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20/10/2015 | FRANCE | N°13BX02416

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 20 octobre 2015, 13BX02416


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Pointe-à-Pitre a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de condamner la société Sodimat à lui restituer le prix d'une balayeuse acquise en 2006, soit 96 682 euros et de lui verser la somme de 586 147,76 euros euros à titre de dommages et intérêts.

La société Sodimat a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de condamner la société Mathieu Ino à lui verser les sommes de 63 000 euros et 78 121,01 euros et à la garantir de toute indemnisation qui serait accordée

à la commune de Pointe-à-Pitre pour la fourniture d'une balayeuse.

Par un jugement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Pointe-à-Pitre a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de condamner la société Sodimat à lui restituer le prix d'une balayeuse acquise en 2006, soit 96 682 euros et de lui verser la somme de 586 147,76 euros euros à titre de dommages et intérêts.

La société Sodimat a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de condamner la société Mathieu Ino à lui verser les sommes de 63 000 euros et 78 121,01 euros et à la garantir de toute indemnisation qui serait accordée à la commune de Pointe-à-Pitre pour la fourniture d'une balayeuse.

Par un jugement n°s 1000024 et 1000365 du 20 juin 2013, le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté la demande de la commune de Pointe-à-Pitre. Par le même jugement, le tribunal administratif a rejeté comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître la demande présentée par la société Sodimat contre le fabriquant de la balayeuse

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 août 2013 et le 21 janvier 2014, la commune de Pointe-à-Pitre représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 20 juin 2013 en tant qu'il rejette sa demande ;

2°) de condamner la société Sodimat à lui verser la somme de 586 147,76 euros en réparation du préjudice qui lui a été causé par l'inexécution de ses obligations contractuelles;

3°) de mettre à la charge de la société Sodimat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ainsi que l'atteste la délibération du conseil municipal autorisant le maire à agir en justice;

- le marché a été passé en application du code des marchés publics et sa demande relève de la compétence de la juridiction administrative ;

- ce n'est qu'après réception des conclusions de l'expertise judiciaire que la commune a eu connaissance de l'origine et de l'étendue exacte des vices cachés qu'elle a introduit une action contentieuse, le tribunal administratif ne pouvait donc lui opposer la tardiveté cette demande sur le fondement des dispositions de l'article 1648 du code civil ;

- depuis la première panne de la balayeuse, le 26 juin 2006, jusqu'au courrier du 4 octobre 2007, la commune a tenté de régler le litige à l'amiable avec le vendeur ; ce courrier ne saurait à lui seul, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, établir la connaissance par la commune du vice caché dont était atteinte la balayeuse ;

- ce n'est qu'à la lecture du rapport d'expertise, le 30 juillet 2009, que la commune a eu connaissance certaine du vice caché et donc lorsqu'elle a introduit sa demande devant le tribunal administratif le 11 janvier 2010, cette dernière n'était pas tardive ;

- les sommes qu'elle sollicite à titre de dommages et intérêts sont justifiées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2013, la société Sodimat conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Pointe-à-Pitre la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable car elle a été déposée par la commune sans mention de la personne physique qui la représente ;

- les moyens soulevés par la commune de Pointe-à-Pitre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code civil;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Pierre Valeins,

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Pointe-à-Pitre a conclu, le 1er février 2006, avec la société Sodimat un marché public de fournitures, selon la procédure adaptée prévue à l'article 28 du code des marchés publics, pour l'achat d'une balayeuse et pour un montant de 96 682 euros. Cette balayeuse a été livrée le 31 août 2006. Les pannes nombreuses ont conduit la commune, le 1er octobre 2007, à restituer l'engin à la Sodimat et à lui demander, soit de fournir une balayeuse neuve, soit de délivrer un avoir correspondant au prix payé, soit de rembourser la somme payée. En réponse, la Sodimat a mis occasionnellement à la disposition de la commune une balayeuse de remplacement. Par ailleurs, la Sodimat ayant assigné le fabricant de la balayeuse devant le juge judiciaire, le juge des référés du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre a ordonné une expertise dont le rapport a été établi et transmis à la commune de Pointe-à-Pitre le 30 juillet 2009. Le 11 janvier 2010 la commune de Pointe-à-Pitre a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de condamner la société Sodimat, sur le fondement des articles 1 641 et 1 648 du code civil, à lui verser la somme de 586 147,76 euros à titre de dommages et intérêts. Par jugement du 20 juin 2013, le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté pour prescription la demande de la commune. La commune de Pointe-à-Pitre relève appel de ce jugement.

