Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 mars et 16 juin 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le SYNDICAT DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION (SFIB), dont le siège est Tour Neptune 20, place de la Seine à Paris La Défense (92086), représenté par son président ; le SFIB demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° 9 du 11 décembre 2007 de la commission prévue à l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle relative à la rémunération pour copie privée, à titre subsidiaire à compter du 1er janvier 2009 seulement en réservant les actions contentieuses en cours à la date de la décision à intervenir ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 novembre 2010, présentée par le SFIB et les sociétés Motorola, Nokia, Sony Ericsson et Packard Bell ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle relative à la rémunération pour copie privée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du ministre de la culture et de la communication et de la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de la société Sorecop et de la société Copie France,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du ministre de la culture et de la communication et à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de la société Sorecop et de la société Copie France ;
Considérant que, par une décision n° 9 du 11 décembre 2007, la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a rendu éligible à la rémunération pour copie privée due au titre des articles L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle deux types de supports de stockage externes à disque dits multimédia ; que le SYNDICAT DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION (SFIB) demande l'annulation de cette décision ;
Sur l'intervention :
Considérant que la société Packard Bell France justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête du SFIB ; que son intervention est donc recevable ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Considérant que l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que : Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ; qu'aux termes de l'article L. 122-5 du même code : Lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : (...) / 2° Les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l'exception des copies des oeuvres d'art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l'oeuvre originale a été créée et des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l'article L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des reproductions d'une base de données électronique (...) ; qu'en vertu de l'article L. 211-3 de ce code : Les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire : (...) / 2° Les reproductions strictement réservées à l'usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective (...) ; que selon l'article L. 311-1 : Les auteurs et les artistes interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisées dans les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3. / Cette rémunération est également due aux auteurs et aux éditeurs des oeuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée, dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 122-5, sur un support d'enregistrement numérique ; que l'article L. 311-4 dispose que : La rémunération prévue à l'article L. 311-3 est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3° du I de l'article 256 bis du code général des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports. / Le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée d'enregistrement qu'il permet. / Ce montant tient compte du degré d'utilisation des mesures techniques définies à l'article L. 331-5 et de leur incidence sur les usages relevant de l'exception pour copie privée. Il ne peut porter rémunération des actes de copie privée ayant déjà donné lieu à compensation financière. ; qu'enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 311-5 : Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l'Etat et composée, en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants ou importateurs des supports mentionnés au premier alinéa du précédent article et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs (...) ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 122-5 et L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle que la rémunération pour copie privée constitue une exception au principe du consentement de l'auteur à la copie de son oeuvre ; qu'elle est une modalité particulière d'exploitation des droits d'auteur, fondée sur la rémunération directe et forfaitaire, par les personnes qui mettent en circulation, en France, certains supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes, des sociétés représentant les titulaires des droits d'auteur ou de droits voisins ; qu'il résulte des dispositions précitées que la rémunération pour copie privée a pour unique objet de compenser, pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs, la perte de revenus engendrée par l'usage qui est fait licitement et sans leur autorisation de copies d'oeuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes à des fins strictement privées ; que, par suite, la détermination de la rémunération pour copie privée ne peut prendre en considération que les copies licites réalisées dans les conditions prévues par les articles L. 122-5 et L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle précités, et notamment les copies réalisées à partir d'une source acquise licitement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, pour déterminer les taux de la rémunération pour copie privée applicables aux différents supports concernés par la décision attaquée, la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a tenu compte tant de la capacité d'enregistrement des supports que de leur usage, à des fins de copies privées licites ou illicites, sans rechercher, pour chaque support, la part respective des usages licites et illicites ; que par suite, en prenant en compte le préjudice subi du fait des copies illicites, la commission, qui a méconnu les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle, a entaché sa décision d'erreur de droit ; que si les sociétés Sorecop et Copie France soutiennent que, par sa décision n° 11 du 17 décembre 2008 abrogeant la décision attaquée à compter du 1er janvier 2009, postérieure à la date d'introduction de la requête, la commission a, tout en ayant exclu les copies de source illicite de son appréciation, fixé les taux de rémunération pour copie privée à des niveaux identiques à ceux de la décision attaquée, dès lors que la prise en compte de l'utilisation des nouvelles capacités d'enregistrement et de stockage qu'offrent les techniques de compression de fichiers pour réaliser des copies licites, qui avait été sous-estimée, compense l'exclusion de la prise en compte des copies illicites, cette circonstance, qui n'est en tout état de cause pas établie par les pièces du dossier, est sans influence sur la légalité de la décision attaquée ; qu'ainsi, le SFIB est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision attaquée ;
Sur la modulation dans le temps des effets de l'annulation :
Considérant que l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu ; que, toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation ; qu'il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le SFIB à l'encontre de la demande présentée à ce titre par les sociétés Sorecop et Copie France ;
Considérant que, lorsque le juge administratif décide de limiter dans le temps des effets de l'annulation de l'acte attaqué devant lui, il est tenu, au regard du droit des justiciables à un recours effectif, de réserver les actions contentieuses engagées contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause à la date de sa décision d'annulation ; qu'il lui revient toutefois de tenir compte de ces actions contentieuses dans son appréciation de la nécessité de différer dans le temps les effets de l'annulation ;
Considérant que si la seule circonstance que la rétroactivité de l'annulation pourrait avoir une incidence négative pour l'économie du système de rémunération pour copie privée et entraîner des complications pour les organismes chargés d'en tirer les conséquences ne peut, par elle-même, suffire à caractériser une situation de nature à justifier que le juge fasse usage de son pouvoir de modulation dans le temps des effets de cette annulation, il ressort en l'espèce des pièces du dossier que la disparition rétroactive de la décision attaquée pourrait provoquer des demandes de remboursement ou de versements complémentaires dont la généralisation serait susceptible d'affecter profondément la continuité du dispositif prévu par les articles L. 122-5 et L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, alors que les actions contentieuses en cours ne représentent que moins de 1 % des montants susceptibles de faire l'objet de demandes de remboursement ; qu'ainsi, une annulation rétroactive de la décision du 11 décembre 2007 aurait, dans les circonstances de l'affaire, des conséquences manifestement excessives ; que, dès lors, il y a lieu de ne prononcer l'annulation de cette décision qu'à compter du 1er janvier 2009, date à partir de laquelle elle a été elle-même abrogée par la décision n° 11 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre des actes pris sur son fondement ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge du SFIB, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que les sociétés Sorecop et Copie France demandent au titre des frais engagés par elles et non compris dans les dépens ; qu'elles font également obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme que la société Packard Bell France qui, intervenant au soutien de la requête du SFIB n'est pas partie à la présente instance, demande sur le même fondement ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au SFIB au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la société Packard Bell France est admise.
Article 2 : La décision n° 9 du 11 décembre 2007 de la commission prévue à l'article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle relative à la rémunération pour copie privée est annulée.
Article 3 : L'annulation prononcée par l'article 2 de la présente décision prend effet à compter du 1er janvier 2009, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre des actes pris sur le fondement des dispositions annulées.
Article 4 : L'Etat versera au SFIB la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions des sociétés Packard Bell France, Sorecop et Copie France tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, aux sociétés Sorecop, Copie France et Packard Bell France et au ministre de la culture et de la communication.