Vu la requête, enregistrée le 15 avril 2008, présentée pour M. Abdeslam et Mme Elene A, demeurant ... ;
M. et Mme A demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0507053 du 16 octobre 2007, par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice résultant pour eux du décès de leur fils, M. Smaïl A, survenu le 9 mai 1998 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser à chacun la somme de 15 000 euros ;
3°) de condamner l'Etat à leur payer la somme de 2 000 euros, à charge pour leur conseil de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
M. et Mme A soutiennent que le suicide de leur fils est la conséquence d'une absence de coordination des services de l'administration pénitentiaire et du personnel de santé, d'un enchaînement de fautes imputables à l'administration pénitentiaire et au personnel de santé ; M. Smaïl A avait des troubles du comportement avérés ; le dénommé Dang l'avait signalé à plusieurs reprises, une quinzaine de jours avant la mort ; pour autant le personnel de surveillance n'en a jamais été avisé ; si cette simple précaution avait été prise la mort aurait pu être évitée ; de plus, lors de son transfert, les informations sur ces troubles du comportement auraient dû être transmises au nouveau personnel médical, à charge pour ce dernier d'informer ensuite le personnel de surveillance ; si le médecin ayant pratiqué l'examen médical de M. Smaïl A le jour de son arrivée avait détenu son entier dossier médical il aurait pu mettre l'accent sur ses troubles du comportement ; une simple meilleure communication entre les différents services et entre les maisons d'arrêt aurait permis au personnel pénitentiaire de prendre conscience des troubles du comportement de M. Smaïl A ; les surveillants auraient ainsi pu être beaucoup plus attentifs à M. Smaïl A et éviter sa mort ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2008, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice ; le ministre conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué par les motifs suivants :
- irrecevabilité de la requête en raison de la prescription de la créance ; le délai de la prescription quadriennale avait commencé à courir le 1er janvier 1999 et était expiré à la date de leur demande préalable ; leur plainte avec constitution de partie civile n'a pas interrompu le délai car elle ne visait pas principalement l'Etat ;
- absence de faute imputable à l'administration pénitentiaire ; le seul moyen soutenu dans la requête est tiré de ce que les informations relatives aux troubles du comportement et aux problèmes psychologiques de M. Smaïl A auraient dû être transmises au nouveau personnel médical à charge pour eux d'en informer le personnel de surveillance ; il ne peut être retenu car il y a eu transmission effective du dossier médical, et que celui-ci ne contenait aucune information susceptible d'alerter ni le personnel médical ni le personnel pénitentiaire du nouvel établissement, et ce d'autant plus qu'aucune anomalie n'a été constatée ni à son arrivée ni les deux jours suivants ; le dossier médical a été transmis de service médical à service médical ; si le dossier médical prévoyait le maintien d'une surveillance médicale et d'un traitement il ne comportait aucun élément laissant présager un comportement suicidaire ; c'est pourquoi ni les infirmières ni le personnel de l'administration pénitentiaire n'ont reçu de consigne de surveillance particulière ;
- au surplus les surveillants n'ont pas remarqué entre le 6 et le 9 mai des idées suicidaires chez M. Smaïl A ; celui-ci n'a pas attiré leur attention, ni non plus celle de la conseillère d'insertion lors de son entrevue, par ses propos ou par son attitude ; aucune des correspondances retrouvées dans sa cellule ne font état d'idées suicidaires ; l'expert psychiatre a confirmé qu'aucun geste suicidaire n'était à redouter ;
Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 17 octobre 2008, présenté pour M. et Mme A ; M. et Mme A concluent au bénéfice de leur requête par les mêmes moyens et en réponse à l'exception de prescription quadriennale soulevée font valoir que le moyen n'a pas été soulevé avant que la juridiction saisie du litige au premier degré ne se soit prononcée sur le fond, de sorte que le moyen devra être exclu des débats ;
Vu la lettre en date du 17 novembre 2008, informant les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir est susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office ;
Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 2 décembre 2008, présenté pour M. et Mme A ; M. et Mme A concluent au bénéfice de leur requête par les mêmes moyens que précédemment et présentent leurs observations en réponse au moyen soulevé d'office ;
Vu le mémoire adressé en télécopie enregistrée le 3 décembre 2008, confirmé par la production de l'original enregistré le 8 décembre 2008, par lequel le ministre de la justice présente ses observations en réponse au moyen soulevé d'office ;
Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 27 janvier 2009, présenté par le ministre de la justice, qui conclut au bénéfice de ses précédents mémoires par les mêmes motifs et, en réponse aux requérants sur la prescription quadriennale, fait valoir qu'il a soulevé cette exception à titre principal avant toute défense au fond devant le tribunal administratif par mémoire du 7 avril 2006 ;
Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 20 février 2009, présenté pour M. et Mme A qui concluent au bénéfice de leur requête par les mêmes moyens et en réponse à nouveau sur l'exception quadriennale font valoir que leur plainte avec constitution de partie civile a interrompu le délai ;
