AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu que depuis les années 1980, la commune de Kerlouan (Finistère) et son port de Ménéham sont le théâtre d'actes périodiques de vandalisme, imputés à un individu jamais identifié et surnommé localement "le renard" ; que ces événements ont fait l'objet de reportages dans la presse locale, écrite et télévisuelle ; qu'un roman policier, intitulé "Le renard des grèves", dont l'auteur est M. Jean X..., a été publié par la société Sedim éditions du Palémon en novembre 2003 ; que s'y trouvent mis en scène en Bretagne, au village fictif de "Kerlaouen" et dans son port de "Meznam", des lieux, personnages et faits dont la similitude avec les incidents réellement survenus, la population et les personnes un temps soupçonnées a été recherchée par l'auteur qui mêle des épisodes réels de leur vie et une histoire inventée ;
que dans ce contexte et à diverses reprises, le livre présente comme une ancienne prostituée une femme répondant au nom de Gabrielle Y... ; que, prétendant que maints détails la rattachent directement, sans confusion ni ambiguïté possible pour un lecteur informé de l'affaire, à ce personnage, Mme Z..., habitante de Kerlouan, a assigné en référé l'auteur et l'éditeur pour allégations mensongères et attentatoires à sa vie privée ; que la cour d'appel, accueillant la demande, a ordonné la suppression des quatre passages comportant les imputations dénoncées ;
Attendu que M. Jean X... et la société Sedim éditions du Palémon font grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 12 décembre 2003) d'avoir ainsi statué alors, selon le pourvoi, que la narration d'un événement purement fictif, intervenant dans la vie de l'un des personnages imaginaires d'une oeuvre de fiction qui, tout en étant inspiré d'un fait réel, n'a aucunement vocation à passer pour vraie, ressortit à la liberté de création de l'auteur et ne saurait être constitutive d'une atteinte à la vie privée de la personne qui croit pouvoir s'identifier au personnage ; qu'une telle narration ne pourrait être éventuellement sanctionnée qu'au titre d'un abus de la liberté d'expression et de création sur le fondement exclusif des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en l'espèce, Madame Z... ne soutenait avoir subi une prétendue atteinte à sa vie privée que dans la mesure ou elle serait identifiable au personnage de Gabrielle Y..., imaginée par M. X... dans son livre en victime de rumeurs relatives à son hypothétique passé de prostituée ; qu'en déclarant cependant bien fondée l'action de Mme Z..., tout en constatant pourtant que ces éléments, intégrés dans un roman policier, étaient "fictifs", et partant insusceptibles de porter atteinte à la vie privée de celle-ci, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 9 du Code civil, ensemble la loi du 29 juillet 1881 et les articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que les abus de la liberté d'expression qui portent atteinte à la vie privée peuvent être réparés sur le fondement de l'article 9 du Code civil ; qu'après avoir souverainement relevé l'amalgame auquel conduisait nécessairement les divers points de similitudes, dûment rapportés, entre le personnage du roman et l'intéressée, la cour d'appel a exactement retenu qu'une oeuvre de fiction, appuyée en l'occurrence sur des faits réels, si elle utilise des éléments de l'existence d'autrui, ne peut leur en adjoindre d'autres qui, fussent-ils imaginaires, portent atteinte au respect dû à sa vie privée ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne M. X... et la société Sedim "Editions du Palemon" aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. X... et la société Sedim "Editions du Palemon" à payer à Mme Z... la somme globale de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille six.