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22/06/2004 | FRANCE | N°01-18030

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 22 juin 2004, 01-18030


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu qu'Albert X... est décédé le 24 novembre 1994, en laissant pour lui succéder son épouse en troisièmes noces, Mme Valeriana Y..., qu'il avait épousée en novembre 1976 sous le régime de la séparation des biens, donataire par contrat de mariage de la nue-propriété de trois immeubles, légataire de divers biens, suivant un testament olographe du 31 mars 1994, et usufruitière légale du quart, et son fils M. Jacques X..., né de sa deuxième union, donataire par pre

ciput et hors part de la nue-propriété de trois autres biens immobiliers suiv...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu qu'Albert X... est décédé le 24 novembre 1994, en laissant pour lui succéder son épouse en troisièmes noces, Mme Valeriana Y..., qu'il avait épousée en novembre 1976 sous le régime de la séparation des biens, donataire par contrat de mariage de la nue-propriété de trois immeubles, légataire de divers biens, suivant un testament olographe du 31 mars 1994, et usufruitière légale du quart, et son fils M. Jacques X..., né de sa deuxième union, donataire par preciput et hors part de la nue-propriété de trois autres biens immobiliers suivant un acte du 28 octobre 1991 ; que Mme Y... a assigné M. Jacques X... pour voir constater l'existence de donations déguisées consenties par le défunt à celui-ci, appliquer les peines du recel, annuler la donation notariée du 28 octobre 1991 et dire que M. Z..., notaire ayant rédigé cet acte, a manqué à son devoir de conseil envers le défunt ; que M. Jacques X... a également formé diverses demandes ;

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à voir juger que M. X... avait été bénéficiaire de donations déguisées de deux immeubles, l'un acquis en 1964, l'autre en 1968, et obtenir en conséquence la reconstitution de l'actif de la succession afin de déterminer l'assiette de son usufruit légal et l'étendue de la quotité disponible en vue de l'exécution de son legs, 1) concernant la première acquisition, sans examiner ni viser les présomptions invoquées résultant de l'absence de mention de l'origine des fonds à l'acte de vente et de l'indication manuscrite du bien par le défunt sur ses listes de patrimoine, 2) concernant la seconde, en laissant, au prix d'une inversion de la charge de la preuve, à Mme Y... le soin de démontrer qu'aucun arrangement n'était intervenu entre Albert X... et son fils pour le remboursement des deniers avancés par le premier ;

Mais attendu, premièrement, que la cour d'appel, par motifs adoptés des premiers juges, a écarté la présomption tirée de la mention du bien sur des documents écrits par le défunt ; qu'elle a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des preuves, et sans avoir à entrer dans le détail de l'argumentation de Mme Y..., que les autres présomptions tirées de la non-présence de M. Jacques X... à l'acte ou de l'insuffisance des revenus de celui-ci à l'époque étaient insuffisantes à établir l'existence d'une donation de deniers du père à son fils ; que le premier grief, qui manque partiellement en fait, ne peut être accueilli ;

Et attendu, deuxièmement, qu'en retenant que, si la seconde acquisition avait été partiellement financée par le défunt, les pièces produites ne pouvaient exclure des arrangements entre le père et le fils en vue du remboursement par celui-ci à son père de la part de financement que ce dernier avait effectuée, notamment par abandon non sérieusement contredit des loyers dus par le père qui avait la jouissance de ce bien, la cour d'appel a estimé, sans inverser la charge de la preuve, qu'il résultait des documents produits la preuve de l'existence d'un tel accord ; que le second grief n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'avoir ordonné le rapport à la succession par M. X... de la donation de l'appartement rue de Ségur à Paris pour la seule moitié de sa valeur, alors, selon le moyen, qu'il résulte des constatations de l'arrêt que ce bien, acquis en apparence par M. X..., lui avait en réalité été donné par son père qui en avait financé l'acquisition ; qu'en relevant qu'il s'agissait d'un bien commun acheté pendant le mariage d'Albert X... avec sa deuxième épouse, pour n'ordonner le rapport à la succession que de la moitié de sa valeur, alors que la donation à Jacques X... n'émanait que de son père, de sorte qu'elle devait être rapportée à la succession de ce dernier pour la totalité de sa valeur, la cour d'appel a violé l'article 850 du Code civil ;

