AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze janvier deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ROGNON, les observations de Me FOUSSARD, la société civile professionnelle BACHELLIER et POTIER de la VARDE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE TOULOUSE,
- L'ADMINISTRATION DES IMPOTS, partie civile,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 9 mars 2005, qui, dans la procédure suivie contre Claude X..., du chef de fraude fiscale, a sursis à statuer ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 461, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
Sur le second moyen de cassation, proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, R. 196-1, R. 198-10 et R. 199-1 du Livre des procédures fiscales, 1741 et suivants du Code général des impôts ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par Me Foussard pour l'administration des Impôts, pris de la violation du principe de la séparation des pouvoirs, du principe de l'autonomie de l'action publique du chef de fraude fiscale et des procédures administratives relatives à l'établissement de l'impôt, de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme en tant qu'il institue I'obligation pour le juge de statuer dans un délai raisonnable, des articles 1741 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que, saisi de poursuites du chef de fraude fiscale pour minoration de déclarations déposées au titre de la TVA, la cour d'appel a décidé, aux termes de l'arrêt attaqué, de surseoir à statuer sur les poursuites jusqu'à l'issue de l'instance pendante devant le tribunal administratif de Toulouse, et engagée par la SA Gravières de Martres Tolosane à la suite du redressement qui lui a été notifié par l'Administration ;
"aux motifs qu'il importe de connaître quelle sera l'appréciation par le tribunal administratif du caractère sérieux ou non des contestations élevées par les sociétés dirigées par Claude X..., au regard des dates d'exigibilité de la TVA qui a toujours été considérée comme due dans son principe et mentionnée au passif du bilan des sociétés, et en considération des garanties prises par l'Administration ; que, c'est au vu de la motivation de la décision attendue que la Cour retiendra ou non, à la charge du prévenu, l'existence de l'élément intentionnel des infractions qui lui sont reprochées ; qu'il convient donc de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure engagée devant le tribunal administratif par la SA Gravières de Martres Tolosane par requête formée le 11 octobre 2002 ;
"alors que, premièrement, si même il est précisé qu'il aura pour terme l'issue de la procédure pendante devant le juge administratif, le sursis à statuer doit être regardé comme à durée indéterminée, dès lors que le terme de la procédure devant le juge administratif est inconnu ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont commis un excès de pouvoir ;
"et alors que, deuxièmement, si le juge répressif peut prescrire la production à la procédure pénale des éléments de la procédure pendante devant le juge administratif, à l'effet d'être mieux informé, il ne saurait en revanche lier sa décision à l'appréciation portée par le juge administratif quant à l'existence de l'impôt et à son étendue, dès lors qu'en vertu du principe de plénitude de juridiction qui gouverne son office, le juge répressif doit trancher par lui-même, en cas de minoration de déclarations, le point de savoir si les chiffres portés sur les déclarations déposées reflétaient ou non fidèlement l'activité de l'entreprise ; qu'en liant leur décision à celle du juge administratif, les juges du fond ont de nouveau commis un excès de pouvoir" ;
Vu l'article 1741 du Code général des impôts ;
Attendu que les poursuites pénales exercées sur le fondement de ce texte pour fraude fiscale et la procédure administrative tendant à fixer l'assiette et l'étendue de l'impôt étant, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre, le juge répressif n'a pas à surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive du juge administratif, laquelle ne peut avoir autorité de la chose jugée à son égard ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Claude X... est poursuivi, en qualité de dirigeant des sociétés X... et Gravières de Martres-Tolosane, pour avoir, en déposant des déclarations minorées de chiffre d'affaires, frauduleusement soustrait ces sociétés à l'établissement et au paiement de la TVA due au titre de la période du 1er janvier 1998 au 31 août 2000 ; qu'il a contesté devant le juge de l'impôt la date d'exigibilité de la taxe ;
Attendu que, pour surseoir à statuer sur la culpabilité du prévenu jusqu'à l'issue de la procédure pendante devant le tribunal administratif, l'arrêt retient, notamment, que l'appréciation par cette juridiction de la contestation élevée par les sociétés sur la date d'exigibilité de la TVA, qui a toujours été considérée comme due dans son principe, permettra de retenir ou non, à la charge du prévenu, l'existence de l'élément intentionnel des infractions qui lui sont reprochées ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Toulouse, en date du 9 mars 2005, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Toulouse et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Rognon conseiller rapporteur, M. Challe conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;