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21/03/2007 | FRANCE | N°06-89444

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 mars 2007, 06-89444


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un mars deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CARON, les observations de Me SPINOSI, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRÉCHÈDE ;
REJET ET CASSATION PARTIELLE des pourvois formés par le procureur général près la cour d'appel de Rennes, X... Charles, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 7 décembre 2006, qui, dans l'information suivie con

tre le second et d'autres pour escroquerie et recel en bande organi...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un mars deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CARON, les observations de Me SPINOSI, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRÉCHÈDE ;
REJET ET CASSATION PARTIELLE des pourvois formés par le procureur général près la cour d'appel de Rennes, X... Charles, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 7 décembre 2006, qui, dans l'information suivie contre le second et d'autres pour escroquerie et recel en bande organisée, aide en bande organisée à la justification mensongère des biens et revenus de l'auteur d'un délit, concours en bande organisée à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d'un délit, blanchiment aggravé, exécution d'un travail dissimulé, faux et usage, tromperie, fraude en vue de l'obtention de prestations indues, association de malfaiteurs, a prononcé sur des demandes d'annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 23 janvier 2007, joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu les mémoires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que des gendarmes, chargés d'une enquête préliminaire sur un trafic de véhicules, ont pris de nombreuses photographies au téléobjectif de l'intérieur, inaccessible à leur vue, de la propriété à usage d'habitation de Charles X..., grâce à l'installation d'un dispositif technique placé à distance, sur la voie publique ; qu'ils ont, par ce moyen, fixé des images des occupants des lieux et de diverses autres personnes ainsi que des véhicules circulant ou stationnant dans cette propriété aux fins d'identification des titulaires des cartes grises ; que ces documents ont été versés dans la procédure annexée au réquisitoire introductif ;
En cet état ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général près la cour d'appel de Rennes, pris de la violation des articles 12,14,75,706-96 du code de procédure pénale,8 de la Convention européenne des droits de l'homme :
Attendu que, pour déclarer irrégulières les opérations ayant consisté à photographier, à leur insu, les personnes se trouvant à l'intérieur de la propriété privée des consorts X..., l'arrêt attaqué relève que cette ingérence de l'autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée n'a pas de base légale ou jurisprudentielle en droit interne, les enquêteurs agissant hors du champ d'application de l'article 706-96 du code de procédure pénale, en enquête préliminaire, sans autorisation ou contrôle d'un juge ; que la chambre de l'instruction ajoute que cette ingérence n'est donc pas justifiée par la loi, au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu qu'en statuant ainsi, dès lors que la captation, la fixation, l'enregistrement ou la transmission par les enquêteurs de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé, ne sont autorisés que dans les cas et conditions prévus par l'article 706-96 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Mais sur le moyen unique de cassation proposé par Me Spinosi pour Charles X..., pris de la violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme,9 du code civil,706-96,591 et 593 du code de procédure pénale :
" en ce que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, du 7 décembre 2006, n'a pas fait droit à certaines demandes d'annulation de pièces formulées par Charles X... ;
" aux motifs que " le mis en examen qui invoque la nullité d'un acte doit avoir un intérêt personnel et direct à poursuivre cette annulation, sans quoi sa demande est irrecevable ; que, cependant, la chambre de l'instruction tient de l'article 174 du code de procédure pénale le pouvoir de relever d'office les moyens de nullité de la procédure ;
