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14/12/2004 | FRANCE | N°03-30247

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 14 décembre 2004, 03-30247


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 28 janvier 2003) que Guy X..., salarié de la société Elf Atochem, devenue Atofina, de 1958 à 1967, a été reconnu atteint d'un mésothéliome pleural d'origine professionnelle ; qu'après son décès, ses ayants droit ont saisi la juridiction de sécurité sociale d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;

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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 28 janvier 2003) que Guy X..., salarié de la société Elf Atochem, devenue Atofina, de 1958 à 1967, a été reconnu atteint d'un mésothéliome pleural d'origine professionnelle ; qu'après son décès, ses ayants droit ont saisi la juridiction de sécurité sociale d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;

Sur le premier et le second moyen, et la première branche du troisième moyen, réunis :

Attendu que la société Atofina fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la maladie professionnelle dont était décédé Guy X... était due à la faute inexcusable de son employeur, alloué aux consorts X... diverses sommes en réparation de leur préjudice moral, et du préjudice personnel de Guy X..., fixé au maximum la majoration de la rente susceptible de lui avoir été servie, alors, selon le moyen :

1 / que si la réparation forfaitaire de base prévue par les articles L. 411-1 et suivants et L. 461-1 et suivants du Code de la sécurité sociale est acquise de plein droit en cas de reconnaissance d'une maladie professionnelle et apparaît bien comme la contrepartie d'une obligation de résultat, en revanche les réparations complémentaires prévues par les articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale sont subordonnées à l'existence d'une "faute inexcusable", notion légale précise à laquelle ne saurait être substituée celle d'obligation de résultat, de sorte qu'en affirmant que la société Atofina, utilisatrice de l'amiante, aurait dû prendre toute mesure utile pour préserver ces salariés du risque représenté par ce produit et en déduisant de la seule apparition de la maladie que celle ci résulterait nécessairement d'une faute inexcusable d'Atofina, la cour d'appel a aboli toute distinction entre les textes susvisés et les a violés" ;

2 / qu'en vertu des articles L. 452-2 et L. 452-4 du Code de la sécurité sociale, la reconnaissance d'une "faute inexcusable" expose l'employeur au paiement de cotisations complémentaires et/ou supplémentaires qui sont non seulement destinées à financer la rente versée par la CPAM à la victime mais sont aussi perçues par la CRAM à titre préventif et que les rentes sont systématiquement majorées de 100 %, sauf faute inexcusable du salarié lui même ; qu'il résulte d'un tel dispositif que les sanctions infligées, tant à l'employeur qu'à l'auteur direct des fautes, relèvent de la matière pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, méconnaît ensemble le principe de la sécurité juridique et celui de la non rétroactivité de la norme répressive, figurant dans l'article 7 de ladite convention, la cour d'appel qui, ayant à statuer sur la conscience du danger que devait avoir l'employeur, qualifie une faute inexcusable en fonction, non des normes du droit positif applicable à l'époque de l'exposition au risque (1958-1967) telles qu'elles résultent des arrêts contemporains des chambres réunies des 15 juillet 1941 et du 23 juin 1966 et de l'assemblée plénière du 18 juillet 1980, mais de normes de même nature, apparues seulement le 28 février 2002, selon lesquelles l'employeur serait tenu à une "obligation de sécurité de résultat"et aurait nécessairement conscience du danger du seul fait que les dispositifs protecteurs utilisés n'auraient pu garantir parfaitement la santé de M. X..." ;

3 / que ne constitue pas un simple changement de définition jurisprudentielle laissé à la discrétion du juge la substitution au caractère "inexcusable" de la faute prévue par l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale qui est qualifiant par lui même, de la notion d'obligation de sécurité de résultat de sorte que l'arrêt attaqué qui, statuant sur des faits anciens, utilise de la sorte une norme jurisprudentielle modifiant l'état du droit sans en contrôler la rétroactivité, ne satisfait pas aux obligations du procès équitable en violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

