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04/05/2017 | FRANCE | N°14MA04013

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 04 mai 2017, 14MA04013


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'Etat et l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille à lui verser la somme de 273 538 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'une prise en charge médicale qu'il estime inadaptée durant sa détention du 31 décembre 1997 au 14 décembre 1998.

Par des jugements n° 0805073 du 18 janvier 2011 et du 27 décembre 2011, le tribunal administratif de Marseille a prescrit une expertise avant

dire droit.

Par un jugement n° 0805073 du 18 juillet 2014, le tribunal adminis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'Etat et l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille à lui verser la somme de 273 538 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'une prise en charge médicale qu'il estime inadaptée durant sa détention du 31 décembre 1997 au 14 décembre 1998.

Par des jugements n° 0805073 du 18 janvier 2011 et du 27 décembre 2011, le tribunal administratif de Marseille a prescrit une expertise avant dire droit.

Par un jugement n° 0805073 du 18 juillet 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2014, M. B..., représenté par Me Lasalarie, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 juillet 2014 ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille à lui verser à titre provisionnel la somme de 15 000 euros, à valoir sur l'indemnisation définitive ;

3°) d'ordonner une expertise afin de déterminer l'étendue de son préjudice ;

4°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'absence de kinésithérapie lui a fait perdre une chance de bénéficier d'un suivi médical approprié ;

- il n'a pas bénéficié d'un suivi clinique et radiologique consciencieux et n'a fait l'objet d'aucun suivi de chirurgie orthopédique ;

- ces fautes sont à l'origine d'un préjudice distinct de l'évolution normale de l'état initial ;

- le défaut d'information est à l'origine d'une perte de chance d'éviter la rupture du matériel d'ostéosynthèse ;

- les fautes commises sont responsables de son état à hauteur d'un tiers.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2015, l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la prescription quadriennale est acquise ;

- la prise en charge médicale n'est à l'origine d'aucun dommage ;

- le requérant n'a pas respecté les consignes d'immobilisation de sa jambe pendant trois mois ;

- l'expertise demandée est inutile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la prescription quadriennale est acquise ;

- le suivi médical des détenus incarcérés ne relève pas de l'administration pénitentiaire ;

- aucune faute n'a été commise par l'administration pénitentiaire ;

-le requérant ne justifie pas du lien de causalité entre les préjudices allégués et les fautes invoquées ;

- l'expertise demandée est inutile.

Par des mémoires enregistrés le 2 octobre 2015, le 6 avril 2017 et le 13 avril 2017, M. B... demande à la cour de condamner l'Etat et l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille à lui verser la somme de 64 500 euros en réparation des préjudices subis.

Il soutient, en outre, que sa demande n'est pas prescrite.

Par des mémoires enregistrés le 11 avril 2017 et le 14 avril 2017 l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille au rejet de la requête, par les mêmes motifs.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 décembre 2014.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafay,

- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lasalarie, représentant M. B....

1. Considérant que M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille à indemniser les préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'une prise en charge médicale qu'il estime inadaptée durant sa détention du 31 décembre 1997 au 14 décembre 1998 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 6112-1 du code de la santé publique, dans sa version alors en vigueur : " Le service public hospitalier assure, dans des conditions fixées par voie réglementaire, les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire (...) " ;

3. Considérant qu'à la suite d'un accident de la circulation survenu le 14 novembre 1997, M. B... a été victime d'une fracture pluri fragmentaire du fémur gauche sous trochantérienne et diaphysaire, pour laquelle il fait l'objet d'une ostéosynthèse avec pose d'une lame-plaque ; qu'en raison de sa responsabilité dans l'accident, il a été transféré dans un service sécurisé de l'hôpital Sainte Marguerite le 24 novembre 1997, puis au centre pénitentiaire des Baumettes, le 24 décembre 1997, où il a été incarcéré au sein de la prison-hôpital, du 7 janvier 1998 au 26 mai 1998, puis en cellule jusqu'à sa libération, le 14 décembre 1998 ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 décembre 2011 et de l'avis du médecin conseil du requérant du 14 novembre 2007, que les séances de kinésithérapie dispensées à l'intéressé après l'intervention pratiquée les 14 et 15 novembre 1997, n'ont pas été poursuivies pendant la détention bien que des séances quotidiennes avaient été prescrites le 25 novembre 1997 ; qu'aucun contrôle de l'évolution de la fracture n'a été mis en place, alors que la radiographie réalisée le 15 janvier 1998, à l'issue de la période de deux mois de défense d'appui sur la jambe gauche, montrait un retard de consolidation ; que la mise en évidence d'une pseudarthrose, par une radiographie qui n'a été réalisée que le 24 juillet 1998, n'a pas été suivie de la proposition de reprise chirurgicale qu'impliquait ce diagnostic ; que l'absence de consolidation de la fracture et la persistance de la fragilité du fémur n'ont été portées à la connaissance de M. B..., ni pendant son incarcération, ni à sa libération ; que la reprise chirurgicale n'a été réalisée qu'en août 1999, après " rupture en fatigue " du matériel d'ostéosynthèse ; que l'absence de suivi approprié de la consolidation de la fracture, dès le mois de janvier 1998, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille, laquelle n'est pas fondée à se prévaloir de ce que le requérant, qui n'a pas bénéficié des soins de remise en charge progressive de la jambe, aurait enfreint une consigne d'interdiction d'appui ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'absence de suivi médical adapté et de consolidation serait imputable à une faute du service public pénitentiaire ; que seule la responsabilité de l'établissement public de santé doit ainsi être engagée ;

