LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal de M. X... que sur le pourvoi incident relevé par l'Association française pour le nommage internet en coopération ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, que M. X... a, par l'intermédiaire de la société OVH, réservé le 7 avril 2005 auprès de l'Association française pour le nommage internet en coopération (l'AFNIC), le nom de domaine sunshine.fr ; que la société Sunshine, titulaire, depuis le 19 juillet 2001, d'une marque "Sunshine", enregistrée pour désigner des chaussures et des vêtements, a agi en référé à son encontre et appelé en cause tant la société OVH que l'AFNIC, afin d'obtenir le transfert de cet enregistrement à son profit ; que M. X... a opposé qu'en tant que gérant de la société Sunshine productions, dont l'activité est dédiée à la photographie, qui était alors en cours de formation, puis a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 22 juin 2005, il avait légitimement procédé à la réservation de ce nom de domaine ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 809, premier alinéa, du code de procédure civile ;
Attendu que pour ordonner le transfert de l'enregistrement du nom de domaine "sunshine.fr" au bénéfice de la société Sunshine, l'arrêt retient que M. X... ne justifie d'aucun droit, ni d'aucun intérêt légitime, à choisir le nom de domaine qui est la marque de la société, et que le juge, avec les pouvoirs de l'article 809 du code de procédure civile, peut ordonner le transfert ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le transfert de l'enregistrement du nom de domaine au bénéfice de la société Sunshine ne constituait ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ;
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, qui est recevable :
Vu l'article 2 du code civil et l'article R. 20-44-45 du code des postes et communications électroniques ;
Attendu que pour ordonner le transfert au profit de la société Sunshine du nom de domaine enregistré par M. X..., l'arrêt retient que ce dernier ne justifie d'aucun droit ni d'aucun intérêt légitime, au sens de l'article R. 20-44-45 du code des postes et communications électroniques, tel qu'il résulte du décret n° 2007-162 du 6 février 2007, applicable au jour où la cour statue, à choisir le nom de domaine qui est la marque de la société Sunshine ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que si la loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, elle ne peut remettre en cause la validité d'une situation régulièrement constituée à cette date, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande de l'AFNIC fondée sur l'abus de la société Sunshine dans l'exercice de son droit d'agir, l'arrêt retient que cette demande n'est formée qu'à l'encontre de cette société, qui n'est pas condamnée ;
Attendu qu'en se déterminant par ce motif, qui est inopérant, dès lors qu'il y avait lieu de rechercher si la mise en cause de l'AFNIC dans la procédure suivie contre M. X... n'était pas en elle-même abusive, peu important l'issue de l'action, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 janvier 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Sunshine aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP ORTSCHEIDT, avocat aux Conseils pour M. X..., demandeur au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR infirmé l'ordonnance entreprise et ordonné le transfert de l'enregistrement du nom de domaine « sunshine.fr » au bénéfice de la SNC Sunshine,
AUX MOTIFS QUE, pour apprécier la demande concernant le transfert du nom de domaine la cour doit se placer au jour où elle statue, alors que pour statuer sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive rejetée par le premier juge, elle doit se placer au jour où ce dernier s'est prononcé ; que s'il est établi que Monsieur X... a réservé le nom de domaine litigieux auprès d'OVH, absolument aucun élément ne permet de soutenir qu'il l'a fait pour le compte de la société – la SARL – dont il est le gérant, si ce n'est son affirmation ; qu'il ne communique d'ailleurs pas les documents justifiant qu'il ait effectué les démarches prévues par l'article R. 2l0-5 du Code de commerce (sans s'expliquer sur ce point, invoqué par la SNC), qu'il n'aurait pas manqué de le faire si tel avait été le cas ; que Monsieur X... ne justifie donc d'aucun droit ni d'un intérêt légitime – au sens de l'article R. 20-44-45 du Code des postes et télécommunications électroniques tel qu'il résulte du décret 2007-162 du 6 février 2007, applicable au jour où la cour statue – à choisir le nom de domaine qui est la marque –justifiée – de la SNC ; que le juge avec les pouvoirs de l'article 809 du Code de procédure civile peut donc ordonner le transfert du nom de domaine « sunshine.fr » au bénéfice de la SNC ; que s'il n'est pas démontré que l'AFNIC a été nommée en qualité d'office prévu à l'article R. 20-44-35 du Code des postes et télécommunications électroniques il n'en demeure pas moins que l'AFNIC est tenue d'exécuter une décision de justice (ce qu'elle s'est d'ailleurs engagée à faire) et de respecter les prescriptions de la loi ; que de même la SNC, qui a recours aux services de l'AFNIC devra respecter les prescriptions contractuelles de celles-ci, non contraires à ladite loi,
ALORS QUE, pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, le juge des référés ne peut prescrire que des mesures conservatoires ou de remise en état ; qu'en l'espèce, en ordonnant le transfert de l'enregistrement du nom de domaine « sunshine.fr » attribué à M. André X..., à la SNC Sunshine, ce qui ne constitue ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, mais une mesure relevant par nature des seuls pouvoirs des juges du fond, la Cour d'appel, statuant en référé, a excédé ses pouvoirs en violation de l'article 809, alinéa 1er, du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué
