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06/06/2025 | FRANCE | N°468828

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 06 juin 2025, 468828


Vu la procédure suivante :



Mme D... B..., infirmière libérale, a déposé une plainte ordinale à l'encontre de M. A... C..., infirmier libéral, et de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée unipersonnelle (SELARLU) ... auprès du conseil départemental de l'ordre des infirmiers de Paris. Par une décision du 19 décembre 2018 du président du Conseil national de l'ordre des infirmiers, l'instruction de cette plainte a été attribuée au conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers d'Aisne-Oise-Somme, qui l'a transmise, sans s'y a

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Vu la procédure suivante :

Mme D... B..., infirmière libérale, a déposé une plainte ordinale à l'encontre de M. A... C..., infirmier libéral, et de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée unipersonnelle (SELARLU) ... auprès du conseil départemental de l'ordre des infirmiers de Paris. Par une décision du 19 décembre 2018 du président du Conseil national de l'ordre des infirmiers, l'instruction de cette plainte a été attribuée au conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers d'Aisne-Oise-Somme, qui l'a transmise, sans s'y associer, à la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des infirmiers de la région des Hauts-de-France. Par une décision du 10 mars 2020, la chambre disciplinaire de première instance a prononcé la sanction de la radiation du tableau de l'ordre à l'encontre de M. C... et de la société " ... ".

Par une décision n° 75-2020-00314 du 12 septembre 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers a rejeté les appels de M. C... et la société " ... " contre cette décision et leur a enjoint, sous astreinte, de saisir le conseil régional de l'ordre des infirmiers d'Ile-de-France d'un état des lieux sur les conditions de rupture des anciens contrats de collaboration.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 9 novembre 2022, le 30 janvier 2023 et le 6 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... et la ..., venant aux droits de la société " ... ", demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 12 septembre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des infirmiers et de Mme B... la somme de 3 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. C... et autre, et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., infirmier libéral, a fondé la société d'exercice libéral " ... ". Cette société, qui emploie environ 80 collaborateurs infirmiers recrutés par contrat et exerçant en région parisienne, met à disposition des patients une permanence téléphonique centralisée leur permettant de se voir proposer, en fonction de leur lieu de résidence, un infirmier pour la prise en charge de leurs soins.

2. Mme B..., infirmière libérale à Paris, a déposé une plainte ordinale à l'encontre de M. C..., infirmier libéral, et de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée unipersonnelle (SELARLU) " Action soins infirmiers ", inscrits au tableau de l'ordre des infirmiers du même département. Par une décision du 10 mars 2020, la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des infirmiers de la région Hauts-de-France, saisie de cette plainte par le conseil départemental de l'ordre des infirmiers Aisne-Oise-Somme qui avait été chargé par le président du Conseil national de l'ordre des infirmiers d'organiser la conciliation préalable, a prononcé à l'encontre de M. C... et de la société " Action soins infirmiers " la sanction de la radiation du tableau de l'ordre. M. C... et la ..., venant à compter du 1er mai 2022 aux droits de la société " Action soins infirmiers ", se pourvoient en cassation contre la décision du 12 septembre 2022 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers a, sur leur appel, confirmé cette sanction et leur a enjoint de soumettre au conseil régional de l'ordre des infirmiers d'Ile-de-France, dans un délai de six mois, un état des lieux des contrats de collaboration en vigueur au cours de l'année 2022.

Sur la régularité de la décision attaquée :

2. Aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Elles impliquent qu'une personne faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu'elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l'ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu'elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l'instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d'appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information. Il s'ensuit que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d'irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l'audience sans avoir été au préalable informée du droit qu'elle a de se taire, sauf s'il est établi qu'elle n'y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier.

3. M. C... soutient sans être contredit qu'il n'a pas été informé du droit qu'il avait de se taire préalablement à l'audience de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers. Il ressort des mentions de la décision attaquée qu'il était présent à cette audience et que la parole lui a été donnée. Il n'est pas établi ni même allégué que les propos qu'il y a tenus n'auraient pas été susceptibles de lui préjudicier. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que la décision qu'il attaque a été rendue au terme d'une procédure irrégulière.

