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27/09/2012 | FRANCE | N°11LY02176

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 27 septembre 2012, 11LY02176


Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés les 31 août et 7 novembre 2011, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0705163 du 30 juin 2011 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble l'a condamné à verser à Mme A, Mlle Charlotte A, M. Edwin A et à la succession A les sommes de, respectivement, 44 511 euros, 11 000 euros, 5 000 euros et 3 000 euros en réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait du décès de M. René A et au régime social des indépendants des Alpes une somme de 2 972 euros en

remboursement de ses débours ;

2°) de rejeter la demande des consorts A ...

Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés les 31 août et 7 novembre 2011, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0705163 du 30 juin 2011 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble l'a condamné à verser à Mme A, Mlle Charlotte A, M. Edwin A et à la succession A les sommes de, respectivement, 44 511 euros, 11 000 euros, 5 000 euros et 3 000 euros en réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait du décès de M. René A et au régime social des indépendants des Alpes une somme de 2 972 euros en remboursement de ses débours ;

2°) de rejeter la demande des consorts A et les conclusions du Régime social des indépendants des Alpes devant le Tribunal ;

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la cause du décès demeure inconnue ;

- le Tribunal ne pouvait juger que M. A est décédé des suites d'une complication postopératoire ;

- à supposer même l'existence d'une erreur de diagnostic, on ne saurait en déduire une faute de nature à entraîner la responsabilité du centre hospitalier ;

- la victime ne présentait pas de symptômes caractérisant un risque d'hémorragie interne ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 13 janvier 2012, présenté pour Mme Monique A et M. Edwin A domiciliés 5 place Porte Reine à Chambéry (73000) et pour Mlle Charlotte A, domiciliée 26 rue Saint Réal à Chambéry, qui concluent au rejet de la requête et à ce que les sommes allouées en première instance soient portées à 120 571 euros pour Mme Monique A, 17 401 euros pour M. Edwin A et 31 807 euros pour Mlle Charlotte A, assorties des intérêts de droit à compter du 11 juillet 2007 et de la capitalisation des intérêts et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que :

- le centre hospitalier a pu discuter de manière contradictoire le rapport d'expertise judiciaire ;

- l'obligation d'informer le patient a été méconnue ;

- un ulcère gastrique est à l'origine du décès ;

- il était décelable alors que la tachycardie importante et la fièvre modérée constatées le 5 mars 2007, dont il n'a pas été tenu compte et pour lesquelles aucune initiative diagnostique n'a été prise, témoignent d'une complication ;

- il y a eu défaillance dans le suivi postopératoire ;

- des fautes dans l'organisation du service, tenant à un défaut de coordination, et d'ordre médical, sous forme d'une erreur de diagnostic, d'un défaut de surveillance du patient et d'une sortie prématurée ont été commises, des actes médicaux ayant été effectués par des collaborateurs non qualifiés ;

- la responsabilité sans faute est également engagée ;

- reconnue plus tôt, la complication gastrique aurait eu toutes les chances de guérir ;

- M. A avait des chances de survie entre 30 % et 40 % à 5 ans, et davantage après ;

- les souffrances qu'il a subies avant de décéder sont à l'origine d'un préjudice transféré dans le patrimoine des héritiers ;

- ils ont également subi un préjudice moral du fait du décès de leur époux et père, Mme Monique A ayant souffert en plus de la fermeture du commerce exploité par son mari, faute de repreneur ;

- ils ont exposé des frais funéraires et des pertes de revenus ;

Vu le mémoire, enregistré le 17 janvier 2012, présenté pour le Régime social des indépendants (RSI) des Alpes, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 euros lui soit versée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que le jugement doit être confirmé dans l'ensemble de ses motifs ;

Vu le mémoire, enregistré le 15 juin 2012, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY, qui persiste dans ses précédents moyens et conclusions ;

Il soutient en outre que la responsabilité sans faute de l'établissement ne saurait être retenue et que la réparation ne pourrait qu'être limitée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 septembre 2012 :

- le rapport de M. Picard, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Pourny, rapporteur public ;

- et les observations de Me Bergeron, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY et de Me Paganelli, avocat des consorts A ;

Considérant que M. René A, alors âgé de 51 ans, a été hospitalisé au CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY où il a été opéré le 28 février 2007 d'un cancer du rectum diagnostiqué en octobre 2006 ; qu'ayant regagné son domicile le 6 mars suivant, il est décédé le lendemain, dans l'après-midi, d'une hémorragie gastrique ; que le juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Chambéry a ordonné une expertise, dont le rapport a été remis le 7 novembre 2008 et a décidé, par une ordonnance du 19 avril 2010, qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure engagée par Mme A ; que cette dernière, sa fille Charlotte et son fils Edwin ont demandé au Tribunal administratif de Grenoble de condamner l'établissement hospitalier à réparer les préjudices résultant pour eux du décès de leur époux et père ; que, par un jugement du 30 juin 2011, le Tribunal a condamné le CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY à payer à Mme A, Mlle Charlotte A, M. Edwin A et à la succession de M. René A les sommes de, respectivement, 44 511 euros, 11 000 euros, 5 000 euros et 3 000 euros et au Régime social des indépendants des Alpes la somme de 2 972 euros en remboursement de ses débours ;

