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06/12/1999 | FRANCE | N°189407

France | France, Conseil d'État, 7 / 10 ssr, 06 décembre 1999, 189407


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 août et 27 octobre 1997, présentés pour la VILLE DE MARSEILLE représentée par son maire en exercice ; la VILLE DE MARSEILLE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 juin 1997 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il a annulé le jugement du 28 mars 1994 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la société National Westminster Bank tendant à ce que la ville soit condamnée à lui verser la somme de 656 934

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Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 août et 27 octobre 1997, présentés pour la VILLE DE MARSEILLE représentée par son maire en exercice ; la VILLE DE MARSEILLE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 19 juin 1997 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il a annulé le jugement du 28 mars 1994 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la société National Westminster Bank tendant à ce que la ville soit condamnée à lui verser la somme de 656 934,67 F montant total des créances de cette ville qui lui ont été cédées par la société aixoise de viabilité, réseaux et génie civil (S.A.V.R.) et condamné la ville à payer à la société National Westminster Bank la somme de 234 940,46 F avec intérêts à compter du 28 mars 1991 ;
2°) d'ordonner le sursis à exécution dudit arrêt ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 modifiée et notamment son article13-1 ;
Vu la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 modifiée ;
Vu le décret n° 81-862 du 9 septembre 1981 modifié ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Le Chatelier, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la VILLE DE MARSEILLE et de la SCP Lesourd, avocat de la société National Westminster Bank,
- les conclusions de M. Savoie, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article R. 200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Les jugements et arrêts mentionnent que l'audience a été publique ... Mention y est faite que le rapporteur et le commissaire du gouvernement et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs ... ont été entendus" ;
Considérant que l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 19 juin 1997, ne comporte aucune mention relative à l'audition du commissaire du gouvernement ; qu'ainsi cet arrêt est entaché d'un vice de forme ; que la VILLE DE MARSEILLE est fondée à en demander l'annulation ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, la Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant que par un marché conclu le 24 février 1989, la VILLE DE MARSEILLE a confié à la société Aixoise de Viabilité, Réseaux et Génie civil (S.A.V.R.) la réalisation d'ouvrages au stade Weygand pour un montant de 1 709 675,93 F ; que la S.A.V.R. a cédé à la société National Westminster Bank, en application des dispositions susvisées de la loi du 2 janvier 1981, des créances correspondant au règlement de travaux effectués pour un montant de 656 934,67 F ; que cependant la VILLE DE MARSEILLE a fait procéder à un paiement direct des sommes correspondantes au bénéfice de la S.A.V.R et des sous-traitants présentés par cette dernière ;
Sur la recevabilité de l'appel :
Considérant que la requête de la société National Westminster Bank, qui tend à l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande et à la condamnation de la VILLE DE MARSEILLE à lui régler la somme susmentionnée, n'estpas fondée sur une cause juridique distincte de celle sur laquelle repose sa demande de première instance et ne saurait, dès lors, être regardée comme une demande nouvelle en appel ; que contrairement à ce que soutient la VILLE DE MARSEILLE, le mémoire introductif d'instance déposé par la société requérante dans le délai d'appel n'est pas dépourvu de moyens ; que, par suite, la double fin de non-recevoir opposée par la ville intimée ne peut qu'être rejetée ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant que la circonstance que la société National Westminster Bank n'était pas partie du marché de travaux publics passé entre la VILLE DE MARSEILLE et la S.A.V.R. était sans influence sur la recevabilité de la demande présentée en première instance par cet établissement de crédit sur le fondement de la loi susvisée du 2 janvier 1981 ; que, par ailleurs, il résulte de l'instruction que le directeur de la succursale de Marseille de la société National Westminster Bank était régulièrement mandaté par le conseil d'administration de cette société bancaire pour intenter toutes actions devant toutes juridictions ; que, par suite, la VILLE DE MARSEILLE n'est pas fondée à soutenir que la demande présentée par la banque en première instance était irrecevable ;
Sur les droits de la société requérante :

Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi susvisée du 2 janvier 1981 : "La cession ... prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau. A compter de cette date, le client de l'établissement de crédit bénéficiaire du bordereau ne peut, sans l'accord de cet établissement, modifier l'étendue des droits attachés aux créances représentées par ce bordereau" ; qu'aux termes de l'article 5 de la même loi : "L'établissement de crédit peut à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ... de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article 13, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit" ; qu'aux termes de l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 modifiée : "L'entrepreneur ne peut céder ou nantir les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l'ouvrage qu'à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu'il effectue personnellement" ; qu'aux termes de l'article 2-II du code des marchés publics : "L'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément des conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance doivent être demandées dans les conditions suivantes ... Dans le cas où la demande est présentée après la conclusion du marché ... le titulaire doit en outre établir que la cession ou le nantissement de la créance résultant du marché ne fait pas obstacle au paiement direct du sous-traitant en produisant soit l'exemplaire unique du marché qui lui a été délivré, soit une attestation de l'établissement de crédit bénéficiaire de la cession ou du nantissement" ; que le 1er alinéa de l'article 188 du même code prévoit : "L'autorité qui a traité avec l'entrepreneur ou fournisseur remet à celui-ci une copie certifiée conforme de l'original revêtue d'une mention dûment signée, comme l'original, par l'autorité dont il s'agit et indiquant que cette pièce est délivrée en unique exemplaire en vue de la notification éventuelle d'une cession ou d'un nantissement de créance." ; que l'article 188 bis dispose : "Si postérieurement à la notification du marché, le titulaire envisage de confier à des sous-traitants bénéficiant du paiement direct l'exécution de prestations pour un montant supérieur à celui qui est indiqué dans le marché par application de l'article 187 bis, il doit obtenir la modification de la formule d'exemplaire unique figurant sur la copie certifiée conforme ou sur l'extrait prévu à l'article 188. Si cette copie ou cet extrait a été remis à un établissement de crédit en vue d'une cession ou d'un nantissement de créance et ne peut être restitué, le titulaire doit justifier, soit que la cession ou le nantissement de créance concernant le marché est d'un montant tel qu'il ne fait pas obstacle au paiement direct de la partie sous-traitée, soit que son montant a été réduit de manière àréaliser cette condition. Cette justification est donné par une attestation de l'établissement de crédit bénéficiaire de la cession ou du nantissement de créance résultant du marché." ; qu'aux termes de l'article 189 du même code : "En cas de notification, l'exemplaire unique du marché prévu à l'article 188 doit être remis au comptable assignataire en tant que pièce justificative pour le paiement" ;

Considérant que la société National Westminster Bank a procédé les 19 octobre 1990, 11 janvier 1991 et 24 janvier 1991 à la notification au trésorier principal de la VILLE DE MARSEILLE de trois créances qui lui avaient été cédées par la S.A.V.R. ; que, contrairement aux dispositions précitées de l'article 189 du code des marchés publics, ces notifications n'étaient pas accompagnées de l'exemplaire unique du marché et ainsi ont été à bon droit retournées par le trésorier principal de la VILLE DE MARSEILLE à laquelle elles n'étaient pas opposables ; qu'en revanche, il résulte de l'instruction que la notification effectuée par la banque cessionnaire auprès du trésorier principal de la ville le 31 janvier 1991 était bien accompagnée de ce document ; que, dès lors, celle-ci a été présentée dans des conditions régulières au regard des dispositions précitées de l'article 189 du code des marchés publics ; Considérant que si la VILLE DE MARSEILLE a produit au dossier plusieurs actes portant déclaration et désignation de sous-traitants de la société S.A.V.R. au profit desquels elle a fait procéder à un paiement direct des prestations qu'ils avaient assurées, l'agrément des conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance n'a pu légalement intervenir en l'absence de production préalable par la S.A.V.R. de l'exemplaire unique du marché ou de l'attestation de l'établissement de crédit bénéficiaire de la cession, conformément aux dispositions précitées des articles 2-II et 188 bis du code des marchés publics ; que ces dispositions faisaient obstacle, en l'espèce, à ce que la ville se prévale des dispositions précitées de l'article 13-1 de la loi susvisée du 31 décembre 1975 ; que la circonstance que la S.A.V.R ait sciemment omis de communiquer à la ville l'exemplaire unique du marché ou l'attestation de l'établissement de crédit bénéficiaire de la cession n'est pas de nature à délivrer cette dernière de ses obligations nées de l'application des articles 4 et 5 précités de la loi susvisée du 2 janvier 1981 ; qu'il lui appartenait en particulier d'obtenir de la S.A.V.R lesdits documents avant de procéder au paiement direct des sous-traitants ; qu'il résulte de ce qui précède que la notification de la cession de créance effectuée par la société National Westminster Bank le 31 janvier 1991 portant sur un montant de 234 940,46 F était opposable à la VILLE DE MARSEILLE qui ne pouvait être regardée comme s'étant valablement libérée de ses dettes par le paiement qu'elle avait préalablement effectué entre les mains de ses sous-traitants ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la VILLE DE MARSEILLE, alors même qu'elle ne s'était pas engagée à payer directement l'établissement cessionnaire de cette créance dans les conditions prévues par l'article 6 de la loi susvisée du 2 janvier 1981, ne pouvait se prévaloir des paiements auxquels elle estimait s'être engagée envers les sous-traitants antérieurement à la présentation de la créance, pour refuser à la société National Westminster Bank le paiement de la somme de 234 940,46 F ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société National Westminster Bank n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant au paiement des créances qu'elle avait présentées le 19 octobre 1990, le 11 janvier 1991 et le 24 janvier 1991 ; qu'en revanche la société National Westminster Bank est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant au paiement de la créance présentée le 31 janvier 1991 et à demander la condamnation de la VILLE DE MARSEILLE à lui verser la somme de 234 940,46 F, accompagnée des intérêts au taux légal,à compter du 28 mars 1991 ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions susanalysées font obstacle à ce que la société National Westminster Bank, qui n'est pas la partie perdante en appel, soit condamnée à verser à la VILLE DE MARSEILLE au titre de l'instance d'appel la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 19 juin 1997 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 28 mars 1994 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société National Westminster Bank tendant au paiement de la créance présentée le 31 janvier 1991.
Article 3 : La VILLE DE MARSEILLE est condamnée à payer à la société National Westminster Bank la somme de 234 940, 46 F avec les intérêts au taux légal à compter du 28 mars 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la société National Westminster Bank devant la cour administrative d'appel de Lyon et le surplus des conclusions de sa demande de première instance est rejeté.
Article 5 : Les conclusions, présentées par la VILLE DE MARSEILLE, en appel et tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la VILLE DE MARSEILLE, à la société National Westminster Bank et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.


