LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que reprochant à la commune d'Uzerche (la commune) d'avoir, à l'occasion de travaux de rénovation de la place publique en contrebas de laquelle est situé l'immeuble lui appartenant, modifié le cloutage au sol, de telle sorte que sa terrasse est désormais incluse dans le domaine public, et installé des éclairages en quatre points de sa façade en lieu et place de l'unique lanterne s'y trouvant auparavant, Mme X... a, sur le fondement de la voie de fait, sollicité la condamnation de la commune à procéder, sous astreinte, à des travaux de remise en état, ainsi qu'au paiement de dommages-intérêts ; que celle-ci a soulevé l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire au profit des juridictions administratives ;
Sur le premier moyen :
Vu la loi des 16-24 août 1790 ;
Attendu qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ;
Attendu que pour retenir l'existence de voies de fait fondant la compétence du juge judiciaire, l'arrêt énonce, d'une part, que les travaux d'aménagement réalisés par la commune avec l'assentiment de Mme X... ont conduit à supprimer les signes distinctifs de la limite entre sa terrasse et le domaine public, entraînant ainsi une occupation irrégulière de sa propriété privée par les automobilistes, d'autre part, que la commune, qui ne disposait que d'un point d'ancrage permettant l'accrochage d'une lanterne sur la façade de l'immeuble appartenant à Mme X..., a, sans avoir sollicité l'accord de cette dernière, créé trois points d'ancrage supplémentaires ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations qu'aucun de ces agissements n'avait abouti à l'extinction du droit de propriété de l'intéressée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation de l'arrêt sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif critiqués par le second moyen, relatifs à la condamnation de la commune à procéder, sous astreinte, à des travaux de remise en état des lieux et de reprise des dégradations et au paiement de dommages-intérêts ;
Et vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 septembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour connaître du litige ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens exposés devant les juges du fond et la Cour de cassation ;
Vu l'articles 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour la commune d'Uzerche
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'AVOIR dit que la commune d'UZERCHE a commis des voies de fait au préjudice de Melle Marie-Noëlle X... et, en conséquence, d'AVOIR déclaré être compétente pour en connaître ;
AUX MOTIFS D'UNE PART QU'il est constant que Melle Marie-Noëlle X..., face à un impératif d'harmonisation auquel les travaux envisagés par la commune devaient répondre, et qui consistaient en la rénovation de la place sur laquelle donne le commerce de cette dernière avec sa terrasse, a donné son assentiment pour l'aménagement de sa terrasse ; que pour autant, cet accord qu'a pu donner Melle X..., trouvait implicitement, mais nécessairement ses limites dans le respect de son droit de propriété sauvegardé ; qu'or, il est constant que la nature des travaux ainsi réalisés par la commune ont conduit de facto à supprimer de façon apparente, les signes distinctifs de la limite entre la terrasse de Melle X... et le domaine publique, conduisant à une occupation irrégulière par le public de la propriété privée de cette dernière, sans son assentiment, la privant également de l'usage privatif de sa propriété puisque les automobilistes, pensant qu'il s'agissant d'un parking, y stationnaient leurs véhicules ; qu'il en résulte que les travaux auxquels a ainsi procédé la commune, ne peuvent aucunement s'inscrire régulièrement dans l'opération de rénovation projeté par la commune qui n'avait pas pouvoir d'envisager, sans autre procédure, d'inclure dans le domaine public la propriété privée de Melle X... pour la mettre à la disposition et à l'usage du public ; qu'il s'agit donc bien d'une atteinte portée par la commune à la propriété privée de Melle X... causée par la réalisation de travaux, constitutive d'une voie de fait donnant au juge judiciaire la compétence exclusive pour en connaître ;
1°) ALORS QU'une voie de fait suppose une atteinte au droit de propriété ; qu'en l'espèce, pour retenir une « atteinte portée par la commune à la propriété privée de Melle Marie-Noëlle X... causée par la réalisation de travaux constitutive d'une voie de fait donnant au juge judiciaire la compétence exclusive pour en connaître », la cour d'appel s'est bornée à relever que les travaux réalisés par la commune « ont conduit ¿ à supprimer ¿ les signes distinctifs de la limite entre la terrasse de Melle X... et le domaine public » ; qu'en statuant par ces motifs impropres à établir l'atteinte grave portée à la propriété de Melle X..., seuls de nature à caractériser une voie de fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 ;
2°) ALORS QUE la voie de fait suppose une atteinte grave au droit de propriété manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; qu'en l'espèce, il résultait des propres constatations de l'arrêt que les travaux réalisés par la commune répondaient « à un impératif d'harmonisation » ; qu'il était donc constant que l'opération de rénovation de la place publique, en ce compris la rénovation de la terrasse, se rattachait directement à un pouvoir appartenant à l'administration, ce dont il résultait que les conditions d'une voie de fait n'étaient pas réunies ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 ;
