AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 janvier 2004), que les consorts X..., propriétaires voisins d'un immeuble édifié par l'Office public d'aménagement et de construction de Paris (OPAC) dont les permis de construire successifs ont été annulés par la juridiction administrative, ont assigné l'OPAC ainsi que la ville de Paris devant le tribunal de grande instance en démolition et en paiement de dommages-intérêts afin d'obtenir, sur le fondement des articles L. 480-13 du Code de l'urbanisme, 1143 et 1382 du Code civil réparation du préjudice subi du fait de la réalisation d'une construction en infraction avec les règles d'urbanisme ; que le juge de la mise en état ayant déclaré le juge judiciaire incompétent, la cour d'appel a confirmé cette ordonnance ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense :
Attendu que l'OPAC et la ville de Paris soutiennent que l'arrêt attaqué, rendu sur l'appel formé contre une ordonnance du juge de la mise en état ne peut faire l'objet d'un pourvoi immédiat ;
Mais attendu que la cour d'appel ayant statué sur une exception d'incompétence, par une décision qui met fin à l'instance, le pourvoi est recevable ;
Sur le moyen unique :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de déclarer le juge judiciaire incompétent pour connaître du litige et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir alors, selon le moyen :
1 / que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou que si son illégalité a été constatée par la juridiction administrative ; qu'en vertu de ce principe, le juge judiciaire est seul compétent pour réparer civilement le dommage de la violation des règles de la construction, en particulier pour ordonner, comme il était demandé en l'espèce, la destruction de bâtiments dont le permis de construire a été annulé ; qu'en estimant dès lors, pour rejeter leur demande que ce texte n'instituait aucune compétence exclusive au profit du juge judiciaire, en sorte que ces derniers étaient inopérants à en réclamer le bénéfice, la cour d'appel a violé l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme ;
2 / que l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme a pour finalité de permettre à un tiers, personne de droit privé, d'obtenir de son juge naturel la réparation, sur le fondement des principes de la responsabilité civile, du préjudice personnel qu'il subit d'une construction édifiée en violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique ; que la seule et unique limite apportée par ce texte à l'action du demandeur est celle de la constatation par le juge administratif de l'illégalité ou de la nullité du permis de construire ; que cette condition satisfaite, comme en l'espèce, il n'existe plus aucun obstacle à ce que le juge judiciaire se prononce sur la demande présentée par les tiers au titre du préjudice résultant de la construction édifiée en fraude manifeste à leurs droits - quitte à en refuser la démolition pour des raisons d'opportunité qu'il lui appartient alors de justifier, pour s'en tenir éventuellement à une simple indemnisation ; que pour refuser d'examiner la demande des consorts X..., la cour d'appel a jugé qu'ils ne démontraient pas que la réalisation de l'ouvrage procédait d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'autorité administrative et qu'aucune procédure de régularisation n'avait été engagée ; qu'en se déterminant ainsi, quand ces circonstances, relatives à la démolition, n'étaient pas de nature à faire obstacle à une demande de réparation par équivalent dont elle a constaté l'existence, la cour d'appel a violé l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme ;
3 / que le juge administratif ne peut lui-même se prononcer sur l'opportunité de détruire un ouvrage public que "lorsque (qu'il) est saisi d'une demande d'exécution d'une décision juridictionnelle dont il résulte qu'un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière" ; que la démolition d'un ouvrage ne peut cependant en aucun cas être une mesure d'exécution d'un jugement annulant un permis de construire, dès lors que, par l'effet de cette décision, l'autorisation est censée n'avoir jamais existé et l'autorité administrative n'avoir jamais répondu ; que la seule mesure d'exécution d'un jugement annulant un permis de construire susceptible d'être ordonnée sur le fondement de l'article L. 911-4 du Code de justice administrative est une injonction adressée par le juge à l'autorité administrative de procéder à une nouvelle instruction de la demande de permis de construire ; qu'en se déclarant, dès lors, incompétente pour renvoyer les consorts X... à se pourvoir devant le juge administratif, lequel ne peut en aucun cas se prononcer sur leur demande, la cour d'appel, qui a ainsi rendu inopérante à l'égard de ces derniers la décision d'annulation prononcée par le juge administratif, a violé l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme, ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4 / que l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme donne aux tiers le droit d'obtenir réparation, selon le droit commun, du dommage résultant pour eux de l'édification de constructions en méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique ; que dès lors qu'ils ont satisfait à la condition légale d'avoir obtenu du juge administratif un jugement d'annulation ou d'illégalité porté par le juge administratif, la voie de cette réparation leur est ouverte ; qu'il appartient alors à la partie qui s'oppose à la compétence du juge judiciaire d'établir que, malgré la satisfaction du tiers à cette unique condition légale, le juge judiciaire ne peut connaître du litige ; qu'il lui incombe donc, logiquement, de démontrer que la réalisation de l'ouvrage procède d'un acte qui se rattache aux pouvoirs de l'administration et qu'une procédure de régularisation est engagée ; qu'en décidant que cela incombait aux consorts X..., la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article susvisé, ensemble l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant exactement retenu que la détermination du juge compétent dépendait d'une question de fond relative à la nature de l'immeuble construit et que cet immeuble constituait un ouvrage public, la cour d'appel, qui a relevé, sans inverser la charge de la preuve, que les consorts X... ne démontraient pas que cette construction procédait d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'autorité administrative, en a déduit à bon droit, sans violer l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la juridiction judiciaire était incompétente ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des consorts X..., les condamne à payer à l'OPAC et à la ville de Paris, ensemble, la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille cinq.