Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...D...a principalement demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis en raison d'un harcèlement moral.
Par un jugement n° 1001472 du 20 février 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de M.D....
Procédure devant la cour :
Par une requête, des pièces et plusieurs mémoires enregistrés les 17 avril 2014,
7 octobre 2014, 24 novembre 2014 et 12 mai 2015, M.D..., représenté par
Me B...A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement précité rendu le 20 février 2014 par le tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner l'Etat au paiement de la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis en raison d'un harcèlement moral et de la perte de chance de réussir le concours d'attaché principal, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) d'enjoindre au directeur du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines d'effacer de son dossier administratif toute mention relative à ses prétendues insuffisances professionnelles ou médicales ;
4°) " de fixer le cadre des compensations-réparations par accélération de sa carrière depuis le 1er août 2007, le retard indiciaire, la nature du régime indemnitaire, le montant des primes dues " ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il a subi un harcèlement moral et a perdu une chance de réussir l'examen professionnel d'attaché principal.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 avril 2015, le ministre de la culture et de la communication demande à la cour de rejeter la requête de M.D....
Il soutient :
- que les conclusions indemnitaires de M. D...sont irrecevables faute de liaison du contentieux ;
- que les moyens de la requête sont infondés.
Par lettres en date des 21 août 2015 et 1er septembre 2015, les parties ont été informées que la décision était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office.
Par lettres en date des 21 août 2015 et 1er septembre 2015, la cour a demandé aux parties la production de pièces pour compléter l'instruction du dossier.
Par mémoires et pièces enregistrés les 31 août 2015, 1er septembre 2015, 29 octobre 2015 et 2 novembre 2015, M. D...a répondu au moyen d'ordre public susmentionné en faisant valoir que ses conclusions aux fins d'injonction ne sont pas irrecevables car elles ont été présentées à titre accessoire de ses conclusions indemnitaires et conclu aux mêmes fins par les mêmes moyens en ajoutant qu'il est sans affectation depuis le 1er septembre 2012.
Par mémoire enregistré le 12 octobre 2015, le ministre de la culture et de la communication a répondu à la mesure d'instruction susmentionnée et conclu aux mêmes fins par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent-Dominguez,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant M.D....
1. Considérant que M.D..., attaché d'administration centrale, a été muté à compter du 1er août 2007, en qualité de secrétaire général, du département des affaires juridiques de la direction des musées de France au département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), service à compétence nationale, situé à Marseille ; qu'estimant y avoir fait l'objet, dès son arrivée, d'un harcèlement moral, il a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une requête tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estimait avoir en conséquence subis ; que M. D...interjette appel du jugement en date du
20 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de la culture et de la communication :
2. Considérant qu'aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce, quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration ; que lorsque ce mémoire en défense conclut à titre principal, à l'irrecevabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond, ces conclusions font seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si, à la date du 3 mars 2010 à laquelle M. D...a saisi le tribunal administratif de Marseille, ce dernier ne justifiait d'aucune décision expresse ou tacite lui refusant l'indemnité qu'il sollicitait, il a, par courrier électronique et lettre datés du 24 janvier 2011, demandé à son administration de lui allouer une indemnité en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait d'un harcèlement moral ; qu'une décision implicite de rejet a été opposée deux mois plus tard à cette demande, soit avant que le juge de première instance statue ; qu'aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut donc être opposée aux conclusions de la demande de première instance ;
En ce qui concerne la qualification de harcèlement moral :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : "Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) " ;
5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité de l'agent, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ;
6. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
7. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;
8. Considérant, en premier lieu, que M. D...fait valoir qu'il n'a eu communication, avant janvier 2009, d'aucune lettre de mission et n'a bénéficié d'aucune délégation de signature ; que, cependant, d'une part, a été publiée au journal officiel de la République française le 12 octobre 2007, une délégation l'habilitant à signer, au nom du ministre chargé de la culture, tous actes dans la limite de ses attributions de secrétaire général du service à compétence nationale dénommé " département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines " ; que, d'autre part, il ressort des pièces du dossier qu'une lettre de mission datée du 1er septembre 2007 lui confiait, en sa qualité de secrétaire général, de nombreuses tâches tant, notamment, en matière de gestion des ressources humaines qu'en matière budgétaire ; que si
