Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 mai et 27 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme B...A..., demeurant... ; Mme A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 11BX00950 du 6 mars 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre le jugement n° 0902532 du 17 février 2011 du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il rejette sa demande tendant à la désignation d'un expert ayant pour mission de déterminer le préjudice ayant résulté pour elle de l'infection nosocomiale contractée lors d'une intervention réalisée le 30 juin 2004 au centre hospitalier de Saintes, afin que puisse être fixée l'étendue de l'obligation indemnitaire de ce centre hospitalier en vertu des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saintes le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Charles Touboul, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de MmeA..., à Me Foussard, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Saintes et à la SCP Roger, Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., qui présentait depuis l'adolescence une mastose poly-kystique rebelle à tout traitement, a subi le 16 mai 2000 une mastectomie totale bilatérale avec pose de prothèses mammaires ; que, par la suite, plusieurs interventions ont dû être pratiquées pour traiter l'apparition de ganglions et repositionner les prothèses mammaires ; qu'à l'issue d'une intervention réalisée le 30 juin 2004 au centre hospitalier de Saintes, un syndrome infectieux local puis une infection générale par staphylocoque doré sont apparus ; que, dans un rapport déposé le 31 août 2005, l'expert désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) de la région Poitou-Charentes a imputé ce syndrome à une infection nosocomiale liée à l'intervention du 30 juin 2004 et a fixé au 20 juin 2005 la date de consolidation de l'état de santé de l'intéressée au regard des conséquences de cette infection ; que Mme A...a subi un traitement par antibiothérapie continu ainsi que plusieurs interventions chirurgicales destinées à repositionner ses prothèses, jusqu'au retrait de celles-ci intervenu le 19 juillet 2005 ; que des prothèses d'expansion ont été posées le 12 octobre 2006 au centre hospitalier universitaire de Marseille ; qu'une inflammation étant apparue du côté du sein droit, associée à une forte fièvre, il a été procédé à un prélèvement qui a révélé la présence d'une infection par staphylocoque doré ; que Mme A...a fait l'objet en septembre 2008 et février 2009 d'une reconstruction mammaire ;
2. Considérant que Mme A...a recherché devant le tribunal administratif de Poitiers la responsabilité du centre hospitalier de Saintes au titre de l'infection nosocomiale contractée lors des soins dispensés le 30 juin 2004 et a sollicité une nouvelle expertise afin de déterminer l'étendue des préjudices liés à cette infection, dont elle estimait qu'elle avait perduré au-delà de la date de consolidation fixée par l'expert désigné par la CRCI et à laquelle elle attribuait l'ensemble des complications survenues jusqu'en février 2009 ; que, par un jugement du 17 février 2011, le tribunal administratif a admis la responsabilité du centre hospitalier au titre des conséquences dommageables de l'infection nosocomiale, refusé d'ordonner une expertise, fixé au 20 juin 2005 la date de consolidation de l'état de Mme A...et invité celle-ci à chiffrer ses prétentions dans le délai d'un mois ; que, par un arrêt du 6 mars 2012, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté, d'une part, un appel de Mme A...et, d'autre part, un appel de la caisse primaire d'assurance-maladie de la Charente-Maritime tendant à ce que les frais exposés par elle soit mis à la charge du centre hospitalier en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; que la cour a par ailleurs fait droit à une demande de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) tendant à sa mise hors de cause ; que Mme A...se pourvoit en cassation contre cet arrêt ; que la caisse primaire en demande également l'annulation ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt en tant qu'il refuse d'ordonner une expertise :
3. Considérant que, pour confirmer le jugement du tribunal administratif en tant qu'il refusait d'ordonner une expertise, la cour a estimé qu'aucun élément ne permettait de relier à l'infection contractée en juin 2004 les phénomènes inflammatoires apparus à partir de novembre 2004 ; qu'elle a relevé, à cet égard, que Mme A...avait connu de mai 2000 à juin 2004 une succession d'interventions et de phénomènes douloureux manifestant les difficultés qu'elle éprouvait à tolérer les prothèses, qu'aucun des prélèvements biologiques effectués à l'occasion des interventions des 1er décembre 2004, 18 février 2005 et 19 juillet 2005 n'avait révélé la présence de germes infectieux, que si la requérante faisait valoir qu'elle était sous antibiothérapie permanente, les documents médicaux qu'elle produisait ne démontraient pas que ce traitement avait pu masquer une infection latente, que l'infection constatée à la suite de l'intervention pratiquée en octobre 2006 ne concernait pas le même sein que celle apparue en juin 2004 et que les analyses bactériologiques pratiquées peu avant l'intervention ne révélaient pas la présence du germe infectieux ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour a estimé que les conclusions de l'expert désigné par la CRCI n'étaient pas sérieusement critiquées et qu'une nouvelle expertise ne présenterait pas un caractère d'utilité ;