Mais attendu qu'il résulte des articles 1438 et 1439 du Code civil que, lorsque deux époux conjointement, ou l'un d'eux avec le consentement de l'autre, ont fait une donation à un enfant issu du mariage, à l'aide de biens communs, la charge définitive de la libéralité incombe à la communauté, sauf clause particulière stipulant que l'un des époux se chargerait personnellement de la libéralité ; qu'il s'ensuit qu'à défaut d'une telle stipulation, l'enfant doit rapporter cette libéralité pour moitié à la succession de son père et pour moitié à celle de sa mère ; que la cour d'appel, ayant constaté que l'immeuble donné était un bien commun, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ordonnant la réunion fictive aux biens existant de la seule moitié de la valeur de l'immeuble donné, en vue de la détermination de la masse de calcul du droit d'usufruit du conjoint survivant, conformément à l'article 767, alinéa 4, ancien du Code civil, applicable à la cause ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que Mme Y... reproche également à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande tendant à voir constater que M. X... s'était rendu coupable de recel successoral sur le même bien, rue de Ségur à Paris, aux motifs que l'intéressé a reconnu cette donation au cours de la procédure et que son seul silence gardé en début de procédure ne caractérise pas l'existence de manoeuvres frauduleuses, alors, selon le moyen, qu'en statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions de première instance, M. X... avait affirmé avoir acquis à titre onéreux le bien et avait défendu à la qualification de donation déguisée, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions ;

Mais attendu que, si l'usufruit du conjoint survivant se calcule à partir d'une masse de biens composée de ceux existant au décès auxquels sont fictivement réunis ceux dont le défunt a disposés par donation ou par testament, il ne peut s'exercer, conformément à l'alinéa 5 de l'ancien article 767 du Code civil, que sur les biens existant ; qu'il s'ensuit qu'appliquer la peine du recel et priver en conséquence M. X... de tout droit sur le bien recelé serait sans incidence sur l'usufruit légal de Mme Y... non plus que sur le legs de biens déterminés contenu au testament pris en sa faveur ; que le moyen est inopérant ;

Sur le cinquième moyen :

Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en nullité de la donation notariée du 28 octobre 1991, alors, selon le moyen, qu'il résulte des constatations de l'arrêt que cet acte était entaché d'irrégularités de forme et d'imprécisions ; qu'en se bornant à relever que les parties avaient prévu à cet acte qu'il serait ultérieurement complété, sans constater que cette régularisation avait effectivement eu lieu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 931, 1339 et 1340 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel n'a pas constaté l'existence d'irrégularités de forme mais seulement d'imperfections, comme celles relatives aux imprécisions des désignations des immeubles donnés, dont elle a jugé, par un motif non critiqué, qu'elles étaient impropres à invalider l'acte ; d'où il suit que le moyen manque partiellement en fait et qu'il est pour le surplus dépourvu d'incidence ;

Sur le sixième moyen :

Attendu que Mme Y... fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en dommages-intérêts contre M. Z..., notaire, alors selon le moyen, qu'il appartient à celui qui est tenu d'une obligation d'information de rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ;

qu'en se bornant à relever que la demanderesse ne rapportait pas la preuve de manquements de M. Z... à son devoir d'information et de conseil, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu que, par motif adopté du jugement, l'arrêt retient qu'Albert X... avait conscience, après la donation consentie à son fils, de ne pouvoir donner à son épouse un des appartements ayant fait l'objet de la donation ; qu'il résulte de cette constatation que l'information avait été donnée au donateur et que la cour d'appel n'a fait qu'en déduire que la preuve du manquement à l'obligation de conseil du notaire n'était pas rapportée, sans inverser la charge de la preuve ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le septième moyen, tel qu'énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe au présent arrêt :

