La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/03/2018 | FRANCE | N°15BX03061

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 20 mars 2018, 15BX03061


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...E...a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier de Guéret à lui verser la somme totale de 337 350 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1300595 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Limoges a condamné le centre hospitalier de Guéret à verser la somme de 6 380 euros à M. E...et la somme de 1 872,92 euros à la mutualité sociale agricole du Limousin, outre les frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

Par

une requête sommaire, enregistrée le 10 septembre 2015, un mémoire ampliatif, enregistré le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...E...a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier de Guéret à lui verser la somme totale de 337 350 euros en réparation de ses préjudices.

Par un jugement n° 1300595 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Limoges a condamné le centre hospitalier de Guéret à verser la somme de 6 380 euros à M. E...et la somme de 1 872,92 euros à la mutualité sociale agricole du Limousin, outre les frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire, enregistrée le 10 septembre 2015, un mémoire ampliatif, enregistré le 26 octobre 2015, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 6 novembre 2015 et 25 août 2016, le centre hospitalier de Guéret, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges n° 1300595 du 10 juillet 2015 ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. E...et par la mutualité sociale agricole du Limousin devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- il n'a pas commis de faute au cours de l'intervention chirurgicale du 22 février 2011 ;

- en tout état de cause, il n'existe pas de lien de causalité entre la perte d'acuité visuelle dont souffre M. E...et la rupture capsulaire qui s'est produite durant cette intervention.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2015 et des pièces complémentaires enregistrées les 24 novembre 2017 et 10 février 2018, M.E..., représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme que le centre hospitalier de Guéret a été condamné à lui verser soit portée à 327 600 euros, subsidiairement, à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée et, en tout état de cause, à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le centre hospitalier a commis une faute lors de l'intervention chirurgicale du 22 février 2011 et que la perte d'acuité qu'il a subie est entièrement imputable à cette faute ;

- il est fondé à demander le remboursement de ses frais de déplacement, ainsi que l'indemnisation du déficit fonctionnel total dont il a souffert les 22 et 23 février 2011, des souffrances qu'il a endurées, de son déficit fonctionnel partiel et de sa perte de chance de se soustraire à l'acte chirurgical.

Par un mémoire, enregistré le 24 janvier 2017, la mutualité sociale agricole du Limousin, représentée par MeA..., demande à la cour, dans l'hypothèse où la responsabilité du centre hospitalier de Guéret serait retenue, de porter à 4 256,76 euros la somme que cet établissement a été condamné à lui verser et de mettre à sa charge la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que son décompte définitif s'élève à la somme de 3 201,76 euros, outre une indemnité forfaitaire de 1 055 euros.

Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) conclut à sa mise hors de cause.

L'Office soutient qu'aucune partie ne l'a mis en cause, que la responsabilité fautive du CHU est engagée et, subsidiairement, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la rupture capsulaire que M. E...a subie et la perte de vision dont il a été victime.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M.D...,

- les conclusions de M. Katz, rapporteur public ;

- et les observations de MeB..., représentant M.E....

Considérant ce qui suit :

1. Le 22 février 2011, M. E...a bénéficié d'une opération de la cataracte de l'oeil gauche au centre hospitalier de Guéret. À l'issue de cette opération, il a subi une diminution substantielle de son acuité visuelle à gauche en dépit de plusieurs consultations et d'une nouvelle intervention chirurgicale réalisée le 11 juin 2011 au sein du centre hospitalier de Clermont-Ferrand. M. E...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Limoges d'une demande d'expertise. L'expert nommé par le tribunal a rendu son rapport le 31 octobre 2012. Le centre hospitalier de Guéret demande à la cour d'annuler le jugement n° 1300595 du 10 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Limoges l'a condamné à verser à M. E...une somme de 6 380 euros en réparation de ses préjudices et à la mutualité sociale agricole du Limousin une somme de 1 872,92 euros, outre les frais d'expertise. Par la voie de l'appel incident, M. E...demande à la cour, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Guéret à lui verser une somme de 327 600 euros. Enfin, la mutualité sociale agricole du Limousin demande à la cour, dans l'hypothèse où la responsabilité du centre hospitalier de Guéret serait retenue, de porter à 4 256,76 euros la somme que cet établissement a été condamné à lui verser par le tribunal administratif.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la faute médicale :

2. L'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...) ".

3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert judiciaire, que M. E... a subi une rupture capsulaire du cristallin à la suite d'un mouvement intempestif de la tête survenu au moment de l'introduction d'un injecteur de cristallin artificiel lors de l'opération de la cataracte dont il a bénéficié le 2 février 2011. M. E...soutient que ce mouvement de la tête a été causé par les douleurs intenses qu'il a endurées au cours de cette intervention chirurgicale, qu'il a lui-même évaluées à 7 sur une échelle de 7 et que l'expert judiciaire a évalué à 5. Toutefois, il résulte également de l'instruction que M. E...a reçu une prémédication puis une anesthésie topique et que cette méthode d'anesthésie locale est d'utilisation courante. En outre, ni le compte-rendu opératoire, ni le rapport établi le 5 septembre 2011 par l'expert missionné par l'assureur de l'intéressé ne mentionnent la survenue d'algies ou d'une agitation per opératoire tandis que l'expert judiciaire, sans remettre en cause la réalité des douleurs ressenties par M. E..., indique lui-même qu'il aurait pu ne pas les " exprimer oralement à destination du chirurgien en per opératoire " et que l'intervention s'est poursuivie normalement jusqu'à son terme après la prise en charge de la rupture capsulaire du cristallin. Dans ces conditions, la réalité des douleurs ressenties par l'appelant lors de l'intervention chirurgicale du 2 février 2011 ne peut être regardée comme établie, à l'exception de celle qu'il a pu ressentir lors de l'introduction de l'injecteur.