2. Il ressort d'une délibération du 3 avril 2008 que le conseil municipal de Pointe-à-Pitre a décidé d'autoriser le maire à intenter au nom de la commune les actions en justice. La fin de non recevoir opposée par la société Sodimat tirée de l'absence de qualité pour agir du maire de Pointe-à-Pitre doit donc être écartée.

3. Selon l'article 1641 du code civil le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine. Aux termes de l'article 1643 du même code le vendeur " est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie ". Aux termes de l'article 1644 du même code : " Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts ". Aux termes de l'article 1645 du même code : " Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur".Aux termes de l'article 1646 : " Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente ". Enfin, l'article 1648 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " L'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice (...) ". Il résulte de ces dispositions que le délai prévu par l'article 1648 du code civil court à compter du jour de la découverte par l'acheteur de l'existence du vice, de son étendue et de sa gravité.

4. La balayeuse a été réceptionnée par la commune le 10 mai 2006. De multiples désordres sont apparus lors des premières utilisations, contraignant la commune à demander à plusieurs reprises la réparation de ces désordres à la société Sodimat. Ni la société Sodimat ni son fournisseur ne parvenant à déterminer l'origine des désordres et à y remédier, ces désordres ont persisté et entraîné de nombreuses immobilisations de la balayeuse. La commune, par lettre du 4 octobre 2007, a donc fait savoir à la société Sodimat qu'elle cessait d'utiliser la balayeuse en question en raison de la persistance de la surchauffe du moteur et lui demandait, soit de lui échanger ce matériel contre une balayeuse neuve, soit de lui délivrer un avoir équivalent à son prix d'origine, soit de lui rembourser la somme versée. Ce n'est qu'à la suite d'une action judiciaire de la société Sodimat contre son fournisseur qu'un rapport d'expertise a été établi, le 30 juillet 2009, duquel il ressort que le désordre principal, la montée en température du moteur de la balayeuse, provient d'un vice de conception que les modifications apportées par le fournisseur lors de l'expertise n'ont pu résoudre, de telle sorte que la machine en cause étant impropre à sa destination l'expert a préconisé son remplacement ou le remboursement de la somme de 96 682 euros versée par la commune. Dans ces conditions, si le 4 octobre 2007 la commune de Pointe-à-Pitre avait connaissance des désordres affectant la balayeuse, ce n'est que le 30 juillet 2009 lors de la remise du rapport d'expertise qu'elle a eu connaissance des causes et de l'ampleur de ces vices. En présentant devant le tribunal administratif, le 11 janvier 2010, une demande tendant à la condamnation de la société Sodimat à lui rembourser le prix de la machine et à lui verser des dommages et intérêts, la commune de Pointe-à-Pitre a bien agi dans le délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 1648 du code civil. Contrairement a ce qu'a jugé le tribunal administratif sa demande n'était donc pas prescrite.

5. En vertu des dispositions de l'article 1644 du code civil rappelées au point 3, la commune de Pointe-à-Pitre est en droit de rendre la balayeuse à la société Sodimat et de demander sa condamnation à lui rembourser le prix qu'elle a payé, soit la somme de 96 682 euros. La société Sodimat est donc condamnée à verser la somme de 96 682 euros à la commune de Pointe-à-Pitre sous réserve que la commune lui rende la balayeuse.

6. La commune de Pointe-à-Pitre fait valoir également que la société Sodimat devrait être condamnée à lui verser des dommages et intérêts. Compte tenu de l'argumentation développée en première instance et en appel, la commune doit être regardée comme fondant sa demande tant sur les dispositions de l'article 1645 du code civil dont il résulte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages en résultant que sur les stipulations de l'article 23-2 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de fournitures courantes et de services approuvé par décret n° 77-699 du 27 mai 1977 modifié, selon lesquelles la commune a droit " à des dommages et intérêts au cas où, pendant la remise en état, la privation de jouissance entraîne pour elle un préjudice ". A ce titre, la commune demande la condamnation de la société Sodimat à lui verser la somme de 586 147,76 euros correspondant aux dépenses effectuées par la commune durant la période du 10 juillet 2006 au 17 septembre 2009 pour payer des prestations de lavage de diverses rues, places et marchés réalisées par une société privée de nettoyage. Toutefois, d'une part, la commune ne peut être indemnisée que pour la période du 10 mai 2006, date de réception de la balayeuse au 4 octobre 2007, date à laquelle elle a déclaré renoncer à utiliser cette machine, car à cette date elle pouvait acquérir une autre balayeuse chez un autre fournisseur ou en louer une. D'autre part, les dommages qu'elle a subis du fait des pannes successives de la balayeuse ne peuvent couvrir la totalité des frais de nettoyage qu'elle a payés, alors qu'il n'est ni établi ni même allégué que ces prestations ne pouvaient pas être fournies au moins en partie par le personnel municipal avec le matériel qui était déjà à sa disposition. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la commune en condamnant la société Sodimat à lui verser la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Pointe-à-Pitre est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Sodimat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Pointe-à-Pitre et non compris dans les dépens. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Pointe-à-Pitre, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par la société Sodimat et non compris dans les dépens.