Attendu que, sous couvert d'un grief non fondé de défaut de base légale au regard des articles 843 et 852 du Code civil, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des faits et des preuves par la cour d'appel, laquelle, non tenue de suivre Mme Y... dans le détail de son argumentation, a estimé que l'émission à son profit d'un chèque de 52 000 francs tiré sur le compte de son mari avait réalisé une donation dont elle devait le rapport ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 578 et 1094-1 du Code civil ;

Attendu que, pour juger qu'Albert X..., lors de l'acquisition indivise avec son fils pour moitié chacun d'une villa à Biarritz en 1970, n'avait pas entendu consentir à ce dernier une donation de deniers pour acquérir sa part indivise, bien qu'il eût réglé plus de la moitié du prix d'acquisition, l'arrêt attaqué retient que la preuve n'est pas établie de ce qu'Albert X... ait entendu consentir une donation à son fils, dès lors que ceux-ci étaient en compte pour la liquidation de la succession de leur épouse et mère, décédée l'année précédente, et qu'il n'était pas établi que M. Jacques X..., qui venait à cette succession pour les 3/4 en nue-propriété, évalués à une certaine somme dans la déclaration de succession, ait perçu cette somme, non plus que celle plus modique devant lui revenir sur la vente d'un appartement commun de ses parents ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le conjoint survivant donataire de la plus forte quotité disponible entre époux qui hérite en usufruit n'est pas débiteur envers l'héritier nu-propriétaire de la valeur de la nue-propriété entrée dans le patrimoine de cet héritier et que ce n'est qu'en cas de vente d'un bien grevé d'usufruit que le nu-propriétaire a droit à une portion du prix total correspondant à la valeur comparative de la nue-propriété, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Sur le quatrième moyen :

Vu l'article 843 du Code civil ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que tout héritier doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement, à moins qu'elles ne lui aient été faites expressément par préciput et hors part ou avec dispense de rapport ;

Attendu que pour rejeter la demande de rapport d'une somme de 60 000 francs ayant fait l'objet d'un chèque émis par le défunt à l'ordre de son fils, la cour d'appel se borne à affirmer que cette donation sera présumée dispensée de rapport ;

Attendu qu'en statuant, sans caractériser la volonté du donateur de dispenser son fils du rapport de cette somme, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande formée par Mme Y... tendant à voir juger que M. Jacques X... a été bénéficiaire d'une donation de deniers ayant permis l'acquisition indivise de la moitié d'une maison située à Biarritz et à obtenir la réunion fictive de la moitié de la valeur de cet immeuble aux biens existant au décès en vue de la détermination de ses droits, la demande en rapport par M. Jacques X... d'une somme de 60 000 francs, l'arrêt rendu le 30 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. Jacques X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 01-18030
Date de la décision : 22/06/2004
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

COMMUNAUTE ENTRE EPOUX - Administration - Pouvoirs de chacun des époux - Constitution de dot - Patrimoine supportant la charge définitive de la libéralité - Détermination - Portée.

SUCCESSION - Rapport - Donation - Objet - Bien commun - Portée

DONATION - Rapport à la succession - Etendue - Détermination

Il résulte des articles 1438 et 1439 du Code civil que, lorsque deux époux conjointement, ou l'un d'eux avec le consentement de l'autre, ont fait une donation à un enfant issu du mariage, à l'aide de biens communs, la charge définitive de la libéralité incombe à la communauté, sauf clause particulière stipulant que l'un des époux se chargerait personnellement de la libéralité. Il s'ensuit qu'à défaut d'une telle stipulation, l'enfant doit rapporter cette libéralité pour moitié à la succession de son père et pour moitié à celle de sa mère.


Références :

Code civil 1438, 1439, 767 al. 4

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 octobre 2001


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 22 jui. 2004, pourvoi n°01-18030, Bull. civ. 2004 I N° 173 p. 144
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2004 I N° 173 p. 144

Composition du Tribunal
Président : M. Lemontey.
Avocat général : M. Cavarroc.
Rapporteur ?: M. Chauvin.
Avocat(s) : la SCP Gatineau, La SCP Boré, Xavier et Boré, la SCP Delaporte, Briard et Trichet.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:01.18030
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