LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'attaqué (Aix-en-Provence, 12 juin 2015), que M. Y... a été mis à la disposition de la société Start du 19 juillet 1996 au 17 mai 2003 puis a été engagé par cette société du 15 mai 2003 au 31 décembre 2008 ; que par un arrêté ministériel du 7 juillet 2000, l'entreprise a été inscrite, à compter de 1989, sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; que selon jugement du 15 avril 2009, la société Start a été placée en liquidation judiciaire, M. Z... étant désigné en qualité de mandataire liquidateur ;
Attendu que l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de Marseille fait grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme la créance du salarié au titre du préjudice d'anxiété alors, selon le moyen, que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise pour les salariés exposés à l'amiante qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel ; qu'en l'espèce, en jugeant que M. Y... pouvait utilement prétendre à une indemnisation au titre du préjudice d'anxiété mais en refusant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, s'il remplissait toutes les conditions fixées par ledit article 41, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition, ensemble les articles 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part que le salarié avait travaillé dans un établissement mentionné à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000, d'autre part que pendant la période visée par cet arrêté, l'intéressé avait occupé un poste susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité, de sorte qu'il était fondé à obtenir l'indemnisation de son préjudice d'anxiété, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer des recherches inopérantes, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de Marseille aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de Marseille
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société START une créance de 4.000,00 € de dommages-intérêts au bénéfice de M. Fethi Y... en réparation du préjudice d'anxiété, incluant le bouleversement dans les conditions d'existence, avec opposabilité de la décision à l'AGS – CGEA ;
Aux motifs propres que : « en application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.
Bien avant que le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que « les locaux soient largement aérés
évacués au-dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique
et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers. ».
En l'espèce, si Monsieur Fethi Y... produit tant une attestation de travail en date du 29 décembre 2008, sur papier à en-tête de la Start, faisant état d'un emploi d'ouvrier de bord du 19 juillet 1996 au 17 mai 2003, dans le cadre d'un contrat d'intérim, qu'un certificat de travail en date du 31 décembre 2008, sur un papier à en-tête différent, pour la période du 19 mai 2003 au 31 décembre 2008, il produit également des attestations de Messieurs B... et C..., anciens collègues de travail quant à sa période d'emploi.
Il n'est donc pas contestable qu'il a travaillé pour le compte de cette société dont le siège social se trouvait [...] à Marseille et qu'au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste d'ouvrier de bord.
[
] Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété :
L'indemnisation du préjudice d'anxiété, qui repose sur l'exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté ou étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, n'exclut pas toute cause d'exonération de responsabilité. Il n'y a donc pas contrariété de l'obligation de sécurité de résultat avec les dispositions du droit communautaire, du droit constitutionnel et le principe de la séparation des pouvoirs.
La société Start a été classée parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000. Cet arrêté précise en son annexe I la liste des métiers susceptibles d'ouvrir droit, au profit de ceux les ayant exercés, à l'allocation de cessation anticipée d'activité. Le poste d'ouvrier de bord occupé par Monsieur Fethi Y... est l'un de ceux visés sur cette liste des métiers.
Il en résulte que le salarié remplit les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel et la circonstance qu'il n'ait pas opté pour ce dispositif est indifférente puisqu'il a exercé un métier inscrit, au cours de la période visée par l'arrêté de classement du chantier naval l'ayant employé.
Le salarié a donc été exposé à l'amiante et se trouve – de par le fait de l'employeur – dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers et qu'il ait adhéré ou non au dispositif ACAATA.
Il est en conséquence fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice d'anxiété, lequel est par nature unique et indivisible.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que la société Start était responsable du préjudice d'anxiété subi par le salarié, mais compte tenu des éléments de l'espèce (nature des fonctions occupées, durée d'exposition au risque, attestation de sa fille aînée sur l'anxiété manifestée), ce préjudice sera plus exactement réparé par l'allocation d'une somme de 4000 euros à titre de dommages et intérêts et la décision ainsi réformée quant au montant de la créance du salarié sur la liquidation judiciaire de la société au titre de la réparation de son préjudice d'anxiété » ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que : « il résulte des applications jurisprudentielles de l'article 1147 du Code Civil que lorsqu'une partie exécute son obligation de manière fautive, la victime du dommage a droit à la réparation intégrale de son préjudice.
Ce principe s'applique de façon objective quelles que puissent en être les conséquences sur les capacités financières de l'auteur du dommage ou de l'organisme subrogé dans ses obligations.
En décider autrement reviendrait, en effet, à léser injustement les victimes.
En l'espèce, les préjudices allégués par la victime sont directement la conséquence du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat.
Ils sont liés à la contamination à l'amiante, c'est-à-dire au fait d'avoir inhalé des fibres d'amiante et au risque attaché de développer à tout moment une maladie grave voire mortelle.
En effet, toutes les études scientifiques démontrent que l'amiante est cancérogène et que les risques de contracter un cancer du poumon ou de la plèvre sont élevés, quelle que soit la durée de l'exposition et la dose d'amiante.
Les études scientifiques établissent, en outre, qu'il existe un temps de latence pouvant être très long entre l'exposition aux risques et l'apparition d'une maladie liée à l'amiante (plus de 30 ans), souvent diagnostiquée alors que la personne n'est plus exposée à l'inhalation de poussières d'amiante depuis longtemps, ce qui est le cas de M. Y....
Les préjudices dont fait état le salarié dont strictement personnels, ils peuvent même être qualifiés d'intimes.
Comme le préjudice moral lié à la perte d'un être cher, ils sont forcément difficiles à quantifier et à démontrer parce qu'ils comportent une partie de subjectivité.
Néanmoins, touchant à la durée de vie de la victime, ils ne peuvent être niés et ce serait faire oeuvre de déni de justice que de les écarter au seul motif qu'il est malaisé de les calculer.
L'indemnisation du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante. Ainsi, le trouble dans les conditions d'existence ne peut donc faire l'objet d'une réparation spécifique.
Or en l'espèce, il est constant que M. Y... a été directement exposé, à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, à l'inhalation de poussières d'amiante.
Il se trouve, par le fait de l'employeur qui a failli à l'obligation de sécurité de résultat lui incombant, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et est nécessairement amené à subir des examens de contrôle propres à réactiver son angoisse et/ou à vivre dans le doute angoissant d'être touché. De même, M. Y... conscient de la perte d'espérance de vie, est amené à devoir envisager une durée de vie largement amputée, en renonçant à certains projets.
Ce préjudice est bien en lien direct avec la contamination dont le demandeur a été l'objet et découle directement des carences de l'employeur au regard de son obligation de sécurité de résultat » ;
Alors que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise pour les salariés exposés à l'amiante qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel ; qu'en l'espèce, en jugeant que M. Y... pouvait utilement prétendre à une indemnisation au titre du préjudice d'anxiété mais en refusant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, s'il remplissait toutes les conditions fixées par ledit article 41, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition, ensemble les articles 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du Travail.