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12/04/2005 | FRANCE | N°03-83452

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 avril 2005, 03-83452


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze avril deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Gabriel,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la c

our d'appel de VERSAILLES, en date du 30 avril 2003, qui, infirmant, sur le seul appel ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze avril deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Gabriel,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 30 avril 2003, qui, infirmant, sur le seul appel de la partie civile, l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, l'a renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention de soumission de personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions de travail ou d'hébergement contraires à la dignité humaine ;

Vu l'article 574 du Code de procédure pénale ;

Vu les mémoires produits, en demande, en défense et en réplique ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite d'une dénonciation de l'Association Enfance et Partage, concernant les conditions dans lesquelles des fillettes étaient traitées par leur oncle, Gabriel X..., fonctionnaire à l'Unesco, le procureur de la République a sollicité et obtenu la levée de l'immunité diplomatique de celui-ci à raison des faits commis sur la personne de Yvette et Chantal Y... ; qu'à l'issue de l'information, ouverte, notamment du chef d'atteinte à la dignité de la personne humaine, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu en faveur de Gabriel X... ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 574 du Code de procédure pénale, 39-2 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961, entrée en vigueur en France le 30 janvier 1971, de l'article 1er du Protocole à ladite Convention concernant le règlement obligatoire des différends, des articles 6.1 et 6.3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des droits de la défense, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, infirmant l'ordonnance de non-lieu rendue le 5 février 2001 au bénéfice de Gabriel X..., a ordonné son renvoi devant le tribunal correctionnel de Nanterre du chef d'atteinte à la dignité de la personne commise à l'égard de plusieurs personnes en abusant de leur vulnérabilité et de leur situation de dépendance ;

"aux motifs que "les termes explicites de la lettre adressée le 20 janvier 2003 à la Cour par le responsable du service du protocole du ministère des affaires étrangères au nom du ministre, habilité à interpréter les conventions internationales et à apprécier l'étendue de l'immunité accordée par celles-ci aux diplomates, ont permis de lever toute incertitude sur la situation de Gabriel X... ; qu'il en résulte, en effet, que celui-ci a cessé ses fonctions à l'Unesco le 30 novembre 2001 ; que, s'agissant d'actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions, il ne bénéficie plus de l'immunité diplomatique ; qu'il s'en déduit qu'il n'existe aucun obstacle à l'exercice de l'action publique" ;

"alors, d'une part, que, aux termes du protocole concernant le règlement obligatoire des différends relatifs à l'application de la convention de Vienne, entré en vigueur en même temps que la convention en France le 30 janvier 1971, article 1er, "les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la Convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de justice qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même partie au présent protocole" ; qu'ainsi, il appartenait au ministre des affaires étrangères, qui n'était pas compétent pour interpréter la Convention ni pour donner son avis sur l'application de la Convention au cas de l'espèce, de saisir du différend la Cour internationale de justice ;

qu'il s'en déduit que la chambre de l'instruction ne pouvait se référer à l'avis donné par le ministère des affaires étrangères, pour interpréter la convention de Vienne et apprécier l'étendue de l'immunité accordée par celle-ci aux diplomates, et à Gabriel X... en particulier ; que la chambre de l'instruction, en statuant comme elle l'a fait, a donc violé les textes susvisés ;

"et alors qu'en toute hypothèse, la chambre de l'instruction ne pouvait se référer à l'avis du ministère des affaires étrangères sans exercer sa fonction juridictionnelle sur l'incidence de la Convention sur le présent litige et sans soumettre la question au débat contradictoire ; qu'en s'abstenant, ainsi, d'apprécier les éléments de la procédure et l'avis du ministre, et en se bornant à se référer aux termes de la lettre adressée le 20 janvier 2003 à la Cour par le ministre des affaires étrangères, sans exercer pleinement son pouvoir d'appréciation sur cet élément de la procédure, la chambre de l'instruction n'a pas satisfait à ses obligations et a violé les dispositions de l'article 6.1 de la Convention européenne ;

