que le principe indemnitaire qui tend à réparer le préjudice patrimonial suite au décès de l'un des époux obéit à la règle de la réparation intégrale du préjudice, c'est-à-dire sans perte ni profit pour la victime, l'appréciation des revenus du défunt pour la détermination du revenu de référence du foyer suppose de prendre en considération toutes les ressources, ce qui ne pourra toutefois être le cas des prestations servies au défunt dans le cadre du devoir de solidarité nationale étant précisé que M. T... ne bénéficiait avant son décès que de l'allocation adulte handicapé et d'un complément de cette allocation comme il apparaît sur le relevé de la Caisse d'allocations familiales produit en pièce no 22 par Mme Q... veuve T... et qui mentionne une AAH de 776,59 euros avec un complément de ressources AAH de 179,31 euros pour le mois de février 2013 ; qu'il est en outre démontré au vu des avis d'imposition 2011, 2012 et 2013 que M. T... ne bénéficiait d'aucun revenu imposable lors de son décès de sorte que les prestations visées ci-dessus constituaient ses seules ressources, Mme Q... veuve T... disposant de son côté du revenu de solidarité active, le foyer recevant également une aide personnalisée au logement ; qu'il est ainsi démontré que le couple T.../Q... ne vivait au jour du décès accidentel du mari que des seules prestations de solidarité nationale, la situation nouvelle de Madame Q... après le décès de son mari, situation qui relève toujours de la solidarité nationale, devant être l'objet d'une nouvelle appréciation à ce titre de sorte que la demanderesse ne peut justifier d'un préjudice économique réel suite au décès de son conjoint ; que Mme Q... veuve T... sera donc déboutée de sa prétention indemnitaire à cette fin et le jugement déféré infirmé de ce chef ;
ALORS QU'en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par l'ensemble de la famille proche du défunt doit être évalué en prenant en compte comme élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe en tenant compte de la part de consommation personnelle de celle-ci, et des revenus que continue à percevoir le conjoint, le partenaire d'un pacte civil de solidarité ou le concubin survivant ; qu'en jugeant, pour débouter Mme T... de sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice économique qu'elle subit du fait du décès de son mari, que celui-ci ne percevait que des prestations versées par la solidarité nationale, quand la perte de l'allocation aux adultes handicapés dont bénéficiait M. T... constitue, pour sa veuve, un préjudice indemnisable, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la sanction du doublement des intérêts légaux prononcée par le premier juge n'aurait cours que jusqu'au 4 avril 2016 ;
AUX MOTIFS QUE la sanction est effective jusqu'au 4 avril 2016, date de signification par la société Pacifica de ses propositions indemnitaires subsidiaires ;
1°) ALORS QUE la cassation des chefs de dispositif concernant l'indemnisation des préjudices de Mme T... entraînera l'annulation par voie de conséquence des dispositions selon lesquelles les sommes allouées porteront intérêts au double du taux légal à compter du 19 octobre 2013 et jusqu'au 4 avril 2016, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, le juge ne peut relever d'office un moyen sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office l'existence d'une offre d'indemnisation formulée par la société Pacifica, par voie de conclusions déposées le 4 avril 2016, pour arrêter à cette date la sanction du doublement des intérêts au taux légal qu'elle infligeait à l'assureur sur le fondement des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, les privant notamment de la possibilité de discuter du caractère complet et suffisant de cette offre, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.