" qu'en l'espèce, Charles X... n'a qualité pour demander l'annulation des surveillances ayant donné lieu à des photographies prises par les enquêteurs que pour celles qui le concernent personnellement ; qu'il n'apparaît, à l'intérieur de sa propriété, que sur les clichés photographiques figurant à la cote D 124 auxquels se réfère le procès-verbal relatant la surveillance à l'occasion de laquelle ils ont été pris et coté D 123 ; que, toutefois, d'autres photographies de personnes et de véhicules se trouvant à l'intérieur de la propriété des consorts X...
Y... figurant aux cotes D 2 à D 140, la cour doit s'interroger sur leur régularité ;
" qu'il résulte de la procédure, spécialement du procès-verbal de synthèse (D 1) et des procès-verbaux de surveillance (D 2 à D 140) que les gendarmes de la brigade de Saint-Mars La Brière ont, sur la base de renseignements donnés par des personnes désirant garder l'anonymat, ouvert une enquête préliminaire sur la famille X...-Y..., soupçonnée de s'adonner au trafic de véhicules à fort kilométrage, trafiquant les compteurs et revendant les voitures en tirant un bénéfice important ; que, du mois d'août 2005 au mois de décembre 2005, ils ont exercé des surveillances physiques, notamment de la propriété acquise en 1983 par Antoine et Baptiste Y..., sur laquelle est implantée une maison d'habitation, propriété qui a été scindée en deux parties pour être occupée par deux couples, Antoine Y...-Charles X... d'une part, Baptistine Y...-Baptiste X... d'autre part, d'importants travaux d'extension ayant été réalisés sur la maison en 2004-2005 ; qu'à cette occasion, ils ont réalisé des photographies aux fins de fixer les allées et venues des occupants de cette propriété privée et des tiers venus leur rendre visite ; que, sur ces photographies, apparaissent des véhicules automobiles, situés à l'intérieur de la propriété, y entrant ou en sortant, ou en stationnement, dont le numéro d'immatriculation, nettement visible, a été, par ce moyen, relevé, ce qui a permis d'identifier les titulaires des cartes grises ; qu'ont également été photographiées des personnes se trouvant dans l'enceinte de cette propriété ;
" qu'en photographiant les allées et venues de véhicules automobiles à l'intérieur de la propriété des consorts X...
Y..., dans le seul but de relever les numéros figurant sur les plaques d'immatriculation et d'identifier les titulaires des cartes grises, afin d'étayer leurs soupçons sur l'existence d'un trafic de voitures, les enquêteurs n'ont pas fixé des images de scènes ressortissant à la vie privée des individus et n'ont donc pas commis une ingérence injustifiée au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, que ces photographies de véhicules, sur lesquels n'apparaissent pas les personnes, sont régulières ;
" qu'en revanche, constitue une ingérence de l'autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée, le fait pour les enquêteurs d'avoir fixé, à leur insu, les images de certaines personnes se trouvant à l'intérieur de ce lieu privatif ; que cette ingérence n'a pas de base légale ou jurisprudentielle en droit interne dès lors que les gendarmes agissaient en dehors du champ d'application de l'article 706-96 du code de procédure pénale, dans le cadre d'une enquête préliminaire, sans l'autorisation préalable ni le contrôle d'un juge ; qu'elle n'est donc pas justifiée par la loi, au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que doivent, en conséquence, être annulés les clichés photographiques sur lesquels apparaissent des personnes se trouvant dans le lieu privatif susvisé (...) ;
" que, contrairement à ce que soutient le demandeur, il n'y a pas lieu d'étendre l'annulation aux réquisitions cotées D 166 et D 170 adressées aux établissements bancaires, ni a fortiori aux actes dont celles-ci sont le support nécessaire, en ce que ces réquisitions trouvent un appui nécessaire et suffisant dans les autres pièces non annulées figurant aux cotes D 2 à D 140 relatant les informations obtenues par les enquêteurs par des surveillances et des observations régulières dès lors qu'elles n'ont pas donné lieu à des fixations d'images réalisées dans les conditions ci-dessus spécifiées ; que, plus généralement, il n'y a pas lieu d'étendre l'annulation à d'autres pièces de la procédure dans la mesure ou aucune d'entre elles ne se réfère aux pièces annulées ou en est la conséquence " ;
" alors que, d'une part, toute surveillance irrégulière d'un domicile constitue une ingérence injustifiée de l'autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée dont relèvent nécessairement les allées et venues de véhicules automobiles à l'intérieur d'une propriété privée ; qu'ainsi, la chambre de l'instruction ne pouvait refuser d'annuler la fixation de l'image de ces mouvements à l'intérieur de la propriété privée des mis en examen par des gendarmes agissant en dehors du champ d'application de l'article 706-96 du code de procédure pénale, sans méconnaître le droit de toute personne au respect de sa vie privée garanti tant par des dispositions nationales que conventionnelles ;