4 / qu'il résulte de l'arrêt et du jugement que l'entreprise n'avait recours à des éléments en amiante fournis par des producteurs extérieurs pour les besoins de l'isolation de certains équipements et qu'elle avait ainsi la simple qualité d'utilisatrice ; que, dès lors, en affirmant en termes généraux et abstraits qu'elle ne pouvait "qu'avoir conscience du danger" surtout depuis l'élargissement (1945) du tableau n° 30 aux maladies dues à l'inhalation des poussières de l'amiante, bien que le mésothéliome dont a été atteint la victime ait été répertorié audit tableau seulement en 1976, c'est-à-dire plus de 9 ans après la cessation de l'exposition au risque, la cour d'appel a violé le décret n° 76-34 du 5 janvier 1976 (relatif à l'inscription de cette maladie) et l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale ;

5 / que les juges du fond qui constatent que la victime était employée en qualité de chaudronnier tuyauteur et à ce titre amenée à la découpe des joints, des tissus ou des tresses d'amiante, caractérisent les activités qui ont été inscrites au tableau n° 30 seulement par le décret n° 96-446 du 22 mai 1996 et nullement les activités de calorifugeage au sens du tableau n° 30 dans sa rédaction de 1951 ; de sorte qu'en décidant qu'à l'époque de l'exposition au risque (1956-1967) la société aurait déjà été avertie du risque spécifique par l'état du tableau à cette époque, la cour d'appel a violé ensemble les décrets n° 51-1215 du 3 octobre 1951, n° 96-446 du 22 mai 1996 et l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale ;

6 / que ne respecte pas l'égalité des armes en violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme l'arrêt qui se borne à faire état d'un témoignage recueilli auprès de camarades de travail plus de trente ans après l'exposition au risque et qui s'abstient d'analyser les documents techniques contemporains produits par l'employeur ;

7 / qu'en vertu des articles L. 454-1, alinéa 1, et D 242-6-3, alinéa 5, du Code de la sécurité sociale, lorsque la responsabilité de l'employeur dans une maladie professionnelle est partagé avec un tiers ,fût-il l'Etat, il y a lieu pour la caisse d'opérer une répartition dans la charge des indemnités et des cotisations de sorte qu'en déclarant qu'il importerait peu de rechercher si l'Etat avait ou non accompli une faute en édictant une réglementation inappropriée dans le cadre de ses pouvoirs de police, la cour d'appel a méconnu son office en violation des textes susvisés ;

Mais attendu que la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ne relève pas de la matière pénale au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Et attendu que c'est à bon droit et sans méconnaître les exigences du texte précité que l'arrêt retient qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;

Que les énonciations de l'arrêt, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche du moyen, caractérisant le fait d'une part que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, d'autre part, qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la cour d'appel a pu en déduire que la société Atofina avait commis une faute inexcusable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu que la société Atofina fait également grief à l'arrêt d'avoir dit que les sommes allouées aux consorts X... seraient avancées par la CPAM qui en recouvrerait le montant sur la société Atofina, alors, selon le moyen :

1 / qu'en vertu de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 les dépenses afférentes à des maladies professionnelles ayant fait l'objet d'une constatation postérieure à l'entrée en vigueur du tableau les concernant" sont inscrites au compte spécial" et que viole ce texte ainsi que le principe de la non rétroactivité du tableau figurant dans l'article L. 461-2 du Code de la sécurité sociale l'arrêt qui fait supporter par la société exposante le remboursement des indemnités complémentaires allouées à la victime et à ses ayants droit au titre de l'article L. 452-3 et qui fait ainsi une distinction injustifiée entre les dépenses récupérables au moyen d'une majoration et les dépenses remboursables, toutes ayant indistinctement vocation à échapper à la rétroactivité des modifications apportées au tableau n° 30" ;