"alors, d'autre part, qu'au demeurant, la circonstance selon laquelle Gabriel X... avait cessé ses fonctions à l'Unesco le 30 novembre 2001 n'emportait pas nécessairement cessation de l'immunité diplomatique dont il bénéficiait pour les actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions ; qu'en effet, l'article 39-2 de la convention de Vienne, auquel il est fait référence dans la lettre du ministère des affaires étrangères, prévoit que, lorsque les fonctions d'une personne bénéficiant des privilèges et immunités prennent fin, ces privilèges et immunités cessent normalement au moment où cette personne quitte le pays, ou à l'expiration d'un délai raisonnable qui lui aura été accordé à cette fin, mais ils subsistent jusqu'à ce moment ; qu'ainsi, en l'espèce, l'arrêt ne pouvait déduire, de la seule circonstance que Gabriel X... avait cessé ses fonctions le 30 novembre 2001, qu'il ne bénéficie plus de l'immunité diplomatique pour les actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions, sans constater que le diplomate, toujours domicilié, dans la procédure, à Ville-d'Avray, avait quitté le pays au moment où la chambre de l'instruction a statué sur la levée de l'immunité dont il devait bénéficier jusqu'à son départ de France ;

"alors, en outre, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'arrêt attaqué ne pouvait donc se prononcer par voie de référence aux termes de la lettre émanant du ministère des affaires étrangères, en date du 20 janvier 2003, sans rechercher lui-même si, dans les circonstances précises de l'espèce, et par application des termes clairs et précis de la Convention et des lettres émanant de l'Unesco, Gabriel X... bénéficiait, ou non, de l'immunité de juridiction, dans la mesure où il était précisément allégué par le demandeur que le directeur général de l'Unesco n'avait accepté à titre exceptionnel de lever l'immunité diplomatique dont il bénéficiait qu'aux fins d'enquête, et non point en ce qui concerne les immunités de juridiction et d'exécution, dont il devait dès lors continuer de bénéficier, et qu'il résultait par ailleurs de la Convention de Vienne que l'immunité du diplomate ayant cessé ses fonctions ne prend fin qu'au moment où cette personne quitte le pays ; que la chambre de l'instruction, qui s'est ainsi bornée à faire référence à l'avis du ministère des affaires étrangères sollicité aux fins d'interprétation de la convention de Vienne, n'a pu justifier sa décision ;

"alors, enfin, que la chambre de l'instruction aurait dû mettre Gabriel X... en mesure de s'expliquer sur les conditions dans lesquelles ses fonctions avaient pris fin et sur les conséquences qui étaient susceptibles de s'en évincer quant à l'immunité dont il bénéficiait ; que l'arrêt ne justifie pas avoir permis à Gabriel X... de présenter sa défense sur ce point, en violation de l'article 6.3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des droits de la défense" ;

Attendu que, pour écarter l'argumentation du mémoire de Gabriel X... invoquant le bénéfice de l'immunité diplomatique et le renvoyer devant le tribunal correctionnel, l'arrêt relève qu'il résulte des pièces du supplément d'information régulièrement versées aux débats que celui-ci a cessé ses fonctions à l'Unesco le 30 novembre 2001 et que les actes visés à la prévention ont été commis en dehors de l'exercice de ses fonctions ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application de l'article 39-2 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, en date du 18 avril 1961, à laquelle renvoie l'article 19-2 de l'accord de siège conclu entre la France et l'Unesco ;

Qu'en effet, selon le premier de ces textes, le bénéfice de l'immunité diplomatique, qui cesse de plein droit à la fin des fonctions, peut être seulement prorogé pendant un délai raisonnable qui aura été accordé à l'agent pour quitter le pays ;

Que, tel n'étant pas le cas en l'espèce, le moyen ne saurait être admis ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 574 du Code de procédure pénale, 225-14 du Code pénal, 202, 204, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi de Gabriel X... devant le tribunal correctionnel du chef d'atteinte à la dignité de la personne, commise sur Chantal, Yvette, Jacqueline, Judith et Claudine Y..., avec cette circonstance que les faits ont été commis à l'égard de plusieurs personnes ;

"aux motifs que l'article 225-14 du Code pénal, qui fonde la poursuite exercée contre Gabriel X..., incrimine le fait de soumettre une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine ; qu'il est constant que Gabriel X... connaissait le mode de fonctionnement de la famille, le rôle qu'y jouait Chantal Y... en travaillant du matin au soir, le fait que les jeunes filles étaient mal nourries, l'attitude de son épouse à leur égard, l'insuffisance des soins médicaux qu'exigeait leur état de santé ; qu'il existe ainsi, au terme de l'information, des charges suffisantes contre Gabriel X... d'avoir commis ce délit ;