Vu l'ordonnance en date du 15 septembre 2009 fixant la clôture d'instruction au 16 octobre 2009, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 décembre 2009 :
- le rapport de Mme Chalhoub, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public ;
Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure suivie en première instance que le Tribunal administratif de Lyon, lorsqu'il a rendu le jugement attaqué, était saisi de conclusions présentées par M. et Mme A en leur nom personnel à l'effet d'obtenir la condamnation de l'Etat à leur verser pour eux-mêmes la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice moral résultant du suicide de leur fils, M. Smaïl A, à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône ; que la disposition de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, qui fait obligation au juge de rendre un jugement commun ou une ordonnance commune au tiers auteur, à la victime et aux caisses de sécurité sociale, s'applique également aux instances mettant en cause les ayants-droit de la victime ou les personnes se prévalant d'un lien avec elle ; que, compte tenu de l'institution d'un régime de sécurité sociale d'assurance décès, il y a lieu de mettre en cause la caisse de sécurité sociale, alors même qu'est seulement demandée la réparation de la douleur morale née d'un décès ; que les premiers juges, en statuant sans mettre en cause la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon, ont méconnu cette obligation ; qu'eu égard au motif qui a conduit le législateur à édicter cette prescription, la violation de la règle susmentionnée constitue une irrégularité que la Cour, saisie de conclusions tendant à l'annulation du jugement qui lui est déféré, doit soulever d'office ; qu'ainsi, le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 16 octobre 2007 doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme A devant le Tribunal administratif de Lyon ;
Considérant que M. et Mme A demandent réparation à l'Etat du préjudice moral que leur a causé le suicide, le 9 mai 1998, de leur fils Smaïl, à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, établissement pénitentiaire dans lequel il avait été transféré le 6 mai précédent de la prison Saint-Joseph de Lyon où il était incarcéré depuis le 2 mars 1998 ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le garde des sceaux :
Considérant que la demande indemnitaire des requérants est fondée, en premier lieu, sur les fautes qu'aurait commises le personnel de santé de la prison Saint-Joseph de Lyon, et en particulier le médecin psychiatre qui, à plusieurs reprises, avait examiné leur fils lors de son séjour dans cette prison, en n'assurant pas la transmission du dossier médical de celui-ci à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône et en n'informant pas le personnel de santé du nouvel établissement de la nécessité de poursuivre le traitement prescrit et de le surveiller particulièrement ; que ces fautes, à les supposer établies à l'encontre du personnel de santé, ne seraient susceptibles que d'engager la responsabilité de l'établissement hospitalier en charge de l'unité de consultations et de soins ambulatoires en milieu pénitentiaire de la prison Saint-Joseph de Lyon, personne publique distincte de l'Etat et ne peuvent, par voie de conséquence, être utilement soulevées à l'appui de la demande indemnitaire dirigée contre l'Etat ; qu'il en est de même de la faute, invoquée à l'encontre du personnel de santé de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, qui n'aurait pas informé le personnel pénitentiaire de cette maison d'arrêt ;
Considérant que la demande indemnitaire des requérants est fondée, en second lieu, sur la faute de défaut de surveillance du personnel pénitentiaire de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône ; qu'il ressort de l'instruction que ce personnel n'avait reçu ni du personnel de santé de la maison d'arrêt, auquel le dossier médical de M. Smaïl A avait été transmis et qui avait procédé à l'examen de celui-ci le jour de son arrivée, ni du personnel pénitentiaire de la prison Saint-Joseph de Lyon, une quelconque information sur M. Smaïl A de nature à justifier la mise en place d'une surveillance particulière ; que l'instruction ne révèle pas non plus que lors de son transfèrement ni depuis son arrivée à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône le comportement de M. Smaïl A ait justifié une attention particulière ; que, par suite, aucun défaut de surveillance ne pouvant être retenu à l'encontre du personnel pénitentiaire de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, les conclusions à fin d'indemnisation, ainsi que, par voie de conséquence, celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de la requête, ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 16 octobre 2007 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme A devant le Tribunal administratif de Lyon est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Abdeslam A, à Mme Elene A, au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, et à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Lyon.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2009 à laquelle siégeaient :
M. du Besset, président de chambre,
Mme Chalhoub, président-assesseur,
Mme Vinet, conseiller.
Lu en audience publique, le 31 décembre 2009.
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N° 08LY00874
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