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

En ce qui concerne le grief relatif au partage d'honoraires :

4. Aux termes de l'article R. 4312-30 du code de la santé publique : " Hormis les cas prévus dans les contrats validés par le conseil départemental de l'ordre et sous réserve des dispositions de l'article L. 4312-15, le partage d'honoraires entre infirmiers ou entre un infirmier et un autre professionnel de santé est interdit. L'acceptation, la sollicitation ou l'offre d'un partage d'honoraires, même non suivies d'effet, sont interdites. / La distribution des dividendes entre les membres d'une société d'exercice ne constitue pas un partage d'honoraires prohibé. Les rétrocessions d'honoraires prévues par les contrats d'exercice ne sont pas considérées comme des partages d'honoraires ". Pour juger que M. C... et la société " Action soins infirmiers " ont méconnu l'interdiction prévue par ces dispositions, la chambre disciplinaire nationale s'est fondée sur la circonstance que la redevance pour services rendus prévue par les contrats conclus entre la société et les collaborateurs infirmiers libéraux, qui était fixée en 2016 à 700 euros par mois, une revalorisation annuelle de 2% étant prévue au 1er janvier de chaque année, n'était, en raison de son caractère forfaitaire, pas proportionnelle aux charges effectivement supportées par la société pour chaque infirmier concerné. En statuant ainsi, alors que cette considération est étrangère à la qualification de partage d'honoraires prohibé par les dispositions citées ci-dessus, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.

En ce qui concerne les griefs tirés du caractère inadapté du local professionnel et de l'exercice forain de la profession d'infirmier :

5. D'une part, aux termes de l'article R. 4312-67 du code de la santé publique : " L'infirmier dispose, au lieu de son exercice professionnel, d'une installation adaptée et de moyens techniques pertinents pour assurer l'accueil, la bonne exécution des soins, la sécurité des patients ainsi que le respect du secret professionnel. / (...) Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes professionnels ou la sécurité des personnes examinées ". Pour juger que M. C... et la société " Action soins infirmiers " ont méconnu ces dispositions, la chambre disciplinaire nationale a estimé que, dès lors que les infirmiers collaborateurs, dont le nombre variait entre soixante et quatre-vingts, exerçaient leur activité sur l'ensemble du territoire parisien, ainsi qu'à Vincennes et Saint-Mandé, il appartenait à la société de proportionner le nombre de sites de consultations dont elle disposait au nombre d'infirmiers susceptibles d'y effectuer des permanences ainsi qu'à l'ensemble de la patientèle potentielle, de sorte que celle-ci aurait dû se doter de davantage de sites de consultations que les deux salles de soins dont elle disposait, situées respectivement dans les 15ème et 10ème arrondissements de Paris. En statuant ainsi, sans rechercher si les locaux dont le cabinet disposait ne permettaient pas de répondre aux besoins de la patientèle, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 4312-75 du même code : " L'exercice forain de la profession d'infirmier est interdit. Toutefois des dérogations peuvent être accordées par le conseil départemental de l'ordre dans l'intérêt de la santé publique ". En retenant un grief pris de la méconnaissance de l'interdiction de l'exercice forain de la profession d'infirmier sans caractériser la circonstance que M. C... et sa société auraient utilisé des installations mobiles ou des locaux non spécialement affectés à l'usage de soins infirmiers pour recevoir la patientèle, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. C... et la ... sont fondés à demander l'annulation de la décision de la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des infirmiers du 12 septembre 2022.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. C... et la ..., qui ne sont pas la partie perdante, versent à Mme B... les sommes qu'elle demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1 500 euros à verser à M. C... et la ... à ce titre. En revanche, les conclusions tendant à l'application de ces dispositions dirigées contre le Conseil national de l'ordre des infirmiers, qui n'est pas partie dans la présente instance, ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 12 septembre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers.

Article 3 : Mme B... versera une somme de 1 500 euros à M. C... et à la ... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de Mme B... et le surplus des conclusions de M. C... et de la ... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... C..., premier dénommé, et à Mme D... B....

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des infirmiers et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Christophe Pourreau, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 6 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Sarah Houllier

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 468828
Date de la décision : 06/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 jui. 2025, n° 468828
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sarah Houllier
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:468828.20250606
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