Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 novembre 2010 et 4 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le centre hospitalier de Châteauroux, dont le siège est au 216 avenue de Verdun BP 585 à Châteauroux (36019) ; le centre hospitalier de Châteauroux demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 08BX01993 du 16 septembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur la requête de Mme B...E..., agissant en son nom personnel ainsi qu'en sa qualité de représentante légale de Mlle C...E..., de M. G... E..., de M. A... F..., de Mme D...F...et de Mme H...E..., a annulé le jugement n° 0501133 du 29 mai 2008 du tribunal administratif de Limoges et condamné le centre hospitalier à verser à Mme B...E..., en sa qualité de représentante légale de Mlle C...E..., la somme de 666 137,98 euros ainsi qu'une rente annuelle de 22 000 euros, à Mme B...E..., en son nom personnel, la somme de 22 000 euros, à M. G... E..., la somme de 10 000 euros, à M. A...F...et Mme D...F..., chacun, la somme de 5 000 euros, et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre, la somme de 133 118,78 euros, ainsi qu'au fur et à mesure de ses débours, les frais médicaux, pharmaceutiques et de réparation et renouvellement d'appareillage nécessités par l'état de Mlle E... dans la limite d'un montant de 552 639,68 euros en réparation des préjudices subis à la suite des fautes commises lors de sa naissance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les observations de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Châteauroux, de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre, et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat des consorts E...-F...,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Châteauroux, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre, et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat des consorts E...-F... ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 11 août 1982, Mme E...a été admise au centre hospitalier de Châteauroux en vue d'y accoucher ; qu'après avoir été placée à 23h en salle de travail sous la surveillance d'une sage-femme, elle a donné naissance à 0h20 à une fille en état de mort apparente, qui a été réanimée et présente une infirmité motrice cérébrale entraînant une dépendance complète ; que le 22 août 2005, les consorts E...et F...ont recherché la responsabilité du centre hospitalier de Châteauroux au titre de fautes commises lors de la surveillance de la grossesse et de l'accouchement de MmeE... ; que, par un jugement du 29 mai 2008, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre ; que le centre hospitalier de Châteauroux se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 16 septembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement, retenu l'existence d'une faute de l'établissement et condamné celui-ci à verser diverses indemnités, au titre des préjudices subis, aux consorts E...etF... et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre ; que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre a formé un pourvoi incident tendant à l'annulation de certaines des dispositions de l'arrêt relatives à ses débours ; que les consorts E...et F...ont formé un pourvoi incident tendant à l'annulation de l'arrêt en ce qu'il a limité le montant des indemnités dues au titre de leurs préjudices patrimoniaux ;
Sur le pourvoi principal du centre hospitalier de Châteauroux :
2. Considérant, en premier lieu, qu'au vu des constatations des experts, la cour n'a ni dénaturé les pièces du dossier, ni commis d'erreur de droit en jugeant que les droits à indemnité dont pouvait se prévaloir Mme E... au nom de sa fille se rattachaient, en ce qui concerne les préjudices personnels de celle-ci, à l'année au cours de laquelle la consolidation de son état de santé avait été acquis et en fixant cette consolidation à la date de sa majorité, soit le 12 août 2000 ; qu'elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en en déduisant que la demande en référé-expertise introduite le 17 juillet 2003 par Mme E...devant le tribunal administratif de Limoges avait interrompu le délai de prescription et que l'action tendant à l'indemnisation des préjudices personnels d'Elodie n'était pas prescrite à la date d'introduction de la demande d'indemnisation devant le tribunal administratif, soit le 22 août 2005 ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'en relevant que les lésions cérébrales de l'enfant étaient la conséquence d'une souffrance foetale aigüe liée à sa post-maturité, dont le risque ne pouvait pas être ignoré des praticiens du centre hospitalier de Châteauroux en raison notamment des incertitudes entourant la date de fin de la grossesse, la cour a pris parti sur l'origine des lésions d'Elodie E...sans se contredire ni dénaturer les faits ; qu'en estimant, ensuite, qu'une faute avait été commise par le centre hospitalier aux motifs, d'une part, qu'il n'avait pas été procédé, lors des consultations des 5 et 9 août 1982, alors que le contexte de post maturité de la grossesse était connu, à un enregistrement du rythme cardiaque foetal et, d'autre part, que Mme E... n'avait pas été placée sous monitorage le 11 août pendant toute la durée du travail, quand bien même cette technique de contrôle n'était pas systématiquement mise en oeuvre à l'époque dans les hôpitaux publics, la cour ne s'est pas davantage contredite, n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits qu'elle a relevés ;