M. D...soutient n'avoir jamais été destinataire de cette lettre de mission qui n'a pas été signée par ses soins, il est constant qu'entre le 1er août 2007 et le mois de septembre 2008, il n'a jamais alerté son supérieur hiérarchique à cet égard, ce qu'il n'aurait pas manqué de faire si aucune mission ne lui avait effectivement été confiée ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment de plusieurs courriers émanant de l'agent chargé des règles d'hygiène et de sécurité au sein du DRASSM qui avait été prévenu par les agents en charge du nettoyage des locaux dont il n'est pas établi qu'ils auraient fait de fausses déclarations, que M. D...dormait régulièrement dans son bureau dans lequel, du fait de l'éparpillement de documents, de nourriture, de vêtements sales et autres, il était impossible de procéder au moindre nettoyage ; que ces faits établis par les pièces du dossier qu'a d'ailleurs pu consulter M. D...le 23 octobre 2008, ne sont pas sérieusement contestés par le requérant ;
10. Considérant, en troisième lieu, que s'il résulte de ce qui vient d'être dit que le comportement de M.D..., qui ne relevait d'aucune pathologie médicale dès lors qu'il a été déclaré apte par le comité médical départemental à l'exercice de ses fonctions, était fautif et susceptible, le cas échéant, faute pour celui-ci d'avoir déféré à l'invitation de son supérieur hiérarchique de cesser toute occupation à des fins personnelles de son bureau, de faire l'objet sanction disciplinaire, il n'était cependant pas d'une gravité telle qu'il puisse justifier la suspension précipitée dont il a fait l'objet par arrêté du 11 septembre 2008 ; qu'en, effet, aux termes de l'article 30 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que la mesure de suspension, qui ne peut être prononcée que dans l'hypothèse dans laquelle un agent public a commis des faits suffisamment vraisemblables et graves, présente un caractère conservatoire et a pour unique objet, pendant la durée d'une instance disciplinaire, de sauvegarder l'intérêt du service en restaurant la sérénité nécessaire à l'action administrative et en préservant la sécurité des personnes et des biens ; qu'elle est donc subordonnée, d'une part, à l'existence d'une faute grave et d'autre part, à la démonstration, par l'administration, de son caractère nécessaire au regard de l'intérêt du service ; que la démonstration d'une faute grave n'est, en l'espèce, pas établie ;
11. Considérant, en quatrième lieu, qu'il est constant que M. D...n'a pas été évalué au titre des années 2007 et 2008 ; que si cette absence d'évaluation s'explique, s'agissant de l'année 2007, par la circonstance qu'il n'a commencé à exercer ses fonctions qu'à compter du 1er septembre, aucune explication suffisamment sérieuse n'est apportée par le ministre de la culture au titre de l'année 2008 étant donné les relations dégradées entre le requérant et le directeur du DRASSM qui rendent peu crédible l'hypothèse selon laquelle cette absence de notation résulterait d'une mansuétude à l'égard du requérant ;
12. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier qu'à sa reprise de fonctions en janvier 2009, M. D...a brutalement été démis de ses fonctions de secrétaire général qui ont été confiées peu après à Mme E...G... ; qu'il a été chargé d'une mission de récolement et d'analyse des textes juridiques relatifs à la partie internationale des missions du DRASSM ; que la majeure partie de ses attributions lui a donc été, à cette occasion, retirée sans qu'il en ait été au préalable informé et sans que l'intérêt du service soit justifié par le ministre intimé en dépit de l'état du bureau du requérant avant sa mesure de suspension ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la suspension brutale de
M. D...le 11 septembre 2008 sans qu'ait été commise une faute grave, son absence d'évaluation au titre de l'année 2008 ainsi et surtout que les conditions dans lesquelles il a, à l'issue de la période de suspension, été réintégré, perdant ainsi son poste de secrétaire général et étant confiné, de manière durable, dans des tâches subalternes, ont excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et révèlent l'existence d'un harcèlement moral ; qu'il suit de là que
M. D...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions indemnitaires ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler ledit jugement ;
En ce qui concerne les préjudices subis :
14. Considérant, en premier lieu, que si M. D...soutient que, bien qu'ayant bénéficié d'un avancement d'échelon, il a perdu une chance de passer et de réussir l'examen professionnel d'attaché principal, il n'établit ni qu'il envisageait de passer un tel examen ni qu'il aurait eu des chances sérieuses de le réussir ; que les conclusions présentées à ce titre doivent, dès lors, être rejetées ;
15. Considérant, en second lieu, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M.D..., eu égard aux conditions dans lesquelles il a été à tort irrégulièrement évincé du service puis confiné dans des tâches subalternes, en l'évaluant à la somme de
10 000 euros ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette condamnation d'une astreinte ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
16. Considérant que le présent arrêt n'implique ni qu'il soit enjoint au directeur du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines d'effacer du dossier administratif de M. D...toute mention relative à ses éventuelles insuffisances professionnelles ou médicales ni que soit fixé " le cadre des compensations-réparations par accélération de sa carrière depuis le 1er août 2007, le retard indiciaire, la nature du régime indemnitaire, le montant des primes dues " ; que lesdites conclusions doivent, par suite, être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros qui sera versée à M. D...sur le fondement desdites dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1001472 rendu le 20 février 2014 par le tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. D...la somme de 10 000 euros
(dix mille euros) à titre de dommages et intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à M. D...la somme de 2 000 euros (deux mille euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et au ministre de la culture et de la communication.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Gonzales, président de chambre,
- MmeF..., première conseillère,
- Mme Vincent-Dominguez, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 novembre 2015.
''
''
''
''
N° 14MA017824