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09/09/2024 | FRANCE | N°466756

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 09 septembre 2024, 466756


Vu la procédure suivante :



Le syndicat des copropriétaires du 1-4 passage Chaussin / 97, rue de Picpus et d'autres requérants ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 9 août 2017 par lequel la maire de Paris a accordé à la société en nom collectif Cogedim Paris Métropole un permis de construire un immeuble de trente-sept logements situé 95, rue de Picpus (Paris 12ème), ainsi que la décision implicite du 9 décembre 2017 par laquelle elle a rejeté leur recours gracieux. Par un jugement n° 1802537 du

18 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

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Vu la procédure suivante :

Le syndicat des copropriétaires du 1-4 passage Chaussin / 97, rue de Picpus et d'autres requérants ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 9 août 2017 par lequel la maire de Paris a accordé à la société en nom collectif Cogedim Paris Métropole un permis de construire un immeuble de trente-sept logements situé 95, rue de Picpus (Paris 12ème), ainsi que la décision implicite du 9 décembre 2017 par laquelle elle a rejeté leur recours gracieux. Par un jugement n° 1802537 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par une décision no 449900 du 11 février 2022, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Paris.

Par un jugement n° 1802537 du 17 juin 2022, le tribunal administratif de Paris statuant sur renvoi après cassation, après avoir donné acte des désistements de plusieurs requérants et admis l'intervention du syndicat des copropriétaires du 4, boulevard Picpus / 4, rue Louis-Braille, a annulé l'arrêté de la maire de Paris du 9 août 2017 et la décision implicite de rejet du recours gracieux du 9 décembre 2017.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 16 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Cogedim Paris Métropole demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le règlement du plan local d'urbanisme de la ville de Paris ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maître, avocat de la société Cogedim Paris Métropole, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du syndicat des copropriétaires du 4 boulevard Picpus / 4 Louis Braille et autres et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 9 août 2017, rectifié le 24 août 2017 et modifié le 19 juillet 2018, la maire de Paris a délivré à la société en nom collectif Cogedim Paris Métropole un permis de construire, après démolition du parking existant situé 95, rue de Picpus, un immeuble d'habitation de R + 6 niveaux, sur trois niveaux de sous-sols, avec deux duplex développés sur un septième étage, et créant 37 logements sur une surface de plancher de 2 301,35 m². Par un jugement du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours du syndicat des copropriétaires du 1-4 passage Chaussin / 97 rue de Picpus et autres, dirigé contre cet arrêté. Par une décision du 11 février 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au tribunal. Par un jugement du 17 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé pour excès de pouvoir l'arrêté de la maire de Paris du 9 août 2017 ainsi que la décision implicite 9 décembre 2017 rejetant le recours gracieux dirigé contre cet arrêté. La société Cogedim Paris Métropole se pourvoit en cassation contre ce jugement.

Sur les conclusions dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il se prononce sur la légalité du permis de construire du 9 août 2017 :

2. Aux termes de l'article UG.13.1.1 du règlement du plan local d'urbanisme : " UG.13.1.1 - Caractéristiques des espaces libres et des surfaces végétalisées : / 1°- Espaces libres au sol : (...) Leur aménagement en contiguïté des espaces libres existant sur les terrains voisins peut être imposé pour assurer une continuité des espaces non bâtis et de la végétalisation. / Ils doivent être aménagés sensiblement au niveau de la surface de nivellement d'îlot ou du sol préexistant. Toutefois, les affouillements ou exhaussements du sol sont admis : / - pour réduire des dénivelés importants sur un terrain ou prendre en compte une configuration particulière en relation avec le niveau des espaces libres des terrains voisins, / - pour assurer la mise aux normes des constructions en matière d'accessibilité ou de sécurité, / - lorsque la modification du relief proposée est de nature à améliorer l'aspect paysager et le respect de l'environnement, / - lorsque l'affouillement dégage à l'intérieur du terrain un espace libre de surface suffisante et de géométrie satisfaisante où peuvent s'éclairer des locaux situés au-dessous de la surface de nivellement de l'îlot. Les locaux établis sous la surface de nivellement de l'îlot en application de cette disposition doivent présenter après travaux des conditions d'hygiène, de sécurité et d'éclairement satisfaisantes, au regard de leur destination (...) ". Ces dispositions imposent, pour assurer une continuité des espaces non bâtis et des surfaces végétalisées en évitant que des dénivelés importants entre ces espaces ne soient créés, qu'en dehors des hypothèses dans lesquelles les affouillements ou exhaussements du sol sont admis, les espaces libres au sol soient aménagés sensiblement au niveau de la surface de l'îlot ou du sol préexistant, c'est-à-dire, lorsque le niveau de la surface de l'îlot diffère de celui du Nivellement de la Ville de Paris (NVP) des rues qui circonscrivent cet îlot, au niveau des espaces libres au sol des parcelles voisines.