4. Considérant, cependant, qu'ouvre droit à réparation le dommage corporel résultant de manière directe et certaine de la faute commise par le service public hospitalier ; que, dans le cas où celle-ci a compromis les chances d'un patient d'éviter l'aggravation de son état, le préjudice en résultant directement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'en se bornant à relever que la faute commise par le centre hospitalier de Châteauroux avait fait perdre à Elodie E..." toute chance de naître exempte de handicap " et en en déduisant qu'elle engageait l'entière responsabilité de l'établissement, sans rechercher si, en l'absence de faute, il était certain que l'enfant n'aurait pas présenté de handicap, la cour a entaché sa décision d'erreur de droit ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi principal, que le centre hospitalier de Châteauroux est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 16 septembre 2010 en tant qu'il juge que les fautes commises par le centre hospitalier sont à l'origine de l'intégralité des dommages subis par Elodie E...et par ses proches, évalue ces dommages et fixe, en conséquence, les indemnités mises à la charge de l'établissement ;
Sur le pourvoi incident de la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Indre :
En ce qui concerne la prescription :
6. Considérant que si la subrogation investit la caisse de tous les droits et actions du subrogeant, elle ne lui confère que les droits et actions qui appartenaient à ce dernier, dans les limites dans lesquelles il pouvait les exercer ; qu'il en résulte que les effets susceptibles de s'attacher quant au cours de la prescription quadriennale à un acte accompli par l'assuré peuvent être valablement invoqués par la caisse de sécurité sociale et qu'à l'inverse la caisse peut se voir opposer par le tiers responsable du dommage tous les moyens d'exception ou de défense dont il dispose à l'égard de la victime ainsi que les actes qu'il lui a valablement opposés ;
7. Considérant que, pour combattre l'exception de prescription opposée par le centre hospitalier de Châteauroux en ce qui concerne les frais exposés par elle avant le 1er janvier 1999, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre a fait valoir devant les juges du fond qu'elle n'avait eu connaissance des causes du dommage qu'en 2003 ; que, toutefois, la caisse ne pouvait utilement invoquer des circonstances tenant à sa situation propre pour soutenir qu'elle aurait eu connaissance de sa créance à une date postérieure à celle à laquelle les représentants légaux de la victime devaient eux-mêmes être regardés comme ayant disposé de connaissances suffisantes sur l'existence de leur créance ; qu'ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en faisant droit à l'exception de prescription ;
En ce qui concerne l'évaluation des frais futurs :
8. Considérant que l'annulation, sur le pourvoi principal, de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il évalue les dommages et fixe les indemnités prive d'objet le pourvoi incident de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre en tant qu'il conteste l'évaluation par la cour des frais futurs incombant à la caisse ;
Sur le pourvoi incident des consorts E...etF... :
9. Considérant que l'annulation, sur le pourvoi principal, de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il évalue les dommages et fixe les indemnités prive d'objet le pourvoi incident des consorts E...etF..., qui contestent l'évaluation par la cour des frais afférents à l'assistance d'une tierce personne, requise par l'état de la victime ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre et par les consorts E...et F...soient mises à la charge du centre hospitalier de Châteauroux qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 septembre 2010 est annulé en tant qu'il juge que les fautes commises par le centre hospitalier de Châteauroux sont à l'origine de l'intégralité des dommages subis par Elodie E...et par ses proches, évalue ces dommages et fixe en conséquence les indemnités mises à la charge de l'établissement.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux dans la limite de la cassation ainsi prononcée.
Article 3 : Le surplus des conclusions du centre hospitalier de Châteauroux est rejeté.
Article 4 : Le pourvoi incident de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre est rejeté en tant qu'il conteste la prescription opposée à la caisse pour les frais exposés par elle avant le 1er janvier 1999. Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de la caisse primaire en tant qu'il concerne l'indemnisation de ses frais futurs.
Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident des consorts E...etF....
Article 6 : Les conclusions des consorts E...et F...et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Châteauroux, à Mme B...E..., M. G... E..., M. A...F..., Mme D...F..., Mme H...E...et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre.