LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 janvier 2009), que la société LV fruit a, le 8 janvier 2006, fermé son établissement de Dieppe et dispensé d'activité les salariés de l'établissement avec maintien d'une rémunération ; qu'elle a saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement économique concernant M. X..., titulaire de divers mandats syndicaux ; que l'autorisation a été refusée au motif que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement ; qu'une nouvelle demande d'autorisation de licenciement a été formée par l'employeur le 24 janvier 2007 ; que M. X... a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 19 février 2007 ; qu'une autorisation de licenciement pour motif économique a été donnée par l'autorité administrative le 1er mars 2007, et M. X... licencié le 20 mars 2007 ;
Attendu que M. X... fait grief à la cour d'appel de l'avoir débouté de sa demande de résiliation judiciaire et de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ qu'aucune modification de son contrat de travail, aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un délégué syndical ; qu'il incombe à l'employeur, en cas de refus du salarié d'accepter la modification ou le changement litigieux, de solliciter préalablement l'autorisation de l'inspecteur du travail de rompre le contrat de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. X... s'était vu imposer, à compter du 8 janvier 2006, une dispense d'activité rémunérée par l'employeur lui interdisant l'accès à l'entreprise et le privant de ses moyens de travail ; que ce n'est que le 13 février suivant qu'a été introduite la première demande d'autorisation administrative de licenciement ; qu'en décidant cependant que l'employeur n'avait commis aucune faute justifiant que fût accueillie la demande de résiliation judiciaire de ce salarié protégé la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 412-11 et L. 412-18, devenus L. 2143-3 et L. 2411-3 du code du travail, 1184 du code civil ;
2°/ subsidiairement que c'est au jour de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail antérieure au licenciement que doit se placer le juge prud'homal pour apprécier l'existence et la gravité des manquements de l'employeur invoqués par le salarié ; qu'en l'espèce, M. X... s'était prévalu, à l'appui de sa demande de résiliation formée le 19 février 2007, de manquements de l'employeur à son obligation de reclassement retenus à sa charge, notamment, par les décisions administratives des 13 mars, 28 juin et 29 décembre 2006 refusant à l'employeur l'autorisation de le licencier ; qu'en déduisant au contraire la correcte exécution, par l'employeur, de son obligation de reclassement des termes d'une autorisation administrative de licenciement en date du 1er mars 2007 postérieure à l'introduction de la demande de résiliation judiciaire de M. X..., la cour d'appel a violé l'article L. 122-4 devenu l'article L. 1231-1 du code du travail ;
3°/ que si le juge judiciaire ne peut, en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé et, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste, cependant, compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement ; qu'en se fondant, pour apprécier la légitimité des fautes reprochées à la société LV fruit à l'appui de la demande de résiliation judiciaire présentée par M. X... le 19 février 2007, sur une autorisation administrative de licenciement du 1er mars 2007 qui ne s'imposait pas à elle dans le cadre du litige distinct dont elle était saisie la cour d'appel a violé la loi des 16 et 24 août 1790 ;
Mais attendu que lorsqu'un licenciement a été notifié à la suite d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par le salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture ; que s'il reste compétent pour allouer des dommages-intérêts au salarié au titre des fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement, il ne peut faire droit à une telle demande lorsque les manquements invoqués par le salarié ont nécessairement été pris en considération par l'autorité administrative dans le cadre de la procédure d'autorisation ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'inspecteur du travail avait accordé à l'employeur, par une décision non frappée de recours, l'autorisation de licencier ce salarié pour motif économique, a exactement décidé qu'elle ne pouvait plus se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire ni sur la demande d'indemnisation du salarié fondée sur des manquements de l'employeur liés à la fermeture de l'établissement, constituant la cause du licenciement, et à son obligation de reclassement ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour M. X...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Johnny X... de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat travail et de ses demandes consécutives en rappel de salaires, indemnités et dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS propres QUE "Michel Y... et Johnny X... n'ayant pas prétendu qu'un recours ait été exercé en temps utile contre les décisions rendues le 1er mars 2007 par l'inspecteur du travail des transports de MARSEILLE, qui a autorisé leur licenciement pour motif économique par la Société LV FRUITS en considérant notamment qu'il avait été procédé à la fermeture de l'établissement de DIEPPE qui les employait, que la suppression de leurs postes était établie, que des efforts suffisants de recherche de reclassement avaient été accomplis, plusieurs postes ayant été proposés dont certains correspondaient à leur qualification, et qu'il n'existait pas de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats exercés par les deux salariés protégés, ces décisions de l'autorité administrative sont devenues définitives ; qu'ils ne sont donc plus fondés à invoquer des manquements éventuels de l'employeur à son obligation de reclassement ;
QU'ils ne peuvent pas davantage lui reprocher une absence de fourniture de travail du 8 janvier 2006 au 23 mai 2007 alors que, pendant cette période, il les dispensait de présence et d'activité dans l'entreprise en raison de la fermeture de l'établissement de DIEPPE auquel ils étaient affectés, qu'eux-mêmes refusaient les propositions de reclassement dans le cadre de la procédure de licenciement économique collectif dont ils faisaient l'objet et qu'il versait mensuellement 1 745,24 € à Michel Y... et 1 779,69 € à Johnny X... sur la base de la clause de garantie instituée par l'accord d'entreprise conclu le 1er février 2002, destinée à assurer un salaire minimal s'appliquant les mois où les chauffeurs ne travaillaient pas un nombre d'heures suffisant ;
QUE pendant cette période d'inactivité, ils ne pouvaient exiger le maintien de leur rémunération brute antérieure, incluant des éléments variables et non constants (heures supplémentaires, heures bonifiées, heures de nuit, indemnité pour jour de congé ou jour férié chômé…) et diverses indemnités (casse-croûte, repas, repos hors domicile…) qui, bien qu'ayant chacune un montant forfaitaire déterminé par les dispositions conventionnelles, correspondaient au remboursement de frais avancés, et dont le paiement était subordonné à l'exercice d'un travail effectif, et notamment à des conditions d'amplitude de la journée de travail ;
QU'en conséquence de la fermeture de l'établissement de DIEPPE et de leur dispense de présence et d'activité dans l'entreprise, l'employeur était en droit de demander à Michel Y... et Johnny X... la restitution des télécommandes du portail d'accès, des cartes d'autoroute et de carburant et des téléphones portables mis à leur disposition pour l'exercice de leur activité professionnelle, dans la mesure où il n'était pas tenu de leur fournir ce matériel pour exercer leurs mandats de représentation du personnel ; que rien ne permet d'établir qu'en agissant ainsi ou par d'autres procédés il ait cherché à confisquer leurs moyens de communiquer avec leurs collègues de travail ou à faire obstacle à l'exécution de leurs activités de salariés protégés, ou qu'il leur ait fait subir des brimades ou du harcèlement ;
QUE dans ces conditions, reprenant les motifs du Conseil de prud'hommes en y ajoutant les siens, la Cour considère à son tour que doivent être rejetées comme mal fondées les demandes de Michel Y... et Johnny X... en résiliation judiciaire de leurs contrats de travail aux torts de l'employeur, en paiement de dommages et intérêts pour inexécution de bonne foi de ces contrats, brimades et atteintes aux fonctions de salariés protégés, manquements à l'obligation de reclassement et en paiement de rappel de salaires, d'indemnités forfaitaires, de congés payés afférents, d'indemnités compensatrices de congés payés et d'indemnités de préavis et de licenciement (…)" (arrêt p.8 in fine, p.9) ;
ET AUX MOTIFS adoptés QUE "le caractère synallagmatique du contrat de travail impose à l'employeur deux obligations essentielles : la fourniture du travail et le versement de la rémunération ;
QUE toutefois, il ne peut être fait grief à un employeur de ne pas avoir fourni un travail aux salariés dès lors que, d'une part, le site où les salariés protégés exerçaient leur mandat est définitivement fermé, que cette fermeture est sans rapport avec l'exercice normal des mandats et, d'autre part, que le contrat de travail n'a pas été rompu et que les salaires sont versés aux salariés (Soc. 25 novembre 2003, n° 02-41198) ; qu'il est constant que le site de Dieppe de la Société LV FRUITS auquel étaient affectés Monsieur Johnny X... et Monsieur Michel Y... a fermé ; qu'il résulte nécessairement de la décision de l'inspecteur du travail autorisant les licenciements de Monsieur Johnny X... et Monsieur Michel Y... que cette fermeture répondait à des impératifs économiques sans rapport avec les mandats qu'ils exerçaient ; qu'en dépit des propositions qui leur ont été faites, Monsieur Johnny X... et Monsieur Michel Y... ont refusé de poursuivre leur activité de conducteur sur les sites de Nantes et de Rungis (…)" (jugement p.5 in fine, p.6) ;
1°) ALORS QU'aucune modification de son contrat de travail, aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un délégué syndical ; qu'il incombe à l'employeur, en cas de refus du salarié d'accepter la modification ou le changement litigieux, de solliciter préalablement l'autorisation de l'inspecteur du travail de rompre le contrat de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que Monsieur X... s'était vu imposer, à compter du 8 janvier 2006, une dispense d'activité rémunérée par l'employeur lui interdisant l'accès à l'entreprise et le privant de ses moyens de travail ; que ce n'est que le 13 février suivant qu'a été introduite la première demande d'autorisation administrative de licenciement ; qu'en décidant cependant que l'employeur n'avait commis aucune faute justifiant que fût accueillie la demande de résiliation judiciaire de ce salarié protégé la Cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L.412-11 et L.412-18, devenus L.2143-3 et L.2411-3 du Code du travail, 1184 du Code civil ;
2°) ALORS subsidiairement QUE c'est au jour de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail antérieure au licenciement que doit se placer le juge prud'homal pour apprécier l'existence et la gravité des manquements de l'employeur invoqués par le salarié ; qu'en l'espèce, Monsieur X... s'était prévalu, à l'appui de sa demande de résiliation formée le 19 février 2007, de manquements de l'employeur à son obligation de reclassement retenus à sa charge, notamment, par les décisions administratives des 13 mars, 28 juin et 29 décembre 2006 refusant à l'employeur l'autorisation de le licencier ; qu'en déduisant au contraire la correcte exécution, par l'employeur, de son obligation de reclassement des termes d'une autorisation administrative de licenciement en date du 1er mars 2007 postérieure à l'introduction de la demande de résiliation judiciaire de Monsieur X..., la Cour d'appel a violé l'article L.122-4 devenu l'article L.1231-1 du Code du travail ;
3°) ALORS en outre QUE si le juge judiciaire ne peut, en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé et, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste, cependant, compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement ; qu'en se fondant, pour apprécier la légitimité des fautes reprochées à la Société LV FRUITS à l'appui de la demande de résiliation judiciaire présentée par Monsieur X... le 19 février 2007, sur une autorisation administrative de licenciement du 1er mars 2007 qui ne s'imposait pas à elle dans le cadre du litige distinct dont elle était saisie la Cour d'appel a violé la loi des 16 et 24 août 1790.