AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 30 juin 2003), que MM. Jean-Baptiste et Pierre X..., se portant fort de leurs cohéritiers d'une parcelle située sur le territoire de la commune de Palneca, ont, par actes sous seing privé du 30 octobre 1994, cédé une partie de ce bien à la commune pour la construction d'un escalier et d'un casier à poubelles destiné à desservir une partie de l'agglomération ; que l'un des cohéritiers, M. Roger X... a fait assigner la commune et les consorts X... en nullité de ces actes, remise en état des lieux sous astreinte et paiement de dommages-intérêts, en invoquant la voie de fait ; que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'incompétence du juge judiciaire soulevée par la commune et MM. Jean-Baptiste et Pierre X... , dit que les actes litigieux ne constituaient pas des actes de vente, contrairement à ce qu'avaient décidé les premiers juges, débouté M. Roger X... de sa demande de remise en état des lieux impliquant la démolition d'ouvrages publics et condamné la commune à payer à l'intéressé 15 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal de M. Roger X... :
Attendu que M. Roger X... fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'ordonner la remise en état des lieux, alors, selon le moyen, que si les juridictions de l'ordre judiciaire ne peuvent prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l'intégrité ou au fonctionnement d'un ouvrage public, il en va autrement dans l'hypothèse où la réalisation de l'ouvrage procède d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'autorité administrative et qu'aucune procédure de régularisation appropriée n'a été engagée ; qu'ainsi, dès lors qu'il résultait de ses propres constatations que les actes passés le 30 octobre 1994 n'étaient pas des actes de vente, et qu'ainsi la commune de Palneca avait réalisé son empiétement sur la propriété d'autrui sans pouvoir se prévaloir d'une vente ou d'un titre quelconque, si bien que la réalisation de l'abri poubelle et de l'escalier le desservant procédait d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'autorité administrative, alors que par ailleurs l'existence d'une procédure de régularisation appropriée n'avait jamais été alléguée, la cour d'appel ne pouvait refuser la remise en état des lieux, même par démolition de l'ouvrage prétendument public, sans violer l'article 544 du Code civil, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu que la cour d'appel, après avoir relevé qu'en raison de la nullité des actes passés le 30 octobre 1994, la construction de l'ouvrage public s'analysait en une emprise irrégulière sur la parcelle litigieuse et non en une voie de fait, en a déduit à bon droit qu'elle ne pouvait ordonner la démolition de l'ouvrage ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident des consorts X..., pris en ses deux branches :
Attendu que MM. Jean-Baptiste et Pierre X... reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par eux et d'avoir dit que les actes du 30 octobre 1994 n'étaient pas des actes de vente, alors, selon le moyen :
1 / que le juge judiciaire, s'il est compétent pour statuer sur la réparation des préjudices qui ont leur source dans une emprise irrégulière, ne l'est pas pour se prononcer sur la régularité des contrats administratifs qui sont à l'origine d'une telle emprise et doit surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge administratif tranche cette question ; qu'en rejetant l'exception d'incompétence soulevée par MM. Pierre et Jean-Baptiste X... par cela seul qu'elle serait compétente pour statuer sur la réparation de l'ensemble des préjudices découlant de la construction de l'abri à poubelles par la commune de Palneca sur le fonds des consorts X..., la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et la loi du 16 fructidor an III ;
2 / que revêt un caractère administratif le contrat par lequel une personne privée met un immeuble à la disposition d'une personne publique aux fins que celle-ci y édifie des ouvrages publics et qui porte ainsi sur l'exécution de travaux publics ; que la cour d'appel relève elle-même que les actes de cession consentis par MM. Pierre et Jean-Baptiste X... au profit de la commune de Palneca le 30 octobre 1994 l'ont été "pour la construction de casiers poubelles, escalier" qu'elle a elle-même qualifiés d'"ouvrages publics" ; qu'en affirmant néanmoins, par motifs adoptés, que de tels actes seraient de droit privé et en en appréciant la validité pour ensuite relever l'existence d'une emprise irrégulière, la cour d'appel a violé l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et la loi du 16 fructidor an III ;
Mais attendu que la circonstance que les actes du 30 octobre 1994 portant cession à la commune d'une partie de la parcelle concernée, passés entre MM. Jean-Baptiste et Pierre X..., d'une part, et cette collectivité, d'autre part, ont mentionné qu'elle était donnée pour y édifier des ouvrages publics, ne pouvait leur conférer le caractère de contrats relatifs à l'exécution de travaux publics, les cocontractants de la commune demeurant étrangers à cette opération ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Laisse à M. Roger X..., d'une part, et à MM. Pierre et Jean-Baptiste X..., d'autre part, la charge des dépens afférents à leur pourvoi respectif ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille cinq.