Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le domaine de Château Figeac ayant été démembré en 1866, le groupement foncier agricole du Château de Figeac (le GFA), exploitant de parcelles qui en faisaient partie, a déposé en 1979 les marques " Château de Figeac " et " La Grande Neuve de Figeac ", afin de désigner, respectivement, le premier grand cru classé et le second vin d'appellation d'origine Saint-Emilion produits sur sa propriété ; que le GFA a demandé l'annulation des marques " Château Croix Figeac " et " Pavillon Croix Figeac ", déposées par la société Rocher Bellevue Figeac (la société) en 1988 et 1998, ainsi que l'interdiction pour cette dernière d'user du signe Château Rocher Bellevue Figeac pour désigner des vins en provenance de son exploitation, en faisant valoir que cette dernière ne couvre qu'une faible surface du domaine ancien de Château Figeac ;
Sur la recevabilité du premier moyen, contestée en défense :
Attendu qu'il est prétendu que ce moyen est nouveau ;
Mais attendu que le GFA ayant soutenu dans ses conclusions d'appel que l'usage du signe Figeac en tant que marque lui portait préjudice, mais aussi qu'il était déceptif au sens de l'article L. 711-3- c) du code de la propriété intellectuelle, et qu'il en résultait une nullité absolue, le moyen n'est pas nouveau ;
Sur ce moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles L. 711-2, dernier alinéa, et L. 711 3c du code de la propriété intellectuelle ;
Attend que pour déclarer le GFA irrecevable en ses demandes tendant à l'annulation des marques " Château Croix Figeac " et " Pavillon Croix Figeac ", l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'emploi des termes " agissements parasitaires " et " déceptivité " implique le fondement de la contrefaçon et de la nullité des marques en cause, que les actions en revendication et en contrefaçon se prescrivent par trois ans, que l'action en contrefaçon d'une marque postérieure enregistrée et tolérée pendant cinq ans est également prescrite, sauf dépôt de mauvaise foi, et qu'il y a lieu de rechercher les éléments permettant de découvrir cette mauvaise foi, alléguée par le GFA, puisqu'il est, sans cela, irrecevable dans son action, pour cause de prescription ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le signe déceptif n'est pas susceptible d'acquérir un caractère distinctif par l'usage et que l'action en nullité d'une marque, fondée sur ce caractère déceptif, qui n'est ni une action en contrefaçon, ni une action en revendication, n'est pas soumise aux règles de prescription et de forclusion édictées aux articles L. 712-6 et L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour déclarer le GFA irrecevable en son action portant sur le nom d'usage " Château Rocher Bellevue Figeac ", l'arrêt retient que la réalité de la propriété d'une partie du sol " Figeac " et du démembrement de l'antique exploitation " Figeac ", alliée à l'ancienneté séculaire de l'appellation en cause, font que le privilège du tènement doit être retenu, malgré la faiblesse du pourcentage foncier concerné ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel qui n'a pas constaté que les raisins en provenance de la parcelle issue de l'ancien domaine de Figeac faisaient l'objet d'une vinification séparée, n'a pas donné de base légale à sa décision d'écarter le caractère déceptif de ce signe pour désigner les vins provenant de cette exploitation, peu important sa référence, inopérante, à l'ancienneté de son usage ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les augres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré le GFA château de Figeac irrecevable en ses demandes tendant à l'annulation des marques " Château Croix Figeac " et " Pavillon Croix Figeac ", ainsi qu'en son action portant sur le nom d'usage Château Rocher Bellevue Figeac, l'arrêt rendu le 14 janvier 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne la société Rocher Bellevue Figeac aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux Conseils pour le GFA Château de Figeac
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le GFA CHATEAU DE FIGEAC irrecevable dans son action à l'encontre des marques déposées « CHATEAU CROIX FIGEAC » et « PAVILLON CROIX FIGEAC » dont la Société Civile ROCHER BELLEVUE FIGEAC est titulaire ;