D'AVOIR infirmé l'ordonnance entreprise et ordonné le transfert de l'enregistrement du nom de domaine « sunshine.fr » au bénéfice de la SNC Sunshine,
AUX MOTIFS QUE, pour apprécier la demande concernant le transfert du nom de domaine la cour doit se placer au jour où elle statue, alors que pour statuer sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive rejetée par le premier juge, elle doit se placer au jour où ce dernier s'est prononcé ; que s'il est établi que Monsieur X... a réservé le nom de domaine litigieux auprès d'OVH, absolument aucun élément ne permet de soutenir qu'il l'a fait pour le compte de la société – la SARL – dont il est le gérant, si ce n'est son affirmation ; qu'il ne communique d'ailleurs pas les documents justifiant qu'il ait effectué les démarches prévues par l'article R. 2l0-5 du Code de commerce (sans s'expliquer sur ce point, invoqué par la SNC), qu'il n'aurait pas manqué de le faire si tel avait été le cas ; que Monsieur X... ne justifie donc d'aucun droit ni d'un intérêt légitime – au sens de l'article R.20-44-45 du Code des postes et télécommunications électroniques tel qu'il résulte du décret 2007-162 du 6 février 2007, applicable au jour où la cour statue – à choisir le nom de domaine qui est la marque –justifiée – de la SNC ; que le juge avec les pouvoirs de l'article 809 du NCPC peut donc ordonner le transfert du nom dé domaine « sunshine fr » au bénéfice de la SNC ; que s'il n'est pas démontré que l'AFNIC a été nommée en qualité d'office prévu à l'article R.20-44-35 du Code des postes et télécommunications électroniques il n'en demeure pas moins que l'AFNIC est tenue d'exécuter une décision de justice (ce qu'elle s'est d'ailleurs engagée à faire) et de respecter les prescriptions de la loi ; que de même la SNC, qui a recours aux services de l'AFNIC devra respecter les prescriptions contractuelles de celles-ci, non contraires à ladite loi,
1°) ALORS QU'une loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur ; qu'elle ne peut remettre en cause la validité d'une situation régulièrement constituée ; qu'en faisant application des dispositions du décret n° 2007-162 du 6 février 2007 pour ordonner le transfert de l'enregistrement du nom de domaine « sunshine.fr » au bénéfice de la SNC Sunshine, après avoir pourtant constaté que ce nom de domaine avait été réservé par M. André X... le 7 avril 2005, la Cour d'appel a violé l'article 2 du Code civil, ensemble l'article R. 20-44-45 du Code des postes et communications électroniques,
Subsidiairement,
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, si le demandeur a un droit ou intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi, il peut choisir un nom de domaine identique à un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par des règles nationales, communautaires ou par le Code des postes et communications électroniques ; qu'en décidant que M. X... ne justifiait d'aucun droit ni intérêt légitime à choisir le nom de domaine « sunshine.fr », marque de la SNC Sunshine, après avoir pourtant constaté qu'il avait créé une SARL Sunshine Productions, enregistrée au registre du commerce et des sociétés le 22 juin 2005 dont il était le gérant, cette société exerçant une activité commerciale totalement différente de celle de la SNC Sunshine, aux motifs inopérants qu'il n'était pas établi qu'il avait réservé le nom de domaine litigieux pour le compte de cette SARL et qu'il ne communiquait pas les documents justifiant qu'il ait effectué les démarches prévues par l'article R. 210-5 du Code de commerce, M. X... pouvant pourtant parfaitement autoriser sans formalité la SARL à utiliser le nom de domaine pour les besoins de son activité commerciale, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article R. 20-44-45 du Code des postes et communications électroniques,
3°) ALORS QU'en ne recherchant pas, comme elle y était expressément invitée, si l'intérêt légitime de M. X... à bénéficier du nom « sunshine.fr » et sa bonne foi ne résultaient pas de ce qu'il avait créé une SARL Sunshine Productions, qui détenait un droit sur ce nom et exerçait une activité commerciale totalement différente de celle de la SNC Sunshine, et qu'il entendait faire utilisation de ce nom de domaine pour l'exercice de cette activité commerciale, cette utilisation n'étant dès lors pas susceptible d'entraîner un risque de confusion dans l'esprit du public, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article R. 20-44-45 du Code des postes et communications électroniques.
Moyen produit par la SCP PIWNICA et MOLINIE, avocat aux Conseils pour l'Association française pour le nommage internet en coopération, demanderesse au pourvoi incident
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de l'Afnic tendant à retenir un abus de la SNC Sunshine dans l'exercice de son droit d'agir,
AUX MOTIFS QUE pour statuer sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive rejetée par le premier juge, elle doit se placer au jour où ce dernier s'est prononcé ;
ET AUX MOTIFS QUE cette demande n'est formée qu'à l'encontre de la SNC qui n'est pas condamnée;
ALORS QUE le droit d'agir en justice est susceptible de dégénérer en abus ; que la mise en cause de personnes appelées à la procédure de manière injustifiée peut revêtir un caractère abusif résultant de son inutilité manifeste ; qu'en l'espèce, l'Afnic faisait valoir qu'en application de la charte de nommage, elle était tenue de procéder à tout acte d'administration ordonné par une décision judiciaire dans les termes de ladite décision, sans qu'il soit besoin de l'attraire en la cause ; qu'en décidant que la procédure initiée à l'encontre de l'Afnic n'était pas abusive, au motif inopérant que la SNC n'avait pas été condamnée, sans rechercher si la seule mise en cause de l'Afnic dans la procédure initiée à l'encontre de M. X... n'était pas abusive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.