3. En premier lieu, pour juger que le permis de construire litigieux méconnaissait les dispositions de l'article UG 13.1.1 du règlement du plan local d'urbanisme de la ville de Paris, le tribunal s'est fondé sur le motif tiré de ce que la différence de niveau, de l'ordre d'un mètre, entre les deux cours intérieures du projet et les espaces libres au sol des parcelles voisines apparaissait excessive au regard de ces dispositions, lesquelles prévoient, ainsi qu'il a été dit au point précédent, que les espaces libres au sol doivent être aménagés " sensiblement au niveau " de la surface de l'îlot ou du sol préexistant. En statuant ainsi, le tribunal, qui n'a pas commis d'erreur de droit, a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

4. En deuxième lieu, pour écarter le moyen, soulevé en défense par la société Cogedim Paris Métropole, tiré de ce que la cour 2 du projet s'inscrivait dans le cadre de la dérogation prévue à l'article UG 13.1.1. précité du règlement du plan local d'urbanisme de la ville de Paris et permettant de réaliser des affouillements lorsque celui-ci " dégage à l'intérieur du terrain un espace libre de surface suffisante et de géométrie satisfaisante où peuvent s'éclairer des locaux situés au-dessous de la surface de nivellement de l'îlot ", le tribunal a estimé que, les deux cours du projet étant situées non pas à l'intérieur du terrain, c'est-à-dire en son centre, mais en bordure des espaces libres au sol des parcelles voisines, la société ne pouvait utilement se prévaloir de cette disposition. En statuant ainsi, le tribunal, qui n'a pas commis d'erreur de droit, a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

5. En troisième et dernier lieu, si la société requérante fait valoir que le tribunal aurait omis de répondre au moyen, soulevé par elle en défense, tiré de ce que la cour 1, située en rez-de-jardin, relevait de l'une des exceptions prévues par l'article UG 13.1.1 du règlement du plan local d'urbanisme de la ville de Paris, qui prévoit que les affouillements du sol sont admis lorsque l'implantation projetée vise à " réduire des dénivelés importants ", il ressort toutefois des motifs même du jugement attaqué que la société ne pouvait manifestement pas se prévaloir utilement de cette dérogation, le tribunal ayant relevé que cette cour était mitoyenne de terrains situés tous deux à un niveau inférieur. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait entaché son jugement d'irrégularité sur ce point ne peut qu'être écarté.

6. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque en tant qu'il se prononce sur la légalité du permis de construire du 9 août 2017.

Sur les conclusions dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il porte sur l'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :

7. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".

8. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée, sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Le juge n'est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.

9. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour considérer que l'illégalité du permis de construire litigieux qu'il avait relevée, tirée de la méconnaissance des dispositions de l'article UG 13.1.1 du règlement du plan local d'urbanisme de la ville de Paris fixant les règles relatives aux dénivelés de terrains entre, d'une part, le terrain d'assiette du projet et, d'autre part, le niveau des rues avoisinantes et le terrain des parcelles mitoyennes, n'était pas susceptible d'être régularisée et qu'il n'y avait, dès lors, pas lieu de surseoir à statuer en vue d'une mesure de régularisation, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que la régularisation du projet nécessiterait une modification substantielle de celui-ci. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait d'apprécier si la modification en cause impliquerait d'apporter au projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi relatif à l'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, que la société Cogedim Métropole, est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque en tant que le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer en vue d'une mesure de régularisation.

11. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe, dès lors, de régler l'affaire au fond dans la mesure de l'annulation prononcée.

12. Il ressort des pièces du dossier que le vice entachant la légalité de l'arrêté litigieux, tel qu'énoncé au point 5 du jugement du tribunal administratif de Paris du 17 juin 2022, peut être régularisé, sans apporter au projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même, par un arrêté de la maire de Paris modifiant le permis de construire initialement délivré par l'arrêté du 9 août 2017, en supprimant les ouvertures du rez-de-jardin donnant sur la cour 2 et en procédant à un réagencement général de l'ensemble des bâtiments afin de pallier l'absence d'éclairement en provenance des deux cours, dont l'aménagement n'est pas conforme aux dispositions de l'article UG 13.1.1 du règlement du plan local d'urbanisme de Paris.

13. Eu égard aux modalités de régularisation ainsi fixées, cette mesure de régularisation devra être prise dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision et versée à l'instruction afin d'être soumise au débat contradictoire.

14. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur la demande du syndicat des copropriétaires du 1-4 passage Chaussin / 97 rue de Picpus et autres jusqu'à l'expiration du délai mentionné au point précédent afin de permettre la régularisation analysée au point 12.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 17 juin 2022 est annulé en tant qu'il juge qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer en vue de la régularisation du vice entachant la légalité de l'arrêté de la maire de Paris du 9 août 2017.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la demande du syndicat des copropriétaires du 1-4 passage Chaussin / 97 rue de Picpus et autres ainsi que sur les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, en vue de la notification de la mesure de régularisation prise selon les modalités mentionnées au point 12.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Cogedim Paris Métropole, au syndicat des copropriétaires du 6 rue Louis Braille, premier dénommé pour l'ensemble des défendeurs, et au syndicat des copropriétaires du 1-4 passage Chaussin / 97 rue de Picpus, premier dénommé pour l'ensemble des requérants de première instance.

Copie en sera adressée à la Ville de Paris.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 9 septembre 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 466756
Date de la décision : 09/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 sep. 2024, n° 466756
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP GURY & MAITRE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:466756.20240909
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