LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 janvier 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 93 F-P+B+I
Pourvoi n° K 19-12.022
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2020
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Centre Val de Loire, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° K 19-12.022 contre le jugement rendu le 11 décembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris (section 1), dans le litige l'opposant à M. E... L..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Fischer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de l'URSSAF Centre Val de Loire, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. L..., et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2019 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Le Fischer, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu les articles L. 380-2, D. 380-1, D. 380-2 et D. 380-5 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, les trois autres dans leur rédaction issue du décret n° 2016-979 du 9 juillet 2016, ensemble l'article 2 du code civil ;
Attendu, selon le premier de ces textes, que les personnes mentionnées à l'article L. 160-1 sont redevables d'une cotisation annuelle dont les conditions d'assujettissement, les modalités de détermination de l'assiette et le taux sont fixés par les trois suivants ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que l'URSSAF du Centre Val de Loire (l'URSSAF) ayant, le 15 décembre 2017, adressé à M. L... (l'assuré), un appel de cotisations au titre de la cotisation subsidiaire maladie due, pour l'année 2016, dans le cadre de la mise en oeuvre de la protection universelle maladie (la PUMA), en remplacement de la cotisation universelle de base, l'intéressé a saisi d'un recours un tribunal de grande instance ;
Attendu que pour accueillir ce recours, le jugement relève essentiellement que l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale ne peut être lu et interprété que par référence aux dispositions des articles 7 et 8 du décret n° 2017-736 du 3 mai 2017 qui modifient profondément les articles R. 380-3 à R. 380-7 du code de la sécurité sociale, et qui abrogent les R. 380-8 et R. 380-9 du même code ; que ces textes sont donc essentiels à l'application des dispositions de l'article L. 380-2 ; qu'en 2016, il n'était pas possible à l'assuré d'avoir connaissance des conditions intégrales d'application de la protection universelle maladie ; qu'il en découle que l'appel de cotisations, fondé sur des textes juridiques ne portant effet que pour l'avenir, sera annulé ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les textes susvisés étaient applicables à la cotisation appelée en 2017 au titre de l'assujettissement de l'assuré à la PUMA pour l'année 2016, le tribunal a violé ces derniers par refus d'application ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a joint le recours enregistré sous le numéro 18-03756 au recours enregistré sous le numéro 18-01245, le jugement rendu le 11 décembre 2018, entre les parties, par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Nanterre ;
Condamne M. L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour l'URSSAF Centre Val de Loire
Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR annulé l'appel de cotisations de l'URSSAF du Centre Val-de-Loire du 15 décembre 2017, d'AVOIR débouté l'URSSAF du Centre Val-de-Loire de l'intégralité de ses prétentions, d'AVOIR infirmé la décision rendue par la commission de recours amiable le 28 juin 2018 et d'AVOIR condamné l'URSSAF du Centre Val-de-Loire à payer à M. E... L... la somme de 1.200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE sur le fond, le premier moyen soulevé par M. L... consiste dans le fait que les textes réglementaires ayant vocation à préciser la loi sont parus postérieurement à l'année 2017 et que, n'étant pas rétroactifs, ils ne permettent pas à l'URSSAF de réclamer le paiement d'une somme à titre de contribution au régime de sécurité sociale ; que le tribunal constate :
- que l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale a été institué par l'article 32 de la loi du 21 décembre 2015 ;
- que l'article D. 380-2 du code de la sécurité sociale, qui le complète, a été institué par le décret du 19 juillet 2016 ;
- que les articles 7 et 8 du décret n° 2017-736 du 3 mai 2017 « relatif aux règles d'identification, d'affiliation et de rattachement des bénéficiaires des prestations de sécurité sociale ( ... ) » constituent une section, au sein du décret, intitulée « Dispositions relatives au recouvrement des cotisations mentionnées aux articles L. 380-2 et L. 380-3-1 » ;