AUX MOTIFS QU'« il est constant que les deux marques « CHATEAU CROIX FIGEAC » et « PAVILLON CROIX FIGEAC » ont été régulièrement déposées avec renouvellement régulier ; qu'elles sont protégées à ce titre par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle ; que le premier juge a également justement relevé que les critiques effectuées par le GFA CHATEAU FIGEAC à l'encontre de la SCI ROCHER BELLEVUE FIGEAC, « agissements parasitaires » et « déceptivité » notamment, impliquaient le fondement de la contrefaçon ; que la Cour ajoute qu'ils concernent également la fraude des droits des tiers ainsi que la violation des obligations légales au sens de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, ainsi d'ailleurs que l'appelante s'en défend ; que l'action en revendication (L. 712-6 CPI) et l'action civile en contrefaçon (L. 716-5 CPI) se prescrivent par trois ans ; que l'action en contrefaçon d'une marque postérieure enregistrée et tolérée pendant cinq ans est également prescrite, sauf dépôt de mauvaise foi ; que la tolérance de cinq années n'est pas contestée ; que c'est donc par une exacte appréciation que le premier juge a recherché les éléments permettant de découvrir la mauvaise foi que le GFA CHATEAU FIGEAC affirme trouver dans les agissements de la société civile appelante, puisqu'il est, sans cela, irrecevable dans son action pour cause de prescription ; que la Société Civile ROCHER BELLEVUE FIGEAC prouve par sa communication d'un ordre d'achat du 30 mars 1940 que le château « CROIX FIGEAC » était déjà commercialisé sous ce nom à cette époque (deux mille quatre cents francs le tonneau de neuf cents litres) ; qu'il prouve également par un extrait de la revue « Féret » édition 1969 qu'il était connu et cité sous cette appellation ; qu'il est ainsi suffisamment établi qu'il n'existe aucune mauvaise foi pour le propriétaire actuel, lequel l'a acquis sous ce nom en 1988 et se limite à continuer l'utilisation de cette marque ancienne ; quant à la marque « PAVILLON CROIX FIGEAC », elle ne fait que substituer le terme « pavillon » à celui de « château » pour signifier sans équivoque, ainsi qu'il est courant dans la région viticole concernée, qu'il s'agit de ce que l'on appelle un second vin ; que la Cour n'y découvre pas davantage de mauvaise foi et que la décision déférée sera confirmée sur ce point, avec adoption de ses motifs non contraires » ; (cf. arrêt p. 6 et 7) ;
ALORS, D'UNE PART, QUE les demandes en revendication d'une marque ou en nullité de celle-ci pour contrefaçon n'ont pas le même fondement que la demande en nullité de cette même marque à raison de son caractère déceptif et donc trompeur ; qu'en l'espèce, le GFA CHATEAU DE FIGEAC sollicitait la nullité des marques déposées « CHATEAU CROIX FIGEAC » et « PAVILLON CROIX FIGEAC » non seulement sur le fondement des articles L. 711-4 et L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, mais aussi sur celui de l'article L. 711-3 du même Code qui interdit le dépôt d'une marque de nature à tromper le public, en invoquant leur caractère déceptif ; qu'en retenant que la critique de « déceptivité » effectuée par le GFA à l'encontre de ces marques « impliquait le fondement de la contrefaçon » et « la fraude des droits des tiers ainsi que la violation des obligations légales au sens de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle », la Cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'aux termes de l'article L. 711-3- c) du Code de la propriété intellectuelle, « ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe … de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service » ; que l'action en nullité d'une marque en raison de son caractère déceptif et donc trompeur, fondée sur ledit article L. 711-3, n'a pas pour fondement la contrefaçon et n'est pas soumise aux prescriptions et forclusion prévues par les articles L. 712-6 et L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle ; qu'en l'espèce, le GFA CHATEAU DE FIGEAC concluait à la nullité des marques « CHATEAU CROIX FIGEAC » et « PAVILLON CROIX FIGEAC » en raison de leur caractère déceptif, en se fondant sur l'article L. 711-3- c) du Code de la propriété intellectuelle ; qu'en déclarant cette demande irrecevable aux motifs que les demandes du GFA à l'encontre des marques déposées de la Société ROCHER BELLEVUE FIGEAC : « agissements parasitaires » et « déceptivité » impliquaient le fondement de la contrefaçon et qu'en l'absence de mauvaise foi de la société précitée, l'action en revendication aurait dû, en application de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, être engagée dans les trois ans de l'enregistrement et l'action en contrefaçon se heurterait à la forclusion par tolérance prévue par l'article L. 716-5 du même Code, la Cour d'appel a violé l'article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, infirmant le jugement sur ce point, déclaré le GFA CHATEAU DE FIGEAC irrecevable dans son action à l'encontre du nom d'usage « CHATEAU ROCHER BELLEVUE FIGEAC » ;