" alors que, d'autre part, l'ingérence par les autorités publiques dans la vie privée d'une personne ne peut être effectuée que sous le contrôle du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles ; qu'en déclarant régulière la captation par des gendarmes agissant dans le cadre d'une enquête préliminaire et en dehors de tout contrôle d'un juge, d'événements ayant eu lieu dans un domicile et relevant de la vie intime et sociale, la chambre de l'instruction a de plus fort méconnu la portée du droit au respect de la vie privée ;
" alors qu'enfin, l'annulation d'un acte de procédure s'étend à tous les actes subséquents ; qu'ainsi, la chambre de l'instruction ne pouvait refuser d'annuler les réquisitions adressées aux établissements bancaires qui trouvaient leur support nécessaire dans les surveillances irrégulières faites au domicile des époux X... " ;
Vu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que, selon ce texte, toute ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile doit être prévue par la loi ;
Attendu que, pour déclarer régulières les opérations consistant à photographier, aux fins d'identification des titulaires des cartes grises, les véhicules stationnant ou circulant à l'intérieur de la propriété privée des consorts X..., l'arrêt attaqué retient que les gendarmes n'ont pas fixé des images de scènes ressortissant à la vie privée des individus et n'ont donc pas commis d'ingérence injustifiée au sens de l'article 8 de la Convention précitée ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile le fait, pour des enquêteurs, de photographier clandestinement, au moyen d'un téléobjectif, les plaques d'immatriculation des véhicules se trouvant à l'intérieur d'une propriété privée non visible de la voie publique, aux fins d'identification des titulaires des cartes grises et alors que cette immixtion, opérée en enquête préliminaire, n'est prévue par aucune disposition de procédure pénale, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée du texte conventionnel précité et du principe énoncé ci-dessus ;
Par ces motifs :
I-Sur le pourvoi du procureur général près la cour d'appel de Rennes :
Le REJETTE ;
II-Sur le pourvoi formé par Charles X... :
CASSE et ANNULE l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 7 décembre 2006, en ses seules dispositions ayant déclaré régulières les photographies des véhicules stationnant ou circulant à l'intérieur de la propriété privée de Charles X..., et, pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Le Gall conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Caron conseiller rapporteur, M. Pelletier, Mme Ponroy, M. Arnould, Mme Koering-Joulin, MM. Corneloup, Pometan conseillers de la chambre ;
Avocat général : M. Fréchède ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 06-89444
Date de la décision : 21/03/2007
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance - Enquête préliminaire - Officier de police judiciaire - Photographie de plaques d'immatriculation de véhicules dans une propriété privée - Portée

OFFICIER DE POLICE JUDICIAIRE - Pouvoirs - Etendue - Limites - Convention européenne des droits de l'homme - Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance - Ingérence non prévue par la loi

Constitue une ingérence, au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile le fait, pour les policiers, de photographier clandestinement, au moyen d'un téléobjectif, les plaques d'immatriculation des véhicules se trouvant à l'intérieur d'une propriété privée non visibles de la voie publique, aux fins d'identification des titulaires des cartes grises. Une telle immixtion, opérée en enquête préliminaire, qui n'est prévue par aucune disposition de procédure pénale, est nécessairement irrégulière


Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, 07 décembre 2006


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 21 mar. 2007, pourvoi n°06-89444, Bull. crim. criminel 2007, n° 89, p. 451
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2007, n° 89, p. 451

Composition du Tribunal
Président : M. Le Gall (conseiller le plus ancien, faisant fonction de président)
Avocat général : M. Fréchède
Rapporteur ?: Mme Caron
Avocat(s) : Me Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2007:06.89444
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