que compte tenu de l'intitulé de la section qui regroupe les articles 7 et 8 du décret du 3 mai 2017, et au regard du contenu normatif du décret, qui institue ou modifie profondément les articles R. 380-3, R. 380-4, R. 380-5, R. 380-6, R. 380-7 du code de la sécurité sociale, et qui abroge les R. 380-8 et R. 380-9 du même code, le tribunal ne peut que juger que ces textes sont essentiels à l'application des dispositions de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale ; qu'ainsi, l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale ne peut qu'être lu et interprété que par référence aux dispositions des articles 7 et 8 du décret du 3 mai 2017 ; que comme le souligne M. E... L..., un texte légal ou réglementaire ne peut pas être rétroactif, sauf si le texte le prévoit expressément ou si un texte de valeur supérieure dans la hiérarchie des normes le prévoit ; que le tribunal renvoie à cet égard à la lecture de l'article L. 221-4 du code des relations entre le public et l'administration, ainsi qu'à l'article 2 du code civil ; que M. L... a cité dans ses conclusions (cf. pages 3 et 4) divers arrêts du juge administratif en date des 25 juin 1948, 17 mars 2004 et 30 novembre 2005 qui confirment ces principes juridiques ; qu'en l'occurrence, les dispositions du décret du 3 mai 2017 n'indiquent pas être rétroactives, et la loi du 21 décembre 2015 n'a rien prévu de tel concernant l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale ; qu'il en découle qu'il y a en l'espèce une « faille juridique » dont peut bénéficier M. E... L... ; qu'en 2016, il n'était pas possible à ce dernier d'avoir connaissance des conditions intégrales d'application de la protection universelle maladie ; qu'il en découle que l'appel de cotisations, fondé sur des textes juridiques ne portant effet que pour l'avenir, sera annulé ;
(
)
que compte tenu de l'équité, l'URSSAF Centre Val-de-Loire devra verser à M. E... L... la somme de 1.200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (frais d'avocat) ; que le tribunal a tenu compte de la pièce n° 6 du dossier de plaidoirie de M. L... (facture d'honoraires de 1.200 euros) ;
1) ALORS QUE les lois entrent en vigueur à compter de leur publication ou de la date qu'elles fixent ; que seule l'entrée en vigueur du décret d'application d'une loi est susceptible de différer l'entrée en vigueur de ladite loi lorsque celle-ci s'avère trop imprécise pour être directement applicable ou lorsqu'elle fait dépendre son entrée en vigueur de celle dudit décret ; qu'en l'espèce, la loi du 21 décembre 2015, instituant notamment l'article L 380-2 du code de la sécurité sociale portant sur la cotisation subsidiaire maladie, a été publiée au Journal Officiel le 22 décembre 2015 et devait recevoir application dès le 1er janvier 2016, étant suffisamment précise et ne dépendant pas, pour la mise en oeuvre immédiate de ses principes, de son décret d'application en date du 19 juillet 2016 ; qu'en se référant aux articles 7 et 8 d'un décret n° 2017-736 du 3 mai 2017 qui n'était pourtant pas un décret d'application de la loi du 21 décembre 2015 puisqu'ayant pour objet la modification ou l'abrogation des articles R 380-3 à R 380-9 du code de la sécurité sociale, tous issus de décrets qui étaient antérieurs à ladite du 21 décembre 2015, pour décider que la loi du 21 décembre 2015 ne pouvait fonder l'appel de cotisations dont avait fait l'objet M. L... en décembre 2017 au titre de la cotisation subsidiaire maladie, le tribunal des affaires de sécurité sociale a violé les articles 1 et 2 du code civil, ensemble l'article L 380-2 du code de la sécurité sociale ;
2) ALORS QUE l'entrée en vigueur d'une loi ne peut être différée que si cette dernière dépend, pour la mise en oeuvre immédiate de ses principes, de l'application d'un texte réglementaire ultérieur ; que la loi du 21 décembre 2015, publiée au Journal Officiel le 22 décembre 2015, a institué l'article L 380-2 du code de la sécurité sociale portant sur la mise en place de la cotisation subsidiaire maladie dans le cadre de la protection universelle maladie ; que ses dispositions, portant sur les conditions d'assujettissement à cette cotisation et les éléments servant à son calcul, étaient suffisamment explicites pour être applicables dès le 1er janvier 2016, peu importe que des dispositions ultérieures quant à la question annexe du recouvrement de ladite cotisation aient pu modifier celles existantes ; que dès 2016, tout cotisant était à même de connaître les conditions et les modalités de son assujettissement à la cotisation subsidiaire maladie ; qu'en constatant que les articles 7 et 8 du décret du 3 mai 2017 portaient uniquement sur le « recouvrement des cotisations mentionnées aux articles L 380-2 et L 380-3-1 du code de la sécurité sociale » pour néanmoins décider qu'en 2016, il était impossible pour le cotisant d'avoir connaissance des conditions intégrales d'application de la protection universelle maladie, de sorte que la loi du 21 décembre 2015 ne pouvait fonder l'appel de cotisations dont avait fait l'objet M. L... en décembre 2017 au titre de la cotisation subsidiaire maladie, le tribunal des affaires de sécurité sociale n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé les articles 1 et 2 du code civil, ensemble l'article L 380-2 du code de la sécurité sociale ;
3) ALORS QU'en toute hypothèse, l'article L 380-2 du code de la sécurité sociale dispose que la cotisation est recouvrée l'année qui suit l'année considérée ; qu'à supposer que l'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2015 ait été différée jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 3 mai 2017, ses dispositions étaient nécessairement entrées en vigueur à la date de l'appel de cotisations dont avait fait l'objet M. L... en décembre 2017 au titre de la cotisation subsidiaire maladie ; que M. L... avait donc à cette date connaissance des conditions intégrales d'application de la protection universelle maladie ; qu'en se plaçant en 2016 pour décider du contraire, le tribunal des affaires de sécurité sociale a violé les articles 1 et 2 du code civil, ensemble l'article L 380-2 du code de la sécurité sociale.