AUX MOTIFS QU'« il est constant que ce nom avait été enregistré comme marque en 1979 mais qu'en l'absence de renouvellement en temps utile, il ne se trouve plus protégé par le Code de la propriété intellectuelle ; que les parties, au cours d'un débat juridique de remarquable qualité, longuement exposé en première partie du présent arrêt, se sont querellées sur la question de savoir si la société appelante avait le droit d'utiliser pour nom d'usage « CHATEAU ROCHER BELLEVUE FIGEAC » ; que l'appelante a alors soulevé l'ancienneté de cette appellation et la prescription de l'article 2262 du Code civil que le premier juge n'avait pas évoquée (faute d'avoir été soulevée devant lui) ; que l'intimé a insisté sur ce qu'il pense être la volonté de fraude et la mauvaise foi de l'appelante, et lui a opposé son propre droit au nom et au respect de sa marque ; que le droit à la prescription trentenaire constitue un principe général ; qu'il peut y être dérogé de façon générale pour cause de fraude ou mauvaise foi et de façon spéciale en vue d'assurer la protection de certains autres droits ; que le droit des marques constitue une de ces exceptions ; qu'en l'espèce, le vendeur de la propriété de l'appelante, Emilie X... épouse Y..., atteste que cette propriété, qui lui venait en héritage de ses parents, portait ce nom, qui avait été déposé en 1945 ou 1946 ; qu'elle explique que cette appellation avait été formée par l'apposition du nom de son grand-père maternel « Z... », suivi du nom du lieu-dit de l'exploitation « BELLEVUE », suivie du nom de l'ancienne propriété démembrée ; que l'expertise historique non contradictoire effectuée par Olivier B... et Jean-Pierre C... a retrouvé l'achat en 1866 par Bernard Z... d'une partie démembrée de FIGEAC, puis la constitution d'une entité viticole avec l'achat de terres au lieu-dit Bellevue ; que l'intimé a contesté la valeur des experts non universitaires mais le résultat de leurs travaux, quant à l'origine du nom en question, est fondé sur des archives dont ils ont joint photocopies à leur rapport ; que l'origine historique du nom est donc confirmée depuis le 19ème siècle ; qu'ainsi, même si le rattachement au sol est faible eu égard au petit pourcentage de terres concernées par les tènements, il existe de façon historiquement certaine ; que l'appelante prouve également par une carte viticole de la région la multitude des appellations « FIGEAC » apposées à un autre nom, indice de cet ancien démembrement, par exemples : « La Grave Figeac », la Tour du Pin Figeac, la Tour Figeac, Petit Clos Figeac, Cormeil Figeac, Grand Barrail Figeac, Yon Figeac » ; qu'il n'est pas contesté que l'usage continu de ce nom « ROCHER-BELLEVUE FIGEAC » est resté paisible, public, non équivoque et à titre de propriétaire ; que la preuve est ainsi suffisamment rapportée de ce que cet usage ne provient pas d'une fraude ni d'une mauvaise foi destinée à accaparer sans droit un nom prestigieux mais seulement de l'histoire locale ; qu'ainsi, les éléments plus haut étudiés, qui démontrent la réalité d'une partie du sol « Figeac » et du démembrement de l'antique exploitation « Figeac », alliés à l'ancienneté séculaire de l'appellation en cause, font que le privilège du tènement doit être retenu, malgré la faiblesse du pourcentage foncier concerné » (cf. arrêt p. 7 et 8) ;
ALORS QUE l'ancienneté de l'usage d'un signe ne crée pas de droit privatif et ne peut effacer le vice qui entache un signe interdit ; qu'un exploitant ne peut invoquer de droit sur le nom d'un tènement dès lors que le tènement portant ce nom ne représente qu'un faible pourcentage du vignoble exploité et qu'il n'est pas constaté que la production de ce tènement fait l'objet d'une vinification séparée ; qu'en l'espèce, le GFA CHATEAU DE FIGEAC demandait à la Cour d'appel de constater que les parcelles appartenant à la Société ROCHER BELLEVUE FIGEAC et situées sur l'ancien domaine de FIGEAC constituent moins de 4 % de la superficie totale exploitée par cette société (0, 39 ha sur 10, 5 ha) et de faire en conséquence interdiction à cette société d'utiliser la dénomination « CHATEAU ROCHER BELLEVUE FIGEAC » ; qu'en déclarant cette demande irrecevable aux motifs que « même si le rattachement au sol est faible eu égard au petit pourcentage des terres concernées par les tènements, il existe de façon historiquement certaine », en sorte que « le privilège du tènement doit être retenu malgré la faiblesse du pourcentage foncier concerné », la Cour d'appel, qui a ainsi retenu que l'ancienneté de l'usage pouvait effacer le vice qui entache un signe interdit, a violé ensemble les articles 284 du Code du vin et 1382 du Code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'un exploitant ne peut invoquer le droit sur le nom d'un tènement dès lors que le tènement portant ce nom ne représente qu'un faible pourcentage du vignoble exploité et qu'il n'est pas constaté que la production de ce tènement fait l'objet d'une vinification séparée sans qu'importe que le tènement exactement dénommé provienne du démembrement d'une ancienne propriété et qu'il puisse en conséquence exister de nombreuses appellations portant le toponyme de cette ancienne propriété ; qu'en retenant en l'espèce que « la réalité d'une partie du sol « Figeac » et du démembrement de l'antique exploitation « Figeac », alliés à l'ancienneté séculaire de l'appellation en cause » suffisaient à retenir « le privilège du tènement », « malgré la faiblesse du pourcentage concerné », la Cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation des articles 284 du Code du vin et 1382 du Code civil.