4. En outre et en tout état de cause, le rapport de l'expert judiciaire indique que l'introduction d'un injecteur de cristallin artificiel " est une technique d'implantation consensuelle de choix " mais qu' " elle ne met pas à l'abri d'incidents et d'accidents per opératoires tels que ceux provoqués par un mouvement intempestif en particulier de la tête induit par l'introduction de l'injecteur sur une zone cornéo-limbique très innervée sur le plan sensitif " et la littérature médicale, datée de 2013, produite à l'instance par le centre hospitalier de Guéret, indique également que la technique de l'anesthésie topique présente moins d'inconvénients et de risques pour le patient que les autres techniques anesthésiques, lesquelles peuvent compromettre la vision de l'oeil et, dans certains cas mettre sa vie en danger, y compris pour les sujets atteints de myopie, mais qu'elle présente des risques de rupture capsulaire en raison des mouvements possibles du globe ainsi que de la persistance de zones sensibles. Ainsi, la douleur ressentie par l'intimé et le mouvement de tête qu'elle a provoqué ne caractérisent pas une faute médicale.

5. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Guéret est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il avait commis une faute médicale en retenant que l'anesthésie dont a bénéficié M. E...s'était avérée insuffisante eu égard, en particulier, à la myopie dont il était atteint, et que " un échange préalable entre le chirurgien et l'anesthésiste sur l'état de M. E... aurait permis d'éviter les difficultés consécutives au choix de l'anesthésie ". Par suite, le centre hospitalier est également fondé à demander l'annulation du jugement attaqué du 10 juillet 2015.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer immédiatement, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres moyens invoqués par M. E...à l'appui de la demande qu'il a présentée devant le tribunal administratif de Limoges.

En ce qui concerne la perte de chance :

7. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...). / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / ... ". En application de ces dispositions, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. Il suit de là que la circonstance qu'un risque de décès ou d'invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient. Toutefois, en cas d'accident, le juge qui constate que le patient n'avait pas été informé du risque grave qui s'est réalisé doit notamment tenir compte, le cas échéant, du caractère exceptionnel de ce risque, ainsi que de l'information relative à des risques de gravité comparable qui a pu être dispensée à l'intéressé, pour déterminer la perte de chance qu'il a subie d'éviter l'accident en refusant l'accomplissement de l'acte.

8. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert judiciaire, que M. E... a déclaré à cet expert qu'il avait consenti à l'opération de la cataracte dont s'agit après s'être vu remis une information " dans les termes du document produit par la société française d'ophtalmologie ", similaire à celle qui lui a été remise lors des interventions chirurgicales ultérieures. La fiche d'information éditée par la société française d'ophtalmologie correspondante, librement consultable en ligne, indique que " La principale complication est la rupture de la capsule (moins de 5 % des cas). Elle conduit parfois à placer l'implant devant la capsule voire à renoncer à toute implantation " et fait état des complications postopératoires susceptibles d'entraîner, dans les cas extrêmes, une perte de la vue, voire de l'oeil. En tout état de cause, à supposer même que M. E...n'ait pas été informé du risque de rupture de la capsule, il ne ressort ni de cette fiche ni du rapport d'expertise ni de la littérature médicale que cette rupture - a fortiori lorsqu'elle se produit, comme en l'espèce, sans issue de vitré et sans oedème maculaire et qu'elle est prise en charge dans les règles de l'art - est susceptible d'avoir pour conséquence une perte d'acuité visuelle alors que ce rapport d'expertise fait, au contraire, état d'une lettre, rédigée le 20 mai 2011 par le chirurgien qui a pratiqué l'intervention de reprise du 22 juillet 2011, dont il ressort que " les problèmes maculaires " dont souffre M. E...sont antérieurs à la chirurgie de la cataracte. Dans ces conditions, la perte d'acuité de l'oeil droit apparue à la suite de l'opération de la cataracte pratiquée sur cet oeil, n'était pas au nombre des risques répertoriés à la date de l'intervention chirurgicale litigieuse.

9. Ainsi M. E...n'est pas fondé à soutenir que, par manque d'information, il a perdu une chance d'éviter le dommage dont il a été victime.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par M. E...devant le tribunal administratif de Limoges ainsi que ses conclusions incidentes présentées devant la cour et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur les dépens :

11. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ".

12. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de partager à parts égales entre le centre hospitalier de Guéret et M. E...les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif, taxés et liquidés à hauteur de 1 500 euros par une ordonnance du 10 décembre 2012.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 juillet 2015 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. E...devant le tribunal administratif et devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif, taxés et liquidés à hauteur de 1 500 euros par une ordonnance du 10 décembre 2012 seront partagés à parts égales entre le centre hospitalier de Guéret et M.E....

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...E..., au centre hospitalier de Guéret, à la mutualité sociale agricole du Limousin, et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 15 février 2018 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 mars 2018

Le rapporteur,

Manuel D...Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°15BX03061


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX03061
Date de la décision : 20/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : JEAN-JACQUES COULAUD - FRANCOISE PILLET

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-03-20;15bx03061 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award