AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze juin deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ROGNON, les observations de Me FOUSSARD et de la société civile professionnelle BACHELLIER et POTIER de la VARDE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'ADMINISTRATION DES IMPOTS, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 13 octobre 2005, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre la société LE GRAND DOMAINE et Peggy X..., épouse Y..., pour infractions à la législation sur la billetterie des établissements de spectacle, a prononcé la nullité des poursuites ;
Vu le mémoire en demande, le mémoire et les observations complémentaires en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 26, L. 235, L. 238 du livre des procédures fiscales, ensemble l'article L. 47 du même code et du principe suivant lequel, en cas de vérification de comptabilité, l'administration doit engager avec le contribuable un débat oral et contradictoire, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, de l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Peggy X..., épouse Y..., et la SARL "Le Grand Domaine" des fins de la poursuite ;
"aux motifs que, " si l'article L. 26 du livre des procédures fiscales permet aux agents de l'administration d'intervenir, sans formalité préalable, dans les locaux professionnels de personnes ou sociétés soumises, en raison de leur profession ou de leur activités, à la législation des contributions indirectes pour y procéder à des inventaires et aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt, il n'en demeure pas moins constant que, lorsque ce contrôle occasionne par la suite des vérifications, s'apparentant ou non à une vérification de la comptabilité, l'absence de débat oral et contradictoire au cours de l'instruction de cette procédure fiscale, lorsqu'elle porte atteinte aux droits de la défense, constitue, en violation de l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, une irrégularité affectant les opérations préalables à l'engagement des poursuites de nature à conduire à l'annulation de la procédure par le juge répressif, étant observé que l'amende fiscale encourue en matière de contributions indirectes ayant un caractère non pas seulement indemnitaire mais aussi répressif, l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme trouve application ; qu'en l'espèce, les agents de l'administration, consécutivement aux deux contrôles effectués dans les locaux de la discothèque "Les Planches", les 29 juillet et 2 août 2001, ont procédé à partir de renseignements obtenus auprès des imprimeurs, dans le cadre de l'exercice du droit de communication, à une reconstitution, sur une période de trois ans, de la billetterie de la discothèque, une reconstitution ne pouvant s'apparenter et aboutir dans les faits qu'à une vérification de la comptabilité de la SARL "Le Grand Domaine" (...) ; que, dès lors qu'une reconstitution de billetterie sur une période de trois ans, permettant dans les faits une vérification de comptabilité de la SARL sur cette même période de temps, était envisagée et allait succéder aux contrôles effectués en application des dispositions de l'article 26 du livre des procédures fiscales, l'administration avait l'obligation d'aviser la SARL "Le Grand Domaine" prise en la personne de sa gérante et Peggy X..., épouse Y..., et de les inviter à présenter les souches des billets délivrés au cours de la période non prescrite ; que la SARL "Le Grand Domaine" et Peggy X..., épouse Y..., toutes deux au final poursuivies sans avoir pu s'expliquer, avaient en effet le droit, d'une part, d'être informées de ce contrôle visant à reconstituer la billetterie de la discothèque "Les Planches", ce qu'elles n'ont pas été, d'autre part, de bénéficier au cours de ces opérations d'un débat contradictoire à partir des documents en leur possession et des renseignements obtenus par l'administration auprès des imprimeurs, ce qu'elles n'ont pas eu ( )" ;
"alors que, premièrement, le principe d'un débat oral et contradictoire entre le vérificateur et le contribuable, tel que dégagé par le Conseil d'Etat et repris par la chambre criminelle de la Cour de cassation ne concerne que l'hypothèse où les poursuites du chef de fraude fiscale sont engagées, sur le fondement de l'article 1741 du code général des impôts, sur la base d'une vérification de comptabilité ; que ce principe ne peut être invoqué en matière de contributions indirectes sachant que les poursuites sont engagées sur le fondement des articles L. 235 et L. 238 du livre des procédures fiscales ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les textes et principe susvisés ;
"alors que, deuxièmement, l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, applicable devant le juge correctionnel saisi sur le fondement de l'article L. 235 du livre des procédures fiscales, ne concerne pas la procédure antérieure ;
qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont de nouveau violé les textes et principes susvisés ;
"alors que, troisièmement, et en tout cas, les droits du prévenu sont suffisamment sauvegardés dès lors que figure au dossier de la procédure que le prévenu peut consulter tous les éléments sur lesquels se fonde l'administration et qu'il est en droit de les contester et d'en débattre, dans le cadre d'une instance juridictionnelle au cours de laquelle il peut produire tous les éléments et faire valoir tous les moyens qu'il estime opportuns ;
qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont, une fois encore, violé les textes et principe susvisés" ;
Vu les articles L. 26, L. 235 et L. 238 du livre des procédures fiscales ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que la constatation et la poursuite des infractions en matière de contributions indirectes ne sont pas soumises aux règles de la procédure de vérification de comptabilité prévues par l'article L. 47 du livre précité ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que les agents des impôts ont procédé, les 29 juillet et 2 août 2001, au contrôle de la billetterie de l'établissement de spectacle exploité par la société Le Grand Domaine, dont Peggy Y... est la gérante, et qu'après avoir exercé leur droit de communication auprès d'imprimeurs, ils ont constaté, par procès-verbal, base des poursuites, l'absence de délivrance de billets, de présentation des souches et des coupons de contrôle et l'omission de tenue des relevés journaliers ;
Attendu que, pour prononcer la nullité des poursuites, l'arrêt, après avoir relevé que l'article L. 26 du livre des procédures fiscales autorise les agents de l'administration à intervenir, sans formalité préalable, dans les locaux professionnels pour y procéder à des inventaires et aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt, retient, notamment, que ces agents ont procédé à une reconstitution de la billetterie, sur une période de trois ans, permettant, dans les faits, une vérification de la comptabilité de la société ; que les juges ajoutent que les prévenues n'avaient pas, comme elles en avaient le droit, bénéficié au cours des opérations d'un débat contradictoire à partir des documents en leur possession et des renseignements obtenus par l'administration auprès des imprimeurs ; qu'ils en déduisent que l'inobservation de ces formalités a porté atteinte aux droits de la défense et privé les prévenues de leur droit à un procès équitable ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, d'une part, les contrôles effectués les 29 juillet et 2 août 2001 n'ont pas revêtu le caractère de la vérification de comptabilité régie par l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, que, dautre part, la garantie du procès équitable prévue par l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ne concerne pas la procédure de contrôle des activités soumises à la législation des contributions indirectes, préalable à l'engagement des poursuites, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 13 octobre 2005, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Rognon conseiller rapporteur, M. Challe conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;