Sur le principe de la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 5 mars 2007, cinquième jour après l'opération, M. René A a été pris d'un frisson prolongé d'une trentaine de minutes et a présenté une tachycardie à 130 battements par minute ainsi qu'une élévation modérée de sa température ; que, compte tenu d'un contexte postopératoire précoce ces signes étaient, selon l'expert, évocateurs d'une complication en voie de constitution, probablement une fistule colique ou une lésion gastrique induite par le traitement anti-inflammatoire ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise judiciaire que ces signes n'ont donné lieu à aucune initiative diagnostique avérée alors que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, ils auraient dû appeler l'attention des services hospitaliers et justifier des investigations pour en déterminer l'origine ; que si le centre hospitalier fait observer que la cause du décès n'est pas connue, l'expert judiciaire affirme, sans être sérieusement contredit sur ce point, que diagnostiquée dès le 5 mars 2007, la complication évoquée plus haut, qui est très vraisemblablement à l'origine de l'hémorragie fatale à M. A, " avait toutes les chances de guérir " ; qu'à cet égard, il ne résulte d'aucune pièce du dossier que, comme le soutient le centre hospitalier, la survenue de cette complication aurait seulement privé l'intéressé d'une chance de survie ; que, par suite, cette carence dans le suivi postopératoire de M. A, qui est directement à l'origine de son décès, est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY ;

Sur les préjudices de Mme A et de ses enfants :

Considérant que les consorts A demandent seulement la majoration des indemnités que le Tribunal leur a allouées en réparation des préjudices nés des pertes de revenus qu'ils ont subies du fait du décès de M. A et des préjudices personnels propres auxquels les a exposés ce décès ;

En ce qui concerne les pertes de revenus :

Considérant que si l'indemnité allouée à la victime d'un dommage a pour objet de réparer l'intégralité du préjudice imputable à la personne responsable de ce dommage, elle ne saurait excéder, toutefois, le montant de ce préjudice ; que le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien compte tenu de ses propres revenus ; qu'il résulte de l'instruction que M. A, âgé de 51 ans lorsqu'il est décédé, et son épouse, percevaient des rémunérations annuelles de, respectivement, 16 000 euros et 17 501 euros ; que la part annuelle des revenus que M. A consacrait à l'entretien respectif de son épouse et de sa fille Charlotte doit être évaluée à 30 % et à 10 %, soit 4 800 et 1 600 euros ; que, dans les circonstances de l'espèce, en estimant les pertes de revenus de Mme A à la somme de 30 000 euros, le Tribunal ne s'est pas livré à une appréciation insuffisante de ce chef de préjudice ; que pour Mlle Charlotte A, âgée de 16 ans à la date du décès de son père, la perte de revenus doit être calculée jusqu'à l'âge de 24 ans à la somme de 13 000 euros ; que, compte tenu du capital décès qu'elle a perçu du Régime social des indépendants des Alpes, d'un montant de 1 486 euros, l'indemnité que le centre hospitalier doit lui verser à ce titre doit être portée à 11 514 euros ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Edwin A, s'il était âgé de 22 ans à la date du décès de son père, vivait au domicile de ses parents et poursuivait ses études, et qu'il n'est pas établi que son père ne subvenait pas à ses besoins ; qu'il y a lieu de fixer à 10 % la part des revenus que celui-ci consacrait à l'entretien de son fils, soit 1 600 euros par an ; que M. Edwin A indique qu'il serait demeuré encore un an à la charge de son père ; que, dès lors, il a droit à une indemnité de 1 600 euros au titre de sa perte de revenus ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce d'allouer à ce titre à Mme A une somme de 20 000 euros et à sa fille une somme de 15 000 euros ; que la somme de 5 000 euros accordée à ce même titre à M. Edwin A qui, bien que majeur, vivait au domicile de ses parents, doit être portée à 12 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les indemnités allouées par le Tribunal à Mme A, Mlle A et M. A doivent être portées aux sommes de, respectivement, 52 511 euros, comprenant des frais d'obsèques de 2 511 euros, 26 514 euros et 13 600 euros ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que les consorts A ont droit aux intérêts au taux légal des sommes qui leur sont dues à compter du 6 septembre 2007, date à laquelle le CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY a, au plus tard, reçu la réclamation préalable qu'ils lui ont adressée, ainsi qu'à la capitalisation des intérêts échus le 6 septembre 2008 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Grenoble a retenu sa responsabilité à l'égard de M. A ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement de ces dispositions, de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY le versement aux consorts A d'une somme globale de 1 500 euros ; qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par le Régime social des indépendants des Alpes ;

DECIDE :

Article 1er : Les sommes de 44 511 euros, 11 000 euros et 5 000 euros que, par l'article 1er de son jugement du 30 juin 2011 le Tribunal administratif de Grenoble a allouées à Mme Monique A, Mlle Charlotte A et M. Edwin A sont portées à, respectivement, 52 511 euros, 26 514 euros et 13 600 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2007. Les intérêts échus le 6 septembre 2008, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 30 juin 2011 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY versera aux consorts A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La requête du CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY, le surplus des conclusions des consorts A et les conclusions du Régime social des indépendants des Alpes sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER DE CHAMBERY, à Mme Monique A, à Mlle Charlotte A, à M. Edwin A et au Régime social des indépendants des Alpes.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2012 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

M. Picard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 septembre 2012.

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N° 11LY02176


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11LY02176
Date de la décision : 27/09/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: M. Vincent-Marie PICARD
Rapporteur public ?: M. POURNY
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-09-27;11ly02176 ?
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