Sur la perte de chance :

5. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si le défaut de soins de kinésithérapie est resté sans incidence sur l'état de santé de l'intéressé, l'absence de suivi de l'évolution de la consolidation de la fracture du fémur gauche, dès le mois de janvier 1998, a fait perdre à M. B... une chance de bénéficier plus précocement d'une reprise chirurgicale et d'éviter la rupture du matériel d'ostéosynthèse ; que dans les circonstances de l'espèce et compte tenu notamment de ce que M. B... séjournait en hôpital-prison du 7 janvier 1998 au 26 mai 1998, il y a lieu de fixer aux deux tiers le taux de cette perte de chance ;

Sur la prescription :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites au profit de l'Etat, des départements et des communes (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai (...) les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même, soit par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance (...) " ; que, en matière de responsabilité médicale, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a substitué une prescription décennale à la prescription quadriennale ; que son article 101 rend le nouveau délai de prescription immédiatement applicable ;

8. Considérant que M. B... n'a eu connaissance de la pathologie non diagnostiquée qu'à l'occasion de la radiographie réalisée le 7 août 1999 ; qu'ainsi, le délai de prescription quadriennale, qui court à compter du 1er janvier de l'année suivant celle de la consolidation, n'était en tout état de cause pas expiré à la date d'entrée en vigueur de la prescription décennale instituée par la loi du 4 mars 2002 ; que la saisine du juge des référés du tribunal administratif de Marseille, le 24 janvier 2007, afin que soit ordonnée une mesure d'expertise, aurait au demeurant eu pour effet d'interrompre le délai de prescription ; que, dans ces conditions, l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille n'est pas fondée à soutenir que la créance de M. B... serait prescrite ;

Sur le préjudice :

9. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que, eu égard notamment à la gravité de l'état de santé initial consécutif à l'accident de la circulation du 14 novembre 1997, les séquelles permanentes dont M. B... reste atteint, et le préjudice professionnel dont il se prévaut, présentent un lien de causalité avec la faute de l'établissement public de soins ; que le traitement de la pseudarthrose, consécutive à l'absence de consolidation de la fracture multiple, aurait en tout état de cause requis une reprise d'ostéosynthèse ; qu'ainsi, seules les souffrances endurées pendant la période de retard de diagnostic sont en lien direct avec la faute de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant, après prise en compte du taux de perte de chance, à 2 100 euros ;

10. Considérant que les frais d'assistance par un médecin conseil lors de l'expertise du 9 mai 2007, d'un montant de 600 euros, que M. B... justifie avoir exposés, ont été utiles à la solution du litige ; qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 400 euros compte tenu du taux de perte de chance ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de prescrire une expertise, que M. B... est fondé à demander la condamnation de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille à lui verser la somme de 2 500 euros en réparation des préjudices subis ;

Sur les dépens :

12. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais des trois expertises ordonnées par le tribunal administratif de Marseille, qui ont été liquidés et taxés aux sommes de 400 euros, 500 euros et 1 200 euros, respectivement par ordonnances des 19 mars 2007, 22 septembre 2011 et 21 février 2013, à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

13. Considérant que M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lasalarie avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille, partie tenue aux dépens, le versement à Me Lasalarie de la somme de 2 000 euros ; que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est ni tenu aux dépens ni partie perdante à l'instance, verse au conseil de M. B... une somme à ce même titre ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 18 juillet 2014 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : L'Assistance publique - hôpitaux de Marseille est condamnée à verser à M. B... la somme de 2 500 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme globale de 2 100 euros, sont mis à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille.

Article 5 : L'Assistance publique - hôpitaux de Marseille versera à Me Lasalarie une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Lasalarie renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille, au ministre de la justice, garde des sceaux, à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à Me Lasalarie.

Délibéré après l'audience du 20 avril 2017, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président,

- M. Laso, président-assesseur,

- M. Lafay, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 mai 2017.

2

N° 14MA04013


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA04013
Date de la décision : 04/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services pénitentiaires.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: M. Louis-Noël LAFAY
Rapporteur public ?: Mme CHAMOT
Avocat(s) : CABINET WILSON - DAUMAS - DAUMAS - BERGE-ROSSI - LASALARIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-05-04;14ma04013 ?
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