LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée le 26 février 2005 en qualité d'agent de production par la société Visteon Ardennes industries, depuis dénommée Halla Visteon Charleville ; qu'elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail, le 19 octobre 2010, puis a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail et à un harcèlement, l'arrêt, après avoir relevé que le syndrome anxio-dépressif présenté par cette salariée n'est imputable qu'aux faits de harcèlement sexuel, retient que la matérialité du harcèlement moral et sexuel dont a été victime la salariée par une personne de l'entreprise est caractérisée et non contestée par l'employeur, que cependant ce dernier n'a eu connaissance du harcèlement sexuel et moral commis par son préposé qu'avec la dénonciation qui lui en a été faite, qu'il a aussitôt pris les mesures appropriées et sanctionné l'auteur, supérieur hiérarchique de la salariée, en prononçant son licenciement pour faute grave ; qu'il est ainsi justifié que l'employeur a pris les mesures nécessaires à la protection de la salariée de telle sorte qu'il n'a pas manqué à son obligation de sécurité ;
Attendu, cependant, que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle constatait que la salariée avait été victime d'un harcèlement moral et sexuel dans l'entreprise, la cour d'appel à laquelle il appartenait dès lors d'apprécier si ce manquement avait empêché la poursuite du contrat de travail, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 avril 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société Halla Visteon Charleville aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Halla Visteon Charleville à payer la somme de 3 000 euros à Mme X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame X... (salariée) de sa demande tendant à ce que la société VISTEON ARDENNES INDUSTRIES (employeur) soit condamnée à lui verser les sommes de 40000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2.230 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 2817, 76 € à titre d'indemnité de préavis, 281, 78 € à titre de congés payés sur préavis et de 80000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel et moral, et de l'AVOIR en conséquence déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE ;
Madame Sabrina X... a été embauchée par la SAS Vistéon Ardennes Industries (VAI) par contrat à durée indéterminée à compter du 26 février 2005 en qualité d'agent de production, avec reprise d'ancienneté à compter du 26 novembre 2004 en raison de missions précédemment réalisées en intérim.
La SAS VAI relève de la convention collective des industries métallurgiques du département des Ardennes.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 octobre 2010, Madame Sabrina X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Madame X... fonde la prise d'acte de son contrat de travail sur :
- le harcèlement sexuel et moral dont elle a été victime du mois de juin 2009 au 10 novembre 2009 par Monsieur Thierry Y..., contremaître, qui était devenu son chef d'équipe depuis le mois de mars 2009, - le harcèlement moral qui a suivi la divulgation de ce harcèlement sexuel à la direction de la SAS VAI en raison : - de l'ébruitement du harcèlement dans la société, malgré son souhait que soit observée la plus grande discrétion, en particulier par Monsieur Bruno Z..., directeur de production, qui a en outre tenu des propos désobligeants à son égard, - des réflexions déplacées d'autres salariés qui ont suivi cet ébruitement.
Sur le harcèlement sexuel et moral exercé par Monsieur Thierry Y... L'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de l'entreprise.
La matérialité du harcèlement moral et sexuel dont a été victime Madame Sabrine X... par Monsieur Thierry Y... est caractérisé par la condamnation de ce dernier par jugement définitif du tribunal correctionnel de Charleville-Mézières du 30 janvier 2012 à 7 mois d'emprisonnement avec sursis pour harcèlement pour obtention de faveur sexuelle commis du 1er mars au 9 novembre 2009 sur Madame Sabrina X... et trois autres salariées de la société.
Ces faits ne sont d'ailleurs pas contestés par le SAS VAI.
Les documents produits aux débats établissent de manière concordante que la divulgation de ce harcèlement sexuel et moral est intervenue dans les conditions suivantes jusqu'à prise d'acte :
- le 9 novembre 2009, Madame Sabrina X... et ses trois collègues ont contacté par téléphone Monsieur A..., directeur des ressources humaines de la SAS VAI, afin de l'informer que leur chef d'équipe, Monsieur Thierry Y... les harcelait sexuellement. Monsieur A... a alors demandé à les rencontrer le plus rapidement possible ;
- lors d'un entretien fixé au lendemain, le 10 novembre 2009, auquel a également participé Monsieur B..., directeur général de la SAS VAI, Madame Sabrina X... a reçu un appel de Monsieur Thierry Y... qui s'excusait de son comportement avec elle le 1er novembre 2009 sur leur lieu de travail ;
- le 12 novembre 2009, Madame Sabrina X... a remis à son employeur une déposition écrire relatant les agissements de Monsieur Thierry Y... à son égard ;
- le 13 novembre 2009, Monsieur Thierry Y... a été convoqué par la SAS VAI à un entretien préalable et une mise à pied à titre conservatoire lui a été notifiée ;
- le 27 novembre 2009, la SAS VAI a notifié à Monsieur Thierry Y... son licenciement pour faute grave ;
- le 26 février 2010 que Madame Sabrina X... a communiqué un arrêt de travail pour « état anxio dépressif réactionnel à de gros problèmes liés au travail » ;
- le 30 mars 2010, Madame Sabrina X... a déposé une reconnaissance de maladie professionnelle qui a été rejetée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie le 31 mai 2010 ;
- le 13 août 2010, Madame Sabrina X... a déposé plainte à l'encontre de Monsieur Thierry Y... pour le harcèlement sexuel qu'il lui avait fait subir et à l'encontre de la SAS VAI et pour le harcèlement moral subi du 1er janvier 2010 au 26 février 2010 suite au harcèlement sexuel ;
- le 25 août 2010, Madame Sabrina X... a déposé une demande d'accident de travail pour des faits de harcèlement sexuel commis le 7 novembre 2009 par Monsieur Thierry Y... qui a été acceptée le 12 octobre 2010. Cette décision a été contestée par la SAS VAI et une instance est actuellement pensante devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale ;
- le 19 octobre 2010, Madame Sabrina X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Cette chronologie met en évidence que :
- d'une part, la SAS VAI n'a pas eu connaissance du harcèlement sexuel et moral commis par Monsieur Thierry Y... avant la dénonciation qui lui en a été faite par Madame Sabrina X..., - d'autre part, dès qu'elle a été informée de ces faits, elle a immédiatement pris les mesures appropriées pour protéger la salariée qui en était victime et sanctionner son supérieur hiérarchique qui en était l'auteur.
D'ailleurs, Madame Sabrina X... a elle-même indiqué aux gendarmes au moment de son dépôt de plainte : « je n'ai rien à reprocher à M. B... ni à Monsieur A... qui ont pris toutes les mesures nécessaires dès qu'ils ont eu connaissance du comportement de Monsieur Y... ».
Il est ainsi justifié que l'employeur a pris les mesures nécessaires à la protection de la salariée de telle sorte qu'il n'a pas manqué à son obligation de sécurité.
ALORS QUE l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales, exercées par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements ; qu'en considérant que la prise d'acte produisait les effets d'une démission aux motifs que la société VISTEON ARDENNES INDUSTRIES avait pris les mesures appropriées pour protéger la salariée qui en était victime et sanctionner son supérieur hiérarchique de sorte qu'elle n'avait pas manqué à son obligation de sécurité, la Cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 4121-1 du Code du travail.