"alors, d'une part, que la chambre de l'instruction ne pouvait statuer sur des faits restés en dehors de la saisine du juge d'instruction ; qu'en l'espèce, les faits reprochés à Gabriel X... ne concernaient que les prétendus chefs d'atteinte à la dignité de la personne commise au préjudice d'Yvette et de Chantal Y... ; que, dès lors, en renvoyant Gabriel X... devant le tribunal correctionnel du chef d'atteintes à la dignité de la personne commises sur Chantal, Yvette, Jacqueline, Judith et Claudine Y..., l'arrêt attaqué, par ces dispositions qui fixent définitivement la saisine de la juridiction de jugement, est entaché d'excès de pouvoir ;

"alors, d'autre part, que le délit d'atteinte à la dignité de la personne suppose que celui à qui on l'impute ait commis des actes positifs incompatibles avec la notion de dignité humaine ;

qu'en se bornant à reprocher à Gabriel X... d'avoir "connu" le mode d'hébergement des jeunes filles et de n'avoir rien changé à l'organisation de la maison, autrement dit de ne pas avoir agi, la chambre de l'instruction n'a pu caractériser des charges suffisantes à l'encontre du prévenu d'avoir commis le délit de la prévention" ;

Vu les articles 202 et 204 du Code de procédure pénale ;

Attendu que la chambre de l'instruction, juridiction du second degré, ne peut, sans recourir à la procédure prévue par les articles susvisés, statuer sur des faits restés en dehors de la saisine du juge d'instruction ;

Attendu que, sur appel de la partie civile, la chambre de l'instruction a renvoyé Gabriel X... devant le tribunal correctionnel pour avoir "soumis Chantal, Yvette, Jacqueline, Judith et Claudine Y..., en abusant de leur vulnérabilité et de leur situation de dépendance, à des conditions de travail et d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, avec cette circonstance que les faits ont été commis à l'égard de plusieurs personnes" ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la juridiction d'instruction n'était saisie que des seuls faits commis sur la personne d'Yvette et de Chantal Y..., les juges ont méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 30 avril 2003, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Chanet, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Commaret ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 03-83452
Date de la décision : 12/04/2005
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° IMMUNITE - Immunité diplomatique - Etendue - Cessation des fonctions - Effet.

1° Selon l'article 39.2 de la convention de Vienne du 18 avril 1961, le bénéfice de l'immunité diplomatique, qui cesse de plein droit à la fin des fonctions, peut être seulement prorogé pendant un délai raisonnable qui aura été accordé à l'agent pour quitter le pays. Justifie sa décision l'arrêt qui énonce que l'agent, ayant quitté ses fonctions le 30 novembre 2001, ne bénéficiait plus à la date du 30 avril 2003 de l'immunité diplomatique que pour les actes commis pendant son mandat en dehors de l'exercice de ses fonctions.

2° CHAMBRE DE L'INSTRUCTION - Pouvoirs - Examen de tous les faits de la procédure - Nouveaux chefs de poursuite - Nouvelle information - Nécessité.

2° S'il est de principe que la chambre de l'instruction est investie du droit de compléter la qualification donnée aux faits résultant du dossier de la procédure dont elle est saisie, elle ne peut, par contre, aux termes de l'article 202 du Code de procédure pénale, statuer sans ordonner une nouvelle information lorsque les nouveaux chefs de poursuite n'ont pas été compris dans les inculpations notifiées par le juge d'instruction.


Références :

1° :
2° :
Code de procédure pénale 202, 204
Convention de Vienne du 18 avril 1961 art. 39 2

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles (chambre de l'instruction), 30 avril 2003

Sur le n° 2 : Dans le même sens que : Chambre criminelle, 1994-05-31, Bulletin criminel 1994, n° 211 (1), p. 518 (cassation partielle et règlement de juges), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 12 avr. 2005, pourvoi n°03-83452, Bull. crim. criminel 2005 N° 126 p. 437
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2005 N° 126 p. 437

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : Mme Commaret.
Rapporteur ?: Mme Anzani.
Avocat(s) : la SCP Waquet, Farge et Hazan, la SCP Boré et Salve de Bruneton.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:03.83452
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