Sens de l'arrêt : Rejet condamnation de la ville de marseille
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

39-05-01-01-03 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - EXECUTION FINANCIERE DU CONTRAT - REMUNERATION DU CO-CONTRACTANT - PRIX - REMUNERATION DES SOUS-TRAITANTS -Cession de créances par l'entrepreneur (loi Dailly) - Opposabilité des créances au maître de l'ouvrage - Conditions - Paiement direct des sous-traitants - Conditions - Paiement effectué en l'absence de production préalable par la société de l'exemplaire unique du marché ou de l'attestation de l'établissement de crédit bénéficiaire de la cession - Conséquence - Maître de l'ouvrage non libéré de ses dettes à l'égard de l'établissement cessionnaire.

39-05-01-01-03 La ville de M. a confié à une société la réalisation d'ouvrages. Cette société a cédé à une banque, en application de la loi du 2 janvier 1981 dite loi Dailly, des créances correspondant au règlement de travaux effectués. Après avoir notifié au trésorier principal de la ville des créances non accompagnées, contrairement à ce que prévoit l'article 189 du code des marchés publics, de l'exemplaire unique du marché, créances qui ont été à bon droit retournées par le trésorier principal, la banque a notifié une autre créance accompagnée cette fois de l'exemplaire unique du marché. Cependant, entre temps, la ville avait fait procéder au paiement direct des sommes correspondantes au bénéfice de la société et de sous-traitants présentés par cette dernière. Si la ville produit plusieurs actes portant déclaration et désignation de sous-traitants de la société, l'agrément des conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance n'a pu légalement intervenir en l'absence de production préalable par la société de l'exemplaire unique du marché ou de l'attestation de l'établissement de crédit bénéficiaire de la cession, conformément aux dispositions des articles 2-II et 188 bis du code des marchés publics. La circonstance que la société ait sciemment omis de communiquer à la ville l'exemplaire unique du marché ou l'attestation de l'établissement de crédit bénéficiaire de la cession n'est pas de nature à délivrer cette dernière de ses obligations à l'égard de la banque nées de la loi du 2 janvier 1981. Il s'ensuit que la ville ne peut être valablement regardée comme libérée de ses dettes à l'égard de la banque par le paiement qu'elle a préalablement effectué entre les mains des sous-traitants.


Références :

Code des marchés publics 2, 188, 189
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R200
Loi 75-1334 du 31 décembre 1975 art. 13-1
Loi 81-1 du 02 janvier 1981 art. 4, art. 5, art. 6
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation: CE, 06 déc. 1999, n° 189407
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Fouquet
Rapporteur ?: M. Le Chatelier
Rapporteur public ?: M. Savoie
Avocat(s) : SCP Coutard, Mayer, SCP Lesourd, Avocat

Origine de la décision
Formation : 7 / 10 ssr
Date de la décision : 06/12/1999
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 189407
Numéro NOR : CETATEXT000008056906 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1999-12-06;189407 ?
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