DECIDE

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 20 juin 2013 est annulé en tant qu'il rejette la demande de la commune de Pointe-à-Pitre.

Article 2 : La société Sodimat est condamnée à verser à la commune de Pointe-à-Pitre les sommes de 96 682 euros au titre du remboursement de la balayeuse défaillante, sous réserve que cette machine soit rendue à la société Sodimat, de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus de la requête de la commune de Pointe-à-Pitre est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la société Sodimat tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Pointe-à-Pitre et à la société Sodimat.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2015 à laquelle siégeaient :

M. Didier Péano, président,

M. Jean-Pierre Valeins, président assesseur,

M. B...A..., faisant fonction de premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 octobre 2015.

Le rapporteur,

Jean-Pierre Valeins

Le président,

Didier Péano

Le greffier,

Martine Gérards

La République mande et ordonne à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 13BX02416


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 13BX02416
Date de la décision : 20/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-01-02-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. EXÉCUTION TECHNIQUE DU CONTRAT. CONDITIONS D'EXÉCUTION DES ENGAGEMENTS CONTRACTUELS EN L'ABSENCE D'ALÉAS. MARCHÉS. MAUVAISE EXÉCUTION. - GARANTIE CONTRACTUELLE DES VICES CACHÉS À LA RÉCEPTION DE FOURNITURES OU DE PRESTATIONS, PRÉVUE PAR L'ARTICLE 1641 DU CODE CIVIL- POINT DE DÉPART DU DÉLAI DE DEUX ANS - RÉPARATION DU PRÉJUDICE.

39-03-01-02-01 Lorsqu'il fait application aux marchés publics de la garantie contractuelle des vices cachés à la réception de fournitures ou de prestations, prévue par l'article 1641 du code civil, le juge administratif applique également les règles de prescription propres à cette garantie prévues par l'article 1648 du même code.... ,,En l'espèce, le délai de deux ans prévu par les dispositions alors en vigueur de l'article 1648 au-delà duquel l'action en garantie de la personne publique contre le fournisseur est prescrite, n'a commencé à courir qu'à compter de la date de réception par la personne publique d'un rapport d'expertise qui avait été ordonnée par le juge judiciaire sur une action du fournisseur de l'engin défectueux contre le fabriquant de l'engin. En effet, même si l'engin était tombé en panne à plusieurs reprises, ce n'est qu'à partir de cette date que la personne publique a eu véritablement connaissance des causes et de l'ampleur des vices dont l'engin était atteint (1),,,Sur le fondement des dispositions de l'article 1644, la personne publique obtient la condamnation du vendeur à lui rembourser le prix de l'engin qu'elle avait acheté et que les vices cachés rendaient impropre à son usage.... ,,De plus, en vertu de l'article 1645 du code civil dont il résulte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages en résultant (1), le vendeur est condamné à indemniser la commune des dommages causés par les nombreuses pannes de l'engin qui l'avaient contrainte à recourir aux services d'entreprises privées.


Références :

1.

Cf. CE, 7 avril 2011, Société Ajaccio Diesel, n° 344226, B. Sur l'application par le juge administratif de la garantie des vices cachés prévue par l'article 1641 du code civil : CE, sect. 9 juillet 1965, société « les Pêcheries de Keroman », publié p. 418 ;

CE, 29 janvier 1993, syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy, n°122491, publié au Recueil, aux conclusions de H. Legal., ,,Annulation partielle et renvoi à la cour. Décision CE 395442 du 27 mars 2017.


Composition du Tribunal
Président : M. PEANO
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre VALEINS
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : SCP MORTON et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-10-20;13bx02416 ?
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