4. Considérant que la prescription d'une mesure d'expertise est subordonnée au caractère utile de cette mesure ; qu'en se prononçant par les motifs rappelés ci-dessus, la cour administrative d'appel a apprécié l'utilité d'une nouvelle expertise au regard des éléments figurant au dossier, sans exiger de Mme A...qu'elle apporte la preuve des faits que l'expertise qu'elle sollicitait devait avoir pour objet d'établir mais en recherchant si les éléments qu'elle invoquait mettaient sérieusement en doute les conclusions de l'expert désigné par la CRCI fixant au 20 juin 2005 la date de consolidation des conséquences de l'infection nosocomiale apparue en juin 2004 ; que, contrairement à ce que soutient MmeA..., la cour n'a pas omis de rechercher si, compte tenu du traitement antibiotique qui lui était alors dispensé, il était possible de déduire des résultats négatifs des prélèvements des 1er décembre 2004, 18 février 2005 et 19 juillet 2005 la disparition du staphylocoque doré à l'origine de l'infection de juin 2004, ni de s'interroger sur le point de savoir si les complications apparues entre novembre 2004 et octobre 2006 étaient dans la continuité de celles qui s'étaient manifestées antérieurement à l'intervention de juin 2004 ;
5. Considérant que c'est à titre surabondant que la cour a relevé que Mme A... n'avait pas demandé que soit prescrite une expertise médicale portant spécifiquement sur les conséquences de l'intervention chirurgicale qu'elle avait subie le 12 octobre 2006 au centre hospitalier universitaire de Marseille afin de déterminer l'origine de l'infection apparue après cette intervention ; que, par suite, le moyen par lequel Mme A...critique ce motif est inopérant ;
6. Considérant que, dès lors que la cour n'a pas commis les erreurs qui lui sont reprochées en refusant d'ordonner une nouvelle expertise, le moyen tiré de ce qu'elle ne pouvait se fonder sur les conclusions de l'expert désigné par la CRCI pour mettre l'ONIAM hors de cause ne saurait être accueilli ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le centre hospitalier de Saintes, que Mme A...et la CPAM de la Charente-Maritime ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent en tant qu'il se prononce sur la demande d'expertise de MmeA... ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime dirigées contre l'arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires :
8. Considérant qu'aux termes de l'article R. 612-1 du code de justice administrative : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser " ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge saisi de conclusions tendant à une condamnation pécuniaire ne peut les rejeter en relevant d'office qu'elles sont irrecevables faute d'être chiffrées qu'après avoir invité la partie concernée à les régulariser en indiquant le montant de ses prétentions ; que si de telles conclusions ne peuvent en principe être chiffrées pour la première fois devant le juge d'appel, il en va autrement dans le cas où, alors que la partie adverse ne soulevait pas de fin de non recevoir tiré du défaut de chiffrage, le premier juge a omis d'inviter leur auteur à les régulariser ; qu'il appartient alors au juge d'appel de procéder lui-même à cette invitation ; qu'il suit de là qu'en rejetant comme nouvelles en appel les conclusions chiffrées pour la première fois devant elle de la CPAM de la Charente-Maritime, alors que cette caisse n'avait pas été invitée par le tribunal administratif à préciser le montant de ses débours, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ;
9. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le tribunal administratif de Poitiers n'a pas statué, par son jugement du 17 février 2011, sur les demandes de la CPAM de la Charente-Maritime ; que l'article 5 de ce jugement a réservé, jusqu'à la fin de l'instance, tous les droits et les moyens des parties sur lesquels il ne statuait pas expressément ; que, dans ces conditions, la caisse primaire n'était pas recevable à présenter devant la cour administrative d'appel des conclusions tendant au remboursement de ses débours ; que ce motif, qui répond à un moyen soulevé devant la cour et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné en droit retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le centre hospitalier de Saintes, que la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime n'est pas fondée à demander que l'arrêt qu'elle attaque soit annulé en tant qu'il se prononce sur ces conclusions ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que les frais exposés par Mme A... et la CPAM de la Charente-Maritime soient mis à la charge du centre hospitalier de Saintes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'ONIAM au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de Mme A...et de la CPAM de la Charente-Maritime sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A..., au centre hospitalier de Saintes, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime.