AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf janvier deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller KOERING-JOULIN, les observations de la société civile professionnelle BORE et SALVE DE BRUNETON, et de la société civile professionnelle CHOUCROY-GADIOU-CHEVALLIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par:
- X... Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 20ème chambre, en date du 22 janvier 2004, qui, pour abandon de famille, l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, et a renvoyé la procédure devant le tribunal correctionnel pour qu'il prononce sur les intérêt civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation du principe de la présomption d'innocence, des articles 6-2 de la Convention européenne des droits de l'homme, 227-3, alinéa 1, du Code pénal, de l'article préliminaire et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt a confirmé le jugement qui avait retenu la culpabilité de Pierre X..., sous réserve que la période de prévention soit fixée du 1er décembre 1999 au 24 février 2000, du 1er janvier au 5 mars 2001, du 1er juin 2001 au 1er février 2002 ;
"aux motifs que, "le prévenu ne rapporte pas la preuve qu'il s'est acquitté, au titre du paiement des pensions alimentaires, de sommes autres que celles comptabilisées par Véronique Y... ; qu'aucun des versements effectués par Pierre X... ne correspond au montant exact des pensions alimentaires pendant la période de prévention ; qu'aucune des pièces produites ne permet d'affecter ces versements au paiement de la pension alimentaire pour un mois précis ; qu'au cours de l'année 2001, seul le mois de mars a été intégralement acquitté à la date prévue ; que pour l'année 2002, selon le relevé réalisé par la partie civile, aucun paiement n'est intervenu avant le mois d'avril ; que du mois d'octobre 1999 au 24 février 2000, il n'y a pas eu de versement au titre des pensions alimentaires ; qu'entre le 24 février 2000 et le 26 octobre 2000, des paiements ont eu lieu pour un montant de 267.682 francs, sans que ces versements soient susceptibles d'être affectés à des mois précis, certains paiements étant supérieurs au montant des pensions alimentaires et prestation compensatoire provisionnelle ;
que le délit d'abandon de famille n'est constitué que lorsque le débiteur d'aliment est demeuré plus de deux mois sans payer l'intégralité des pensions dues; que pour la période du 24 février 2000 au 26 octobre 2000, un doute subsiste quant à la matérialité de l'infraction eu égard au montant et aux dates des paiements ; que même si le prévenu rapporte la preuve qu'il a réalisé divers versements qui ont bénéficié à Véronique Y..., il n'y a pas de compensation possible entre ces paiements et les obligations alimentaires ; que Pierre X... n'a pas argué d'une impossibilité absolue de régler les pensions alimentaires dues; que le délit d'abandon de famille est établi dans tous ses éléments constitutifs pour les périodes du 1er décembre 1999 au 24 février 2000, du 1er janvier au 5 mars 2001, du 1er juin 2001 au 1er février 2002" ;
"et aux motifs adoptés des premiers juges qu' "il résulte du décompte produit aux débats par la partie civile, en mai 2001, que Pierre X... a effectué un versement pour un total de 10 594 euros ; or, il était dû pour l'année 2001, au seul titre de la contribution à l'entretien des enfants, une somme de 10 976,40 euros ; il résulte également de ce décompte qu'il n'a rien versé de janvier à mars 2002, n'ayant repris les versements qu'en avril 2002 ; qu'ainsi et même à supposer que Pierre X... aurait trop versé de provision à valoir sur la prestation compensatoire définitive, il ne pourrait opérer une compensation entre des sommes dont il se prétend débiteur (sans qu'il produise le moindre décompte) et les pensions qu'il doit, pour l'entretien de ses deux enfants, verser mensuellement d'avance à la mère" ;
"1 ) alors que, en matière pénale, la charge de la preuve pèse sur l'accusation ; que, pour déclarer Pierre X... coupable, la cour d'appel a retenu qu'il ne pouvait y avoir lieu à compensation entre les versements effectués et les obligations alimentaires, la preuve n'étant pas rapportée que lesdits versements étaient affectés au paiement de la pension alimentaire ; qu'en statuant par de tels motifs, qui laissaient nécessairement subsister un doute sur le défaut de paiement des sommes dues au titre de la pension alimentaire, doute qui devait profiter au prévenu, les juges du fond ont inversé la charge de la preuve et, en conséquence, violé les textes susvisés ;
"2 ) alors que le débiteur d'aliments peut procéder à des paiements anticipés ; que la cour d'appel, tout en constatant que Pierre X... avait réalisé divers versements à son ex-épouse, a retenu à son encontre l'infraction d'abandon de famille pour non- paiement de pension alimentaire en ce qu'aucune pièce ne permettait d'affecter ces versements au paiement pour un mois précis qu'en statuant ainsi, bien que ces versements aient pu avoir vocation à régler la pension alimentaire due au titre de plusieurs mois, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Mais sur le moyen relevé d'office, pris de la violation des articles 509, 515 et 469-1 du Code de procédure pénale ;
Attendu que les juges du second degré, lorsqu'ils sont saisis de l'appel d'un jugement déclarant le prévenu coupable d'une infraction, ajournant le prononcé de la peine, et ordonnant le sursis à statuer sur les intérêts civils, ne sauraient, sans méconnaître l'étendue de leur saisine, statuer sur la culpabilité et la peine en renvoyant la procédure au tribunal correctionnel pour prononcer sur les intérêts civils ;
Attendu que le tribunal correctionnel a déclaré Pierre X... coupable d'abandon de famille, ajourné le prononcé de la peine à l'audience du 25 juin 2003 et sursis à statuer sur les intérêts civils ; que le prévenu et le ministère public ont relevé appel du jugement ; que, par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a confirmé la décision sur la culpabilité, statué sur la peine et laissé aux premiers juges le soin de prononcer sur les intérêts civils ;
Mais attendu qu'en procédant ainsi, alors qu'elle avait le devoir de statuer également sur les intérêts civils, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 22 janvier 2004, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Koering-Joulin conseiller rapporteur, M. Le Gall conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;