3°) ALORS QUE la cour d'appel a constaté que les travaux de rénovation de la place publique ayant notamment consisté à la suppression de la délimitation entre la terrasse de Melle X... et la place publique avaient conduit les automobilistes à stationner irrégulièrement leurs véhicules sur la propriété privée de Melle X... ; qu'il résultait de ces constatations que « l'occupation irrégulière par le public de la propriété privée » de Melle X... était la conséquence des modalités d'exécution des travaux d'aménagement de la terrasse, à l'exclusion de toute volonté d'incorporation de celle-ci au domaine public par la commune ; qu'en retenant en conséquence que la commune « n'avait pas le pouvoir d'envisager, sans autre procédure, d'inclure dans le domaine public la propriété privée de Melle Marie-Noëlle X... pour la mettre à la disposition et à l'usage du public », la cour d'appel s'est contredite et, partant, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'il n'y pas voie de fait si la personne privée a donné son accord à la réalisation des travaux litigieux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que Melle X... « a donné son assentiment pour l'aménagement de sa terrasse » (arrêt p. 5) ; qu'un tel accord excluait de facto l'existence d'une voie de fait à son encontre ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ces constatations et, partant, a violé la loi des 16-24 août 1790 ;
AUX MOTIFS D'AUTRE PART QUE s'agissant de la pose de l'éclairage, il est constant qu'une commune quelle qu'elle soit, bénéficie d'une servitude d'utilité publique d'éclairage ; que pour autant, la mise en place de cette servitude nécessite l'accord du propriétaire débiteur de cette servitude, mais encore, une juste et préalable indemnisation, et à défaut d'un tel accord, une procédure d'expropriation pour servitude d'utilité publique, doit être mise en place ; qu'il en est de même pour une aggravation d'une servitude déjà existante ; qu'en l'espèce, la commune qui ne disposait sur l'immeuble de Melle X... que d'un seul point d'ancrage permettant l'accrochage d'une lanterne, a, par les travaux de rénovation entrepris, créé trois points supplémentaires d'ancrage sur la façade de l'immeuble, alors qu'il est constant que la commune n'a sollicité aucun accord de la propriétaire, qui n'a, par ailleurs, jamais été informée du projet, puis a tenté d'y faire obstacle ; que ce fait constitue à l'évidence une deuxième atteinte à la propriété d'autrui et une voie de fait ; que par voie de conséquence, seule la juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître du préjudice invoqué par Melle Marie-Noëlle X... né directement de ces voies de fait ; que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions ;
5°) ALORS QUE la cour d'appel a constaté que la commune d'UZERCHE bénéficiait d'une servitude d'utilité publique d'éclairage qui s'exerçait déjà, avant même la réalisation des travaux litigieux, sur l'immeuble de Melle X... ; qu'il en résultait d'une part, que Melle X... n'avait subi aucune atteinte à son droit de propriété résultant de l'implantation des spots litigieux et, d'autre part, que le maire de la commune avait strictement agi dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative générale, ces circonstances étant exclusives de toute voie de fait et, partant, de nature à exclure la compétence du juge judiciaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé la loi des 16-24 août 1790.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la commune d'UZERCHE à procéder à la remise en état des lieux dans leur forme initiale concernant l'éclairage mis en place sur la façade de l'immeuble de Melle X..., sous astreinte de 50 € par jour de retard passé le délai d'un mois suivant la décision à intervenir, d'AVOIR condamné la commune d'UZERCHE à procéder aux travaux de reprise des dégradations causées à l'immeuble de Melle Marie-Noëlle X... par la mise en place de l'éclairage, sous astreinte de 50 € par jour de retard, passé le délai d'un mois suivant la décision à intervenir et d'AVOIR condamné la commune d'UZERCHE à payer à Melle X... la somme de 6. 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des troubles et atteintes à sa propriété ;
AUX MOTIFS QU'il sera tout d'abord donné acte aux parties de ce qu'en cours d'instance, la commune a mis en place un dispositif permettant de délimiter de façon apparente et désormais satisfaisante, la terrasse de Melle Marie-Noëlle X... du domaine public, de nature à faire cesser cette voie de fait née de l'emprise illégale ; que concernant l'éclairage, cette dernière sollicite la remise en état des lieux dans leur état initial sous astreinte de 500 € par jour de retard, passé le délai d'un mois suivant la décision à intervenir ; qu'il y sera fait droit, la commune s'y étant d'ailleurs engagée par écrit dans son courrier du 20 septembre 2010, puisque cette nette aggravation de la servitude d'utilité publique dont disposait la commune, s'était faite sans l'assentiment de la propriétaire des façades de cet immeuble sur lesquelles ont été implantés trois points d'ancrage supplémentaires, sauf à dire que l'astreinte provisoire sera limitée à 50 € par jour de retard ; qu'il est également établi que ces travaux de percement de la façade de l'immeuble de Melle X... pour ancrer les éclairages, ont occasionné des détériorations, dans la mesure où ces percements ont traversé de part en part le mur de façade, allant jusqu'à endommager une cloison intérieure, ce qu'a implicitement admis la commune, qui tout en contestant ces désordres, s'était engagée à les réparer et à les financer par une subvention accordée à Melle X... ; que Melle Marie-Noëlle X... sollicite qu'il soit procéder à ces travaux de remise en état sous astreinte de 500 € par jour de retard, passé le délai d'un mois suivant la décision à intervenir ; qu'il y sera fait droit, sauf à dire que l'astreinte provisoire sera limitée à 50 ¿ par jour de retard ; qu'enfin, Melle Marie-Noëlle X... sollicite encore la somme de 6. 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des troubles et atteintes à sa propriété qui remontent depuis la fin des travaux, soit au 11 juillet 2006, date du procès-verbal de réception des travaux, tel que l'a fait savoir la commune par une note en délibéré sollicitée par la Cour, et régulièrement communiquée à Melle Marie-Noëlle X... ;
ALORS QUE ce n'est qu'en cas de voie de fait que les tribunaux judiciaires peuvent réparer les conséquences dommageables, par des dommages-intérêts ou en nature, par des injonctions à l'administration ; que la cassation à intervenir du chef du premier moyen entraînera, par voie de conséquence, sur le fondement de l'article 625 du Code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a condamné la commune d'UZERCHE à verser des dommages-intérêts à Melle X... et à procéder à la remise en l'état des lieux et à des travaux de reprise des dégradations.