Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 30 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail Force ouvrière (CGT-FO) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 22 février 2014 portant extension d'un accord relatif à la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires des entreprises de travail temporaire ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Confédération générale du travail Force ouvrière, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la Confédération française démocratique du travail et à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de PRISM'EMPLOI ;
Sur l'intervention de la Fédération des employées et cadres Force ouvrière :
1. Considérant que la Fédération des employées et cadres Force ouvrière justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté attaqué ; qu'ainsi son intervention est recevable ;
Sur la requête de la Confédération générale du travail Force ouvrière :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la sous-section 2, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective (...) " ; que la légalité d'un arrêté ministériel prononçant l'extension d'un accord collectif de travail est nécessairement subordonnée à la validité de l'accord en cause ; que l'article L. 2251-1 du même code dispose que : " Une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1251-1 du code du travail : " Le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d'un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission. / Chaque mission donne lieu à la conclusion : / 1° D'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit "entreprise utilisatrice" ; / 2° D'un contrat de travail, dit "contrat de mission", entre le salarié temporaire et son employeur, l'entreprise de travail temporaire (...) " ; que l'article L. 1251-11 du même code précise que : " Le contrat de mission comporte un terme fixé avec précision dès la conclusion du contrat de mise à disposition (...) " et que, dans les cas où il peut ne pas comporter de terme précis, il " est alors conclu pour une durée minimale. Il a pour terme la fin de l'absence de la personne remplacée ou la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu " ;
4. Considérant que par l'accord portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires dont l'arrêté attaqué a prononcé l'extension, les organisations syndicales signataires ont entendu permettre aux entreprises de travail temporaire de conclure avec certains de leurs salariés intérimaires un contrat à durée indéterminée couvrant l'exécution de l'ensemble des missions qui leur sont successivement confiées ainsi que les périodes dites " d'intermission " pendant lesquelles ces salariés demeurent... ; que les organisations signataires ont, en conséquence, aménagé l'application des dispositions des articles L. 1251-1 et suivants du code du travail afin de les adapter à un régime de contrat à durée indéterminée et d'exclure, en particulier, l'application de celles d'entre elles qui sont inhérentes à l'exécution d'un contrat à durée déterminée ;
5. Considérant que le syndicat requérant soutient que les organisations signataires ont ainsi créé une nouvelle catégorie de contrat de travail à durée indéterminée, sans habilitation législative à cet effet, qu'elles ont exclu l'application de dispositions d'ordre public du code du travail régissant le travail intérimaire et qu'elles ont enfreint, en conséquence, les dispositions des articles L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail réprimant le prêt de main-d'oeuvre à but lucratif ; que le syndicat requérant doit ainsi être regardé comme contestant la légalité de l'arrêté par lequel le ministre du travail a prononcé l'extension de cet accord par des moyens mettant en cause la validité de cet accord ;
6. Considérant que lorsque, à l'occasion d'un litige relatif à un arrêté prononçant l'extension d'une convention ou d'un accord collectif de travail, qui relève de la compétence de la juridiction administrative, une contestation sérieuse s'élève sur la validité de cette convention ou de cet accord, il appartient au juge saisi du litige de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle que présente à juger cette contestation, sauf s'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ou si elle met en cause la conformité de l'accord litigieux au droit de l'Union européenne ; que la question de la compétence des organisations syndicales de salariés et d'employeurs pour négocier, alors que le législateur n'a prévu que la conclusion de contrats à durée déterminée, un accord permettant la conclusion de contrats à durée indéterminée pour l'exécution de missions de travail temporaire, qui commande la solution du litige soumis au Conseil d'Etat, soulève une contestation sérieuse ; qu'aucune jurisprudence établie du juge judiciaire n'est de nature à permettre de la trancher ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat, de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur cette question préjudicielle ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération des employées et cadres Force ouvrière est admise.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la Confédération générale du travail Force ouvrière (CGT-FO) secteur emploi, formation professionnelle, travail temporaire jusqu'à ce que ce que le tribunal de grande instance de Paris se soit prononcé sur le point de savoir si les parties à l'accord du 10 juillet 2013 avaient compétence pour prévoir la conclusion d'un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions de travail temporaire.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail Force ouvrière, à la Fédération des employés et cadres Force Ouvrière, à la Fédération CFDT Services, à la Fédération nationale de l'encadrement du commerce et des services (FNECS CFE-CGC), à la Fédération CFTC commerce, services et force de vente (CSFV CFTC), à PRISM'EMPLOI, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et au président du tribunal de grande instance de Paris.