2 / que si l'arrêté du 16 octobre 1995 a été pris en application de l'article D 242-6-3 du Code de la sécurité sociale relatif à la tarification, la distinction entre les dépenses de la caisse effectuées en vertu de l'article L. 452-3 et les autres dépenses ne saurait trouver le moindre fondement dans le premier de ces textes qui prend lui même en compte "les capitaux" correspondants, comme en l'espèce, aux maladies mortelles," que la victime ait ou non laissé des ayants droit" ;

Mais attendu que même dans le cas où les dépenses afférentes à la maladie professionnelle sont inscrites au compte spécial en raison de ce que celle-ci n'a été inscrite au tableau que postérieurement à la période d'exposition au risque, la Caisse primaire d'assurance maladie, tenue de faire l'avance des sommes allouées en réparation du préjudice de caractère personnel, conserve contre l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue le recours prévu par l'article L. 452-3, alinéa 3, du Code de la sécurité sociale ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Atofina aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 03-30247
Date de la décision : 14/12/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 - 1 - Domaine d'application - Sanction pénale - Définition - Exclusion - Reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

1° SECURITE SOCIALE - ACCIDENT DU TRAVAIL - Faute inexcusable de l'employeur - Conditions - Conscience du danger - Risques liés au poste de travail - Défaut d'adoption des mesures de protection nécessaires - Applications diverses 1° CASSATION - Arrêt - Arrêt de revirement - Règle nouvelle - Application dans le temps - Application à l'instance en cours - Cas - Respect des exigences du procès équitable - Applications diverses 1° SECURITE SOCIALE - ACCIDENT DU TRAVAIL - Faute inexcusable de l'employeur - Définition.

1° La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ne relève pas de la matière pénale aus sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, satisfait aux exigences du procès équitable et par le texte précité la cour d'appel qui, ayant caractérisé le fait, d'une part que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, d'autre part qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, en a déduit que celui-ci avait commis une faute inexcusable.

2° SECURITE SOCIALE - ACCIDENT DU TRAVAIL - Faute inexcusable de l'employeur - Procédure - Action de la victime - Action récursoire de la caisse - Inscription au compte spécial - Portée.

2° SECURITE SOCIALE - ACCIDENT DU TRAVAIL - Maladies professionnelles - Tableau annexé au décret du 31 décembre 1946 - Tableau n° 30 (Affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussière d'amiante) - Inscription au tableau - Date - Portée.

2° Même dans le cas où les dépenses afférentes à la maladie professionnelle sont inscrites au compte spécial en raison de ce que celle-ci n'a été inscrite au tableau que postérieurement à la période d'exposition au risque, la caisse primaire d'assurance maladie, tenue de faire l'avance des sommes allouées en réparation du préjudice de caractère personnel, conserve contre l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue le recours prévu par l'article L. 452-3, alinéa 3, du Code de la sécurité sociale.


Références :

1° :
1° :
2° :
Code de la sécurité sociale L452-1
Code de la sécurité sociale L452-3 al. 3
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales art. 6.1

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 28 janvier 2003

Sur le n° 1 : Sur l'exclusion de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur de la matière pénale au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans le même sens que : Chambre civile 2, 2004-04-06, Bulletin 2004, II, n° 153 (1), p. 129 (cassation partielle sans renvoi). Sur la définition de la faute inexcusable de l'employeur, dans le même sens que : Chambre civile 2, 2003-04-03, Bulletin 2003, II, n° 98 (2), p. 85 (rejet)

arrêt cité. Sur le n° 2 : Dans le même sens que : Chambre sociale, 2002-02-28, Bulletin 2002, V, n° 81 (9), p. 74 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 14 déc. 2004, pourvoi n°03-30247, Bull. civ. 2004 II N° 520 p. 444
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2004 II N° 520 p. 444

Composition du Tribunal
Président : M. Guerder, conseiller doyen faisant fonction.
Avocat général : Mme Barrairon.
Rapporteur ?: Mme Coutou.
Avocat(s) : la SCP Célice, Blancpain et Soltner.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:03.30247
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